L’Allégorie de la Caverne

Il se sentait mourir à petit feu. Toute envie de vivre l’avait quitté et il n’avait toujours pas touché sa maigre pitance de la veille. Ni celle de l’avant-veille, d’ailleurs. Voilà d’innombrables jours qu’il était emprisonné ; l’espoir avait fini par l’abandonner. Il sentait son esprit se laisser aller à rêvasser de plus en plus et, dorénavant, la seule chose qui le rattachait à la vie était cette femme qui chantait devant la prison. D’elle, il ne voyait que sa silhouette sur le mur en face de lui, car désormais, tout son monde était composé d’ombres projetées sur la paroi. Il lui trouvait des courbes harmonieuses assorties d’une voix céleste et la jalousie le prenait parfois, car il lui semblait que la chanteuse posait sa tête sur l’épaule d’un homme. Mais avec les ombres, c’est toujours difficile à dire.

Un bruit soudain le tira de sa léthargie. Il s’agissait du gardien qui déverrouillait la porte de la cellule afin de poser le repas quotidien. Puis, sans lui accorder la grâce d’un mot ni d’un regard, il s’en fut en verrouillant soigneusement la porte après son passage, à grand renfort de frottements froids de la clef en métal dans la serrure.

Le captif se plongea de nouveau avec délectation dans la brume de ses pensées et la contemplation béate de l’ombre qui dansait en chantant contre le mur. Enchanté par le son pur et délicat, il ferma les paupières afin de mieux profiter de cette voix pleine d’émotion. Tour à tour joyeux et profondément mélancolique, doux et plein de caractère, le chant était une merveille à son oreille. Pour ne pas rater une seule miette du spectacle de l’ombre dansante, il ouvrit de nouveau les yeux et se perdit dans une explosion de musique et de mouvements gracieux.

C’est ainsi qu’il rendit son dernier soupir ; le violon devant la prison perdit de ce fait son plus fervent soupirant.

FeleHel (2)

La Ferme

Jonathan, les yeux rivés sur la fenêtre, contemplait pensivement son œuvre. Un sentiment d’intense satisfaction l’envahit. Ses champs cultivés s’étendaient à perte de vue dans le soleil couchant ; ses semis céréaliers étaient plantés en carrés impeccables et il en était de même pour ses potagers ou ses vergers. Il tourna ensuite légèrement la tête afin de savourer la vision de ses prés où paissait une multitude de bétail bien gras. Et comment oublier sa rutilante moissonneuse-batteuse qui dormait tranquillement en compagnie de ses tracteurs aux diverses fonctions ? Soupirant d’aise, il se rendit à la cuisine, où il se servit un verre de lait. Ceci fait, il retourna dans son bureau, le centre névralgique de toute son exploitation fermière. Il s’assit confortablement devant son ordinateur et passa une main dans ses cheveux.

Le sonnerie annonçant le début de la vidéoconférence tintinnabula enfin et les visages de ses collègues et amis s’affichèrent sur l’écran. « Salut les gars. » Lança-t-il nonchalamment. Depuis toujours, il pensait que la nonchalance lui conférait de la prestance. Une fois l’étape de la politesse achevée pour tous les participants, Jonathan prit la parole. Tous se turent respectueusement ; il était le leader de leur petite communauté d’exploitants agricoles. A force de zèle et d’acharnement, il avait même grandement participé à leur visibilité sur cet outil de communication de masse qu’est Internet et, désormais, ils accueillaient régulièrement de nouveaux membres en leur sein. Certains disaient même que Jonathan avait révolutionné l’agronomie.

« Mes amis, déclara-t-il, comme vous le savez tous, nous sommes partis de rien. Regardez maintenant où nous en sommes ! Nous avons tous prospéré. » Ce disant, Jonathan songea brièvement à Léa, qui n’avait pas su tenir la distance avec sa ferme, et avait fini par abandonner. Mis à part ce fâcheux incident, tous ceux qui avaient persévéré se tenaient à présent sur un véritable empire fermier, à la tête de richesses agricoles incommensurables, même si certains avaient du pour cela fournir un apport de grosses sommes d’argent. « Cela n’a pas toujours été facile, continua-t-il. Surtout lors des lourds investissements que nous avions à faire à chaque fois que nous voulions nous agrandir. Mais nous nous sommes obstinés et nous en récoltons finalement les fruits.

– Et les légumes ! » Intervint joyeusement Théo, avant de se mettre à rire à sa propre saillie. Certains pouffèrent de convenance. Pas Jonathan. Il s’en tenait à sa personnalité nonchalante.

Il continua d’ailleurs, ignorant l’interruption du boute-en-train. « A force d’investissements judicieux, disais-je, de ruse et de diplomatie, nous avons enfin atteint un niveau que les autres ne peuvent plus se permettre d’ignorer. Ils vont devoir prendre sérieusement nos avis en compte ! » Ses interlocuteurs manifestèrent bruyamment leur joie. Enfin leur efforts allaient pouvoir leur permettre de tirer leur épingle du jeu au niveau national. Voire même, au niveau mondial dans la foulée. Personne ne se moquerait plus d’eux et tous ceux qui les avaient critiqués deviendraient envieux. Les grands de ce monde allaient être contraints de les accepter parmi eux, car ils allaient forcément être acceptés comme poids politique avec lequel compter. Jonathan sentit son cœur battre la chamade d’allégresse. Voici venue l’aube d’une nouvelle ère.

Avec, à sa tête, la guilde « La Ferme John et Cie », la première sur superfarming.com.