Sans plus attendre, elle s’en fut au grand galop à travers les champs dévastés, bien plus vite que ne galopait le destrier léger qu’ils avaient emprunté plus tôt. Les jumeaux se sentirent un peu bêtes, plantés là au milieu de nulle part. Ils ne réagirent pas avant qu’elle ait quitté leur champ de vision. Là, Kyr hurla de frustration. « Elle est complètement folle ! Et paradoxale en plus : elle dit qu’on ne doit pas s’occuper des royaumes parce qu’on est des voyageurs errants et, elle, elle fourre son nez en plein dans des affaires d’état très délicates !
– Oui, mais on a besoin d’elle. » Kilynn s’était assise sur le bord de la route. Elle avait posé le dragon-papillon par terre et ouvert son sac pour en sortir le pain, la viande séchée et les pommes que Drakëwynn leur avait laissé le matin même. « Viens t’asseoir Kyr. Après tout, on a presque rien avalé depuis ce matin, je commençais à avoir un gros creux. »
Bien que d’humeur massacrante, son frère avait également très faim et il ne se le fit pas dire deux fois. Il se laissa tomber à côté d’elle et ils mangèrent tous les deux en silence. Le seul à faire du bruit était Emlyg qui gambadait aux alentours, tout en venant régulièrement quémander à manger aux jumeaux. Ceux-ci en firent un jeu, qui consistait à envoyer des morceaux de pain ou de viande en l’air, le plus haut possible, afin de voir le petit animal s’envoler prestement pour les rattraper au vol. Lorsqu’ils n’eurent plus rien à lui lancer, le dragon-papillon s’avachit à côté d’eux et Kilynn entreprit de lui gratouiller le ventre d’une main, tout en finissant une pomme de l’autre. Kyr, lui, s’était carrément couché dans l’herbe du bas-côté et il contemplait le ciel qui s’était assombri. Il s’était calmé, relativisant les choses. En effet, il y avait de grandes chances pour qu’il doive côtoyer l’irritante et monstrueuse Centaure encore un bout de temps. Surtout si, comme elle l’avait dit, tout était ruiné par la maladie sur des centaines de kilomètres. Du coup, autant essayer de s’habituer dès maintenant à son caractère étrange. « Tu crois que Caer va nous chercher ? demanda soudainement Kilynn.
– Sais pas, mâchonna-t-il. Peut-être qu’il croit que les cavaliers se sont occupés de nous, si tu vois ce que je veux dire. »
Sa sœur acquiesça. Elle voyait effectivement. Même si elle avait du mal à concevoir que l’affable Giulio puisse envisager d’éliminer des enfants. « De toutes façons, reprit son frère, j’imagine que Rob finira de convaincre Caer qu’il est inutile de nous retrouver. » Ils restèrent encore un long moment silencieux avant que Kyr ne rouspète : « Elle en met bien du temps ! A ton avis, qu’est ce qu’elle peut bien être en train de faire ?
– Comment veux-tu que je le sache ? Peut-être qu’elle nous cherche un cheval, vu qu’elle trouve qu’on marche pas assez vite.
– Ouais, peut-être. »
Le fond de l’air fraîchissait, les nuages s’assombrissaient encore et un vent glacial se mit à souffler. Kyr frissonna. Il se redressa et alla se caler contre sa sœur pour chercher de la chaleur. Emlyg se blottit entre eux. « Vivement qu’elle revienne, déclara Kilynn. C’est toi qui a la couverture toute chaude qu’elle nous a donné ?
– Je crois bien oui… » Son frère ouvrit son sac et en sortit la couverture en question. Elle était bien assez grande pour qu’ils s’enroulent tous les trois dedans. Ils s’y blottirent donc, en attendant le retour de Drakëwynn.
Celle-ci arriva bien plus tard mais, heureusement, avant la pluie. Comme l’avait supposé Kilynn, la ménestrelle traînait avec elle un lourd cheval de trait, à la robe entièrement noire, bridé et sellé. Le dragon-papillon s’envola jusqu’à elle et s’engouffra dans le sac qui lui servait habituellement d’abri. « En avant fiers compagnons ! leur lança-t-elle joyeusement. En selle et partons sur le champ ! » Les jumeaux obtempérèrent, rangeant de nouveau rapidement la couverture dans le sac de Kyr. La Centaure les aida à monter sur le grand animal et ils s’en furent au petit galop. « J’ai eu un mal fou pour le trouver, leur raconta-t-elle en galopant. Il s’appelle Nuit-Noire. C’est trop classique pour un cheval noir je trouve. Je l’aurai plutôt nommé Plein-Jour ou Rayon-de-Soleil, ça, ça aurait été original !
– Vous l’avez trouvé où ? demanda curieusement Kilynn.
– Pfiou ! Assez loin, dans un village par là-bas, j’ai du faire une trentaine de kilomètres au grand galop pour trouver quelqu’un qui voulait bien me vendre une monture. En plus je voulais un cheval de guerre, mais c’est introuvable par ici.
– Pourquoi un cheval de guerre ? s’enquit Kyr tout en se disant que la ménestrelle exagérait encore les distances.
– Parce qu’ils sont moins froussards et plus obéissants, expliqua Drakëwynn. Enfin, ce n’est pas grave, je le dresserai moi-même. Allez Nuit-Noire, il faut encore faire du chemin avant qu’il ne se mette à pleuvoir ! »