Le mystère du Plateau

Depuis des cycles se tenait le grand chantier archéologique du Plateau. Bac se sentait fier de participer à cette épopée. « Nous vivons une époque formidable ! » s’exclamait-il à qui voulait l’entendre, ravi que les avancées technologiques puissent être mises au service de l’archéologie. Rien que le fait de gravir les pentes à-pic, que personne n’avait encore réussi à escalader, était en soi un exploit, rendu possible par le progrès.

D’innombrables légendes couraient sur le Plateau ; la plupart des gens en avaient fait le lieu de résidence des divinités qui régissaient leurs vies. D’autres insistaient sur le fait qu’il était maudit : au cours des âges, de nombreux aventuriers avaient tenté l’escalade, mais aucun n’était revenu pour la relater. Les archéologues s’apprêtaient maintenant à lever tous ces mystères.

S’efforçant de rester professionnel, Bac vérifia une nouvelle fois qu’il n’avait rien oublié. Il savait que, tout trépignant d’excitation qu’il était, il ne se rendrait pas compte de ce qui pourrait manquer, mais il s’obligea à contrôler quand même. Il s’assura également qu’il disposait de quoi écrire dans ses poches : il comptait tout noter de manière scrupuleuse.

« Bac, es-tu prêt ? Il est temps de partir. » Madame Vir était la responsable du groupe de recherches duquel dépendait Bac. Il attrapa aussitôt son sac à dos et lui emboîta le pas, enchanté d’avoir été choisi pour faire partie du premier groupe d’expédition. Sous les vivats — envieux, il en était certain — de leurs confrères et consœurs, il monta dans la nacelle du ballon, en compagnie de madame Vir. En plus d’eux venaient Icro le géologue, Paras, exploratrice de son état, et le pilote.

La météo, favorable au vol, ajoutait à la liesse générale. Le ballonniste contemplait la foule d’un air désabusé. « Tout va bien ? lui demanda madame Vir.
— Il faudra bien, mais je vous préviens, vous ferez bien de vous accrocher. La météo restera bonne ici, mais il n’en sera pas de même là-haut. Le voyage risque de secouer. »

Bac et ses deux collègues acquiescèrent, leur enthousiasme nullement entaché par la mise en garde du pilote. Ils arrimèrent leurs bagages et les caisses de matériel avec soin, tandis que le ballonniste lançait ses machines. Lorsque la nacelle s’ébranla, un regain de vivats parcourut les spectateurs, qui hurlèrent de joie lorsqu’elle décolla du sol. Ils étaient enchantés d’assister à un tel évènement, encore très rare. Bac se sentait transporté et il gratifiait la foule de grands gestes euphoriques.

Il allait entrer dans l’Histoire, il en était sûr. Il s’efforçait de graver ces instants dans sa mémoire, pour pouvoir les relater plus tard lorsque l’on s’arracherait ses interviews et que l’on s’intéresserait à sa biographie. Se souvenant qu’il avait emporté des carnets à cet effet, il se saisit de celui qu’il conservait dans sa poche, dégaina un crayon et commença à griffonner à toute allure.

Au fur et à mesure que le ballon prenait son essor, les cris des spectateurs s’amenuisaient. En jetant un coup d’œil par-dessus le bord de la nacelle, Bac crut qu’il allait défaillir : l’engin s’était déjà tellement élevé en altitude ! En proie au vertige, il se cramponna au rebord, manquant de lâcher carnet et crayon. Fermement agrippé, il continua à contempler avec fascination la vue imprenable qui s’offrait à lui. Il ne parvenait plus à détacher son regard de l’immense vide sous la nacelle.

« Attention, accrochez-vous, ça va secouer maintenant. » les informa platement le ballonniste.

Ses quatre passagers obéirent. Bac s’assit au fond de la nacelle, rangea son matériel d’écriture et se cramponna aux caisses arrimées à côté de lui. Comme le pilote l’avait prédit, le temps se dégrada rapidement et le ballon se retrouva bientôt en proie à de puissantes rafales. Madame Vir s’était solidement accrochée et endurait la tempête avec un flegme remarquable que Bac admirait et enviait tour à tour.

Les embardées de la nacelle s’accentuaient. Les passagers s’agrippèrent plus fort. Bac se blottit contre sa caisse, les articulations engourdies à force de se crisper. Il s’efforçait de se faire le plus petit possible pour ne pas déranger le pilote qui s’affairait lestement d’un coin à l’autre. Quelques instants plus tard, l’archéologue avait l’impression que la tempête avait duré des heures. En regardant le ballonniste qui n’avait cessé de s’activer, les traits tirés par la fatigue, Bac sentit l’inquiétude le submerger.

« Quand arriverons-nous en haut ? ne put-il s’empêcher de gémir.
— Nous avons déjà dépassé le haut, répondit le pilote qui l’avait entendu malgré les cris du vent. J’essaie de retrouver le sol pour nous poser. Ça va secouer.
— Encore ? » se plaignit l’archéologue. Il ne sut pas si le ballonniste l’avait entendu, car il était déjà reparti s’affairer de l’autre côté de l’engin.

Un choc brutal lui fit soudain lâcher prise et Bac roula au fond de la nacelle qui avait arrêté de bouger. Madame Vir se redressa et demanda : « Que s’est-il passé ?
— Nous avons atterri. Le vent nous a emportés loin du bord, mais nous nous trouvons bel et bien sur le Plateau. Je ne pense pas que je pouvais procéder à un atterrissage plus en douceur. Ceci dit, vous avez tous l’air vivants et entiers, non ?
— Je suppose que c’est déjà pas mal étant donné les conditions, en effet, finit par acquiescer madame Vir. Allons les enfants, occupez-vous de décharger le matériel. »

Un juron l’interrompit. « Qu’y a-t-il maintenant ? s’enquit-elle avec irritation auprès du pilote énervé.
— La tempête a endommagé le ballon et l’atterrissage a tordu la direction. Je vais devoir réparer tout ça pour descendre chercher le reste.
— Disposez-vous de quoi procéder aux réparations ?
— Oui, ça va juste prendre du temps, grommela le ballonniste.
— Peu importe dans ce cas. Les causes de contretemps sont légion lors d’un chantier archéologique. Faites au mieux. »

Sur ces mots, elle entreprit d’aider les membres de son équipe à vider la nacelle des caisses qui l’encombraient. Chargé, Bac descendit précautionneusement du ballon. En posant le pied par terre, il constata que le sol en haut du plateau s’avérait plus chaotique que celui dont il avait l’habitude en bas. Il s’abîma un instant dans la contemplation des arêtes qui l’entouraient, avant d’être rappelé à la réalité par le poids encombrant de la caisse qu’il transportait.

« On dirait presque que ce plateau n’est pas naturel, commenta l’exploratrice Paras.
— Cela corrobore les observations faites à la base du Plateau. » renchérit Icro.

L’équipe de recherche se dépêcha de vider le reste, impatients qu’ils étaient de commencer à étudier et explorer cette nouvelle région. De même, le campement fut monté en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. « Les terrains sont très clairs ici, comme les parois du Plateau, nota madame Vir. Mais, là-bas, nous pouvons apercevoir une zone plus sombre. Lorsque nous aurons fini notre installation, nous irons voir ce qu’il en est. »

Les autres chercheurs se mirent en route, pendant que le ballonniste continuait à pester sur le rafistolage de son appareil. Sur les conseils de Paras, ils s’étaient équipés de quoi se sustenter en chemin, ne sachant pas à quel point les distances pouvaient paraître trompeuses sur cette immense plaine. Ils voyagèrent longtemps, mais atteignirent le terrain noir en fin d’après-midi. Intrigués, ils ne prirent même pas le temps de poser leurs chargements avant de commencer à étudier cette spécificité.

La séparation entre le sol blanc et le sol noir s’étendait de manière plutôt nette, traçant une démarcation qui barrait le chemin face à l’équipe de madame Vir. Icro, le géologue, osa quelques pas sur le terrain sombre et se pencha ensuite dessus pour l’examiner de plus près. Pendant ce temps, Bac s’avança plus loin et s’exclama : « Regardez ! Le sol redevient clair ensuite ! »

Madame Vir s’empara de jumelles. Bac se morigéna de ne pas avoir emporté les siennes et attendit silencieusement qu’elle termine ses observations. Il tint son carnet et son crayon prêts, afin de rapporter tout ce qu’elle dirait à l’issue de son inspection. « Hum, dit-elle en abaissant ses jumelles. La répartition entre les zones blanches et les zones noires semble aléatoire, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’une logique se cache derrière tout cela.
— Serait-ce l’œuvre d’une main intelligente ? s’enquit Bac.
— Si tel est le cas, où sont ces gens ? demanda Paras en regardant tout autour d’elle. Nous n’avons vu aucune trace d’habitation jusqu’ici.
— Peut-être ont-ils disparu, supposa Icro. Il faut que j’étudie des morceaux de chaque terrain pour déterminer si l’une, ou l’autre — ou les deux — des colorations est artificielle.
— Bonne idée, approuva madame Vir. Nous pourrons aussi cartographier les zones sombres et claires ; avec un peu de chance, cela nous permettra d’obtenir une meilleure vue d’ensemble. Bac, vous serez responsable de la cartographie avec Paras, pendant qu’Icro s’occupera de l’étude géologique. »

Ils se sentaient tous les quatre positivement stimulés par cette découverte. Tous espéraient qu’il ne s’agissait pas là d’un simple caprice géologique. Après avoir effectué des prélèvements, l’équipe emprunta le chemin du retour au campement. Pendant le trajet, madame Vir leur fit part du fait qu’elle escomptait que le pilote aurait terminé les réparations du ballon lorsqu’ils arriveraient. Elle tenait à rassembler la totalité de ses chercheurs et du matériel le plus rapidement possible, maintenant qu’ils avaient trouvé quelque chose qui l’intriguait.

Lorsqu’ils parvinrent au campement, la nuit était tombée. Le ballon gisait toujours là et son pilote était assis devant, la mine sombre, s’adonnant visiblement à une pause. « Alors, lui lança madame Vir, ce ballon est-il prêt à voler ?
— Plus ou moins, ronchonna le ballonniste. Je dois encore passer du temps à réparer la direction. Sans ça, je ne peux que le faire monter et descendre, mais pas le diriger. »

Bac savait que madame Vir était déçue de la nouvelle, mais elle n’en montra rien, se contentant d’acquiescer. Elle lui souhaita bon courage et s’en fut s’isoler dans sa tente. Paras se pencha vers Bac et lui chuchota : « Si cela avait été l’un de nous qui n’avait pas terminé son objectif dans le temps qu’elle avait estimé, il aurait été vertement réprimandé.
— Certes, répondit-il. Mais nous sommes son équipe et elle sait mieux estimer le temps que nous prendra une tâche. En plus, je pense que le ballonniste est encore plus déçu qu’elle de son retard.
— Tu dois avoir raison.
— En parlant du ballon, reprit l’archéologue, il a dit qu’il pouvait monter et descendre. Que penses-tu de l’utiliser demain pour avoir une vision d’ensemble des sols blanc et noir grâce à l’altitude ? Cela nous simplifierait la tâche pour la cartographie, ne crois-tu pas ?
— Bac, mon ami, tu es un génie. »

Le génie peina à trouver le sommeil, tout émoustillé qu’il était par les découvertes historiques qu’il s’apprêtait à révéler. Lorsque la fatigue eut enfin raison de lui, il eut l’impression qu’à peine endormi, il lui fallait déjà se réveiller. Pendant qu’il mangeait son petit-déjeuner en compagnie de Paras, il regardait tout autour de lui. Madame Vir ne se trouvait nulle part en vue, Icro installait son espace pour étudier les roches et le pilote s’échinait déjà sur la direction du ballon.

Il marmonnait encore en jouant de la clef à molette, lorsque Bac et l’exploratrice vinrent lui demander d’emprunter l’appareil pour des relevés cartographiques depuis les airs. Le ballonniste se redressa en s’essuyant d’un revers de manche et, après quelques secondes de réflexion, il accepta. « Je pense avoir terminé mes réparations, mais je vais avoir besoin de tester leur fiabilité. Du coup, vous pouvez monter pendant que je procède à mes vérifications. »

Les deux collègues embarquèrent joyeusement dans la nacelle et le pilote lança la machine, avant de diriger le ballon dans la direction indiquée par ses passagers. Pour mettre à l’épreuve la solidité de ses réparations, il emmena l’engin très haut en altitude, à la grande inquiétude de Bac qui peinait toujours à rationaliser le vide qui se trouvait entre le sol et lui.

« Ah ben si je m’attendais à ça ! » s’exclama soudain le ballonniste. Les chercheurs, intrigués, jetèrent un coup d’œil par-dessus bord. Ils pouvaient apercevoir les sols blanc et noir se découper parfaitement, les zones sombres ébauchant des formes alignées, et ce, sur plusieurs rangées à perte de vue. Le pilote approcha le ballon de la première ligne et entreprit de la suivre.

« On dirait d’énormes lettres, commenta Paras.
— La première ressemble à une majuscule. » appuya Bac qui prenait furieusement des notes, comme si sa vie en dépendait. Il esquissa de son mieux les symboles formés par les zones noires, dessinant ainsi : « Depuis des cycles se tenait le grand chantier archéologique du Plateau. » Il avait encore beaucoup de signes à recopier.

La traversée du désert

Billy avait du fuir la petite ville plus tôt que ce qu’il avait prévu. Il aurait été pompeux d’appeler Amboy Town une ville ; il s’agissait juste de quelques maisons en bois regroupées le long d’une grande rue. Il était grillé dans tous les patelins du coin et, si il ne voulait pas finir à croupir dans une prison, il n’avait plus d’autre choix que de traverser le désert. Billy aurait voulu prendre plus d’eau et de vivres pour son voyage dans les terres désolées. Mais il n’avait pas prévu que le marshall à ses trousses le retrouverait si tôt. Il pensait avoir mieux couvert ses traces et soupira à l’encontre des aléas de la vie.

Il espérait que l’eau ne lui ferait pas défaut. Ou pas trop. Juste qu’il puisse survivre à sa traversée. Il jeta un coup d’oeil à sa monture. Il doutait de pouvoir la garder jusqu’au bout : elle mourrait certainement avant la fin du voyage. Billy trouvait ça dommage, car c’était un bon cheval et que c’était un peu du gâchis de gaspiller ainsi un tel animal. Tant pis. Il en volerait un autre à la première occasion.

Bercé par le pas régulier de sa monture qui soulevait la poussière du désert, il ôta son chapeau pour se gratter la tête. Il ne savait pas où il avait ramassé ces poux qui le torturaient depuis plusieurs jours et, comme il n’aurait pas le temps de s’en débarrasser, ils lui tiendraient compagnie durant son voyage solitaire. Billy replaça rapidement son chapeau après cela. Le soleil tapait plutôt fort et, malgré la chaleur des bords qui ceignaient son front et le faisaient suer, il ne voulait pas risquer une insolation.

Pendant les deux premiers jours, le voyage se passa sans encombre, malgré les nuits sans feu. Billy ne voulait pas indiquer sa position au cas où le marshall ait décidé de le suivre jusque dans le désert. Ne voyant pas de signe de poursuite, il se détendit et se laissa aller au luxe du foyer nocturne. En revanche, les jours suivants se firent de plus en plus difficiles. Malgré qu’il prenne soin d’économiser son eau, il devait la rationner de plus en plus et la soif le tenaillait sans discontinuer.

Son cheval tomba raide mort, un soir, sans prévenir. Billy faillit se rompre le cou en chutant avec lui et se rattrapa en roulant sur le côté. Il pensait continuer la route, mais décida de rester là pour la nuit. Après avoir allumé un feu, il découpa quelques morceaux de sa monture qui l’avait vaillamment transporté jusque là. Il n’aimait pas faire cela, mais comme il n’avait plus de vivres, il n’avait pas vraiment le choix. A partir de là, son voyage se fit de plus en plus difficile. Sans cheval, il avançait beaucoup moins vite et se fatiguait bien plus. Il avait besoin de plus d’eau à cause de l’effort, mais il devait continuer d’en boire de moins en moins.

Alors qu’il marchait en titubant, la chaleur et l’inanition commencèrent à le faire délirer. Il avait terminé ses dernières gouttes la veille. A partir de là, Billy se fit avoir par des mirages à plusieurs reprises et s’épuisa à essayer de les rejoindre. Sa soif était dévorante et il n’avait qu’une envie : arriver au bout du désert. C’était ce qui le maintenait debout. Il avait très peur de s’endormir la nuit car il craignait de ne plus jamais se réveiller. Et pourtant, chaque soir il tombait d’épuisement et s’endormait comme une souche à l’endroit où il s’était effondré. Et, chaque matin, un soleil de plomb le réveillait.
Jusqu’au moment où il ne se releva plus.

 

« Et voilà, je l’attendais celle là, ronchonna tout bas Marguerite. Le marshall tombe sur le crâne et rien d’autre. Pourquoi est-ce que, dans les films, on voit toujours des crânes d’hommes dans le désert et jamais le reste ?
– Parce que ça fait partie des codes de l’esthétisme du désert nord américain, expliqua patiemment Blanchette à son amie. Au même titre que les cactus par exemple.
– De toutes façons, je n’aime pas les films dont les humains sont les principaux protagonistes, précisa Marguerite.
– C’est la mode, balaya Blanchette en chuchotant. Tu n’as qu’à imaginer que ce sont des bovins ! Maintenant tais-toi, tu vas déranger les autres spectateurs… » Marguerite remua la queue d’un air agacé et les deux vaches tournèrent de nouveau leur attention sur le film.

Dans le labyrinthe

Il semblait à Faustine qu’elle marchait depuis des heures. Son chargement pesait lourd sur ses jambes douloureuses et la lassitude l’envahissait peu à peu. Après avoir poussé un énième soupir à fendre l’âme, elle s’enquit auprès de sa soeur : « Phoebe, quand est ce qu’on sort de ce labyrinthe ? Je suis fatiguée…
– Bientôt, lui assura l’aînée.
– C’est déjà la troisième fois que tu dis bientôt, ronchonna Faustine. Je croyais qu’on était sensées prendre un raccourci !
– C’en est un ; la maison est à quelques minutes après le labyrinthe.
– Je pense qu’on aurait du le contourner, comme les autres fois. Si on avait fait ça, on serait déjà rentrées.
– Arrête d’exagérer. » Phoebe avait employé un ton excédé et sans appel. Après tout, si elles s’étaient aventurées à la recherche d’un raccourci, c’était parce que Faustine se plaignait de son chargement et de sa fatigue déjà auparavant. Tout en se disant que sa cadette était une pleureuse, elle replaça son fardeau qui avait glissé.

« Je n’exagère pas, protesta la plus jeune. En plus, les murs sont trop glissants pour qu’on puisse les escalader. » L’aînée devait admettre la justesse de ses propos. Sa soeur marquait là un point. Ne trouvant rien à répondre, elle continua de suivre le chemin à embranchements. Phoebe devait se rendre à l’évidence, elles étaient perdues. Mais elle devait continuer à avoir l’air décidé si elle ne voulait pas voir sa cadette paniquer. Elle se concentra sur un vieux truc qu’elle avait entendu un jour : si jamais l’on se trouve dans un labyrinthe, il suffit de suivre toujours le même mur pour en sortir. Continuant de marcher d’un pas assuré, Phoebe s’arrangea pour garder le mur sur sa droite. Cela la menait parfois dans des impasses, mais elle persistait dans son idée, malgré les moqueries de Faustine qui paraissait avoir abandonné tout espoir de sortir de là un jour. Cette dernière ne disait plus un mot et se contentait d’arborer une mine maussade.

Elles marchèrent encore quelques minutes en silence, l’une murée dans un silence boudeur et l’autre concentrée sur le trajet. Phoebe sentait qu’elles se rapprochaient de la sortie. Elle espérait la trouver bientôt car elle n’avait pas envie de se faire sermonner pour son retard en arrivant. Leur mère et le reste de la famille avaient besoin de la nourriture qu’elles transportaient. Leur tâche était primordiale ! Ces pensées renforcèrent sa détermination. Elle s’apprêtait à encourager sa soeur, lorsque le sol trembla sous leurs pieds. Faustine poussa un petit cri de surprise et lâcha son précieux chargement. Phoebe se retrouva plaquée contre un mur et attrapa sa cadette avant que celle-ci ne se retrouve propulsée au loin par la secousse. Elles n’avaient jamais expérimenté un tel tremblement de terre et elles se serraient désespérément l’une contre l’autre, apeurées. Une boule plus grande qu’elles les frôla, heurtant en zig-zag les murs dans sa course.

Elles n’eurent pas le temps de se sentir soulagées d’avoir évité de se retrouver écrasées par l’immense boule, qu’un bruit sourd et intense, roulant comme le tonnerre retentit. « Il y en a même là ! » Des mots se détachèrent au sein du grondement qui tonnait tout autour d’elles. Levant la tête, elles aperçurent deux étranges yeux géants qui les fixaient. Ils étaient lisses et plein d’eau ; les soeurs n’avaient jamais rien vu d’aussi laid et effrayant. « C’est fou de se retrouver infestés jusque dans les jouets après seulement deux semaines de vacances ! » Une deuxième voix roula tout autour des deux petites complètement paniquées. Faustine hurlait comme une sirène et Phoebe peinait à ne pas l’imiter. Le labyrinthe fut encore animé de secousses, puis, soudainement, tout se retrouva sans dessus dessous. Les deux soeurs perdirent pied et chutèrent.

Elles atterrirent dans l’herbe, dont les brins amortirent leur chute. L’une et l’autre avaient perdu leur précieux chargement dans la catastrophe, mais elles avaient survécu. Sonnées, elles tournèrent un moment sur elles-mêmes avant que Phoebe ne retrouve le chemin de la fourmilière. Toujours sous le choc, elles s’y précipitèrent. Elles se trouvèrent, par chance, parmi les rares rescapées du génocide qui avait actuellement lieu dans la maison, où la fourmilière s’était approvisionnée durant les deux dernières semaines. Maintenant qu’elles en étaient chassées, les fourmis allaient devoir trouver d’autres sources de nourriture pour maintenir la colonie.

Paranoïa

Cela faisait des lunes et des lunes que la tribu des Pieds Gauches avait découvert ce petit coin de paradis. Lorsque Grand Pied les avait guidés jusqu’à cette terre promise, il était entré dans la légende et on se souvenait encore de lui de nombreuses générations plus tard. Dans cette vallée riche en ressources et difficile d’accès, les Pieds Gauches avaient prospéré. Tous les membres de la tribu vivaient une vie opulente et détendue. Personne n’avait plus à s’inquiéter d’un quelconque danger dans la Vallée de la Tranquillité et personne ne s’inquiétait plus de quoi que ce soit. Sauf peut-être des gros rhumes. Et encore… C’était surtout l’occasion de se faire dorloter par les autres Pieds Gauches. Tout le monde finissait par tomber malade avant que le rhume ne disparaisse, mais tout le monde avait eu son heure de petits soins. La vie était belle pour la tribu !

Sauf pour Arda.

Contrairement à tous les autres Pieds Gauches, cette petite fille ne se sentait pas en sécurité dans cette vallée idyllique. Un rien suffisait à la chiffonner. Il lui suffisait de passer devant un recoin sombre pour craindre que quelque chose de mauvais s’y cache. La plupart du temps, elle prenait sur elle-même d’aller vérifier, sinon elle n’arrivait pas dormir la nuit suivante. D’ailleurs, tous les soirs elle effectuait une petite patrouille autour de son foyer, pour être certaine que rien de mauvais ne se cachait dans les alentours. Ses amis se moquaient d’elle et la traitaient souvent de peureuse. Mais Arda savait que quelque chose les menaçait tous ; elle le sentait dans ses tripes. Le seul problème c’est qu’elle ne disposait d’aucune preuve que ses amis estimeraient suffisamment concrète.

La petite fille avait commencé par leur dire qu’elle avait vu des mouvements suspects dans les ombres et, qu’un soir, elle avait même aperçu la silhouette d’un homme qu’elle ne connaissait pas. Cela fit s’esclaffer ses amis qui ne pensaient pas qu’elle pouvait reconnaître tous les membres de la tribu par leur silhouette et qui estimèrent qu’elle avait la berlue. Mais Arda était certaine de ce qu’elle avait vu et décida de partir à la recherche de preuves irréfutables. Et, alors même qu’elle cherchait vainement des traces de l’homme mystérieux, elle savait que ses amis se moquaient d’elle dans son dos. De toutes façons, ils ne l’appréciaient pas vraiment, elle en était persuadée. Ils ne restaient avec elle que pour pouvoir se moquer ensuite. Et cela la rendait triste.

Arda trouva une empreinte de pas à moitié effacée à côté d’un buisson sur le chemin qui menait à l’extérieur de la Vallée de la Tranquillité, un pot de céréales renversé dans la réserve de la tribu et mille autre menus indices qui, mis bout à bout, signalait que quelque chose ne tournait pas rond au sein des Pieds Gauches. La fillette brava de nouveau ses amis, mais ils se moquèrent encore à cause de la faiblesse de ses trouvailles, la laissant une nouvelle fois triste et désemparée. Pourquoi personne ne voulait-il la croire ?

Après avoir conclu qu’ils étaient bêtes ou qu’ils ne l’aimaient pas, Arda prit la ferme décision d’aller en parler avec des adultes. Le danger qui menaçait était trop grand et cela la paniquait. Au début, ses parents la gratifièrent d’un étrange coup d’oeil en l’écoutant parler. Elle commença alors à se dire qu’eux non plus n’allaient pas le croire. Peut-être qu’ils ne l’aimaient pas eux non plus et qu’ils auraient préféré avoir une petite fille plus joyeuse qu’elle. D’ailleurs, ce bébé idéal qui détournerait définitivement ses parents d’elle était certainement en chemin. Sa mère était enceinte jusqu’aux yeux ; il ou elle arriverait d’un jour à l’autre.

Tandis qu’elle ressassait ses idées noires, son père la prit par la main et lui demanda de lui montrer toutes ces choses suspectes qu’elle avait découvertes. Elle se demanda si c’était pour confirmer à sa mère – qui la considérait d’un air inquiet – qu’elle était bel et bien folle. Elle accepta néanmoins. A la fin de leur petite promenade, son père la remercia et s’en fut trouver le conseil des Anciens de la tribu des Pieds Gauches. Ca y était : Arda se sentait encore plus déprimée. Le conseil, sur les témoignages de son père, allait l’estimer folle. Peut-être qu’ils l’enfermeraient, ou l’exileraient ou la déclareraient tabou.

La corne du rassemblement retentit. Inquiète, elle se rendit audit rassemblement avec sa mère et tous les autres membres de la tribu, intrigués. Les Anciens appelaient à tous les chasseurs, chasseresses et apprentis, car une menace planait sur eux. Il allait peut-être falloir en venir aux mains et le groupe de chasse disposait de sagaies et de pierres dont ils savaient très bien se servir. Arda s’étonna. Tout portait à penser qu’elle avait été crue. A leur retour, ils l’accuseraient certainement d’avoir dérangé toute la tribu. Mais des gens avaient pris son avis en compte et allaient s’occuper du danger. Elle se doutait bien qu’en réalité les Anciens avaient surtout écouté son père et que celui-ci avait certainement omis de préciser qu’il s’agissait des craintes d’une petite fille.

Quelques heures plus tard, le groupe de chasse fut de retour. Nombre d’entre eux portaient divers égratignures et hématomes et deux étaient trop blessés pour marcher. Arda frémit. Elle savait bien que ses craintes étaient fondées. Son père vint vers elle, l’attrapa et la présenta à tous les Pieds Gauches. Tout le monde l’ovationna, car elle avait sauvé sa tribu du désastre. Une tribu extérieure avait, à son tour, découvert l’emplacement de la Vallée de la Tranquillité et avait voulu se l’approprier. Les mises en garde d’Arda étaient arrivées juste à temps et ses habitudes de vérifications compulsives leur avaient évité de nombreuses pertes.

Depuis ce jour, quelques membres des Pieds Gauches se sont mis à se relayer pour surveiller l’entrée de la vallée. Arda qui continuait à voir toujours le mal partout – car telle était sa nature – devint l’une des meilleures sentinelles et la plus attentive au moindre détail. Personne ne réussit jamais à passer sa surveillance.

(Cette fois c’était sur une suggestion de PiiX)

Cambriolage

Pouf ! Réception parfaite, sans bruit et avec style. Une effraction en bonne et due forme. Mischa se tint tout de même quelques secondes immobile, oreilles aux aguets. Le calme de la nuit n’avait pas été troublé, son entrée ne paraissait avoir dérangé personne. Pas étonnant ! Elle était une professionnelle du cambriolage. Les seules âmes qui vivent qu’elle aurait pu déranger étaient d’éventuels animaux domestiques. Elle n’aimait pas du tout tomber sur une maison dont les propriétaires possédaient des compagnons poilus. Ceux-ci avaient l’odorat et l’ouïe beaucoup plus développés que les humains. Et ils étaient prompts à prévenir leurs maîtres, si ils ne lui lançaient pas la chasse eux-mêmes.

A cette pensée, elle fronça le nez. Mischa chassa très rapidement toute idée d’animaux de compagnie et se concentra de nouveau sur sa mission. Quelque chose de valeur se trouvait dans cette maison et elle devait mettre la main dessus. Elle examina les lieux autour d’elle. La pièce était une salle à manger. Un antique vaisselier encombrait un mur et un vieux tapis râpé et emmietté se trouvait sous la grande table. Mischa détourna les yeux ; elle ne devait pas se laisser distraire pendant qu’elle travaillait. Elle devait rapidement trouver son précieux artefact et quitter l’endroit le plus rapidement possible. Rester trop longtemps s’avèrerait trop dangereux.

A petits pas précautionneux, elle s’approcha de l’escalier. Ce faisant, Mischa passa devant la cuisine et jeta machinalement un coup d’oeil à l’intérieur. En apercevant une gamelle de croquettes, elle se figea brièvement. Des animaux résidaient dans cette maison. Elle allait devoir redoubler d’attention. En prenant soin de marcher à pas de velours, Mischa grimpa l’escalier. Elle s’immobilisa de nouveau en remarquant une ombre en haut. Un chat dormait sur la dernière marche, blotti contre le mur. Redoublant de précautions, elle prit son courage à deux mains et passa à côté de lui le plus discrètement possible, le coeur battant à tout rompre. Le chat ne bougea pas.

Elle se trouvait à présent à l’endroit le plus critique. En plus du chat de l’escalier, toute une famille dormait à cet étage. Faisant, une nouvelle fois, montre de tout son art, Mischa glissa dans le couloir, s’arrêtant à chaque porte pour tendre l’oreille et vérifier que sa présence n’avait alerté personne. Elle parvint à sa porte-objectif sur un sans-faute. Mischa se rengorgea, fière d’elle. Mais il restait encore à récupérer l’artefact et à s’enfuir avec son butin. Le tout en continuant de passer inaperçue.

Une nouvelle fois, Mischa repoussa ses pensées ; elle avait atteint la porte de son objectif et elle devait se concentrer. Elle frémit de joie en constatant que ladite porte était entrouverte. Elle la poussa un peu pour pouvoir passer et se coula dans l’interstice, telle une ombre. Dans son lit, le dormeur inspirait et expirait paisiblement. Mischa s’approcha de lui en catimini. Elle savait qu’il gardait son bien-aimé artefact tout près de lui. Elle examina la table de chevet et son nez se fronça de déplaisir. Celui-là faisait partie de ceux qui, comme souvent finalement, gardaient leurs précieux biens sous leur oreiller.

Elle se fraya un passage sous le coussin, prenant garde de ne pas réveiller le dormeur, et s’empara avidement de ce qui était caché dessous. Puis, elle déposa la pièce qui lui servait de carte de visite et pouffa intérieurement en imaginant la tête déconfite de ce petit humain lorsqu’il verrait que sa dent tombée avait été volée par la plus grande cambrioleuse du monde.

(Voilà, il y a quelques temps, Marine m’avait proposé de faire une nuit de travail de la Petite Souris.)

A l’aube d’une nouvelle ère

Elle se réveilla en sursaut. Tout était noir autour de la jeune femme et il lui semblait se trouver dans un environnement très étroit. Elle tâtonna et son impression se confirma : du tissu molletonné l’entourait de partout et, derrière le textile, elle perçut une matière solide. Elle se racla la gorge et tenta d’appeler à l’aide. Sa gorge la brûlait, mais sa voix en sortit tout de même, à son grand soulagement. Sauf que le son était étouffé dans cette atmosphère capitonnée. Cela ressemblait à un cauchemar ; il ne lui fallut pas longtemps avant d’arriver à la conclusion qu’elle se trouvait dans un cercueil.

La panique la gagna instantanément. Qui avait donc bien pu l’enterrer vivante ? Des dizaines de questions se bousculaient dans sa tête. La principale, qui submergeait toutes les autres, étant : comment allait-elle sortir de là ? En criant, elle se mit à frapper contre la couvercle, arrachant le tissu au passage. La jeune femme savait qu’elle allait manquer d’air dans un futur proche et ses coups se firent frénétiques.

Un craquement retentit. De la terre se déversa sur elle. L’espoir qui naquit en elle à ce moment lui donna un regain d’énergie et, finissant d’arracher les lattes de son cercueil bon marché, elle creusa la terre. Sachant que l’amas de terre risquait de l’étouffer, elle avait l’intention de se frayer un chemin vers la surface d’une seule traite. Ses efforts se virent récompensés plus vite que ce qu’elle pensait ; elle ne devait pas avoir été enterrée très profondément. A son grand soulagement, elle s’extirpa bientôt entièrement du sol. La reconnaissance envers quiconque avait décidé de ne pas poser de dalle en pierre sur sa tombe lui effleura brièvement l’esprit.

La jeune femme jeta un coup d’oeil circulaire. Il faisait nuit, rendant le petit cimetière où elle se trouvait particulièrement lugubre. Elle épousseta machinalement la terre de ses vêtements. Ce faisant, elle remarqua qu’elle portait la plus jolie robe qu’elle possédait, robe qu’elle n’avait mise qu’une seule fois à l’occasion d’un mariage. Cette constatation lui arracha un sourire. Puis elle secoua la tête et, se dirigeant vers la sortie du cimetière, elle se demanda ce qui avait pu la conduire à se retrouver enterrée.

Elle était considérée comme malchanceuse en général, mais à ce point, cela dépassait l’entendement. Ses derniers souvenirs remontaient à son agression. La jeune femme avait l’impression que c’était la veille, mais comment le savoir ? Elle n’avait certainement pas été enterrée en un jour. Et puis elle se souvenait avoir été prise en charge par une ambulance à l’issue de l’agression. Les médecins avaient certainement du pouvoir faire quelque chose pour elle ; ses blessures n’étaient pas si graves que cela, si ? Elle avait entendu parler de ces gens dans le coma qui avaient été déclarés morts et avaient été enterrés par erreur et se demanda si cela avait été son cas. Peut-être que son agresseur l’avait bel et bien battue à mort.

A ce souvenir, la jeune femme frissonna. Et, lorsqu’elle se remémora sa terrible rencontre, ses jambes se dérobèrent et elle se retrouva, sanglotante, par terre sous un cyprès. Elle s’efforça de sécher ses larmes au plus vite. Il ne fallait pas rester là. La jeune femme se leva, tentant de renforcer sa détermination. Elle devait absolument retrouver sa famille. Ils étaient certainement tous effondrés à l’heure qu’il était.

En sortant du petit cimetière qui ne lui évoquait rien, elle pénétra dans un petit village, où elle ne se souvenait pas avoir déjà mis les pieds non plus. La jeune femme ne savait pas si sa mémoire était défaillante, ou si il s’agissait d’une lubie familiale de l’avoir enterrée ici. Laissant ses questionnements de côté, elle avisa la première maison qu’elle rencontra. Son éducation l’informa qu’elle allait déranger ses occupants au milieu de leur sommeil. Mais sa raison la rassura en lui faisant réaliser qu’elle était choquée, pleine de terre, morte de faim et qu’elle avait besoin d’assistance.

Comme personne ne répondit à son coup de sonnette, elle se laissa aller à appuyer frénétiquement sur le bouton et si elle dérangeait des voisins, tant mieux. Cela ne produisit aucun effet. « Ouvrez-moi ! S’il vous plait ! » Se mit-elle à hurler de sa voix cassée tout en continuant de torturer le bouton de la sonnette, avant de se mettre à frapper comme une forcenée.

La jeune femme se tut soudainement, surprise de voir la porte s’ouvrir sous l’action de son poing, en grinçant. Intriguée, elle entra. La maison avait l’air d’avoir subi une vraie tornade. La jeune femme se demanda si elle avait été cambriolée et si elle devait appeler la police. Une cuisine s’ouvrait directement à sa gauche. En pénétrant dans la pièce, elle se précipita sur le réfrigérateur pour manger quelque chose. Mais celui ci était vide, de même que les placards. Un papier arraché se trouvait aimanté sur la porte du frigo à l’aide d’un magnet représentant un lama dédaigneux.

Elle s’approcha pour déchiffrer le mot écrit à la va-vite. « Daniel, nous sommes partis nous réfugier à l’abri 07 avec les enfants. Si tu lis ce mot, rejoins-nous. A bientôt, j’espère. » La jeune femme n’avait jamais entendu parler de l’abri 07. Y avait-il eu une catastrophe durant son coma ? Elle se laissa tomber sur une chaise, épuisée, démoralisée et affamée. Elle souhaita brièvement ne s’être jamais réveillée. Assaillie par de noires pensées, elle se leva bientôt pour errer dans la maison abandonnée, telle une âme en peine.

Avisant la télévision du salon, elle l’alluma. Aucune image ne s’afficha, mais une voix prodiguait des conseils : « … Ne sortez de chez vous que de jour et seulement si nécessaire. Si vous décidez de vous rendre dans un abri, faites le voyage d’une traite et en journée. Ne vous approchez d’aucun individu que vous ne connaissez pas et… » La jeune femme éteignit le poste aussitôt, ne pouvant se résoudre à digérer plus d’informations effrayantes dans l’immédiat.

Puisque les consignes étaient de sortir seulement en journée, elle décida d’attendre le matin pour s’en aller. Pour plus de précautions, elle alla même fermer la porte d’entrée, inquiète des dangers qui pouvaient la menacer dehors, dans la nuit. Heureusement, elle n’eût pas à attendre très longtemps. L’aube pointa rapidement le bout de son nez. Ne pouvant plus attendre, elle sortit impatiemment de la maison, espérant trouver rapidement quelqu’un qui pourrait l’aider, avant qu’elle ne tombe d’inanition.

Sortant du village désert, elle emprunta la route qui passait à travers champ. Après avoir fait quelques dizaines de mètres, le soleil la baigna de ses rayons matinaux. Elle hurla de douleur. Les rayons la brûlaient et elle se sentit flamber. Sa dernière pensée fut pour l’homme qui l’avait violemment agressée dans une ruelle et à ses canines proéminentes qui l’avaient mordue dans le cou.

Les Plus Grandes Peurs

Faramund balaya d’un regard expert la table chargée de victuailles, toutes plus appétissantes les unes que les autres. Ses petits yeux s’illuminèrent de convoitise alors qu’il sélectionnait délicatement une cuisse de pintade rôtie à point. Il mordit dedans avec entrain. « Délicieux ! » Estima-t-il, en croquant ensuite dans une pomme juteuse qu’il tenait dans son autre main aux doigts tous aussi boudinés. « Oh non ! Lui lança Perrine sur un ton de reproche. Tu as encore touché à la nourriture des plats avec tes doigts ! » Un masque dégoûté tordit son visage, mais la remarque provoqua une hilarité irrépressible chez leur compagnon Morghan. Perrine tourna la tête dans sa direction, ses yeux lançant des éclairs.

« Arrête de te moquer, lui lança-t-elle tandis que l’interpellé frappait la lourde table en chêne du poing tellement il riait. L’hygiène c’est du sérieux ! On peut attraper des choses dangereuses en mangeant de la nourriture souillée, et personne ne sait si Faramund s’est lavé les mains avant de se mettre à table…
– Cesse donc de t’embêter avec des trucs pareils, s’esclaffa Morghan. Vis un peu, Perrine, au lieu de paniquer à chaque fois que tu penses que des microbes vont t’agresser. » Pour prouver ses dires, il s’employa à mettre ses doigts dans tous les plats à la portée de son amie phobique des germes. Elle poussa un petit cri horrifié.

« Qu’est ce que tu fais ? S’alarma Perrine dont la voix grimpa aussitôt dans les aigus.
– Calmez-vous un peu, intervint posément la quatrième. Je n’aime pas quand vous vous disputez.
– Ne t’en fait pas Guylaine, la rassura Morghan en se précipitant vers elle comme si il était monté sur ressorts pour la serrer dans ses bras. Ce n’est pas une vraie dispute, il n’y a aucun conflit ici. » Faramund avait continué de profiter goulûment des plats fumants qui l’entouraient, ignorant totalement ses compagnons. Perrine lui jeta un regard désespéré.

« Tu sais, lui dit-elle, la nourriture ne va pas s’envoler : prend le temps de mâcher au moins. Je ne voudrais pas que tu t’étouffes.
– Aucun risque, postillonna son ami glouton. Je préfère profiter de manger tant qu’il y a de la nourriture. Au cas où il n’y en ait plus. On ne sait jamais !
– Toi et ta peur de manquer… Soupira Perrine.
– Tu peux parler ! Lui lança moqueusement Morghan en bondissant. Tu as autant la trouille des germes que Faramund la peur de manquer. Une belle bande de bras cassés !
– Inutile de nous chamailler, intervint une nouvelle fois Guylaine de sa voix apaisante. Nous avons tous les quatre des peurs très profondes.
– C’est vrai, appuya Faramund en mordant dans une côtelette de sanglier. Tu es particulièrement fatigant avec ton entrain, Morghan. Ce n’est pas parce qu’il y a du silence que nous avons arrêté de respirer.
– Je n’y suis pour rien, je me sens obligé de remplir le silence de vie, ça m’angoisse sinon.
– C’est notre cas à tous, posa Guylaine. Nous avons tous nos angoisses et elles sont irrépressibles, alors cela ne sert à rien de nous disputer à ce propos. »

Une cloche au glas sinistre l’interrompit. « On nous appelle : il est l’heure, soupira-t-elle en se levant de table.
– Quelqu’un peut-il m’aider avec mon armure ? » S’enquit Faramund en bourrant ses poches de pain et de fruits. Ses trois compagnons l’aidèrent à enfiler les différentes pièces d’acier et à les boucler. Lorsqu’ils se retrouvèrent tous parés à sortir de la salle, Morghan lança joyeusement : « C’est parti ! Allons enfin répandre nos plus grandes peurs dans les cœurs des hommes ! »

Sortant de leur demeure, les quatre cavaliers attrapèrent leurs fières montures, les enfourchèrent et s’abattirent sur le monde.

Le cycle du brouillard

La brume s’épaississait de plus en plus. Elle enveloppait le monde nocturne dans un écrin de coton vaporeux, étouffant tous les sons et recouvrant les ruines de la ville humaine. La guerre était passée par là, avec son lot de destruction. Le Korrigan buta sur un cadavre et prit une mine dégoûtée en le contournant. Affligé, il secoua la tête, faisant ainsi virevolter ses boucles flamboyantes. Il posa son bâton pareil à un charbon ardent sur le corps sans vie et laissa tomber un mot sec. Le mort se retrouva réduit en cendres. « Quel gâchis… lâcha-t-il ensuite dans le silence surnaturel ambiant.
– Chut. » souffla l’Elfe, aussi légèrement que le vent.

Le Korrigan leva les yeux vers le visage pâle de son compagnon. Ce dernier paraissait absorbé, presque éthéré, et penchait la tête sur le côté, comme pour mieux écouter la brise. « Par ici. » Murmura finalement le Maître de l’Air en reprenant la route. Ses pieds touchaient à peine le sol. Le petit Maître du Feu s’empressa de lui emboîter le pas. Il suivit son aérien compagnon jusqu’à ce qu’il supposa, en trébuchant sur la margelle d’une fontaine, être une placette dévastée. Le brouillard se trouvait particulièrement épais à cet endroit et il était impossible de voir plus loin que le bras tendu.

N’y tenant plus, l’ardent Korrigan appela : « Dame Fisdiad ? » Comme en réponse à son appel, toute la brume disparut d’un seul coup, dévoilant une silhouette encapuchonnée au milieu de ce qui était bel et bien une place en ruines. Elle se tourna vers les deux Maîtres et ôta sa capuche, dévoilant son visage ridé encadré de longs cheveux gris et vaporeux. Elle leur adressa un vague sourire fatigué. « Je demande votre pardon pour ces désagréments, déclara-t-elle.
– Nul besoin, balaya le Korrigan. Il était facile de vous retrouver avec tout ce brouillard étalé de partout.
– Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? s’enquit ensuite l’Elfe.
– Malheureusement non. »

La vieille humaine soupira et s’assit sur le rebord de la fontaine à sec. Elle paraissait plus voûtée par ses soucis que par son âge avancé. « Je ne serai bientôt plus et je n’ai pas trouvé la femme enceinte de l’enfant qui devra me succéder, reprit-elle. Personne ne semble avoir survécu ici. Si elle est morte avec son bébé, qu’adviendra-t-il des Maîtres du Brouillard ? » Aucun de ses deux compagnons ne répondit à cette question ; personne ne connaissait la réponse. Sauf, peut-être, leur divine protectrice qui était à l’origine de leurs pouvoirs. Mais elle n’était pas une entité que l’on peut invoquer à l’envie.

« Soyez tranquille, exhala le Maître de l’Air. Nous trouverons cet enfant.
– Je le sais bien, Fisavel, je le sais bien, assura doucement Dame Fisdiad. C’est seulement que j’aurais aimé mettre les choses en ordre pour mon départ. » Elle soupira de nouveau. De légères volutes de brume l’environnaient.

« C’est bien facile, pour cet Elfe, de considérer cette situation comme triviale… » Songeait le Maître du Feu. Ne subissant pas les affres du temps – comme tous ceux de sa race immortelle d’ailleurs – Fisavel était le seul survivant du groupe initial des Maîtres des Eléments. Le Korrigan se demandait si l’Elfe était capable de comprendre le tourment de la Maîtresse du Brouillard. Néanmoins le Maître de l’Air avait raison : les Maîtres des quatre Eléments trouveraient leur futur cinquième compagnon. Il en avait toujours été ainsi, même si Dame Fisdiad craignait que la mère de l’enfant, qui devrait lui succéder, n’ait succombé à la fureur des combats qui avaient eu lieu dans cette petite ville.

Bien que la longévité des Maîtres soit allongée, les Maîtres du cinquième Elément – le Brouillard – étaient ceux qui changeaient le plus souvent. Ils étaient en effet toujours humains, or les humains étaient ceux qui vivaient le moins d’années parmi les races créées par Etre sur Inisilydan. En compensation, ils avaient des capacités d’adaptation accrues et donnaient facilement naissance à des enfants. Compréhensif face à l’angoisse de Dame Fisdiad, le Korrigan lui adressa un chaleureux sourire, qui se voulait rassurant. La vieille femme lui répondit de même.

Le sourire de la Maîtresse du Brouillard se figea soudain et ses yeux gris se voilèrent. Cette cent quarantième année de vie écoulée était la dernière. Elle s’affaissa avec légèreté et sans un bruit. Sous les regards peinés de ses compagnons, son corps sans vie se trouva enveloppé d’un linceul de brume. Même en étant préparés au fait que sa mort était inévitable et proche, les coeurs des deux Maîtres saignèrent en choeur. Puis Fisavel, après avoir murmuré des paroles elfiques de deuil, s’approcha de leur amie. « Aide-moi Fisaed. » Le Maître du Feu vint prêter assistance à son compagnon, afin d’emporter la dépouille mortelle auprès des deux absents de l’Eau et de la Terre.

Les pleurs d’un nouveau-né se firent alors entendre dans les ruines.

Brouillard

Terreur Nocturne

Il s’immobilisa, tous les sens en alerte dans l’obscurité environnante. Il avait marché sur une lame grinçante du parquet et il craignait d’avoir attiré l’attention de la Créature. Ses yeux fouillèrent la pénombre dans laquelle la maison était plongée, à la recherche d’un mouvement suspect. Son coeur battait la chamade ; il devait faire preuve d’une grande maîtrise de soi afin de ne pas céder à la panique et se mettre à courir en hurlant. S’étant assuré, autant que possible, que la Chose n’avait pas été alertée, il reprit sa lente progression en direction de la sortie de la maison.

Le coeur tambourinant à tout rompre sous l’angoisse, il s’employait à lever doucement un pied après l’autre et de les poser avec tout autant de précaution, pour ne pas faire gémir le plancher. A chaque instant, la frayeur menaçait de le submerger. Il ne voulait pas mourir ! Il savait qu’il allait devoir passer devant la cuisine et que c’était là où il supposait que la Créature se trouvait. Il n’osait même pas imaginer qu’elle aurait pu s’être déplacée ailleurs. Cette bête là était étonnamment silencieuse et paraissait douée pour tendre des embuscades fulgurantes.

Pris d’une impulsion soudaine, il se retourna brusquement et inspecta rapidement l’obscurité du regard à la recherche des yeux bleus électriques de la Chose. Rien. Il s’autorisa un soupir intérieur avant de reprendre sa progression vers la sortie, en repoussant courageusement les assauts de son angoisse. Silencieusement, un pied en chaussette après l’autre et il pourrait survivre.

Un bruit assourdissant provint de la cuisine. Il s’arrêta de nouveau, comme une bête traquée, le coeur battant encore plus vite dans sa poitrine. La Créature devait avoir fait tomber de la vaisselle. Il resta immobile, priant qu’elle ne sorte pas de la pièce. Il entendit des fouissements dans les tessons, accompagnés de grognements. Espérant que la Chose était occupée à dévorer le contenu de la vaisselle cassée et que le bruit couvrirait sa progression, il avança un peu plus vite, jusqu’à arriver à la porte de la cuisine. Une fois là, il s’adossa au mur, prit une silencieuse inspiration et risqua un coup d’oeil dans la pièce.

Ses yeux rencontrèrent alors les yeux bleus électriques de la Créature. Sa bouche s’ouvrit sur un cri, qu’il ne put jamais pousser, tandis qu’elle lui tranchait la gorge. Avant que son regard ne se voile définitivement, il aurait pu jurer qu’elle souriait.

La quête du sapin, ou l’échec du jet de volonté.

En général, je n’aime pas faire dans l’autobiographique. Mais de temps en temps, il faut bien se prêter à l’exercice. Voici donc une petite anecdote toute simple qui m’est arrivée il y a quelques temps, durant l’année à présent révolue de 2013. Cette année là, j’avais décidé de faire l’acquisition d’un véritable sapin synthétique pour les fêtes. En réalité, cela faisait plusieurs années que j’avais prévu un tel achat, mais mes habitudes de poisson rouge m’avaient systématiquement fait oublier. Cette fois-ci, empoignant fermement ma fuyante motivation à deux mains, je me suis rendue dans une enseigne très connue qui vend habituellement de vraies plantes vivantes, mais qui se diversifie dans le plastique en période de Noël. Et aussi en guirlandes qui froufroutent, mais là n’est pas la question.

Or donc je me suis retrouvée dans ce magasin, à l’atmosphère lourde et moite, aux odeurs riches typiques des endroits envahis de plantes et d’animaux, à fureter entre les différents modèles de ces merveilleux sapins qui ne perdent pas leurs épines. Certains déploreront que ces arbres ne dégagent pas de ces agréables fragrances typiques des conifères. Et ils auront raison. Mais moi, je ne voulais plus d’épines ni de transport de cadavre jusqu’à une benne. Sans compter que, de nos jours, les fabricants font de si jolis sapins synthétiques qu’il serait dommage de ne point décorer son salon avec. L’un d’entre ces faux arbres, notamment, m’avait tapé dans l’œil. Il était à l’image de je-ne-sais-plus-quel-sapin de Norvège et on aurait juré qu’il était vrai. Vraiment. Et magnifique en plus. Et très grand. Et, malheureusement, très cher. Beaucoup trop pour l’investissement que je comptais faire.

Après un soupir intérieur, écoutant ma Sagesse, je me suis donc tournée vers des arbres à la stature plus raisonnable. Mon choix se porta finalement sur un joli sapin dit Tuscan, fabriqué en Thaïlande et importé par une entreprise de la commune de St Vulbas dans l’Ain. Il était à la fois moins coûteux et disponible en plusieurs tailles. Cela avait surtout son importance car j’allais devoir ramener mon butin à pieds en le portant à la force de mes petits bras non musclés. Lequel prendre ? Celui qui mesure 1m25 ? Pfff, vous plaisantez ? Je veux un arbre, pas un géranium. Celui de 2m05 ? Cela me faisait envie, mais je ne me voyais pas transporter le carton sur plus de cent mètres. Il me restait donc à départager les deux choix intermédiaires : 1m55 et 1m85.

Là, ma Sagesse intérieure intervint de nouveau en m’interpellant : « Sophie ! » (car je me nomme ainsi) « Sophie, ne te montre point trop gourmande, prend donc le sapin le plus petit, il est raisonnablement haut, il est moins coûteux et tu pourras le porter plus aisément sur le long trajet du retour. » (Oui, ma Sagesse intérieure s’exprime parfois de manière un peu pompeuse) D’humeur raisonnable, j’ai décidé de suivre ce sage conseil que je m’étais donné à moi-même. Je me suis donc dirigée vers la pile des cartons contenant les arbres d’1m55. Malheureusement, cette pile était bien trop haute pour que je puisse attraper l’un des cartons avec mes petits bras, contrairement à la pile tentatrice des sapins d’1m85 qui se trouvait juste à la bonne hauteur.

Bâillonnant solidement ma Sagesse qui me conseillait d’aller voir un vendeur – parler à quelqu’un que je ne connais pas, et puis quoi encore – je l’enfermais soigneusement dans un réduit obscur d’un coin de mon esprit. Ceci fait, j’ai soupesé l’un de ces fameux cartons. En fait, ils étaient plus légers que ce à quoi je m’attendais. Oubliant immédiatement, et fort à propos, toutes les autres considérations, je me suis fièrement rendue à la caisse, portant mon trophée à deux mains garnies de mitaines bleues. Mon acquisition dûment payée, je pouvais dès lors la ramener jusque chez moi.

Je l’avais pressenti, mais à ce moment là débuta mon chemin de croix (moi, exagérer ? Je ne vois pas ce qui vous fait dire une chose pareille). Dans les faits, la durée du voyage doit être approximativement d’une quinzaine de minutes en marchant d’un bon pas. Mais, appesantie par huit kilos de sapin synthétique portés à bout de bras, faute d’une meilleure solution, le retour s’avéra pour le moins désagréable et plus long. Bien évidemment, le fait que j’ai trouvé ce trajet désagréable et interminable était purement subjectif. Néanmoins, cela ne m’a pas empêchée d’avoir bien chaud en arrivant. Mais il était enfin là, ce carton du mérite, à trôner au milieu du salon. Une fois mon souffle repris, j’ai longuement contemplé mon butin, emplie d’un doux sentiment de satisfaction.

Puis, je l’ai laissé là, en plein milieu où mon compagnon ne pourrait pas le manquer en rentrant. Ainsi il pourrait longuement se féliciter d’avoir une compagne aux choix si pertinents. Ensuite, je suis allée vaquer à mes occupations. De manière tout à fait fortuite, j’avais oublié de délivrer ma Sagesse, qui devait probablement être en train de se débattre dans ce cagibi obscur où je l’avais ligotée et enfermée. D’autres parties de moi-même beaucoup moins avouables en profitèrent pour se montrer.

« Et si tu ouvrais cette mystérieuse boîte ? m’enjoignirent-elles pleines d’entrain.
– Non, résistai je avec bravoure. Ce n’est pas le moment et, de toutes façons, ce carton n’a rien de mystérieux : il contient un sapin synthétique en morceaux.
– Mmmh, mais comment se présentent ces morceaux ? s’interrogèrent-elles en se faisant plus pressantes. Il nous tarde tellement de le savoir !
– Et bien, il va falloir attendre, assénai je fièrement.
– Mais l’attente nous fait souffrir, se plaignirent les parties moins avouables de moi-même.
– Peu m’importe, répondis-je imperturbablement.
– Allons, allons, tu ne vas pas nous dire que tu n’as pas envie de voir comment cela se présente… » Me susurrèrent-elles en se faisant câlines et enjôleuses.

Je voulais vraiment résister, mais n’ayant plus ma Sagesse pour m’assister, les graines de la tentation prirent rapidement racine dans le terreau fertile de ma curiosité. A la grande satisfaction des parties moins avouables de moi-même, j’ai finalement entrepris d’ouvrir ce carton du mérite que j’avais si courageusement transporté. J’ai alors eu la joie de constater que le sapin n’était pas composé de seulement quelques morceaux à assembler, mais bel et bien de toute une multitude. Le tourbillon de la tentation continua de m’emporter vers le fond : je me suis empressée de sortir les divers composants et de déterminer comment ils s’imbriquaient les uns les autres. Petit à petit, je montais mon beau sapin, Roi des forêts synthétiques. Mes parties moins avouables et moi-même trépignions de joie, comme des enfants le jour de Noël, jour qui se tiendrait un mois plus tard.

J’ai reculé, afin d’avoir une vue d’ensemble de mon oeuvre. Je me suis alors aperçue qu’il manquait un petit quelque chose. En effet, cet arbre était certes majestueux dans sa nudité sapinesque, mais il fallait encore l’habiller et le parer de fastes. Juste pour voir ce que cela donnerait, bien sûr. Je me suis donc précipitée, de mon agilité d’hippopotame neurasthénique, vers mon placard où je gardais les apprêts colorés et froufrouteux de Noël. Puis, avec moult tendresse, je me suis employée à orner mon synthétique sapin de brillance et de bonheur. Une fois encore, j’ai reculé afin d’admirer le résultat. Or, admirable, il l’était assurément. Très fière de moi, je n’ai pu m’empêcher d’immortaliser mon chef d’œuvre en prenant une photo, que j’ai ensuite fièrement affichée partout sur Internet.

C’est ainsi que, par manque de volonté, mon sapin de Noël se trouva prêt avant même le mois de Décembre.

Ceci était la version romancée. Mais en réalité, à la base j’avais fait une esquisse non terminée de cette histoire en petite BD que voici :

La quête du sapin