La quête du sapin, ou l’échec du jet de volonté.

En général, je n’aime pas faire dans l’autobiographique. Mais de temps en temps, il faut bien se prêter à l’exercice. Voici donc une petite anecdote toute simple qui m’est arrivée il y a quelques temps, durant l’année à présent révolue de 2013. Cette année là, j’avais décidé de faire l’acquisition d’un véritable sapin synthétique pour les fêtes. En réalité, cela faisait plusieurs années que j’avais prévu un tel achat, mais mes habitudes de poisson rouge m’avaient systématiquement fait oublier. Cette fois-ci, empoignant fermement ma fuyante motivation à deux mains, je me suis rendue dans une enseigne très connue qui vend habituellement de vraies plantes vivantes, mais qui se diversifie dans le plastique en période de Noël. Et aussi en guirlandes qui froufroutent, mais là n’est pas la question.

Or donc je me suis retrouvée dans ce magasin, à l’atmosphère lourde et moite, aux odeurs riches typiques des endroits envahis de plantes et d’animaux, à fureter entre les différents modèles de ces merveilleux sapins qui ne perdent pas leurs épines. Certains déploreront que ces arbres ne dégagent pas de ces agréables fragrances typiques des conifères. Et ils auront raison. Mais moi, je ne voulais plus d’épines ni de transport de cadavre jusqu’à une benne. Sans compter que, de nos jours, les fabricants font de si jolis sapins synthétiques qu’il serait dommage de ne point décorer son salon avec. L’un d’entre ces faux arbres, notamment, m’avait tapé dans l’œil. Il était à l’image de je-ne-sais-plus-quel-sapin de Norvège et on aurait juré qu’il était vrai. Vraiment. Et magnifique en plus. Et très grand. Et, malheureusement, très cher. Beaucoup trop pour l’investissement que je comptais faire.

Après un soupir intérieur, écoutant ma Sagesse, je me suis donc tournée vers des arbres à la stature plus raisonnable. Mon choix se porta finalement sur un joli sapin dit Tuscan, fabriqué en Thaïlande et importé par une entreprise de la commune de St Vulbas dans l’Ain. Il était à la fois moins coûteux et disponible en plusieurs tailles. Cela avait surtout son importance car j’allais devoir ramener mon butin à pieds en le portant à la force de mes petits bras non musclés. Lequel prendre ? Celui qui mesure 1m25 ? Pfff, vous plaisantez ? Je veux un arbre, pas un géranium. Celui de 2m05 ? Cela me faisait envie, mais je ne me voyais pas transporter le carton sur plus de cent mètres. Il me restait donc à départager les deux choix intermédiaires : 1m55 et 1m85.

Là, ma Sagesse intérieure intervint de nouveau en m’interpellant : « Sophie ! » (car je me nomme ainsi) « Sophie, ne te montre point trop gourmande, prend donc le sapin le plus petit, il est raisonnablement haut, il est moins coûteux et tu pourras le porter plus aisément sur le long trajet du retour. » (Oui, ma Sagesse intérieure s’exprime parfois de manière un peu pompeuse) D’humeur raisonnable, j’ai décidé de suivre ce sage conseil que je m’étais donné à moi-même. Je me suis donc dirigée vers la pile des cartons contenant les arbres d’1m55. Malheureusement, cette pile était bien trop haute pour que je puisse attraper l’un des cartons avec mes petits bras, contrairement à la pile tentatrice des sapins d’1m85 qui se trouvait juste à la bonne hauteur.

Bâillonnant solidement ma Sagesse qui me conseillait d’aller voir un vendeur – parler à quelqu’un que je ne connais pas, et puis quoi encore – je l’enfermais soigneusement dans un réduit obscur d’un coin de mon esprit. Ceci fait, j’ai soupesé l’un de ces fameux cartons. En fait, ils étaient plus légers que ce à quoi je m’attendais. Oubliant immédiatement, et fort à propos, toutes les autres considérations, je me suis fièrement rendue à la caisse, portant mon trophée à deux mains garnies de mitaines bleues. Mon acquisition dûment payée, je pouvais dès lors la ramener jusque chez moi.

Je l’avais pressenti, mais à ce moment là débuta mon chemin de croix (moi, exagérer ? Je ne vois pas ce qui vous fait dire une chose pareille). Dans les faits, la durée du voyage doit être approximativement d’une quinzaine de minutes en marchant d’un bon pas. Mais, appesantie par huit kilos de sapin synthétique portés à bout de bras, faute d’une meilleure solution, le retour s’avéra pour le moins désagréable et plus long. Bien évidemment, le fait que j’ai trouvé ce trajet désagréable et interminable était purement subjectif. Néanmoins, cela ne m’a pas empêchée d’avoir bien chaud en arrivant. Mais il était enfin là, ce carton du mérite, à trôner au milieu du salon. Une fois mon souffle repris, j’ai longuement contemplé mon butin, emplie d’un doux sentiment de satisfaction.

Puis, je l’ai laissé là, en plein milieu où mon compagnon ne pourrait pas le manquer en rentrant. Ainsi il pourrait longuement se féliciter d’avoir une compagne aux choix si pertinents. Ensuite, je suis allée vaquer à mes occupations. De manière tout à fait fortuite, j’avais oublié de délivrer ma Sagesse, qui devait probablement être en train de se débattre dans ce cagibi obscur où je l’avais ligotée et enfermée. D’autres parties de moi-même beaucoup moins avouables en profitèrent pour se montrer.

« Et si tu ouvrais cette mystérieuse boîte ? m’enjoignirent-elles pleines d’entrain.
– Non, résistai je avec bravoure. Ce n’est pas le moment et, de toutes façons, ce carton n’a rien de mystérieux : il contient un sapin synthétique en morceaux.
– Mmmh, mais comment se présentent ces morceaux ? s’interrogèrent-elles en se faisant plus pressantes. Il nous tarde tellement de le savoir !
– Et bien, il va falloir attendre, assénai je fièrement.
– Mais l’attente nous fait souffrir, se plaignirent les parties moins avouables de moi-même.
– Peu m’importe, répondis-je imperturbablement.
– Allons, allons, tu ne vas pas nous dire que tu n’as pas envie de voir comment cela se présente… » Me susurrèrent-elles en se faisant câlines et enjôleuses.

Je voulais vraiment résister, mais n’ayant plus ma Sagesse pour m’assister, les graines de la tentation prirent rapidement racine dans le terreau fertile de ma curiosité. A la grande satisfaction des parties moins avouables de moi-même, j’ai finalement entrepris d’ouvrir ce carton du mérite que j’avais si courageusement transporté. J’ai alors eu la joie de constater que le sapin n’était pas composé de seulement quelques morceaux à assembler, mais bel et bien de toute une multitude. Le tourbillon de la tentation continua de m’emporter vers le fond : je me suis empressée de sortir les divers composants et de déterminer comment ils s’imbriquaient les uns les autres. Petit à petit, je montais mon beau sapin, Roi des forêts synthétiques. Mes parties moins avouables et moi-même trépignions de joie, comme des enfants le jour de Noël, jour qui se tiendrait un mois plus tard.

J’ai reculé, afin d’avoir une vue d’ensemble de mon oeuvre. Je me suis alors aperçue qu’il manquait un petit quelque chose. En effet, cet arbre était certes majestueux dans sa nudité sapinesque, mais il fallait encore l’habiller et le parer de fastes. Juste pour voir ce que cela donnerait, bien sûr. Je me suis donc précipitée, de mon agilité d’hippopotame neurasthénique, vers mon placard où je gardais les apprêts colorés et froufrouteux de Noël. Puis, avec moult tendresse, je me suis employée à orner mon synthétique sapin de brillance et de bonheur. Une fois encore, j’ai reculé afin d’admirer le résultat. Or, admirable, il l’était assurément. Très fière de moi, je n’ai pu m’empêcher d’immortaliser mon chef d’œuvre en prenant une photo, que j’ai ensuite fièrement affichée partout sur Internet.

C’est ainsi que, par manque de volonté, mon sapin de Noël se trouva prêt avant même le mois de Décembre.

Ceci était la version romancée. Mais en réalité, à la base j’avais fait une esquisse non terminée de cette histoire en petite BD que voici :

La quête du sapin

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