Dans le labyrinthe

Il semblait à Faustine qu’elle marchait depuis des heures. Son chargement pesait lourd sur ses jambes douloureuses et la lassitude l’envahissait peu à peu. Après avoir poussé un énième soupir à fendre l’âme, elle s’enquit auprès de sa soeur : « Phoebe, quand est ce qu’on sort de ce labyrinthe ? Je suis fatiguée…
– Bientôt, lui assura l’aînée.
– C’est déjà la troisième fois que tu dis bientôt, ronchonna Faustine. Je croyais qu’on était sensées prendre un raccourci !
– C’en est un ; la maison est à quelques minutes après le labyrinthe.
– Je pense qu’on aurait du le contourner, comme les autres fois. Si on avait fait ça, on serait déjà rentrées.
– Arrête d’exagérer. » Phoebe avait employé un ton excédé et sans appel. Après tout, si elles s’étaient aventurées à la recherche d’un raccourci, c’était parce que Faustine se plaignait de son chargement et de sa fatigue déjà auparavant. Tout en se disant que sa cadette était une pleureuse, elle replaça son fardeau qui avait glissé.

« Je n’exagère pas, protesta la plus jeune. En plus, les murs sont trop glissants pour qu’on puisse les escalader. » L’aînée devait admettre la justesse de ses propos. Sa soeur marquait là un point. Ne trouvant rien à répondre, elle continua de suivre le chemin à embranchements. Phoebe devait se rendre à l’évidence, elles étaient perdues. Mais elle devait continuer à avoir l’air décidé si elle ne voulait pas voir sa cadette paniquer. Elle se concentra sur un vieux truc qu’elle avait entendu un jour : si jamais l’on se trouve dans un labyrinthe, il suffit de suivre toujours le même mur pour en sortir. Continuant de marcher d’un pas assuré, Phoebe s’arrangea pour garder le mur sur sa droite. Cela la menait parfois dans des impasses, mais elle persistait dans son idée, malgré les moqueries de Faustine qui paraissait avoir abandonné tout espoir de sortir de là un jour. Cette dernière ne disait plus un mot et se contentait d’arborer une mine maussade.

Elles marchèrent encore quelques minutes en silence, l’une murée dans un silence boudeur et l’autre concentrée sur le trajet. Phoebe sentait qu’elles se rapprochaient de la sortie. Elle espérait la trouver bientôt car elle n’avait pas envie de se faire sermonner pour son retard en arrivant. Leur mère et le reste de la famille avaient besoin de la nourriture qu’elles transportaient. Leur tâche était primordiale ! Ces pensées renforcèrent sa détermination. Elle s’apprêtait à encourager sa soeur, lorsque le sol trembla sous leurs pieds. Faustine poussa un petit cri de surprise et lâcha son précieux chargement. Phoebe se retrouva plaquée contre un mur et attrapa sa cadette avant que celle-ci ne se retrouve propulsée au loin par la secousse. Elles n’avaient jamais expérimenté un tel tremblement de terre et elles se serraient désespérément l’une contre l’autre, apeurées. Une boule plus grande qu’elles les frôla, heurtant en zig-zag les murs dans sa course.

Elles n’eurent pas le temps de se sentir soulagées d’avoir évité de se retrouver écrasées par l’immense boule, qu’un bruit sourd et intense, roulant comme le tonnerre retentit. « Il y en a même là ! » Des mots se détachèrent au sein du grondement qui tonnait tout autour d’elles. Levant la tête, elles aperçurent deux étranges yeux géants qui les fixaient. Ils étaient lisses et plein d’eau ; les soeurs n’avaient jamais rien vu d’aussi laid et effrayant. « C’est fou de se retrouver infestés jusque dans les jouets après seulement deux semaines de vacances ! » Une deuxième voix roula tout autour des deux petites complètement paniquées. Faustine hurlait comme une sirène et Phoebe peinait à ne pas l’imiter. Le labyrinthe fut encore animé de secousses, puis, soudainement, tout se retrouva sans dessus dessous. Les deux soeurs perdirent pied et chutèrent.

Elles atterrirent dans l’herbe, dont les brins amortirent leur chute. L’une et l’autre avaient perdu leur précieux chargement dans la catastrophe, mais elles avaient survécu. Sonnées, elles tournèrent un moment sur elles-mêmes avant que Phoebe ne retrouve le chemin de la fourmilière. Toujours sous le choc, elles s’y précipitèrent. Elles se trouvèrent, par chance, parmi les rares rescapées du génocide qui avait actuellement lieu dans la maison, où la fourmilière s’était approvisionnée durant les deux dernières semaines. Maintenant qu’elles en étaient chassées, les fourmis allaient devoir trouver d’autres sources de nourriture pour maintenir la colonie.

Des fourmis et des hommes

L’amphithéâtre, lumineux, était tout neuf. L’intervenant aussi. Mais son sérieux était indubitable et son parler très technique. Néanmoins, je restais dubitative. J’ai toujours apprécié les théories originales mais là, je commençais à penser que le conférencier était fou et que je perdais mon temps.

« C’est ainsi que nous pouvons en venir à la conclusion que nous sommes des fourmis. » Lâcha l’homme avec emphase. Brouhaha et rires dans la salle. Je ne pus m’empêcher de bâiller. Quel ennui d’être venue écouter soliloquer ce jeune sinoque ! Ignorant le dédain de l’assemblée – était-ce un excès de confiance ou juste de l’inconscience, je ne pouvais le déterminer – l’intervenant s’enquit : « Des questions ?
– Oui, j’ai une question ! » s’exclama un jeune homme hilare en se levant sous les encouragements goguenards de ses camarades.

Génial. Rien de mieux qu’un petit m’as-tu-vu en mal de reconnaissance pour terminer une conférence ennuyeuse en beauté. Un profond soupir s’échappa de ma bouche et ma tête s’affala dans le creux de ma main. Tout ceci m’avait rendue tellement lasse que je n’avais même plus la volonté de me lever pour quitter la salle. « Hum, et bien, allez-y, invita calmement le conférencier.
– Si nous sommes des fourmis, comment se fait-il que nous n’ayons pas de petites antennes ? »

Magnifique, en plus ce jeune importun n’avait aucune spiritualité. Ce n’était ni drôle, ni intelligent. Manifestement, ses amis n’avaient pas la même opinion que moi, si j’en croyais leurs pouffements de rire de petits garçons. « Mais nous en avons, répondit l’intervenant sans se démonter. Elles nous permettent de capter les phéromones qu’émettent nos semblables.
– Des phéromones ? répéta le jeune homme un peu perdu.
– Oui bien sûr, appuya le conférencier. Chacun d’entre nous produit des phéromones, comme je le disais plus tôt, et nous pouvons les percevoir. »

Le fait que l’intervenant ait répondu à sa question stupide sans sourciller et ait mis en exergue sa bêtise avait déstabilisé le jeune imbécile. A ma grande satisfaction. Néanmoins, je voyais les rouages de son esprit fonctionner à toute allure – presque fumer – afin de trouver un trait d’esprit qui lui permettrait de ne pas perdre totalement la face devant ses camarades. C’est à ce moment là qu’il fut interrompu dans ses réflexions par une rumeur grandissante à l’extérieur de l’amphithéâtre.

Intrigué, le conférencier mit le nez dehors et fut percuté par un étudiant paniqué qui entrait. Voilà enfin quelque chose de presque comique. « C’est terrible ! C’est… C’est la fin du monde ! Allez vite voir les infos ! » Puis, éperdu, il fit volte-face et s’en fut comme il était venu. Tout le monde resta un instant interloqué, jusqu’à ce que le conférencier toussote et mette fin à la séance.

En sortant de la salle, j’eus le loisir de constater que le campus entier était en effervescence. Des gens couraient de partout. Un peu déboussolée, je me rendis à la cafétéria. Elle était bondée et tous avaient le regard fixé sur la télévision où un présentateur échevelé expliquait : « … n’avons aucune nouvelle de nos collègues parisiens actuellement. Il y a un doute sur l’existence de survivants. » Il soupira avant de reprendre d’un ton las : « Pour les téléspectateurs qui viennent de nous rejoindre, à l’heure où je vous parle, Paris a été entièrement détruite par une arme jamais vue à ce jour. D’après les premiers éléments, un rayon lumineux aurait réduit la capitale en cendres et nous ne savons pas de qui provient l’attaque, ni même si c’en est une. » Il s’interrompit, penchant la tête sur le côté, comme si il écoutait quelque chose. Probablement son oreillette. « De nouveaux éléments viennent d’arriver. Apparemment, plusieurs autres grandes villes ont été éradiquées de la sorte. Probablement des millions de personnes ont déjà trouvé la mort au cours de ces diverses catastrophes. »

J’en restais bouche-bée. Serait-ce la Troisième Guerre Mondiale ? Des extra-terrestres avaient-ils fini par nous trouver ? Inquiète, je sortis de l’endroit, montai dans ma voiture et entrepris de rentrer chez moi, m’éloignant de la ville. Juste au cas où. J’avais laissé la radio allumée pour écouter la suite des évènements. Ils parlaient de la probable nécessité de reconstruire un nouveau gouvernement au plus vite.

C’est alors qu’un éclair lumineux m’attira l’œil. Je levai mon regard. Il y avait quelque chose, de difficile à distinguer, qui se déplaçait haut dans le ciel. Un peu comme si il s’agissait de verre transparent. C’est alors que je le vis dans mon rétroviseur : le rayon lumineux. Au même moment, le journaliste à la radio hurla, puis plus rien. L’appareil ne vomissait plus que des grésillements.

La ville derrière moi n’existait plus.

***
« Mon chéri, vient ! Nous partons !
– Mais maman, je n’ai pas encore fini de jouer !
– Je ne veux pas de discussion, nous y allons maintenant et c’est tout. Autrement nous allons être en retard. » Le gigantesque enfant céleste rangea alors sa loupe, bien qu’à contrecœur, et délaissa son terrain de jeux où il s’amusait à faire brûler les fourmis.
Fourmis