Fée d’union

Léonie rentrait de sa journée de stage. Se sentant très lasse, elle jeta un coup d’œil machinal dans la boite aux lettres. Comme aucune enveloppe n’était posée sur le nid de cartes publicitaires de marabouts et voyants, elle monta chez elle pour se laisser choir dans le canapé, les yeux clos.

Une série de bruits secs la fit tressaillir. Les paupières toujours fermées, elle se demanda si le vent avait lancé des petits cailloux sur sa fenêtre, ou s’il grêlait. Cela l’étonnerait, car le printemps était déjà bien installé et que le soleil brillait encore lorsqu’elle marchait dehors.

« Tap tap tap tap tap. » Léonie ouvrit un œil. Puis l’autre. Elle tourna la tête en direction de la fenêtre, où une tourterelle lui dardait un regard aussi interrogateur qu’impatient. Léonie haussa un sourcil et l’oiseau répliqua en donnant de nouveaux coups de bec sur la vitre. Ce qui décida la jeune femme à se lever était le parchemin que l’animal tenait entre ses pattes. Elle se demanda lequel de ses amis avait pu lui organiser une telle surprise, pour son anniversaire supposait-elle, et ouvrit la fenêtre. L’oiseau ne bougea pas d’un pouce et considéra attentivement Léonie, avant de daigner pousser le fin rouleau de papier dans sa direction.

Elle attrapa délicatement le parchemin et le déroula, sous le regard inquisiteur de la tourterelle.

« Madame,

Le conseil royal d’Avalon vous informe par la présente de votre convocation au couronnement de votre conjointe, Morgane — dite Muirgen dans l’ancienne langue — Avallach, pupille de Viviane du Lac, comme princesse héritière officielle du royaume d’Avalon. Par la même occasion, vous serez couronnée également, au titre de princesse consort.

Ayez l’obligeance de faire préparer vos bagages en vue de l’arrivée de votre escorte. Celle-ci viendra vous chercher au douzième coup de minuit annonciateur de Beltaine.

Avec tout notre respect et en espérant que ce présent message vous trouve en santé,

Viviane du Lac Reine d’Avalon et son Conseil Royal. »

Léonie leva les yeux de la lettre, hébétée. Voilà des années qu’elle n’avait plus pensé à Morgane. Lequel de ses amis connaissait cette histoire de son enfance ? Qui pouvait bien monter une farce qui avait, pour elle, un arrière-gout amer ? Elle ne se souvenait pas en avoir parlé passé ses dix ans. Seule Marie connaissait cette histoire, mais comment l’idée d’une telle plaisanterie aurait pu lui venir à l’esprit ?

Elle soupira et leva les yeux au ciel. Ce faisant, elle constata que la tourterelle avait disparu. Un ou plusieurs de ses amis avaient du lui préparer une surprise à l’extérieur pour son anniversaire. Elle allait devoir se renseigner sur la date exacte de Beltaine. Tout en se frottant les paupières, elle décida qu’elle s’en occuperait après une petite sieste. Elle se blottit de nouveau dans son canapé et sombra presque aussitôt dans un sommeil agité où elle rêva de son souvenir, quatorze ans plus tôt.

***

Léonie trébucha. Ses genoux s’enfoncèrent dans l’herbe du parc, maculant sa robe blanche de taches vertes et marron. La fillette poussa sur ses bras pour se retrouver en position assise, rejeta ses cheveux blonds en arrière de ses mains salies et commença à se lamenter à chaudes larmes. « Pourquoi tu pleures ? » Les sanglots de Léonie s’interrompirent. Elle leva les yeux sur une petite fille auréolée d’une imposante chevelure rousse et bouclée, qu’elle ne connaissait pas.

« Parce que je suis tombée, répondit Léonie.

— Ah, et tu t’es fait mal ?

— Non, mais ma robe est toute salie ; je l’ai eue à mon anniversaire en plus. »

Cette pensée relança le flot des pleurs. « Je l’aime bien comme ça, ta robe, moi. Elle est presque comme la mienne maintenant. » À travers ses larmes, Léonie inspecta la robe verte et agrémentée de blanches étoiles de givre de son interlocutrice. L’inconnue tendit les pans de son vêtement de ses deux mains pour appuyer son propos. Cela fit sourire Léonie, qui pointa du doigt les boucles rousses.

« J’aime beaucoup tes cheveux, comment tu t’appelles ?

— Morgane, et toi ?

— Léonie. » Aussi simplement que cela, elles devinrent amies.

Elles passèrent les deux heures suivantes à cueillir pissenlits et pâquerettes, à courir dans l’herbe et à se partager contes et comptines assises sur un tronc d’arbre. Morgane ne ressemblait à aucune autre fillette que connaissait Léonie. Peut-être était-ce sa carnation si pâle, presque diaphane, et mouchetée ? Ou alors son étrange capacité à chanter comme un oiseau ? À moins que ce ne soit celle qui lui permette d’attirer de petits animaux ? Léonie balaya ses questionnements. Morgane était géniale à ses yeux.

« Tu connais plein d’histoires, Morgane !

— Tu les aimes bien ?

— Oh oui, beaucoup. Dis, tu veux bien être ma meilleure amie ?

— Oui ! Et si on était meilleures amies pour la vie ?

— Ouiiiii ! Oh, j’ai une idée, et si on se mariait ? C’est comme ça quand c’est pour la vie.

— Ah bon ? T’es sure Léonie ?

— Oui, oui. En plus, j’ai eu sept ans. C’est l’âge de raison, mamie m’a dit.

— Préparons le mariage alors, le plus beau ! »

Enchantées par leur idée, elles entreprirent de rassembler leurs bouquets de pissenlits et pâquerettes, auxquels Morgane avait ajouté quelques violettes qu’elle avait dénichées. Elles dérobèrent la nappe de pique-nique de la mère de Léonie en train de discuter et s’assirent dans l’herbe pour que Morgane enseigne à son amie comment tresser des couronnes de fleurs. Malgré tous ses efforts, Léonie ne parvenait pas à manipuler les tiges ; elle les broyait avant de réussir à confectionner une tresse. Frustrée, elle sentit les larmes lui monter aux yeux.

« C’est pas grave, intervint Morgane. Je vais m’occuper des couronnes, toi tu t’occupes d’installer le tissu. » La petite blonde acquiesça et s’employa à suspendre la nappe de pique-nique à des branches, comme un dais blanc à carreaux verts agrémenté de quelques taches.

Lorsqu’elles estimèrent avoir terminé, elles s’applaudirent, ravies. Elles se placèrent l’une en face de l’autre et commencèrent la cérémonie, sous l’œil curieux de moineaux et souris qui déambulaient par là. N’étant pas très inspirées, elles passèrent directement à la déclaration de mariage entre femme et femme. « Morgane, veux-tu me prendre pour épouse, où on serait amies pour toujours ?

— Ouiii ! Et toi Léonie, est-ce que tu veux bien qu’on soit amies et qu’on s’aime pour toujours ?

— Ouiii !

— Super, alors dans ce cas, avec les pouvoirs qui me sont conférés, je nous déclare mariées pour toujours. »

Joyeuses, les deux fillettes se firent des baisers sur tout le visage et dansèrent ensemble, tandis que le vent se levait, faisant bruisser les feuilles. Quelques gouttes tombèrent, les environnant bientôt de la douceur entêtante du pétrichor, et un éclair zébra le ciel. « À tous les coups, tout ça va causer un gros brouillard, gloussa Morgane.

— Pourquoi ? »

La petite fille rousse ne répondit pas. Elles continuèrent à danser sous la pluie, jusqu’à ce que la mère de Léonie vienne la chercher pour la mettre à l’abri des intempéries printanières. Les deux enfants se séparèrent à grand peine, se promettant de se retrouver dès que possible.

Le lendemain et les jours suivants, Léonie insista auprès de sa mère pour retourner au parc. « Cette petite t’a ensorcelée, ma parole ! » s’exclamait-elle chaque fois que sa fille la suppliait. Malgré les nombreuses occasions où Léonie obtint de pouvoir se rendre au jardin citadin, elle ne revit jamais Morgane.

***

Des coups répétés sur sa porte réveillèrent Léonie en sursaut. En ouvrant les yeux, son regard tomba sur la fenêtre et elle découvrit avec contrariété que la nuit était déjà noire. De fait, son téléphone l’informa qu’il était deux heures du matin. La jeune femme se redressa pour vérifier par l’œilleton qui la dérangeait à une heure si tardive. Elle ne vit personne dans le couloir. Irritée, Léonie abandonna sa porte d’entrée, bien déterminée à se confectionner un casse-croute maintenant qu’elle était réveillée. On frappa de nouveau, mais elle n’interrompit pas sa trajectoire jusqu’à son coin cuisine. Pendant qu’elle examinait le maigre contenu de son réfrigérateur, les coups reprirent, sans plus s’arrêter cette fois. Excédée, la jeune femme alla ouvrir sa porte avec brusquerie, sans prendre la peine de s’inquiéter de ce qui pouvait l’attendre de l’autre côté.

Devant elle, bien en dessous de la hauteur balayée par son œilleton, se tenait une vieille femme à la chevelure neigeuse enserrée en un chignon. Elle se balançait légèrement d’avant en arrière, fermement agrippée à une cane en bois noueux. Les yeux mi-clos, un sourire absent étirait ses lèvres humides. Trois chats l’accompagnaient : un noir qui faisait sa toilette, un blanc qui se frottait aux jambes de la visiteuse et un gris qui flairait consciencieusement le paillasson.

« Oui ?… Euh… Bonsoir, balbutia Léonie.

— Oooh, oui oui, le soir est bon, assurément.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Rentrer chez moi ; le soir est bon, oooh, mais un peu frais, ce n’est pas très bon pour mes vieux os.

— Et bien, faites, pourquoi restez-vous plantée là à frapper à ma porte ?

— Parce que je viens vous chercher, oooh bien sûr.

— Comment ça, me chercher ?

— Oooh, n’avez-vous pas reçu la convocation royale ?

— La convoc… »

Léonie s’interrompit. Le souvenir du parchemin apporté par la tourterelle s’imposa à son esprit. Ça ne pouvait pas déjà être Beltaine, si ? Et minuit était passé depuis longtemps. « Il est tard, vous avez besoin de quelque chose ? Parce qu’il faudrait vraiment que j’aille me coucher.

— Oooh, moi aussi, mais la nuit est à peine avancée et nous avons beaucoup à faire. »

Sans plus de cérémonie, la vieille femme et les chats investirent le studio d’une Léonie interloquée. « Où se trouvent vos bagages ? s’enquit l’intruse.

— Je n’ai pas de bagages.

— Oooh, c’est terrible. Où sont vos gens ? La vieille Persine et ses chats allons les aider à préparer vos effets.

— Je n’ai pas de gens.

— Pas de gens ? Oooh, comment faites-vous pour tenir votre domaine ? Avec tant d’étages en plus, quel est votre secret ?

— D’étages ? Oh… Non non, tout l’immeuble ne m’appartient pas. Je ne vis que dans cette pièce-ci. Enfin, avec la salle de bain et les toilettes. »

La vieille femme, Persine, parcourut le petit appartement d’un regard critique, les yeux à présent grands ouverts et son perpétuel sourire presque estompé. Les chats inspectaient de même, flairant et explorant précautionneusement. En constatant que Léonie la fixait, Persine se reprit et arbora de nouveau son léger sourire qui lui donnait un air inoffensif. « Dans ce cas, oooh, indiquez-nous ce que nous devons emporter, s’il vous sied.

— Mais je ne comptais pas partir…

— Balivernes, voyons. Personne ne refuse une convocation royale. Et puis, n’êtes-vous pas curieuse de visiter Avalon ? Je me suis laissée dire que vous autres, humains, considériez ce royaume comme imaginaire, oooh ! »

La vieille femme n’avait pas tout à fait tort : Léonie se demandait où la mènerait cette histoire. Elle ne savait toujours pas lesquels de ses amis étaient impliqués, mais elle saluait leur originalité. Puisque tout le monde insistait sur ses bagages, elle s’enquit : « Combien de temps ça va durer, tout ça ? Tout le week-end ?

— Oooh, plusieurs jours assurément. Probablement toute votre vie. »

Plusieurs jours, soit. Léonie jeta quelques habits et sous-vêtements dans un sac à dos, y adjoignit un nécessaire de toilette et quelques autres bricoles. Puis, sous les regards emplis de jugements des chats, elle déclara avoir terminé. « Cela me parait peu pour une future princesse consort. En êtes-vous certaine ?

— Oui.

— Oooh, bon, je pensais que nous aurions beaucoup plus à transporter. Hum… Et bien, allons-y dans ce cas. »

Léonie suivit Persine et les félins jusqu’au pied de l’immeuble. La nuit avait vidé les rues ; nul passant ni phare en vue. La jeune femme s’interrogeait : y aurait-il un moyen de transport ou allaient-elles devoir cheminer à pied, car sa guide n’avançait pas très vite et au beau milieu de la route ? Les chats allaient-ils rester près d’elles ou s’égayer en tous sens ?
Un martèlement interrompit la velléité de Léonie à diriger Persine vers un trottoir. Cela ressemblait à des sabots au galop, qui se rapprochaient. La jeune femme se retourna et aperçut un grand cerf blanc tourner dans la rue, à pleine vitesse, et foncer dans sa direction. Elle entraîna sa compagne sur le côté, pour ne pas se faire piétiner. L’animal immaculé passa rapidement ; son pelage si blanc qu’il donnait l’impression de luire.

« Oooh, voilà notre guide. » Persine agitait joyeusement le bras qui ne tenait pas sa canne en direction du cerf. Les trois chats bondirent les uns sur les autres en même temps et se fondirent en une seule créature à six pattes, presque aussi haute qu’un cheval. La vieille femme sauta sur son dos en s’aidant de sa canne, avant d’empoigner Léonie avec une force insoupçonnée, pour la hisser derrière elle. « En avant, sinon nous allons perdre le chemin ! » lança Persine et le félin s’élança à la poursuite du cerf blanc.

Léonie, désespérément agrippée à la vieille femme, était choquée. Le cerf au milieu de la ville, elle pouvait l’envisager, mais le chat géant à six pattes lui était inconcevable. Que se passait-il ? Était-elle en train de rêver ? Elle n’eut pas le loisir de se questionner plus : la course chaotique la poussait à se cramponner de tout son être. Persine gloussait. « Voilà longtemps que je n’avais pas participé à une Chasse ! »

Leur guide immaculé galopa dans les rues jusqu’à une fontaine gallo-romaine, dans laquelle il bondit, disparaissant aussitôt. Le chat le suivit sans hésiter et Léonie hurla, fermement arrimée à la vieille femme hilare, certaine qu’elle allait s’écraser contre la pierre de la fontaine.

Comme le choc ne venait pas, Léonie ouvrit les yeux. Le cerf n’était nulle part en vue et le chat avait ralenti, adoptant une allure trottinante. Autour d’elle se dressaient des arbres à perte de vue, rendant la nuit encore plus sombre. L’air fleurait la forêt, mais aussi l’iode. « Où… où est-ce que vous m’emmenez ? s’enquit la jeune femme d’une voix blanche.

— À Avalon, retrouver votre femme la future princesse Morgane, bien évidemment.

— Mais… je… Ce n’était qu’un faux mariage entre deux enfants.

— Oooh, mais il est tout ce qu’il y a de plus officiel chez nous : il a été célébré par une personne de sang royal habilitée à le faire et il a été validé par tous les témoins animaux, végétaux, minéraux et élémentaires. Cela fera de vous la princesse consort une fois qu’elle sera couronnée princesse héritière.

— Ce n’est pas possible.

— Oooh, si si. Puisque vous ne le saviez pas, heureusement que vous n’avez pas essayé d’épouser quelqu’un d’autre, vous auriez eu des soucis.

— Mais j’ai eu des… partenaires.

— J’imagine, mais cela n’a rien à voir, ça. Notre Morgane en a eu aussi, oooh, c’est tout naturel.

— Alors, Morgane et moi sommes mariées, mariées ?

— Oooh oui !

— Ben ça alors… »

À suivre…

Le château de la Dame du Lac

Les Plus Grandes Peurs

Faramund balaya d’un regard expert la table chargée de victuailles, toutes plus appétissantes les unes que les autres. Ses petits yeux s’illuminèrent de convoitise alors qu’il sélectionnait délicatement une cuisse de pintade rôtie à point. Il mordit dedans avec entrain. « Délicieux ! » Estima-t-il, en croquant ensuite dans une pomme juteuse qu’il tenait dans son autre main aux doigts tous aussi boudinés. « Oh non ! Lui lança Perrine sur un ton de reproche. Tu as encore touché à la nourriture des plats avec tes doigts ! » Un masque dégoûté tordit son visage, mais la remarque provoqua une hilarité irrépressible chez leur compagnon Morghan. Perrine tourna la tête dans sa direction, ses yeux lançant des éclairs.

« Arrête de te moquer, lui lança-t-elle tandis que l’interpellé frappait la lourde table en chêne du poing tellement il riait. L’hygiène c’est du sérieux ! On peut attraper des choses dangereuses en mangeant de la nourriture souillée, et personne ne sait si Faramund s’est lavé les mains avant de se mettre à table…
– Cesse donc de t’embêter avec des trucs pareils, s’esclaffa Morghan. Vis un peu, Perrine, au lieu de paniquer à chaque fois que tu penses que des microbes vont t’agresser. » Pour prouver ses dires, il s’employa à mettre ses doigts dans tous les plats à la portée de son amie phobique des germes. Elle poussa un petit cri horrifié.

« Qu’est ce que tu fais ? S’alarma Perrine dont la voix grimpa aussitôt dans les aigus.
– Calmez-vous un peu, intervint posément la quatrième. Je n’aime pas quand vous vous disputez.
– Ne t’en fait pas Guylaine, la rassura Morghan en se précipitant vers elle comme si il était monté sur ressorts pour la serrer dans ses bras. Ce n’est pas une vraie dispute, il n’y a aucun conflit ici. » Faramund avait continué de profiter goulûment des plats fumants qui l’entouraient, ignorant totalement ses compagnons. Perrine lui jeta un regard désespéré.

« Tu sais, lui dit-elle, la nourriture ne va pas s’envoler : prend le temps de mâcher au moins. Je ne voudrais pas que tu t’étouffes.
– Aucun risque, postillonna son ami glouton. Je préfère profiter de manger tant qu’il y a de la nourriture. Au cas où il n’y en ait plus. On ne sait jamais !
– Toi et ta peur de manquer… Soupira Perrine.
– Tu peux parler ! Lui lança moqueusement Morghan en bondissant. Tu as autant la trouille des germes que Faramund la peur de manquer. Une belle bande de bras cassés !
– Inutile de nous chamailler, intervint une nouvelle fois Guylaine de sa voix apaisante. Nous avons tous les quatre des peurs très profondes.
– C’est vrai, appuya Faramund en mordant dans une côtelette de sanglier. Tu es particulièrement fatigant avec ton entrain, Morghan. Ce n’est pas parce qu’il y a du silence que nous avons arrêté de respirer.
– Je n’y suis pour rien, je me sens obligé de remplir le silence de vie, ça m’angoisse sinon.
– C’est notre cas à tous, posa Guylaine. Nous avons tous nos angoisses et elles sont irrépressibles, alors cela ne sert à rien de nous disputer à ce propos. »

Une cloche au glas sinistre l’interrompit. « On nous appelle : il est l’heure, soupira-t-elle en se levant de table.
– Quelqu’un peut-il m’aider avec mon armure ? » S’enquit Faramund en bourrant ses poches de pain et de fruits. Ses trois compagnons l’aidèrent à enfiler les différentes pièces d’acier et à les boucler. Lorsqu’ils se retrouvèrent tous parés à sortir de la salle, Morghan lança joyeusement : « C’est parti ! Allons enfin répandre nos plus grandes peurs dans les cœurs des hommes ! »

Sortant de leur demeure, les quatre cavaliers attrapèrent leurs fières montures, les enfourchèrent et s’abattirent sur le monde.

La série des mots-clefs : Alors, il me sembla que l’air s’épaississait…

Bien évidemment, le temps que je prenne cette grande digitale en photo, en essayant de capturer toute l’essence de sa beauté mortelle, le reste du groupe avait disparu. J’ai donc tendu l’oreille pour déterminer la direction dans laquelle ils s’étaient dirigés. Rien ne troublait les pépiements des oiseaux ni le bruit du vent qui agitait paresseusement les branches des arbres. Un peu décontenancé, je suis allé dans la direction générale qu’il me semblait qu’ils avaient prise. Hésitant, j’ai ensuite marché quelques pas dans plusieurs directions, tout en sachant que chaque moment perdu les éloignait de moi. Soudain, la lumière se fit dans mon esprit. Fier de toutes les inventions pratiques que mes congénères avaient créées, je me suis triomphalement emparé de mon téléphone. Ma satisfaction fut de courte durée. Dans cet écrin de nature perdu, mon petit bijou de technologie ne captait aucun signal, que ce soit téléphonique ou Internet.

J’ai un moment caressé l’idée de rester sur place pour être plus facile à retrouver lorsqu’ils se rendraient compte de mon absence prolongée. Mais, après être resté assis sur une souche pendant quelques minutes, j’ai compris que je ne pourrai pas rester ainsi inactif. Je me suis levé et, après m’être dégourdi les jambes, je me suis aventuré à l’exploration. De toutes façons, cette forêt devait bien avoir une fin. Plus personne ne se perdait dans les bois de nos jours, n’est ce pas ? Cette assertion se trouva bientôt confirmée par le fait que je finis bientôt par rencontrer un chemin. Rassuré, je l’ai joyeusement emprunté afin de rejoindre au plus vite un brin de civilisation. A intervalles réguliers, je vérifiais si mon téléphone captait enfin un réseau. Malheureusement, dans cet environnement vallonné recouvert d’arbres, il ne captait toujours aucune antenne ni satellite.

Tout en marchant, je commençais à me demander combien de temps il allait encore me falloir pour arriver quelque part. Le chemin forestier, bien que baigné d’une jolie lumière verte et dorée qui passait à travers les feuilles, finissait par me lasser. Un cadre peut s’avérer à la fois joli et répétitif. Un petit étang vint rompre cette monotonie et, fatigué, je décidais de me reposer un instant à son bord. Alors, il me sembla que l’air s’épaississait, tandis que l’odeur de l’humus se faisait plus prenante. Que se passait-il ? Peut-être étais-je déshydraté. Je me suis donc fébrilement emparé de ma gourde pour en boire quelques gorgées. Ceci fait, je me suis rendu compte que de légères volutes de brume s’élevaient du sol.

Je ne me sentais pas mieux ; j’avais l’impression d’avoir la tête cotonneuse. Puis le martèlement commença. J’ai d’abord cru à une migraine tapageuse mais, le son devenant plus distinct, je reconnus le bruit de sabots au galop sur le chemin de terre. Je me suis levé et retourné, soulagé de pouvoir finalement demander de l’aide. Sauf que les cavaliers qui s’offrirent à ma vue paraissaient provenir d’un autre temps. Il s’agissait de tout un équipage de damoiselles et de damoiseaux tous de blanc vêtus, menés par une femme magnifique à l’air sévère. Bouche-bée, j’admirais cette apparition surnaturelle. La tête de la meneuse était ceinte d’une couronne de feuilles de chêne et un poulain immaculé suivait sa monture richement apprêtée. Ils m’ignorèrent totalement, passant à côté de moi comme si je n’étais pas là. Au moment où les chevaux pénétrèrent dans l’eau à grand renfort de gerbe étincelantes, je sombrai dans l’inconscience.

« On l’appelle la Mare-aux-Fées ou la Mare-au-Diable. » Disait quelqu’un tandis que mon cerveau tentait désespérément de reprendre le contrôle. « Et le Diable sait comment ce touriste a pu arriver jusque là. » En ouvrant péniblement mes paupières, j’ai pu constater que je me trouvais dans un véhicule de pompiers, solidement arrimé à une civière. Le guide qui avait emmené mon groupe dans la forêt se trouvait également là. C’était lui qui parlait. « J’ai suivi le chemin, suis-je parvenu à dire avec un tout petit filet de voix.
– Le chemin ? s’étonna l’homme. Mais aucun chemin ne mène à la Mare-aux-Fées ! »

Car, oui, quelqu’un est arrivé ici en tapant dans son moteur de recherche : « Alors il me sembla que l’air s’épassissait ». J’espère que maintenant il ne sera plus déçu !

Texto du matin : Résumé sur l’origine d’Halloween

Aujourd’hui, nous allons parler d’Halloween, mais pas des bonbons. Comme beaucoup le savent déjà, Halloween était déjà fêtée par nos ancêtres celtes qui l’appelaient Samain. Elle se déroulait d’ailleurs au début de leur mois de Samonios qui se trouvait être leur premier mois de l’année et marquait le début de la saison sombre. En cette période, il y a ouverture vers l’Autre Monde. Petite parenthèse, les mois celtes étaient Samonios, Dvmanios, Rivros, Anagantios, Ogroniv, Cvtios, Giamonios, Simi Visonnios, Eqvos, Elembivs, Aedrinnis, Cantlos.

En fait, la célébration de Samain se déroulait sur toute une semaine (trois jours avant – le jour en question – trois jours après) ; les dieux et les esprits demandent beaucoup d’attention. Puisque les celtes ne nous ont laissés pratiquement aucun écrit (à part un superbe calendrier, le calendrier de Coligny, que vous pouvez voir en vrai au musée gallo-romain de Lyon) nous tirons nos informations de deux sources principales. Les romains, qui n’ont pas donné d’indications très précises, mais surtout des petits moines (notamment ceux d’Irlande) qui, bien que prolifiques, ont déformé pas mal de choses.

Avec la disparition du calendrier celte, la fête de Samain fut fixée à la nuit entre le 31 octobre et le 1er novembre. Les gens sculptaient déjà des navets (les citrouilles n’avaient pas encore été rapportées des Amériques pas encore découvertes) et, à ce sujet, il est attesté qu’au début du 20ème siècle les bretons creusaient encore des betteraves pour les éclairer et effrayer les gens cette fameuse nuit.

Traditional Irish halloween Jack-o'-lantern

Le terme Halloween est, en fait, la contraction de All Hallows Evening, qui est un équivalent de the eve of the all saints day (soit la veille du jour de tous les saints -> la Toussaint). Jack O’Lantern était, quant à lui, un maréchal ferrant qui s’est joué du diable à moult reprises durant sa vie. A sa mort, refoulé à la fois du Paradis et des Enfers, il s’est retrouvé à errer pour toujours entre les monde. Pour cela, il dut éclairer son chemin avec un charbon des enfers dans une lanterne. Il réapparaît tous les ans le jour de sa mort.

Jack-o-lantern-FR

Texto du matin : La Tarasque

Salutations !

Voici donc le premier texto du matin sur ce blog. En réalité, il ne s’agit pas du tout premier sms du matin, mais il s’agit d’un sujet que j’aime bien. Bien évidemment, puisque je suis limitée à trois fois 160 caractères par message (soit 480 pour ceux qui ne savent pas/ont la flemme de calculer), ces textos à thème s’égrènent souvent sur plusieurs jours.

Applaudissez bien fort la Tarasque !

La tarasque est un monstre issue du folklore provençal assimilé à une sorte de dragon fluvial. Dotée d’une crinière de lion, elle arbore également des oreilles de cheval et un visage de vieil homme ridé. De plus, elle dispose d’un long corps sinueux, prolongé d’une queue avec un dard de scorpion, de six pattes et d’une carapace de tortue. En bref, son aspect est encore plus patchworkesque que celui de la chimère huhu !
Cette charmante bestiole squatterait la rivière près de Tarascon, ville à laquelle elle aurait donné son nom. Plus exactement, elle vivait à l’origine sur le gros rocher surplombant la ville (où aurait été construit par la suite le château du Roi René). Mais elle se montrait une mauvaise voisine, et d’aucun lui reprochaient entre autre de faire gonfler les eaux du Rhône et de ses affluents, ou même de dévorer les gens. Ce qui est désagréable.
Un jour, Ste Marthe qui passait par là (le hasard fait bien les choses) se mit en tête de capturer la tarasque. Ainsi en fut-il fait, puis le monstre fut mis en pièces par les riverains, furieux des pertes causées.
Ce que je trouve intéressant à noter à propos de la tarasque, c’est qu’il en a été retrouvé des représentations bien plus anciennes que les dates rapportées par la légende (dates estimées où Ste Marthe serait passée par ce petit patelin). Ce qui me conduirait à penser, moi-personnellement-moi-même, que la tarasque est à l’origine un genre de divinité aquatique/fluviale locale dont le mythe a été absorbé lors de la christianisation du coin. On retrouve la même chose pour divers contes de par l’Europe occidentale, c’est un classique.
Pfiou ! J’ai dit trop de choses intelligentes d’un coup !

Petit rajout : Il y a quelques années, le mythe de la tarasque a été repris par Donjon et Dragon, où les auteurs l’ont appelée Tarrasque et en ont fait un monstre immortel et destructeur.

A bientôt pour un nouveau remaniement de texto du matin !

2005 Tarascon Beucaire 003