Le fort du Dragon

Je me suis adossé à une colonne. Je haletais et maintenais debout Carline, dont les jambes flageolaient et les yeux roulaient dans leurs orbites. Bon sang, elle avait besoin de soins de toute urgence ; la fléchette devait être empoisonnée, à moins qu’elle n’ait perdu trop de sang.

Je devais me dépêcher : après avoir inspiré profondément, j’ai jeté un bref coup d’œil derrière le pilier. Aucun poursuivant en vue, mais je les entendais distinctement, au loin. Raffermissant ma prise sur mon amie d’un côté et ma masse d’arme de l’autre, j’ai continué à avancer en prenant garde où je posais les pieds. Je ne voulais pas finir comme Entus ; le sol du vieil édifice s’était écroulé sous ses pas trop lourds et précipités. Son harnois rutilant n’avait pas suffi à le protéger de la chute ; il était mort sur le coup.

En inspectant les alentours, nous avons compris que ce fort était piégé. Le bourgmestre du village avait omis de nous prévenir ! Furieux, j’ai promis de faire payer à ce nigaud bedonnant le décès de notre compagnon. Dielline, d’une voix vibrante d’émotion, avait déclaré : « La colère ne nous mènera à rien pour le moment, Gath. Nous… nous ne nous sommes pas montrés très prudents. Avoue que, mise en garde du bourgmestre ou non, ce n’était pas très professionnel de notre part de ne pas avoir pris le temps de chercher des pièges.

— Bien sûr que nous n’en avons pas cherché ! Le seul danger de cet endroit est censé être un dragon et les dragons sont beaucoup trop présomptueux pour s’abaisser à installer des protections ou systèmes d’alarme, tout le monde le sait ! »

La douce Dielline s’était recroquevillée sous l’éclat de ma véhémence. Les jointures de ses doigts agrippés à son bâton blanchirent. Carline était intervenue en nous assurant qu’elle allait désormais s’occuper des pièges, au cas où il y en aurait d’autres. J’ai soupiré. « C’est une gentille proposition de ta part, mais ce n’est pas ta spécialité.

— Haha ! Je n’ai pas de spécialité, tu sais bien, mais je m’y connais quand même mieux en traquenards que vous deux. »

Elle avait raison, bien sûr. Nous avons donc continué, plus lentement. Pendant que Carline s’occupait de chercher des pièges éventuels, je ruminais en mon for intérieur. Sans Entus, serions-nous capables d’affronter le dragon ? Même si je suis un bon guerrier, je ne portais pas une aussi grosse armure que lui. Nous allions devoir compter sur la magie de Dielline pour en finir au plus vite et Carline devrait probablement nous soigner plus que d’ordinaire. En tous cas, pas question d’abandonner maintenant : nous étions trop avancés dans cet ancien fort qui servait d’antre au dragon. Et la somme promise par le bourgmestre était rondelette, sans parler du prestige d’être venus à bout d’un si formidable adversaire.

« Attention ! » Carline s’était précipitée sur Dielline, les entraînant toutes les deux à terre. J’ai à peine eu le temps de lever mon bouclier pour me protéger de la volée de fléchettes s’abattant sur nous. À ma grande surprise, j’en suis sorti indemne. Mes deux compagnes n’avaient pas été aussi chanceuses : le corps menu de Dielline était criblé de traits et son regard, désormais vide, contemplait le plafond. Carline gémissait, agenouillée à côté du cadavre encore chaud de notre petite magicienne. Elle se tenait l’épaule, dans laquelle était fichée une fléchette.

Atterré, j’ai fixé une dernière fois la douce Dielline. Nous n’allions plus pouvoir continuer à deux, dont une blessée. Si le dragon arrivait maintenant, il aurait tout le loisir de nous dévorer. J’ai attrapé Carline pour l’aider à se relever. « Viens, filons de cet endroit maudit… » Elle gémissait en continu et ne paraissait pas être en état de pouvoir se soigner elle-même. La soutenant de mon mieux, j’ai entrepris de rebrousser chemin en direction de la sortie.

Et puis, les bruits ont commencé, mais pas assez distincts pour que je puisse déterminer quelles créatures les produisaient. Des gobelins ? Des kobolds ? Bon sang, ce pouvait être n’importe quoi ! La seule chose dont j’étais sûr, c’était qu’ils se rapprochaient. J’ai poussé un juron et j’ai bifurqué avec Carline dans un autre couloir. J’espérais ne pas croiser le dragon ou tomber dans un piège, ces derniers ayant certainement été installés par les créatures que j’entendais au loin. C’est là que nous avons débouché sur une vaste salle à colonnades, où je nous avais cachés pour reprendre notre souffle.

Au fur et à mesure de notre progression entre les colonnes, Carline avançait avec de plus en plus de difficulté. J’ai tenté de l’encourager en chuchotant, mais elle ne réagissait presque plus, posant juste un pied après l’autre de manière mécanique et de plus en plus erratique. Occupé à la soutenir, je me suis empêtré les jambes dans un filin qui courait près du sol.

Une détonation retentit pendant que je trébuchais, entrainé par la masse inerte de Carline.

J’ai eu le temps de voir une colonne tomber dans ma direction, mais pas de l’éviter. La douleur était si intense que j’ai pensé mourir sur le coup. Bloqué sous le pilier, je ne sentais plus mes jambes. Lorsque j’ai rouvert les yeux, mon regard a croisé ceux de Carline et son crâne fracassé par une pierre au sol, dans la chute. Les éclats de sa mandoline en miettes étaient éparpillés tout autour de nous, comme une décoration mortuaire.

Je ne pouvais ni bouger, ni proférer le moindre son, et des pas s’approchaient de moi. La lumière tremblotante d’une torche m’éblouit. « Ils sont là ! » cria la voix de celui qui portait la torche. Je sentais ma conscience s’effilocher peu à peu. Quelqu’un enjamba la colonne pour se retrouver du côté de Carline, vers laquelle ma tête était tournée. Il la poussa négligemment du pied, avant de toussoter d’un air dégouté. Puis, il se pencha vers moi.

C’était le bourgmestre. « Ah ben il n’est pas encore mort, lui, constata-t-il. Viens l’achever et puis après on s’occupera de réinstaller tout ça pour les prochains qui se sentiront assez téméraires pour affronter le soi-disant dragon du fort. Je pense qu’on tirera un bon prix de leur équipement ! »

Des chaudrons et des fées

Spoiler alert : Dans cette historiette, il y a des informations concernant certains personnages d’Arkhaiologia. Si vous êtes sensibles au spoil, vous n’aurez peut-être pas envie de lire ce qui suit avant d’avoir lu au moins le premier tome !

 

« Mais non Morrigan, ne rajoute donc pas tant de gui, tu vas chambouler les proportions et il faudra tout recommencer.
— Je sais ce que je fais, Badb.
— Ah, le contenu du chaudron va exploser, on dirait. » commenta platement Macha, la troisième sœur.

Ainsi qu’elle l’avait prédit, la potion se mit à siffler de manière menaçante en bouillonnant comme du lait abandonné sur le feu. Les bouillons se muèrent soudain en un geyser brûlant, éclaboussant les alentours. Les trois reines-fées reculèrent prestement, mais pas assez vite pour éviter les éclats du liquide.

Morrigan secoua les bras qu’elle avait portés devant son visage pour le protéger, afin d’en égoutter la potion ratée et rehaussa son diadème rouge sur ses cheveux roux et frisés. Altière, elle se redressa ensuite de toute sa taille élancée, se drapant dans sa dignité. Un peu plus petite qu’une humaine, elle irradiait la puissance et la volonté. Tous ceux qui la côtoyaient s’accordaient sur le fait qu’il valait mieux ne pas la contrarier, mis à part ses deux sœurs qui n’avaient cure de son caractère.

« Maintenant que tu as fondé ton royaume en Bretagne, tu es devenue bien imprudente, reprocha Badb à Morrigan, tout en essuyant les gouttes sur sa tunique qui épousait ses formes rondes et en rajustant son diadème bleu sur sa chevelure noire.
— Tu disais déjà ça avant que je fonde mon royaume breton, rappela Morrigan.
— Eh bien, disons que ça n’a pas amélioré ton caractère. »

Pendant que ses deux sœurs se disputaient, Macha s’était approchée du chaudron pour éteindre le feu en dessous. Toute petite et menue, elle paraissait rêvasser en permanence. Son diadème argenté pendait de travers sur ses fins cheveux blonds, mais elle n’y prêtait pas attention. Une fois assurée que le contenu du chaudron ne chauffait plus, elle en inspecta l’intérieur. Il ne restait plus qu’une pâte visqueuse et brunâtre qui maculait le fond et les bords du récipient gravé d’entrelacs.

La reine-fée blonde passa un doigt sur les résidus gluants, ignorant qu’ils étaient encore brûlants, pour les étudier de plus près. Elle grimaça en flairant la substance brunâtre et lâcha sur le ton de la conversation : « Mmmh, ce n’est vraiment pas au point.
— C’est le moins que l’on puisse dire ! appuya Badb.
— Un peu de patience, réclama Morrigan. C’est l’expérience qui rentre.
— De la patience ? s’esclaffa la reine Badb. Te montres-tu aussi patiente avec tes sujets que ce que tu nous demandes d’être avec toi ?
— Que veux-tu dire par là ?
— Ne croit pas que parce que tu es de l’autre côté de la mer, je ne sache rien de ce qui se passe dans ton royaume. Notamment, j’ai entendu dire que certains de tes… korrigans te menaient la vie dure. Il paraîtrait qu’ils causent beaucoup de soucis dans et hors de tes terres.
— Je l’ai entendu dire aussi, intervint Macha en essuyant machinalement ses mains sales sur l’étole sombre de Badb qui glapit. Il paraît que ce sont des bardes qui usent de l’awen à tort et à travers.
— Ils finiront par faire preuve de sagesse, grimaça Morrigan avec irritation.
— C’est ce que tu dis, rétorqua Badb en fusillant du regard Macha qui l’ignora. Il leur faut du temps et il te faut de la patience, car c’est l’expérience qui rentre comme tu dis. Alors, pourquoi passent-ils une partie de leurs nuits dans tes geôles ? »

Morrigan pinça les lèvres. Ses sœurs et elle étaient en contact permanent grâce à leurs corneilles, peu importe la distance : chacune pouvait voir par les yeux de ces oiseaux. Elle estimait que Badb devait un peu trop surveiller ce qu’elle faisait. Cela dit, les trois petits troubadours korrigans n’en faisaient effectivement qu’à leur tête, préférant utiliser leurs pouvoirs bardiques pour amuser la galerie ou s’attirer des ennuis au lieu d’en user à de nobles fins.

Ou, du moins, des fins qui l’arrangeaient elle. Ils n’hésitaient pas non plus à s’en servir au vu et au su d’humains, ce qui avait mis plusieurs fois le royaume féérique de Morrigan en péril. Heureusement, la magie de la reine était puissante et elle avait réussi à maintenir ses terres cachées aux yeux des mortels revanchards.

Plus grave encore, à ses yeux, son propre fils s’était pris d’adoration pour eux. Également barde de grand potentiel, elle craignait qu’il ne se retrouve mal influencé par ces piètres exemples. Son compagnon, le père du prince, lui enjoignait à chaque fois d’accorder sa confiance à leur progéniture lorsqu’elle abordait le sujet, mais Morrigan ne parvenait pas à s’y faire. Son cœur se serrait à chaque fois qu’elle voyait son fils couver les trois fauteurs de troubles d’un regard admiratif.

« Je pense que ce chaudron n’est pas assez robuste pour contenir une préparation magique telle que celle que tu envisages, Morrigan, déclara pensivement Macha.
— Je suis d’accord, confirma Badb avec véhémence. Il en faudrait un meilleur.
— Je n’en ai pas de mieux, déplora Morrigan. Et vous ? »

Ses deux sœurs hochèrent négativement la tête. « Il faudrait au moins le chaudron de Lug pour contenir autant de magie, estima Macha. Mais encore faudrait-il le trouver : il a été caché dans l’Anwynn, l’Autre-Monde, et il se dit que les protections qui l’entourent sont impénétrables. C’est que ce n’est pas rien de vouloir dresser une barrière autour de toute la Bretagne pour en préserver la magie !
— Ne vous plaignez pas, rétorqua Morrigan. Si je parviens à mes fins, vous pourrez vous aussi entourer l’Irlande et le Pays de Galles de protections similaires.
— Je pense surtout que tu t’inquiètes trop, soupira Badb. Nous n’avons pas réussi à trouver l’origine du voile noir ; rien n’indique que quelqu’un d’autre y parvienne. Il ne sera plus réactivé et nos royaumes ne seront plus isolés dans leurs enclaves.
— Je ne sais pas, déclara Morrigan en secouant la tête. On ne sait jamais… Et puis, les dieux doivent savoir où se trouve ce qui peut invoquer le voile noir. S’ils le savent, l’information va certainement se répandre.
— Allons, pourquoi les dieux dévoileraient une chose pareille ? s’enquit Macha. Cela ne ressemblerait pas à Belisama de parler à tort et à travers. D’après ce que je sais, lorsque le voile destructeur de magie s’est déployé, même eux n’ont rien pu faire et ont été balayés de la surface du globe.
— Oui, mais ils avaient l’air impressionnés du chemin pris par les humains pendant l’absence de magie, rappela Morrigan. Ils essaient de les remettre sur une voie similaire. En mieux. Peut-être que la destruction de la magie du monde fait partie de leurs plans.
— Tu dramatises, Morrigan, lui reprocha Badb en levant les yeux au ciel. Ceux que nous appelons des dieux sont des êtres sages ; ils ne favoriseront pas les humains au détriment des fées.
— C’est aussi mon avis, acquiesça Macha qui s’était allongée en étoile par terre. Cela ne leur ressemblerait pas. Je te trouve bien négative.
— Cela ne ressemblerait peut-être pas aux dieux, concéda Morrigan. Il n’empêche que d’autres gens, moins bien intentionnés, peuvent provoquer une nouvelle disparition de la magie. On est jamais trop prudents, je vous le répète !
— Puisque tu le dis, capitula Badb. Dans tous les cas, si tu veux mener ton projet à bien, il te faut le chaudron de Lug. »

Bien. Ses sœurs avaient raison : il lui fallait ce chaudron mystique si elle voulait conserver la magie en Bretagne. Sa décision était prise. Elle allait, de surcroît, veiller personnellement à ce que les trois bardes korrigans prennent du plomb dans la tête. Ils feraient parfaitement l’affaire dans la quête du chaudron de Lug. Elle sourit : elle allait faire d’une pierre deux coups. Trois si elle comptait que cela allait les éloigner de son fils. Morrigan espérait qu’ils ne la décevraient pas.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (6/8)

« Une déesse dragonne de cuivre, précisa Vorastrix.
– Elle est la déesse de quoi ? s’informa la jumelle.
– Des blagues ! répondit joyeusement l’homme à la robe d’argent.
– Plus précisément de l’humour, des contes et de l’inspiration, ajouta la ménestrelle.
– C’est ta déesse alors vu que tu es Barde ? demanda Kyr.
– Non, réfuta la Centaure. Mon dieu est Skerrit, le dieu des Centaures. Et vous, quelle est votre divinité tutélaire ?
– On en a pas vraiment, répondit Kilynn. Nos parents vénéraient Pélor, comme la plupart des gens.
– Ha, c’est toujours pratique d’avoir une divinité tutélaire, dit Drakëwynn. Par exemple, si la voix qui te parle dans ta tête s’avère être un dieu ou une déesse draconique, je pense qu’il faudra que tu t’intéresses un minimum à son culte.
– Ca dépend quel dieu draconique hein, intervint Vorastrix.
– Ah bon ? Pourquoi ça ? s’enquit la fille.
– Bah, ce qu’il veut dire, expliqua la Centaure, c’est qu’il y a des dieux draconiques pas très fréquentables.
– C’est le moins qu’on puisse dire… » ronchonna l’homme, avant de reprendre d’un ton plus joyeux : « Mais ça occupe et ça rapporte plus que les démons ou les morts-vivants !
– Ca c’est bien vrai ! approuva la ménestrelle avec véhémence. Tu te rappelles tout ce qu’on a récupéré grâce à Laruk ?
– Oui, ce brave vieux Laruk, c’était un de nos meilleurs ennemis, en convint Vorastrix. Par contre, il n’était pas très malin, lancer un sort utilisable une fois tous les 500 ans pour espionner nos techniques, c’était vraiment du gâchis.
– Surtout pour ce que ça lui a servi… » ajouta Drakëwynn.

Se remémorant de bons souvenirs tout en continuant de marcher, les deux amis se mirent à s’esclaffer. Kyr se promit de demander plus de détails sur cette histoire à la Centaure, une fois son compagnon reparti. Ce qui l’embêtait avec lui, ce n’était pas seulement le fait que l’homme l’ignorait totalement au détriment de sa sœur, c’était surtout qu’il le trouvait inquiétant. Pourtant, objectivement parlant, quelqu’un à qui Kilynn ose parler en le connaissant à peine, qui rit sans arrêt et propose des oranges n’a rien de très effrayant. Mais cet individu-là était en plus doté d’ailes d’anges, d’écailles, de griffes, de crocs et d’un charisme démesuré qui le rendait angoissant aux yeux du garçon. « Au fait, reprit soudainement Vorastrix à l’attention de la ménestrelle. Tu crois qu’on peut survivre trois jours en dormant sans boire ni manger ?
– C’est bien possible, répondit-elle. Mais dans ce cas là on doit se sentir un peu faiblard au réveil. Pourquoi tu me demandes ça ?
– Oh, pour rien…
– C’est Onbu qui a encore fait des siennes, c’est ça ? s’enquit Drakëwynn.
– Hihi ! pouffa son ami en guise de réponse. Quoiqu’il en soit, j’ai encore plein de choses à faire pendant ces trois jours ! A plus tard ! »

Sans attendre de réponse, il déploya ses grandes ailes neigeuses et il s’envola. Une fois en l’air, il héla ses dragons et ils disparurent tous les trois après un marmonnement de Vorastrix, suivi d’un claquement de doigts. Emlyg, n’ayant plus son compagnon de jeu, retourna se poser sur le dos de la Centaure et s’employa à taquiner l’aigle perché sur l’épaule de celle-ci. « Qu’est ce qu’il voulait dire ? demanda Kyr à la ménestrelle.
– Aucune idée, répondit celle-ci. Il a du faire une bonne blague à quelqu’un à mon avis. C’est pas toujours facile de suivre son cheminement de pensées.
– Ca, on avait remarqué, grommela le garçon.
– Je trouve que tu y arrives plutôt bien, à le suivre, déclara Kilynn.
– Oh, c’est parce que ça commence à faire un bout de temps que je le pratique ! expliqua Drakëwynn.
– Même s’il a l’air d’un crétin, il a de grands pouvoirs non ? s’enquit Kyr. Il me fait peur.
– Peur ? s’esclaffa la Centaure. Tant que tu n’es pas son ennemi, tu n’as rien à craindre de lui, va. Il est effectivement très puissant, maîtrisant même plusieurs sortes de magies. Et, ne te fie pas à son air idiot qu’il affectionne. Il est loin d’être bête, il pense juste de manière… différente.
– C’était lui ton ami ensorceleur passionné par les oranges dont tu nous avait parlé hier soir ? s’informa Kilynn comme pour vérifier quelque chose.
– Oui oui, c’était lui, le seul, l’unique ensorceleur aux oranges ! confirma la ménestrelle.
– Je m’en souviens, ajouta le frère. Tu nous avais dit qu’il devait être quelque part à embêter des gens et à distribuer des oranges. Faut croire que tu avais raison sur les deux points…
– Allons, ne laisse pas ses facéties te vexer, Kyr, lui conseilla la Centaure. Il adore par dessus tout taquiner les gens susceptibles.
– Drakëwynn, tu nous racontes ces histoires avec Laruk ? demanda la sœur.
– Laruk ? mmmh, il y a pas mal de choses à raconter à son sujet… A mon avis, vous deux le connaissez au moins de réputation.
– Ah bon ? s’étonnèrent les enfants.
– Oui, appuya la ménestrelle. C’est celui qui a assassiné l’ancien Roi de la Cité d’Hogg.
– L’Assassin Rouge ? voulu savoir Kyr.
– Lui-même, confirma Drakëwynn. C’est vrai qu’il était bien plus connu sous le nom d’Assassin Rouge.
– Mais… l’Assassin Rouge a été défait par la Compagnie de la Licorne… » dit le garçon de manière hésitante car il ne savait pas vraiment lui-même ce qu’il voulait entendre par là. « Je veux dire, il était votre ennemi à ton groupe et toi, mais ne me dis pas que…
– Que ? s’enquit la ménestrelle avec curiosité.
– Une Centaure Barde, murmura Kilynn. Un ensorceleur qui donne des oranges, un dragon d’or, des Mages Rouges pour ennemis, l’Assassin Rouge… Je crois qu’il n’y a plus de doute à avoir : finalement, c’est bien toi Ekwo de la Compagnie de la Licorne ?… »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (5/8)

Vorastrix le regarda, l’air étonné, comme si il n’avait effectivement pas encore remarqué le jeune garçon. Il s’effaça prestement devant lui et lui déclara d’un ton d’excuse : « Oups ! Je suis au milieu de la route c’est vrai, vous pouvez passer à présent messire, bon voyage à vous ! Alors, tu disais ? enchaîna-t-il directement à l’attention de Drakëwynn.
– Mais je suis avec elles ! Je suis le frère de Kilynn ! s’énerva le garçon.
– Désolé p’tit, j’ai rien besoin d’acheter, s’excusa l’homme ailé sur un nouveau ton. Décidément cette route est bien fréquentée ! On ne peut même plus discuter tranquillement ! »

Il s’écarta de nouveau mécaniquement, comme pour laisser une fois de plus le passage à Kyr. Ce dernier décida d’abandonner, se disant que s’époumoner ne servirait à rien. Il se demandait même si Vorastrix n’était pas en train de se moquer ouvertement de lui. Mais il n’eût pas le temps de penser plus avant : la ménestrelle continua sa conversation avec son ami, tout en reprenant la route. Les jumeaux remontèrent sur Nuit-Noire pour les suivre. Ce faisant, le garçon se prit à espérer que l’étrange individu ne les accompagnerait pas tout le voyage. Il trouvait que Drakëwynn suffisait amplement côté bizarrerie. Le dragon d’or, quant à lui, s’envola pesamment pour contempler le monde de haut. « Kyr, elle me parle encore, chuchota Kilynn à son frère.
– Qui ça ? ta voix ? » s’enquit le garçon.

Sa sœur hocha affirmativement la tête. « Oh ! s’exclama la Centaure qui les avait visiblement entendus. Ta voix essaie encore de communiquer avec toi ?
– Pourquoi, pas à toi ? s’étonna Vorastrix à l’adresse de Drakëwynn.
– Bien, on va régler ce problème tout de suite tant qu’on y est, déclara la ménestrelle en ignorant la répartie de son ami.
– Bah, déjà comme problème, il y a qu’elle parle toute seule, ronchonna l’homme tout en sortant une orange de son vieux sac.
– Elle me parlait à moi, pointa Kyr qui se vit superbement ignorer par Vorastrix qui s’employait à éplucher une nouvelle orange.
– Kilynn, commença la Centaure, je vais parler dans différentes langues, et tu vas me dire laquelle ressemble le plus à celle de la voix qui te parle dans ta tête. »

La fille hocha la tête. Tandis que Drakëwynn commençait à dire des phrases dans différentes langues, Kyr observait Vorastrix en boudant. Celui-ci, une fois son orange terminée, en sortit machinalement une autre et, marmonnant ce qui semblait être une incantation, fit jaillir une ligne de glace de son doigt pour givrer son orange. L’air satisfait du résultat, il commença à la manger. Le garçon, bien qu’impressionné par le rayon de givre, continuait de se demander quand l’ami de la Centaure allait repartir. « Ca ressemble à ça ! s’exclama soudain sa sœur.
– Du draconien ? s’étonna la ménestrelle.
– Je sais pas ce que c’est, mais je suis presque sûre que c’est cette langue-là que j’entends, assura Kilynn.
– Qui pourrait bien te parler en draconien par télépathie ? s’interrogea tout haut la Centaure.
– Peut-être Emlyg ? suggéra Vorastrix.
– Pas possible, répondit Drakëwynn. Elle l’entend depuis qu’elle est toute petite, ça ne peut pas être Emlyg.
– Lui aussi parle dans la tête des gens ? s’enquit Kyr.
– Oui, confirma la ménestrelle. Mais il n’est pas assez vieux et n’a pas une assez grande portée télépathique pour que ce soit lui. Non, l’hypothèse la plus probable que je vois, c’est qu’un dieu draconique ou un grand dracosire s’amuse à parler à Kilynn pour une raison ou pour une autre.
– Un dieu draconique ? s’étonna la sœur.
– Un grand dracosire ? C’est sûr que ce sont des hypothèses qui coulent de source, ironisa le frère.
– Mais oui ! s’exclama Vorastrix en se frappant le front du plat de la main. Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ? C’est peut-être un dieu draconique qui t’a choisie ! Ce sont des choses qui arrivent.
– Choisie moi ? balbutia Kilynn. Mais pourquoi ?
– Pour ça, il faut que tu apprennes la langue, expliqua la Centaure. Ou alors tu lui demandes de te parler en langue commune. Sont pénibles ces dieux à croire que leur langue de prédilection a le monopole. Dans tous les cas, je comprends maintenant pourquoi mon ami… Vorastrix te regardait bizarrement.
– Bizarrement, moi ? s’offusqua l’homme chauve. Y a rien de bizarre dans ma façon de regarder les gens. Tu veux une orange petite ? »

Kilynn accepta l’orange en question, tandis que son frère se sentait, une fois de plus, laissé pour compte. Voyant que la petite fille prenait le fruit, l’homme fit un bond en arrière, l’air étonné de voir qu’elle avait accepté l’orange. « J’ai une idée, déclara-t-il. C’est peut-être Agrum !
– Agrum ? Et plus sérieusement ? s’enquit la ménestrelle.
– Quoi ? Tu trouves qu’Agrum n’est pas sérieux ? se vexa Vorastrix.
– J’ai pas dit ça, soupira la Centaure. C’est juste qu’il y a peu de chances que ce soit lui.
– C’est vrai, en convint l’homme ailé.
– Qui est Agrum ? demanda Kilynn.
– Quelle inculte ! s’exclama-t-il outré. Ils vous apprennent quoi vos parents ?
– Ils sont morts, l’informa la fille.
– Ah, donc pas grand chose, en déduisit platement Vorastrix. Agrum est le fils de Hlal et…
– Et je vous expliquerai ça plus tard, le coupa la Centaure.
– Qui est… Hlal ? s’enquit Kilynn.
– Une déesse draconique. » Répondit très vite Drakëwynn, avant que son ami ne réponde quelque chose comme « la mère d’Agrum évidemment ! »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (4/8)

Kyr et Kilynn étaient totalement ignorés au détriment d’une retrouvaille entre deux vieux amis qui avaient l’air aussi étrange l’un que l’autre. Le garçon décida, par conséquent, d’intervenir : « Drakëwynn, tu le connais ?
– Oh que oui ! répondit joyeusement celle-ci.
– Drakëwynn ? C’est toi ça ? s’étonna l’homme chauve.
– Il semblerait, confirma la Centaure.
– Hihi ! C’est rigolo ! pouffa-t-il allègrement. Moi… Qu’est ce que c’est que ça ? s’exclama-t-il soudain en désignant les deux enfants.
– Ce sont des jumeaux que j’ai récupéré, lui expliqua la ménestrelle.
– Non, mais ça ! » se plaignit-il en pointant un doigt accusateur en direction de Kilynn.

Il trépignait tant que les enfants prirent peur et glissèrent prestement du cheval pour se réfugier vers Drakëwynn. « Ben quoi, tu vois bien que ce sont des gosses, lui dit-elle.
– Oui, mais elle là, c’est quoi ? » persista-t-il.

Il reprit son calme tout aussi soudainement qu’il l’avait perdu et scruta le ciel d’un air pensif. La Centaure ne semblait pas avoir saisi la véritable teneur du questionnement de son ami et se montra perplexe. L’homme, lui, se mit à observer Kilynn d’un regard inquisiteur. Se frottant pensivement le menton, il lui tourna autour tout en gardant ses yeux braqués sur elle, suspicieux. Le dragon d’or s’approcha à son tour pour assister à la scène de plus près. « Tu sais ce qu’il lui prend, toi ? » lui demanda la ménestrelle. Le dragon hocha négativement de la tête, toujours impassible, voire même blasé. Voyant que l’homme continuait de tourner autour de Kilynn, son frère décida de s’interposer : « Vous la mettez mal à l’aise, arrêtez de la fixer comme ça ! » Comme s’il ne l’avait pas entendu, l’étrange individu continuait à marmonner dans sa barbe – qu’il n’avait pas – et finit par lancer à Drakëwynn, en guise d’explication… un haussement d’épaule. Puis, sautant du coq à l’âne, il lui demanda avec entrain : « Et toi alors, comment ça va depuis la semaine dernière ?
– Bah, je t’ai écrit un mot que Roval t’a apporté, répondit-elle.
– Oh, je l’ai pas lu, Onbu l’a déchiré en voulant me protéger de ton aigle. »

Kyr se demandait qui pouvait être Onbu. En toute logique, puisque le dragon d’or était la seule autre créature en leur compagnie, il devait s’agir de lui. Mais pourquoi un dragon redouterait-il l’attaque d’un aigle messager ? « Tant pis, soupira la Centaure. Je te disais donc…
– Attend ! lui intima son ami à la grande robe d’argent. Réglons d’abord ton problème de pénurie ! »

Il prit un vieux sac à l’air fatigué, l’ouvrit, et bombarda la ménestrelle d’oranges les unes à la suite des autres sans se soucier le moins du monde du lieu d’atterrissage desdites oranges. Mais Drakëwynn avait déjà ouvert son propre sac et réceptionnait adroitement les précieux fruits qui avaient l’air de ne tenir aucune place dans quelque sac que ce fut. Les enfants assistaient, incrédules, à la scène saugrenue qui se déroulait devant eux. Une fois l’échange effectué, l’homme que Kyr trouvait encore plus étrange que la Centaure, reprit : « Donc, tu disais ?
– Je parlais principalement des délicieux champignons que je cueillais sur le bord de ma route. J’en ai plein, t’en veux ?
– Oh oui ! J’en ferai des oranges aux champignons ! » s’enthousiasma l’étrange individu ailé.

Ce fut donc au tour de Drakëwynn de bombarder son ami d’une volée de champignons. Kyr ne savait pas du tout quoi penser de ces deux personnages qui avaient tour à tour l’air puissants et idiots. Des oranges aux champignons, ce devait être infect. En quête d’éventuelles explications sur ces réactions bizarres, il tourna son regard en direction du dragon d’or. Ce dernier, se sentant observé, détourna la tête avec dédain et, l’air de rien, souffla nonchalamment un énorme cône de feu sur la route, faisant sursauter les jumeaux qui roulèrent de grands yeux effrayés. Le garçon vit alors, esquivant les flammes tandis que la ménestrelle applaudissait la performance, une boule s’envoler dans les airs et une voix tonitrua soudain dans sa tête : « Non mais ça va pas ?! Qu’est ce que c’est que ces gamins qui veulent faire leurs intéressants en crachant du feu n’importe où sans faire attention à leur mentor ?! »

Kyr, surpris, remarqua que sa sœur aussi l’avait entendue. « Oh, tiens, bonjour Onbu ! lança la Centaure à la petite boule volante qui s’avéra être un dragon miniature à peine plus gros qu’Emlyg. Tu m’as l’air bien grognon aujourd’hui.
– Hmpf ! » souffla le petit dragon qui s’était posé sur l’épaule de l’ami de Drakëwynn. Puis, le garçon l’entendit de nouveau parler dans sa tête, bien que cela semblait s’adresser à tout le monde : « Ils n’ont pas voulu me choisir pour mentor-protecteur, se plaignait-il télépathiquement. Ils ne savent pas reconnaître la véritable puissance lorsqu’ils la voient. Ils mériteraient que je les mange en civet ces stupides lièvres ! »

Kyr comprit enfin qui était véritablement Onbu et, après ces propos, ne s’étonna plus de savoir qu’il avait attaqué l’aigle de la ménestrelle. En effet, cet animal lui paraissait aussi intellectuellement atteint que son maître. C’est ce moment que choisit le dragon-papillon de la Centaure pour sortir de son sac. Voyant Onbu, il poussa un roucoulement joyeux et s’élança sur lui pour jouer. Celui-ci poussa des grognements offusqués, mais suivit tout de même Emlyg qui s’était envolé. « Je croyais qu’Emlyg était le seul de sa race, s’étonna Kilynn.
– Il l’est, lui assura Drakëwynn. Onbu et Emlyg ne sont pas exactement les mêmes créatures. Tu regarderas de plus près si tu en as l’occasion et tu verras qu’Onbu a de vraies ailes de dragon alors qu’Emlyg dispose d’ailes de papillon. De plus, il a une petite corne sur le nez que n’a pas Onbu et ainsi de suite. Ils ont pas mal de différences.
– Je vois. » commenta sérieusement la petite fille avant de se tourner vers l’homme chauve qui mangeait de nouveau une orange. Elle parut prendre son courage à deux mains pour lui demander : « Qui êtes-vous au fait ?
– Moi ? s’étonna l’ami de la Centaure en se désignant lui-même du doigt. Je suis Vorastrix !
– Vo… commença Drakëwynn avant d’éclater de rire. T’es vraiment incorrigible ! »

Vorastrix pouffait de rire, visiblement très fier de sa plaisanterie que Kyr et Kilynn, ne sachant pas parler le draconien, ne pouvaient, par conséquent, pas comprendre. Le garçon s’interrogeait sur le sens caché de tout cela. « Vous allez où comme ça toutes les deux au fait ? s’enquit l’homme auprès de la ménestrelle.
– Hey ! s’offusqua Kyr avant qu’elle ne puisse répondre. Moi aussi je suis là ! »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (3/8)

Puis, scandant la formule du parchemin plus que faisant une incantation professionnelle et ce, tout en exécutant de grands gestes, la Centaure fit apparaître, dans l’espace laissé par les villageois, une immense table chargée de victuailles en tout genre. Il y avait de la place pour tout le monde et un divin fumet se dégageait des plats. La ménestrelle fit signe aux habitants du village de prendre place. « Installez-vous et ne vous privez pas ! Buvez bien également, le tout a des propriétés curatives qui vous guériront et vous donneront une forme du tonnerre ! » Les bien-portants aidèrent les malades à s’asseoir et prirent place à leur tour. Drakëwynn poussa Kyr et Kilynn à jouir également du repas et, comme il restait une place, elle en profita elle aussi. Les enfants ne purent dire combien de temps dura le festin, mais, comme la Centaure l’avait prédit, les malades guérirent en mangeant et tous se sentaient remarquablement bien. Lorsque les reliefs du repas disparurent en même temps que le sort arrivait à son terme, les villageois vinrent remercier la ménestrelle tour à tour. Ce fut une vague de « Grand merci Dame Ekwo ! » « Nous vous en serons éternellement reconnaissants Maîtresse Ekwo ! » et autres variations sur le même registre. Drakëwynn abrégea les remerciements en invoquant le prétexte qu’elle avait encore bien de la route à parcourir avant le soir et c’est ainsi que les jumeaux et elle quittèrent le village, sous les vivats de ses habitants.

« Et bien, soupira la Centaure une fois qu’ils ne virent plus le hameau, après ce contretemps, il faut croire qu’on arrivera pas en ville aujourd’hui finalement.
– Dis Drakëwynn, appela Kyr qui commençait à bien savoir diriger le cheval.
– Oui ?
– Pourquoi les villageois t’appelaient tous Ekwo ?
– Tu sais qui est Ekwo, n’est ce pas ? s’enquit la Centaure.
– Oui bien sûr, répondit le garçon. C’est la ménestrelle de la Compagnie de la Licorne.
– Et, sais-tu de quelle race elle est ? demanda Drakëwynn.
– C’est une Centaure… Oooh, j’ai compris ! s’exclama-t-il. Comme tu es une Centaure et qu’en plus tu es Barde, ils t’ont prise pour la célèbre Ekwo, c’est ça ? »

Drakëwynn éclata de rire. « Quelque chose dans ce goût là, oui ! répondit-elle en riant toujours.
– Qu’est ce que j’ai dit de drôle ? » maugréa Kyr en se tournant pour s’adresser à sa sœur.

Celle-ci paraissait choquée, mais ne dit pas un mot, malgré les nombreuses questions que lui posa son frère pour s’enquérir de son problème. Il finit par abandonner et continua la route en grommelant. Puisqu’ils savaient qu’ils n’arriveraient pas en ville ce jour là, ils ne se pressèrent pas et voyageaient au pas. Plus exactement, Nuit-Noire voyageait au pas. La Centaure, elle, quittait souvent la route pour cueillir des champignons, des fleurs, ramasser des cailloux dont elle trouvait les formes amusantes, faire des moulinets avec ses différentes armes et autres activités qui lui faisaient passer le temps, car elle trouvait que le gros cheval des jumeaux n’avançait pas très vite. « Dis-moi Kilynn, que peux-tu me dire sur la langue que parle la voix dans ta tête ? s’enquit soudainement la ménestrelle.
– Euh… balbutia la fille. C’est difficile à dire. Elle parle d’une manière un peu sifflante…
– Mmmh, ça peut s’appliquer à plusieurs langues ça, déclara la Centaure. Ca ne m’aide pas beaucoup…
– Drakëwynn ! la coupa Kyr. Regarde là-bas, sur le bord de la route ! »

Elle tourna la tête dans la direction que lui indiquait le garçon et Kilynn, qui était derrière son frère, jeta un regard par dessus l’épaule de celui-ci. Au loin, sur le bas côté se trouvait un dragon d’or assis, qui devait faire environ la taille de la Centaure. En face de lui, de l’autre côté de la route, un homme se prélassait, mangeant un fruit. Une orange pour ce que Kyr pouvait en discerner. En plus d’être doté de grandes ailes aux plumes blanches, il était vêtu d’une longue robe argentée, aussi éclatante que son crâne rasé brillant au soleil et portait une cape semblable à celle de Drakëwynn. Une énorme épée à deux mains était attachée sur son dos et un grand cimeterre pendait à sa ceinture. Il avait l’air en grande conversation avec le dragon, un aigle perché sur son épaule. Les voyageurs continuèrent d’avancer et l’homme finit par faire mine de les remarquer. Il se leva alors avec un magnifique effet de cape, en déployant ses grandes ailes neigeuses de toute leur envergure, et se tourna vers eux. Sa prestance était impressionnante et son charisme époustouflant. Il avait tout l’air d’être l’un des lanceurs de sorts les plus puissants de tout le continent de Sylvanie. Selon Kyr, le fait qu’il discute avec un dragon d’or, même petit, en était la preuve irréfutable. Peut-être était-il même un Ange envoyé des dieux.

« Roval ! » s’exclama joyeusement la Centaure. En réponse à ce nom, l’aigle s’envola de l’épaule de l’homme aux ailes blanches pour aller se poser sur celle de Drakëwynn. « Je t’ai ramené ton oiseau. » Déclara le mystérieux individu. Le jumeau remarqua alors que cet homme là, comme la ménestrelle, était doté de griffes, de crocs et de quelques écailles cuivrées lui parsemant le visage. Lui aussi devait être un de ces fameux Disciple des Dragons de Cuivre dont Drakëwynn avait parlé la veille. « Tu tombes bien, lui dit familièrement la Centaure comme si elle le connaissait depuis longtemps. J’étais justement en panne d’oranges !
– J’ai bien fait de venir te ramener ton aigle en mains propres alors ! » se réjouit l’homme.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (2/8)

Drakëwynn poussa une chaise qui se trouvait devant la table pour coucher son corps chevalin à la place. Kilynn s’assit sur une chaise à côté, son frère à côté d’elle. Emlyg, curieux, était sorti du sac et s’était installé sur les larges épaules de sa maîtresse. Le vieil homme, après avoir demandé à sa femme d’aller chercher de quoi boire pour leurs hôtes, s’assit à son tour, en face de la Centaure qui attendait patiemment qu’il lui explique ce dont il retournait. « Je me nomme Byrn, se présenta-t-il. Je suis pour ainsi dire le bourgmestre de ce hameau. Je sais que vous avez certainement des affaires plus importantes à gérer, mais le village tout entier se meurt. Il nous faut des bras pour s’occuper des champs et des bêtes, mais il n’y en a presque plus de disponible… Nous avons grand besoin de votre aide : pourriez-vous soigner les habitants malades ? Nous vous donnerons tout ce que vous voudrez en échange, notre survie dépend de vous, aidez nous, je vous en prie ! »

La Centaure écoutait les explications, impassible et sans mot dire. « Tu peux faire ça ? lui souffla Kilynn.
– Je ne suis pas médecin, ni prêtresse, répondit tout haut Drakëwynn.
– Je… Je suis sûr que vous pouvez faire quelque chose ! se récria le vieil homme. Je vous reconnais ! Je vous ai vue à Hogg, vous êtes E…
– Néanmoins, le coupa-t-elle, je peux ausculter quelques personne pour voir si je peux faire quelque chose pour eux. Mais ne vous faites pas d’illusions. Si vous me connaissez, vous savez que c’est mon amie la guérisseuse, pas moi. Je suis seulement Barde.
– Je vous remercie Ma Dame, je suis certain que vous avez le pouvoir de nous sauver.
– Par qui dois-je commencer ? s’enquit-elle en dépliant ses jambes afin de se lever.
– Mon fils et ses enfants si possible, ils sont juste là. » répondit Byrn en désignant une alcôve dans un des coins de la pièce.

Son dragon-papillon toujours sur l’épaule, Drakëwynn écarta le tissu qui faisait office de rideau de séparation et s’approcha des deux lits qui se trouvaient derrière. Kyr et Kilynn s’approchèrent pour la regarder œuvrer. Dans l’un des lits reposaient un homme et un adolescent à peine plus âgé que les jumeaux qui voyageaient avec la ménestrelle. Dans l’autre se trouvaient trois petites filles, plus jeunes. Tous avaient l’air très mal en point. Ils respiraient difficilement. Le vieil homme et sa femme observaient les faits et gestes de la Centaure, plein d’espoir. Celle-ci ausculta les malades les uns à la suite des autres, tout en gardant son masque d’impassibilité. Kyr, pour sa part, ne se sentait pas très bien. Cela ressemblait exactement au mal qui avait terrassé ses parents. Il tourna son regard vers sa sœur. Elle était d’une pâleur mortelle. « Je suppose que je n’ai pas le choix, soupira soudainement la ménestrelle.
– Vous allez faire appel à votre amie la guérisseuse ? s’enquit Byrn.
– Pas possible, je ne peux pas la contacter, répondit-elle. Combien de malades y a-t-il dans ce hameau ?
– En tous nous sommes une trentaine, en comptant les enfants. Plus de la moitié d’entre nous sont malades, résuma le vieil homme.
– Mmmh, mettons que chaque enfant compte comme une demi part d’adulte et c’est parfait ! se réjouit Drakëwynn. Byrn, rameutez tout le monde, les malades comme ceux qui ne le sont pas encore. Qu’ils se rassemblent tous sur ce qui vous sert de place du village ! »

Sans demander d’explications plus détaillées, l’homme s’en fut réunir les habitants. « Que vas-tu faire ? demanda Kilynn à la Centaure.
– Les convier à un festin curatif ! répondit joyeusement la Femme-Jument en sortant un parchemin de son étui. Kyr et toi en ferez aussi partie. Allez, aidez moi à sortir ces cinq malades du lit ! »

Aidés de la vieille femme, ils firent sortir le père et ses quatre enfants dehors, sous le soleil automnal. Une fois tout le village réuni, la ménestrelle s’adressa à eux en ces termes : « Mesdames et messieurs, cher public, je vous salue ! Comme il se trouve que j’erre souvent sur les routes, vous me connaissez peut-être de vue et de réputation. » Des murmures révérencieux s’élevèrent de la part des habitants. « Les dieux ont mis votre village sur ma route et ce, probablement afin de m’enjoindre de vous libérer de ce fardeau, cette maladie qui vous tyrannise et vous afflige ! » Kyr trouvait déconcertant l’aisance avec laquelle Drakëwynn était passée du registre courant qu’elle employait avec eux, à l’emphase bardique dont elle faisait preuve à présent. La voix et les intonations de la Centaure avaient totalement changé. « D’ordinaire, continua-t-elle, la guérison n’est pas ma spécialité. Mais aujourd’hui, pour vous, je vais user d’un parchemin magique dont j’ai fait l’acquisition dans la prestigieuse ville semi-sous-marine de Nolthrian, qui se trouve à des milliers de lieues d’ici. »

Le garçon se demanda si tous les Bardes exagéraient autant qu’il lui semblait que Drakëwynn le faisait. Voyant que cela impressionnait tout de même les villageois, il ne fit aucun commentaire. Il se promit néanmoins de questionner son imposante compagne de voyage à propos de la part de vérité dans ce beau discours. Sa sœur, elle, paraissait totalement envoûtée par les paroles de la Centaure. « Faites place ! somma soudainement la ménestrelle d’une voix de stentor. Faites place et je vous promets que vous n’oublierez pas cette journée de si tôt ! » Tandis que les habitants s’écartaient pour créer un espace vide, Drakëwynn continuait de parler en s’avançant : « Aujourd’hui, en ce jour mémorable, vous serez tous mes invités d’honneur, car je vous convie au Grand Festin Magique des Héros ! »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (1/8)

« Debouuut ! » claironna gaiement Drakëwynn en poussant Kyr du bout de son énorme sabot. Le garçon grommela et sentit que sa sœur se levait à côté de lui. Il marmonna de nouveau et referma paresseusement ses paupières qu’il avait à peine entr’ouvertes. C’est alors qu’il se sentit attrapé par le col et qu’intervint un changement de gravité. Il s’agissait de la Centaure qui, sans ménagement, l’avait soulevé hors de la douce chaleur de la couverture. Il ouvrit de nouveau ses paupières avec effort et se retrouva en train de regarder la draconique ménestrelle droit dans les yeux. Il sursauta et pédala dans le vide, à présent totalement réveillé. « Pose-moi ! » s’exclama-t-il. Drakëwynn se mit à rire et le lâcha. Kyr se reçut adroitement sur ses deux jambes. « Joli. » apprécia la Centaure. « Allez, enlève donc cette stupide robe rouge et récupère tes affaires. Elles sont sèches maintenant. Et puis, je refuse de voyager avec des gens déguisés en Mages Rouges, même s’ils sont miniatures ! »

Elle était prête à partir et avait même déjà sellé Nuit-Noire à leur intention. Les jumeaux s’empressèrent de se préparer pour suivre leur compagne pleine d’entrain. Enfin, ils se retrouvèrent tous devant la tour, parés. Drakëwynn marmonna quelques paroles dans une langue inconnue des enfants et la tour redevint un petit cube métallique que la ménestrelle remit dans son sac. « Pourquoi tu ne laisses pas des choses dedans pour les retrouver quand tu sors la tour ? demanda Kilynn.
– Héhé, petite futée, dit la Centaure en posant le frère et la sœur sur le dos du cheval. J’y avais pensé figure-toi. Le problème, c’est que quand on laisse des choses dans la tour, elle ne peut plus se replier.
– C’est vraiment dommage, commenta Kyr d’un air déçu.
– Ne t’en fais pas, lança joyeusement Drakëwynn. J’ai bien d’autres tours dans mon sac !
– Comme quoi ?
– Tu verras bien quand je les sortirai. »

Ils reprirent leur route sur le chemin qui serpentait entre les prés et champs. La Barde avait commencé le trajet en chantant à tue-tête, mais Kyr, préférant passer son chemin un peu plus discrètement, lui demanda d’arrêter pour éviter d’attirer les ennuis. Cela avait bien fait rire Drakëwynn, à qui cela sembla particulièrement saugrenu, mais elle accéda à sa requête et cessa de chanter. A la place elle leur raconta comment ses compagnons et elle avaient réussi à s’enfuir d’une île entièrement peuplée de démons où ils s’étaient échoués. Le garçon ne croyait pas trop à ces histoires, cela lui semblait trop énorme. En effet, qu’elle soit capable d’abattre une wiverne comme s’il s’agissait d’un pigeon, passe encore, de plus il y avait assisté. Mais qu’elle ait survécu à des combats contre des hordes de démons et monstres en tous genres, c’était bien trop exagéré selon lui. Ce qui ne l’empêchait pas de les apprécier : ces récits faisaient agréablement passer le temps. Kilynn paraissait les adorer et elle posait sans arrêt des questions sur quantité de détails. La ménestrelle répondait à chaque fois du tac au tac et Kyr admira son sens de la répartie. Elle était une barde douée qui savait rendre son histoire presque réaliste. Ce récit lui rappelait tout de même vaguement une autre des légendes de l’illustre Compagnie de la Licorne. Il se demanda si la Centaure ne s’amusait pas à remanier toute cette célèbre saga à sa manière. Peu importe après tout.

Ils traversèrent un village désert. Il était tellement silencieux qu’il en paraissait abandonné. « Ils sont tous malades, tu crois ? demanda doucement Kilynn à la ménestrelle.
– C’est bien possible, répondit celle-ci. Tu veux qu’on aille vérifier ? »

La petite fille hésita, puis hocha affirmativement la tête. Son frère voulut émettre une protestation – il ne voulait pas risquer de tomber malade en côtoyant des souffreteux – mais sa sœur avait l’air tellement ébranlée par ce village sans vie qu’il se tut. La Centaure alla frapper à une porte, tandis que Kilynn glissait à bas de Nuit-Noire pour se poster à côté d’elle. Kyr resta sur le cheval. Ils attendirent de longues secondes avant que la porte ne s’ouvre sur un vieil homme pâle et hâve. « Bonjour ! » lança poliment Drakëwynn. L’homme leva les yeux sur la figure souriante de la Centaure, la dévisagea et en resta pétrifié. « Ce… ce n’est pas possible… bégaya-t-il. V… Vous ici ?
– Moi-même. » confirma la ménestrelle en s’inclinant de manière théâtrale, bien que les enfants ne comprirent pas trop ce qu’elle confirmait. Kyr supposa qu’ils avaient déjà du se rencontrer.

« Ce sont les dieux qui vous envoient ! s’exclama le vieil homme en se jetant aux sabots de Drakëwynn. Aidez-nous, Maîtresse Barde, je vous en prie !
– Allons allons, les supplications m’ont toujours mise mal à l’aise, répondit la Centaure d’un air gêné. Relevez-vous et dites-moi ce qui vous arrive.
– Avec plaisir Ma Dame, mais auparavant, donnez-vous la peine d’entrer dans mon humble demeure. » Tout en s’inclinant à plusieurs reprises, l’homme s’effaça pour laisser passer Drakëwynn.

Celle-ci fit signe aux enfants de la suivre et entra en baissant la tête pour ne pas se heurter contre le bas chambranle de la porte. Kilynn lui emboita le pas sans attendre, tandis que son frère trouvait un endroit pour attacher Nuit-Noire, après en être descendu. Lorsqu’il entra à son tour dans la petite maison, le vieil homme ferma la porte derrière lui. Une femme âgée, visiblement son épouse, vint les accueillir et resta sans voix en apercevant à la terrible Centaure. Elle s’inclina le plus profondément que lui permettait son dos usé et les invita à se mettre à l’aise. Kyr se demandait pourquoi ces deux personnes se montraient aussi cérémonieuses vis à vis de la ménestrelle. Les Bardes étaient le plus souvent bien traités où qu’ils aillent, mais ces paysans agissaient envers elle comme si il s’agissait d’une grande Dame.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 2 : Le début du voyage avec Drakëwynn (8/8)

Il y eût un silence. Puis la jumelle repartit à l’assaut : « Drakëwynn, tu sais vraiment tout faire ?
– A peu de choses près. Par contre, si tu continues de poser des questions, je vais varier mon régime alimentaire en te mangeant en ragoût. Tu dois avoir meilleur goût que la wiverne. »

Cela fut efficace, bien que Kilynn n’ait pas pris cette fausse menace au premier degré. Kyr sourit. Il était un peu surpris de l’aisance avec laquelle sa sœur se mettait à parler à leur grande compagne de voyage. En règle générale, il lui fallait beaucoup plus de temps pour qu’elle ose interpeller quelqu’un de la sorte. Cependant, Kilynn semblait apprécier leur monstrueuse protectrice et lui avoir accordé toute sa confiance. La Centaure était d’ailleurs bien la première personne qu’ils rencontraient à faire taire sa sœur de manière aussi radicale alors qu’elle avait envie de parler. Sauf que cela ne s’avéra pas d’une efficacité durable. « Drakëwynn ? » appela de nouveau Kilynn après quelques minutes. La ménestrelle ne répondit pas. « Drakëwynn ? » La voix de la fille se faisait plus insistante. « Drakëwynn !
– Rhaaa ! rugit l’interpellée. Tu ne lâcheras pas le morceau, hein ?
– Non, répondit simplement Kilynn tandis que son frère pouffait de rire sous la couverture.
– Bon, qu’est ce que tu veux encore ? capitula la Barde.
– Tu pourras m’apprendre à comprendre la voix qui me parle parfois dans ma tête ? s’enquit la sœur.
– Une voix dans ta tête ?… Mais qu’est ce que c’est que cette histoire ? se plaignit la Centaure.
– Des fois, quelqu’un me parle alors qu’il n’y a personne. Et quand elle me parle et qu’il y a des gens autour, je suis la seule à l’entendre.
– Oh ? Et que te dit-elle cette voix ? s’enquit la ménestrelle avec un soupçon d’intérêt.
– Je ne sais pas, répondit Kilynn. Je ne comprends pas ce qu’elle me dit, elle parle dans une autre langue. Mais quand elle me parle, ça s’accompagne de sortes d’intuitions sur ce qu’il convient de faire ou sur ce qu’il va se passer. »

Sous la lumière dispensée par le feu qui devait les réchauffer pour la nuit, Kyr vit la silhouette de Drakëwynn se redresser à demi. Elle paraissait intéressée par ce que lui racontait sa sœur. Pour sa part, le garçon était très surpris. Pas de la révélation, car il était au courant, mais c’était la toute première fois que Kilynn dévoilait cette histoire à quelqu’un d’autre que lui. D’autant plus qu’ils ne connaissaient la Centaure que depuis la veille. Il trouvait cela trop court comme laps de temps pour lui accorder autant de confiance. Peut-être que sa jumelle écoutait encore l’une de ses fameuses intuitions… Dans un sens, se disait-il, le pire que Kilynn risquait en racontant cette histoire était de passer pour une folle ou pour un monstre. Or Drakëwynn n’était, elle-même, pas très saine d’esprit selon lui, et quelque peu monstrueuse. Elle serait donc mal avisée de tenir des propos dans ce sens.

La ménestrelle ne dit mot pendant un long moment. Elle contemplait songeusement la petite fille. « C’est très intéressant, finit-elle par déclarer. Je tacherai de t’apprendre à comprendre ta voix intérieure une fois que j’aurai compris ce qu’il en est réellement.
– C’est vrai ? s’exclama Kilynn.
– Oui, confirma Drakëwynn.
– Génial ! »

Kilynn se précipita au cou de la Centaure, qui se trouvait, pour une fois, à une hauteur accessible. Le garçon était heureux de voir que l’étrange nouvelle de sa sœur était bien accueillie de leur grande compagne de voyage. D’autant plus que cette dernière semblait sûre d’elle lorsqu’elle affirmait pouvoir deviner l’origine de la voix. De plus, Kyr souhaitait depuis longtemps et ce, presque autant que sa jumelle, en connaître la provenance, ce qu’elle pouvait bien raconter, ainsi que la raison pour laquelle Kilynn pouvait l’entendre. Il était curieux de savoir quelles étaient les explications possibles à ce sujet selon la Centaure.

Mais Drakëwynn ne semblait pas avoir envie de s’embarquer dans ce type d’exposé sur le moment. Comprenant qu’elle n’arriverait pas à dormir tant qu’elle n’aurait pas calmé l’impatience des deux enfants, elle prit la fille dans ses bras, la porta jusqu’à la couche sommaire qu’elle partageait avec son frère et l’installa, au chaud, sous la couverture pelucheuse. Ceci fait, elle les borda tous les deux et se mit à chanter. Kyr sentit que la ménestrelle agrémentait son chant d’un effet magique. Mais, même en sachant cela, il ne put se forcer à lutter contre le sommeil qui l’assaillit soudainement. Il sombra bientôt dans l’inconscience, tout en se promettant de reprocher à Drakëwynn la manière peu conventionnelle qu’elle avait employé pour se débarrasser d’eux.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 2 : Le début du voyage avec Drakëwynn (7/8)

Kilynn parut apprécier la réponse. Sur son frère l’impact fut un peu plus mitigé, mais il revoyait tout de même les idées qu’il se faisait de la Barde à la hausse. Il savait qu’elle était puissante au point de faire fuir une bande de brigands affamés à elle toute seule. Seulement, le fait qu’elle considère une créature aussi grosse et dangereuse – aux yeux du garçon – qu’une wiverne comme une simple nuisance qu’elle pouvait terrasser de deux flèches… Son premier réflexe aurait été de penser qu’elle était totalement inconsciente, mais à présent il se disait que cette inconscience apparente était peut-être justifiée. Drakëwynn était forte. Peut-être même bien plus que ce que l’on pouvait croire de prime abord. « Dis, l’interpella-t-il. Tu me prêterais ton arc s’il te plait ?
– Bien sûr, aucun soucis. »

Elle lui tendit l’arme, en souriant de son habituel rictus qui mettait toujours le garçon mal à l’aise. Kyr s’empara de l’arc. Il s’agissait d’un arc long composite d’excellente facture. Il n’avait jamais vu un arc pareil. Il devait, en plus, être magique car il émettait en permanence une sorte de lumière vive. Le garçon essaya de bander l’arc, mais la corde et l’armature en bois semblaient aussi solides et inébranlables que les murs de la tour métallique. Il ne parvint pas à l’ébranler d’un millimètre. La Centaure rit de bon cœur en le voyant faire. « Même en vous y mettant tous les deux, je doute que vous puissiez le tendre, lui dit-elle.
– Tu es donc si forte que ça ? s’étonna Kilynn.
– Et plus encore. » renchérit Drakëwynn de manière énigmatique.

Kyr lui rendit son arme et, tout en l’aidant à descendre un cuissot de wiverne au rez-de-chaussée, après avoir jeté le reste de la carcasse par dessus les créneaux, il se demanda si tous les Centaures se trouvaient être aussi forts qu’elle. Peut-être devait-elle sa force au fait de faire partie des Disciples Draconiens se disait-il. Dans tous les cas, l’intuition de sa sœur de la suivre était la bonne, il en était à présent convaincu : avec cette Centaure capable d’abattre des wivernes comme s’il s’agissait de pigeons, ils ne pouvaient qu’être en sécurité.
Malgré leur appréhension première, il s’avéra que la viande rôtie de cette créature était mangeable. La ménestrelle avait dégotté assez de bois pour alimenter un feu de cuisine, qui pourrait continuer de chauffer la pièce la nuit durant. La chair de wiverne n’était pas aussi goûteuse que celle du lapin par exemple, évidemment, mais cela suffit pour accompagner correctement les champignons qu’elle avait cueillis le matin même. Seul Emlyg ne voulut pas y goûter et se contenta des champignons. « Je tâcherai de nous trouver du cerf pour la prochaine fois, commenta Drakëwynn.
– Du cerf ? Mais c’est interdit de braconner, prévint Kyr.

– Les forêts sont à tout le monde, répliqua la Centaure. Bien malin celui qui arrivera à m’empêcher de chasser là où je l’ai décidé. »
Le garçon voulait bien la croire. Dans un sens, il admirait la propension de la ménestrelle à n’en faire qu’à sa tête, en faisant fi du reste. Il faut dire que c’était souvent le cas des bardes, baladins et autres trouvères que d’agir ainsi. Mais, alors que ceux-ci devaient s’en sortir par la ruse et leur habileté en cas de pépin, Kyr avait le sentiment que Drakëwynn n’avait nullement besoin de s’embarrasser de subtilités d’aucune sorte.
« Si nous arrivons à garder une bonne allure demain, nous devrions pouvoir arriver à une petite ville, déclara la Centaure. Une fois là-bas, je nous achèterai ce dont nous aurons besoin pour l’entraînement. Et puis, j’aurai probablement quelques autres courses à faire et choses à régler. Vous pourrez visiter en attendant.
– On aura le temps de faire tout ça demain ? s’étonna Kilynn.
– Mmmh… » La ménestrelle fit mine de réfléchir. « Non. Si nous arrivons demain, ce sera probablement déjà trop tard pour pouvoir s’occuper de tout ça. De toutes façons, je devrai rester quelques jours en ville, nous aurons le temps. »

Ils rangèrent toutes leurs affaires pour partir le plus vite possible le lendemain et s’installèrent pour la nuit, sous l’œil attentif du dragon-papillon. « Drakëwynn ? appela Kilynn alors qu’ils étaient tous couchés.
– Oui ? s’enquit mollement celle-ci.
– Tu vas nous apprendre quoi ? A chanter ? A nous battre ? A faire de la magie ?
– Tout ce que tu voudras je t’ai dit, nous en parlerons demain pour préciser un peu tout ça. » répondit la Centaure.