Des fourmis et des hommes

L’amphithéâtre, lumineux, était tout neuf. L’intervenant aussi. Mais son sérieux était indubitable et son parler très technique. Néanmoins, je restais dubitative. J’ai toujours apprécié les théories originales mais là, je commençais à penser que le conférencier était fou et que je perdais mon temps.

« C’est ainsi que nous pouvons en venir à la conclusion que nous sommes des fourmis. » Lâcha l’homme avec emphase. Brouhaha et rires dans la salle. Je ne pus m’empêcher de bâiller. Quel ennui d’être venue écouter soliloquer ce jeune sinoque ! Ignorant le dédain de l’assemblée – était-ce un excès de confiance ou juste de l’inconscience, je ne pouvais le déterminer – l’intervenant s’enquit : « Des questions ?
– Oui, j’ai une question ! » s’exclama un jeune homme hilare en se levant sous les encouragements goguenards de ses camarades.

Génial. Rien de mieux qu’un petit m’as-tu-vu en mal de reconnaissance pour terminer une conférence ennuyeuse en beauté. Un profond soupir s’échappa de ma bouche et ma tête s’affala dans le creux de ma main. Tout ceci m’avait rendue tellement lasse que je n’avais même plus la volonté de me lever pour quitter la salle. « Hum, et bien, allez-y, invita calmement le conférencier.
– Si nous sommes des fourmis, comment se fait-il que nous n’ayons pas de petites antennes ? »

Magnifique, en plus ce jeune importun n’avait aucune spiritualité. Ce n’était ni drôle, ni intelligent. Manifestement, ses amis n’avaient pas la même opinion que moi, si j’en croyais leurs pouffements de rire de petits garçons. « Mais nous en avons, répondit l’intervenant sans se démonter. Elles nous permettent de capter les phéromones qu’émettent nos semblables.
– Des phéromones ? répéta le jeune homme un peu perdu.
– Oui bien sûr, appuya le conférencier. Chacun d’entre nous produit des phéromones, comme je le disais plus tôt, et nous pouvons les percevoir. »

Le fait que l’intervenant ait répondu à sa question stupide sans sourciller et ait mis en exergue sa bêtise avait déstabilisé le jeune imbécile. A ma grande satisfaction. Néanmoins, je voyais les rouages de son esprit fonctionner à toute allure – presque fumer – afin de trouver un trait d’esprit qui lui permettrait de ne pas perdre totalement la face devant ses camarades. C’est à ce moment là qu’il fut interrompu dans ses réflexions par une rumeur grandissante à l’extérieur de l’amphithéâtre.

Intrigué, le conférencier mit le nez dehors et fut percuté par un étudiant paniqué qui entrait. Voilà enfin quelque chose de presque comique. « C’est terrible ! C’est… C’est la fin du monde ! Allez vite voir les infos ! » Puis, éperdu, il fit volte-face et s’en fut comme il était venu. Tout le monde resta un instant interloqué, jusqu’à ce que le conférencier toussote et mette fin à la séance.

En sortant de la salle, j’eus le loisir de constater que le campus entier était en effervescence. Des gens couraient de partout. Un peu déboussolée, je me rendis à la cafétéria. Elle était bondée et tous avaient le regard fixé sur la télévision où un présentateur échevelé expliquait : « … n’avons aucune nouvelle de nos collègues parisiens actuellement. Il y a un doute sur l’existence de survivants. » Il soupira avant de reprendre d’un ton las : « Pour les téléspectateurs qui viennent de nous rejoindre, à l’heure où je vous parle, Paris a été entièrement détruite par une arme jamais vue à ce jour. D’après les premiers éléments, un rayon lumineux aurait réduit la capitale en cendres et nous ne savons pas de qui provient l’attaque, ni même si c’en est une. » Il s’interrompit, penchant la tête sur le côté, comme si il écoutait quelque chose. Probablement son oreillette. « De nouveaux éléments viennent d’arriver. Apparemment, plusieurs autres grandes villes ont été éradiquées de la sorte. Probablement des millions de personnes ont déjà trouvé la mort au cours de ces diverses catastrophes. »

J’en restais bouche-bée. Serait-ce la Troisième Guerre Mondiale ? Des extra-terrestres avaient-ils fini par nous trouver ? Inquiète, je sortis de l’endroit, montai dans ma voiture et entrepris de rentrer chez moi, m’éloignant de la ville. Juste au cas où. J’avais laissé la radio allumée pour écouter la suite des évènements. Ils parlaient de la probable nécessité de reconstruire un nouveau gouvernement au plus vite.

C’est alors qu’un éclair lumineux m’attira l’œil. Je levai mon regard. Il y avait quelque chose, de difficile à distinguer, qui se déplaçait haut dans le ciel. Un peu comme si il s’agissait de verre transparent. C’est alors que je le vis dans mon rétroviseur : le rayon lumineux. Au même moment, le journaliste à la radio hurla, puis plus rien. L’appareil ne vomissait plus que des grésillements.

La ville derrière moi n’existait plus.

***
« Mon chéri, vient ! Nous partons !
– Mais maman, je n’ai pas encore fini de jouer !
– Je ne veux pas de discussion, nous y allons maintenant et c’est tout. Autrement nous allons être en retard. » Le gigantesque enfant céleste rangea alors sa loupe, bien qu’à contrecœur, et délaissa son terrain de jeux où il s’amusait à faire brûler les fourmis.
Fourmis