NaNoWriMo 2017 : À l’École de l’Autre Côté du Miroir, jour 3

Ils émergèrent dans une salle similaire à celle qu’ils venaient de quitter, sauf qu’elle était peuplée de chaises rembourrées et tapissées de velours vermeil. Sur ces chaises étaient assis des élèves un peu perdus. De grandes fenêtres à meneaux laissaient entrer le soleil à flot et les rayons éclairaient de lourdes tentures colorées, pendues le long des murs. L’air paraissait lourd à respirer pour Cédric, lourd et plein d’énergie. Un jeune mage aux cheveux crépus leur adressa un sourire crispé et leur indiqua d’aller s’asseoir.

Stéphanie lâcha brusquement son ami : les mains du garçon s’étaient mises à crépiter d’électricité statique. « Ne t’inquiète pas, ça va passer. » Intervint une voix douce. Valentine avait fait irruption à côté d’eux et leur adressait un sourire lumineux. Elle avait attaché son abondante chevelure blonde en queue de cheval, mais certains cheveux se relevaient pour flotter tous seuls. « L’air est différent ici, continua-t-elle.
– J’ai vu ça ! » Acquiesça Stéphanie en attrapant Valentine pour une brève et joyeuse embrassade.

Les trois allèrent ensuite s’assoir sur les chaises qui étaient, sans aucun doute, les chaises les plus confortables sur lesquelles ils avaient eu l’occasion de s’asseoir. En regardant autour de lui, Cédric aperçut Henry, quelques rangs plus loin. Le garçon brun avait les cheveux redressés en bataille à cause de l’électricité statique et il remontait nerveusement ses lunettes sur son nez en jetant des coups d’œil curieux autour de lui.

D’autres élèves arrivaient par le miroir derrière eux, mais quelques uns arrivaient par la porte. « Je crois que nous allons être plus que ce que je pensais, mentionna songeusement Stéphanie en suivant son regard. Je n’avais pas compris que des gens vivaient de ce côté-ci.
– Moi non plus, appuya Valentine. Regarde ceux-là. »

Elle désignait un petit groupe de personnes au teint diaphane et vêtus comme des nobles du moyen-âge, qui toisaient les arrivants du miroir avec un air dédaigneux. « Ne faites pas attention à eux, lança un garçon brun qui s’assit à côté de Cédric. Ils regardent tout le temps tout le monde de haut.
– Qui sont-ils ? S’enquit curieusement Stéphanie.
– Ils se font appeler les « Belles Gens », répondit le garçon. Mais ils sont toujours méchants avec tous ceux qui ne sont pas comme eux. C’est à dire nous et tous les autres du peuple des fés.
– Il y a d’autres fés qui vont étudier avec nous ? Demanda Cédric.
– Peut-être, mais à part les Belles Gens, ils sont rares à vouloir étudier la magie.
– Comment sais-tu tout ça ? S’étonna Stéphanie.
– J’habite de ce côté ! Expliqua fièrement le garçon brun. Je m’appelle Jérémy. »

Les trois se présentèrent à leur tour, mais un bruit de chute interrompit leur discussion. Ils se retournèrent vers le miroir. Une fillette brune, aux cheveux frisés et plus petite que la moyenne, avait trébuché sur le cadre en entrant. Le jeune mage qui faisait l’accueil l’aida à se relever et elle fila s’asseoir en baissant la tête pour éviter les regards moqueurs. Les sièges de velours vermeil étaient presque tous occupés à présent.

Les portes de la grande pièce s’ouvrirent toutes seules. La directrice du collège, madame Dumoulin, et le directeur de l’établissement, monsieur Morin, firent irruption dans la salle. Ils n’étaient plus vêtus d’un tailleur ni d’un costume, mais de vêtements similaires à ceux des Belles Gens. Ils étaient suivis de cinq autres adultes habillés de la même manière, deux femmes et trois hommes.

L’une des femmes, vêtue de brun, portait un chapeau improbable, à larges bords et sur lequel une maquette de paysage bucolique était fixée. Alors qu’elle passait près de lui, Cédric remarqua que la rivière semblait véritablement faite d’eau courante. Il ouvrit des yeux ronds en apercevant une volée d’oiseaux de la taille d’un demi grain de riz s’envoler d’un arbre pour aller se regrouper de l’autre côté du chapeau, dont le centre formait une montagne.

L’autre femme possédait un accoutrement beaucoup plus strict, uniformément gris. Ses cheveux étaient rassemblés en un chignon lisse d’où ne s’échappait pas la moindre mèche. L’un des hommes, quant à lui, paraissait plus âgé que ses collègues, avec ses cheveux et sa barbe poivre et sel qui tendaient fortement vers le sel. Il portait une tunique orange et des bottes dépareillées. En passant, il adressait un sourire jovial aux élèves.

Les deux autres hommes étaient plus discrets. L’un habillé de bleu et au regard océan tellement profond qu’il en était dérangeant et l’autre paré de blanc et à l’air rêveur. Ce dernier paraissait faire partie des Belles Gens ; il arborait le même teint diaphane et marchait d’un pas particulièrement léger.

Une fois les cinq adultes montés sur l’estrade qui faisait face à l’armée de chaises rembourrées, la directrice parcourut l’assemblée d’un regard acéré. « Tous les élèves du côté non magique sont arrivés. Michel, tu peux fermer le miroir. » Le jeune magicien obtempéra et activa un levier. Une porte à double battants apparut et claqua sur le miroir. « Les élèves de ce côté ci sont présents également, continua madame Dumoulin. Fort bien. Nous allons pouvoir commencer. »

Le directeur de l’établissement s’avança alors à son tour, tandis que sa collègue lui laissait la place. « Chers élèves, je vous souhaite la bienvenue au sein du collège de magie des Alouettes. J’espère que vous allez passer une excellente et studieuse année auprès de vos professeurs. Ils vous encadreront de leur mieux et vous partageront leur érudition ainsi que leur savoir faire. Pour la majorité d’entre vous, vous ne connaissez pas encore la vie de ce côté du miroir, c’est pourquoi les sorties hors du collège seront sévèrement encadrées pour cette première année. De plus, nous ne pouvons pas vous laisser sortir par le miroir entre midi et deux ; les élèves du monde sans magie seront donc tous demi-pensionnaires. Je compte sur vous pour vous conduire de manière exemplaire et faire la fierté du collège des Alouettes. Je rends maintenant la parole à votre directrice.
– Merci monsieur Morin. »

Madame Dumoulin reprit place devant les élèves et leur expliqua : « Le matin, les cours commenceront à huit heures. Vous serez donc priés d’arriver au plus tard dix minutes avant. Les élèves de ce côté entreront par la grande porte et les élèves du monde sans magie entreront par ce miroir derrière vous. Je suis désolée pour lesdits élèves du monde sans magie, mais ils devront attendre jusqu’à dix-huit heures pour pouvoir quitter l’enceinte du collège. Sinon ils attireraient trop l’attention. Vous pourrez mettre ce temps à profit pour faire vos devoirs, notamment ceux que vous n’aurez pas l’occasion de faire dans le monde sans magie. Qu’est ce qui vous fait rire là-bas ? »

Les gloussements provenant des Belles Gens se turent instantanément sous le regard dur de la directrice. Certains affichèrent même une mine déconfite. « Je compte sur les élèves originaires de ce côté pour aider leurs camarades à se faire au monde magique. » Continua-t-elle. Jérémy leva le pouce à l’intention de Cédric, Stéphanie et Valentine avec un sourire fier, l’air de dire qu’ils pouvaient compter sur lui. « Vous allez être répartis en cinq classes [changer ça au début, avec le changement du nombre d’élèves etc] qui correspondent chacune à l’un des cinq éléments de base de la magie. »

Madame Dumoulin leur indiqua les tentures qui symbolisaient chacune un des cinq éléments. « Nous aurons la classe de l’air, de l’eau, du feu, de la terre et du brouillard. » A la mention du brouillard, Cédric, Stéphanie et Valentine échangèrent un regard surpris. Ils n’avaient jamais entendu parler du brouillard comme élément. Ils se seraient plutôt attendus à l’électricité ou le métal par exemple. Ils n’eurent pas l’occasion de poser la question à Jérémy car la directrice continuait son discours.

« Concernant les fournitures scolaires, nous allons vous les fournir. À la fin de cette réunion, une fois que vous aurez été répartis dans vos classes et que vous aurez signé le règlement intérieur, nous vous ferons une petite visite de l’établissement. Puis vous vous rendrez à la réserve où l’on vous remettra ce dont vous aurez besoin pour commencer l’année. »

Madame Dumoulin continua de leur expliquer comment allait se dérouler leur scolarité, mais Cédric commença à décrocher. Voyant une ouverture, Jérémy lui lança en chuchotant : « Tu pourras me raconter comment c’est de l’autre côté ? Et moi je te dirai tout sur ici. » Le garçon blond acquiesça avec un sourire. « Comment vous faites sans magie ? Continua le brun à l’air jovial.
– On a plein d’outils pour nous aider, expliqua Cédric.
– Et… »

Jérémy s’était montré trop enthousiaste. « Dites donc, les deux là-bas, c’est moi qui parle, les reprit sévèrement la directrice. Cédric Berger et Jérémy Rivière, je vous tiens à l’œil. » Elle avait l’air particulièrement sérieuse et les deux garçons reconnurent là une personne avec qui il ne fallait pas plaisanter. Le fait qu’elle connaissait leurs noms ne leur paraissait pas de bon augure non plus.

Madame Dumoulin reprit ses explications en gardant son attention sur les bavards. Son regard acéré les quitta bientôt pour scruter le reste des élèves pendant qu’elle parlait. « Chaque classe aura son professeur principal, mais vous serez amenés à les voir dans certaines matières. Je vous présente donc madame Dupont, professeure principale de la classe de la Terre. » Déclara la directrice en désignant la femme au chapeau improbable.

« Madame Verone, professeure principale de la classe du Brouillard. » Continua-t-elle en présentant la femme en gris à la mine sévère. « Monsieur Haut-Castel, professeur principal de la classe du Feu. » Le vieil homme adressa un clin d’œil à l’assemblée. « Monsieur Tani, professeur principal de la classe de l’Eau. Et monsieur Limael, professeur principal de la classe de l’Air. Maintenant, nous allons procéder à la répartition des élèves dans les classes. Je vais vous appeler un à un et vous irez rejoindre le professeur que je vous indiquerai. Y a-t-il des questions ? »

Un silence tendu lui répondit. Tous les élèves se sentaient soudain envahis du trac de savoir à quel élément ils allaient être affectés. Cédric remarqua, avec une pointe de jalousie, que Stéphanie et Valentine se tenaient fermement la main l’une de l’autre, craignant sans doute d’être séparées. Le garçon blond non plus ne voulait pas être séparé de la seule amie qu’il connaissait dans cet étrange collège.

 

1707 petits mots pour aujourd’hui ; il y aura beaucoup de choses à arranger, mais l’univers commence à prendre forme dans ma tête. Et si vous vous demandez comment les enfants vont être répartis dans les différentes classes : je n’en sais rien du tout et c’est stressant !

Le cycle du brouillard

La brume s’épaississait de plus en plus. Elle enveloppait le monde nocturne dans un écrin de coton vaporeux, étouffant tous les sons et recouvrant les ruines de la ville humaine. La guerre était passée par là, avec son lot de destruction. Le Korrigan buta sur un cadavre et prit une mine dégoûtée en le contournant. Affligé, il secoua la tête, faisant ainsi virevolter ses boucles flamboyantes. Il posa son bâton pareil à un charbon ardent sur le corps sans vie et laissa tomber un mot sec. Le mort se retrouva réduit en cendres. « Quel gâchis… lâcha-t-il ensuite dans le silence surnaturel ambiant.
– Chut. » souffla l’Elfe, aussi légèrement que le vent.

Le Korrigan leva les yeux vers le visage pâle de son compagnon. Ce dernier paraissait absorbé, presque éthéré, et penchait la tête sur le côté, comme pour mieux écouter la brise. « Par ici. » Murmura finalement le Maître de l’Air en reprenant la route. Ses pieds touchaient à peine le sol. Le petit Maître du Feu s’empressa de lui emboîter le pas. Il suivit son aérien compagnon jusqu’à ce qu’il supposa, en trébuchant sur la margelle d’une fontaine, être une placette dévastée. Le brouillard se trouvait particulièrement épais à cet endroit et il était impossible de voir plus loin que le bras tendu.

N’y tenant plus, l’ardent Korrigan appela : « Dame Fisdiad ? » Comme en réponse à son appel, toute la brume disparut d’un seul coup, dévoilant une silhouette encapuchonnée au milieu de ce qui était bel et bien une place en ruines. Elle se tourna vers les deux Maîtres et ôta sa capuche, dévoilant son visage ridé encadré de longs cheveux gris et vaporeux. Elle leur adressa un vague sourire fatigué. « Je demande votre pardon pour ces désagréments, déclara-t-elle.
– Nul besoin, balaya le Korrigan. Il était facile de vous retrouver avec tout ce brouillard étalé de partout.
– Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? s’enquit ensuite l’Elfe.
– Malheureusement non. »

La vieille humaine soupira et s’assit sur le rebord de la fontaine à sec. Elle paraissait plus voûtée par ses soucis que par son âge avancé. « Je ne serai bientôt plus et je n’ai pas trouvé la femme enceinte de l’enfant qui devra me succéder, reprit-elle. Personne ne semble avoir survécu ici. Si elle est morte avec son bébé, qu’adviendra-t-il des Maîtres du Brouillard ? » Aucun de ses deux compagnons ne répondit à cette question ; personne ne connaissait la réponse. Sauf, peut-être, leur divine protectrice qui était à l’origine de leurs pouvoirs. Mais elle n’était pas une entité que l’on peut invoquer à l’envie.

« Soyez tranquille, exhala le Maître de l’Air. Nous trouverons cet enfant.
– Je le sais bien, Fisavel, je le sais bien, assura doucement Dame Fisdiad. C’est seulement que j’aurais aimé mettre les choses en ordre pour mon départ. » Elle soupira de nouveau. De légères volutes de brume l’environnaient.

« C’est bien facile, pour cet Elfe, de considérer cette situation comme triviale… » Songeait le Maître du Feu. Ne subissant pas les affres du temps – comme tous ceux de sa race immortelle d’ailleurs – Fisavel était le seul survivant du groupe initial des Maîtres des Eléments. Le Korrigan se demandait si l’Elfe était capable de comprendre le tourment de la Maîtresse du Brouillard. Néanmoins le Maître de l’Air avait raison : les Maîtres des quatre Eléments trouveraient leur futur cinquième compagnon. Il en avait toujours été ainsi, même si Dame Fisdiad craignait que la mère de l’enfant, qui devrait lui succéder, n’ait succombé à la fureur des combats qui avaient eu lieu dans cette petite ville.

Bien que la longévité des Maîtres soit allongée, les Maîtres du cinquième Elément – le Brouillard – étaient ceux qui changeaient le plus souvent. Ils étaient en effet toujours humains, or les humains étaient ceux qui vivaient le moins d’années parmi les races créées par Etre sur Inisilydan. En compensation, ils avaient des capacités d’adaptation accrues et donnaient facilement naissance à des enfants. Compréhensif face à l’angoisse de Dame Fisdiad, le Korrigan lui adressa un chaleureux sourire, qui se voulait rassurant. La vieille femme lui répondit de même.

Le sourire de la Maîtresse du Brouillard se figea soudain et ses yeux gris se voilèrent. Cette cent quarantième année de vie écoulée était la dernière. Elle s’affaissa avec légèreté et sans un bruit. Sous les regards peinés de ses compagnons, son corps sans vie se trouva enveloppé d’un linceul de brume. Même en étant préparés au fait que sa mort était inévitable et proche, les coeurs des deux Maîtres saignèrent en choeur. Puis Fisavel, après avoir murmuré des paroles elfiques de deuil, s’approcha de leur amie. « Aide-moi Fisaed. » Le Maître du Feu vint prêter assistance à son compagnon, afin d’emporter la dépouille mortelle auprès des deux absents de l’Eau et de la Terre.

Les pleurs d’un nouveau-né se firent alors entendre dans les ruines.

Brouillard