Le fort du Dragon

Je me suis adossé à une colonne. Je haletais et maintenais debout Carline, dont les jambes flageolaient et les yeux roulaient dans leurs orbites. Bon sang, elle avait besoin de soins de toute urgence ; la fléchette devait être empoisonnée, à moins qu’elle n’ait perdu trop de sang.

Je devais me dépêcher : après avoir inspiré profondément, j’ai jeté un bref coup d’œil derrière le pilier. Aucun poursuivant en vue, mais je les entendais distinctement, au loin. Raffermissant ma prise sur mon amie d’un côté et ma masse d’arme de l’autre, j’ai continué à avancer en prenant garde où je posais les pieds. Je ne voulais pas finir comme Entus ; le sol du vieil édifice s’était écroulé sous ses pas trop lourds et précipités. Son harnois rutilant n’avait pas suffi à le protéger de la chute ; il était mort sur le coup.

En inspectant les alentours, nous avons compris que ce fort était piégé. Le bourgmestre du village avait omis de nous prévenir ! Furieux, j’ai promis de faire payer à ce nigaud bedonnant le décès de notre compagnon. Dielline, d’une voix vibrante d’émotion, avait déclaré : « La colère ne nous mènera à rien pour le moment, Gath. Nous… nous ne nous sommes pas montrés très prudents. Avoue que, mise en garde du bourgmestre ou non, ce n’était pas très professionnel de notre part de ne pas avoir pris le temps de chercher des pièges.

— Bien sûr que nous n’en avons pas cherché ! Le seul danger de cet endroit est censé être un dragon et les dragons sont beaucoup trop présomptueux pour s’abaisser à installer des protections ou systèmes d’alarme, tout le monde le sait ! »

La douce Dielline s’était recroquevillée sous l’éclat de ma véhémence. Les jointures de ses doigts agrippés à son bâton blanchirent. Carline était intervenue en nous assurant qu’elle allait désormais s’occuper des pièges, au cas où il y en aurait d’autres. J’ai soupiré. « C’est une gentille proposition de ta part, mais ce n’est pas ta spécialité.

— Haha ! Je n’ai pas de spécialité, tu sais bien, mais je m’y connais quand même mieux en traquenards que vous deux. »

Elle avait raison, bien sûr. Nous avons donc continué, plus lentement. Pendant que Carline s’occupait de chercher des pièges éventuels, je ruminais en mon for intérieur. Sans Entus, serions-nous capables d’affronter le dragon ? Même si je suis un bon guerrier, je ne portais pas une aussi grosse armure que lui. Nous allions devoir compter sur la magie de Dielline pour en finir au plus vite et Carline devrait probablement nous soigner plus que d’ordinaire. En tous cas, pas question d’abandonner maintenant : nous étions trop avancés dans cet ancien fort qui servait d’antre au dragon. Et la somme promise par le bourgmestre était rondelette, sans parler du prestige d’être venus à bout d’un si formidable adversaire.

« Attention ! » Carline s’était précipitée sur Dielline, les entraînant toutes les deux à terre. J’ai à peine eu le temps de lever mon bouclier pour me protéger de la volée de fléchettes s’abattant sur nous. À ma grande surprise, j’en suis sorti indemne. Mes deux compagnes n’avaient pas été aussi chanceuses : le corps menu de Dielline était criblé de traits et son regard, désormais vide, contemplait le plafond. Carline gémissait, agenouillée à côté du cadavre encore chaud de notre petite magicienne. Elle se tenait l’épaule, dans laquelle était fichée une fléchette.

Atterré, j’ai fixé une dernière fois la douce Dielline. Nous n’allions plus pouvoir continuer à deux, dont une blessée. Si le dragon arrivait maintenant, il aurait tout le loisir de nous dévorer. J’ai attrapé Carline pour l’aider à se relever. « Viens, filons de cet endroit maudit… » Elle gémissait en continu et ne paraissait pas être en état de pouvoir se soigner elle-même. La soutenant de mon mieux, j’ai entrepris de rebrousser chemin en direction de la sortie.

Et puis, les bruits ont commencé, mais pas assez distincts pour que je puisse déterminer quelles créatures les produisaient. Des gobelins ? Des kobolds ? Bon sang, ce pouvait être n’importe quoi ! La seule chose dont j’étais sûr, c’était qu’ils se rapprochaient. J’ai poussé un juron et j’ai bifurqué avec Carline dans un autre couloir. J’espérais ne pas croiser le dragon ou tomber dans un piège, ces derniers ayant certainement été installés par les créatures que j’entendais au loin. C’est là que nous avons débouché sur une vaste salle à colonnades, où je nous avais cachés pour reprendre notre souffle.

Au fur et à mesure de notre progression entre les colonnes, Carline avançait avec de plus en plus de difficulté. J’ai tenté de l’encourager en chuchotant, mais elle ne réagissait presque plus, posant juste un pied après l’autre de manière mécanique et de plus en plus erratique. Occupé à la soutenir, je me suis empêtré les jambes dans un filin qui courait près du sol.

Une détonation retentit pendant que je trébuchais, entrainé par la masse inerte de Carline.

J’ai eu le temps de voir une colonne tomber dans ma direction, mais pas de l’éviter. La douleur était si intense que j’ai pensé mourir sur le coup. Bloqué sous le pilier, je ne sentais plus mes jambes. Lorsque j’ai rouvert les yeux, mon regard a croisé ceux de Carline et son crâne fracassé par une pierre au sol, dans la chute. Les éclats de sa mandoline en miettes étaient éparpillés tout autour de nous, comme une décoration mortuaire.

Je ne pouvais ni bouger, ni proférer le moindre son, et des pas s’approchaient de moi. La lumière tremblotante d’une torche m’éblouit. « Ils sont là ! » cria la voix de celui qui portait la torche. Je sentais ma conscience s’effilocher peu à peu. Quelqu’un enjamba la colonne pour se retrouver du côté de Carline, vers laquelle ma tête était tournée. Il la poussa négligemment du pied, avant de toussoter d’un air dégouté. Puis, il se pencha vers moi.

C’était le bourgmestre. « Ah ben il n’est pas encore mort, lui, constata-t-il. Viens l’achever et puis après on s’occupera de réinstaller tout ça pour les prochains qui se sentiront assez téméraires pour affronter le soi-disant dragon du fort. Je pense qu’on tirera un bon prix de leur équipement ! »

NaNoCamp Avril 2017 J+11 : Préquelles Arkhaiologia

Valentin lui administra une pichenette et remarqua que le médecin s’était approché de la jeune femme et avait posé une main sur son épaule. Une aura orangée les environna tous les deux. « Merci, lui lança Béatrice avec reconnaissance. C’est vraiment efficace ! Tu pourrais m’apprendre cette magie ?
– Je crains que non, s’excusa Asklepios. Ces pouvoirs que nous avons nous ont été conférés par nos prédécesseurs ; ils ne s’apprennent pas.
– C’est d’ailleurs parce que ce sont des pouvoirs qui font partie de nous que nous pouvons les utiliser à volonté sans même y penser, précisa Déa. Normalement, la magie requiert beaucoup de concentration, canalysée par des incantations. C’est…
– Quelque chose est là. » L’interrompit le médecin en dressant la tête.

Comme pour confirmer ses propos, des hurlements inhumains et assourdissants provenant de l’extérieur fit sursauter Valentin et Béatrice. Les dragonnets inquiets se mirent à pousser des cris terrifiés. « Sortons. » Décréta la femme aux yeux dorés d’un ton sans appel, à l’intention de son compagnon. Entraîné à obéir à Déa, Asklepios lui emboîta instantanément le pas en direction de la porte à taille humaine qui menait à l’extérieur de l’annexe. Après avoir échangé un regard, les deux thésards les suivirent avec curiosité, se demandant s’ils allaient pouvoir ajouter une nouvelle créature à leur bestiaire.

Les dragons étaient déjà beaucoup plus impressionnants que les petites fées, même jeunes. Ils avaient aussi eu l’occasion de voir des banshees – dont le cadavre de l’une d’entre elle était conservé dans la bibliothèque universitaire – un korrigan, deux nymphes et quelques autres créatures féériques. Il leur tardait de voir des Dames Blanches dont parlaient les rumeurs, les elfes du royaume des fées qui faisaient de régulières incursions, et les licornes mentionnées par des enthousiastes.

En sortant, sur le carré d’herbe de l’autre côté de la place goudronnée dédiée aux véhicules, ils aperçurent cinq énormes hyènes. Du moins, était-ce l’animal auquel ressemblaient le plus ces créatures. Des hyènes immenses aux babines perpétuellement retroussées sur d’énormes crocs dégoulinants de bave. Leurs griffes, aussi, étaient étonnamment longues. « Ils ont senti les jeunes dragons, constata Asklepios.
– Et nous aussi, je pense, compléta Béatrice d’un ton peu assuré face aux bêtes qui grondaient dans leur direction. Ils ont l’air affamés.
– Qu’est ce que c’est ? S’enquit Valentin.
– Vous avez un mot qui n’est pas de votre langue pour eux, répondit Déa. Ce sont des barghests. »

Sur ces mots, elle secoua négligemment sa main et une cage aux barreaux épais apparut autour des monstrueuses créatures. « Tu es vraiment une personne… Pratique à avoir près de soi, commenta Béatrice en relâchant son souffle.
– Plutôt oui, confirma la femme aux yeux dorés sans aucune modestie. Restez tout de même vigilants, ils ne resteront pas enfermés très longtemps. Ils vont bientôt s’échapper, mais j’ai pensé que vous voudriez les observer un moment avant que Asklepios et moi nous occupions d’eux.
– Il n’y a pas moyen de les mettre en cage à l’in… » Commença la thésarde.

Elle s’interrompit en voyant que la bave des barghests, qui mordaient furieusement les barreaux, corrodait la cage. Déa leva le doigt pour faire apparaître une autre cage autour des barreaux en train de se faire grignoter. « D’accord. » Conclut Béatrice en roulant des yeux. Luttant contre son effroi, la jeune femme s’approcha des animaux, portable en main pour les filmer en faisant des commentaires. Valentin fit de même, prenant des photos. Plusieurs fois, la femme aux yeux dorés dut renforcer la cage pour empêcher les barghests fous furieux de s’échapper pour écharper tout le monde.

« Je pense que c’est bon. » Décréta finalement la jeune femme. Déa acquiesça et des lances apparurent brusquement dans tous les sens dans la cage. Les bêtes enragées, transpercées, ne tardèrent pas à succomber à l’attaque. Béatrice et Valentin, ne s’attendant pas à quelque chose d’aussi violent, détournèrent les yeux du spectacle sanglant. Lorsqu’ils regardèrent de nouveau, la femme aux yeux dorés avait fait disparaître ses derniers lambeaux de cage. Ne restait plus au milieu de l’herbe qu’une immonde flaque à la couleur indéfinissable qui dissolvait les derniers poils et os des barghests.

« Je suis désolée de vous avoir choqués, s’excusa Déa qui paraissait un peu surprise de leur réaction. Oh, je vois, c’est d’être dans une période calme : vous n’avez pas l’habitude d’assister à de telles choses.
– C’est ça oui, confirma Valentin un peu pâle.
– Pourquoi est-ce qu’ils ne sont plus qu’une flaque ? S’enquit curieusement Béatrice aussi pâle mais dont la curiosité reprenait rapidement le dessus.

NaNoCamp Avril 2017 J+8 : Préquelles Arkhaiologia

– Je pensais que tu voudrais le garder avec toi.
– Peut-être, nous verrons bien. » Conclut Déa.

Le dragonnet atterrit en glissant sur le sol près de la femme aux yeux dorés et lui réclama des caresses. Celle-ci s’exécuta avec plaisir et reprit : « Tant que nous n’avons pas de nouvelles d’Amaterasu notre voyageuse rapide, j’aimerais savoir s’il y aurait un moyen de nous rendre vers ce volcan dans le Pacifique.
– Oulà non, s’exclama Valentin. Enfin, il y a des moyens, mais pas à notre portée. Et même si on pouvait, ça resterait long d’aller là-bas.
– Oh, commenta Déa avec une moue déçue. J’espérais que votre technologie pouvait tout faire. Même de nos jours, il y a toujours des limitations, n’est ce pas ?
– De moins en moins, répartit Valentin. Mais toujours, oui.
– Tu vois, Askel, lança-t-elle à son compagnon avec un fin sourire. Après tout, nous ne sommes peut-être pas si obsolètes que cela. »

Son sourire s’effaça au profit d’une mine concentrée. Elle cracha un mot que Valentin ne comprit pas mais que, d’après le ton frustré, il estima être un juron. « Un problème ? s’enquit-il.
– Ils sont trop loin pour que j’arrive à les atteindre, déplora la femme aux yeux dorés. J’espère qu’ils ne feront pas trop de bêtises en attendant. Si ce sont bien eux à l’origine de ce volcan, bien entendu.
– Je suis confiant à ce propos. » Intervint calmement Asklepios.

Valentin ne savait pas quoi répondre à ça et il retourna vers Béatrice, qui était totalement transportée par tout ce qu’elle apprenait sur le dragon. La conversation entre les quatre tourna ensuite surtout autour de ces animaux. Les deux mages fournirent quelques informations supplémentaires sur ce qu’ils savaient des dragons adultes. « Tu es seule à travailler dans ce grand bâtiment ? S’enquit Déa auprès de Béatrice.
– Oh non, nous sommes plusieurs, expliqua celle-ci. Mais nous sommes samedi. Et, le samedi, personne ne travaille.
– Sauf toi, pointa la femme aux yeux dorés d’un ton malicieux.
– Oui, mais c’est une situation exceptionnelle !
– J’en ai l’impression, commenta Déa. Où en sont les recherches ? » Continua-t-elle en se tournant vers Valentin.

« Je pense qu’elles sont terminées, estima celui-ci. Allons voir ; il va falloir trier. » Curieux, ils se rendirent tous dans le bâtiment principal, suivis par le jeune dragon qui ne voulait pas quitter la femme aux yeux dorés. Béatrice accepta que le jeune animal les accompagne à la condition que Déa s’assure qu’il ne fasse pas de bêtises. Valentin leur attribua des postes à tous et répartit les résultats de recherche. Ils s’installèrent tous et le jeune homme leur conseilla de garder le moindre article qui leur laisserait le moindre doute.

« Comment ils vont réussir à lire tout ça ? Interrogea Béatrice.
– Je peux lire n’importe quelle langue, en plus de la parler, leur assura Déa. Cela ne me prend que quelques secondes à intégrer. Un peu plus si je ne connais pas l’alphabet.
– Oh tant mieux, se réjouit Valentin. J’avais prévu le mode aveugle pour eux, avec des écouteurs.
– Je n’en aurai pas besoin, mais Askel si j’en ai peur, reprit la femme aux yeux dorés. Je suis désolée, mais dans mon état ce sera plus simple de traduire ce qu’il entend que ce qu’il voit. J’essaie de chercher les autres en même temps et cela me demande beaucoup d’énergie.
– Tu n’as pas besoin de te justifier, la rassura Béatrice. Valentin avait tout prévu de toutes façons. Si tu préfères les écouteurs, n’hésite pas à lui dire.
– Ça ira, chantonna Déa avec un grand sourire. Je suis impatiente de voir les styles d’écriture de toutes façons. »

Ils se mirent au travail sans tarder. Cela leur prit beaucoup de temps et, lorsque midi fut passé, Béatrice proposa de commander à manger. Après le repas, ils pourraient faire un point sur ce qu’ils avaient trouvé. « Je peux nous fournir de quoi nous nourrir, suggéra Déa. Comme les autres fois.
– À vrai dire, si ça ne dérange personne, j’aimerais beaucoup goûter à la nourriture de ce temps. » Comme toujours, Asklepios était intervenu de sa voix profonde et de son ton poli. La femme aux yeux dorés le considéra avec surprise. Puis, avec un sourire, elle acquiesça. « C’est une bonne idée, approuva-t-elle. Après tout, nous allons devoir vivre… maintenant, n’est ce pas ? »

Béatrice et Valentin s’entre-regardèrent, se demandant qu’est ce qu’ils pourraient leur faire goûter de typiquement moderne. Une demi-heure plus tard, ils se retrouvèrent à manger [ajouter un truc « typiquement » moderne avec ce qu’ils en pensent].

Concernant leurs recherches, tous étaient tombés sur beaucoup d’histoires insolites, mais aucune ne pouvait être considérée comme une piste certaine sur l’un des membres manquant de leur petit groupe de mages. Le tri avaient été fortement ralenti pour Déa et Asklepios, car ils avaient étudié les articles beaucoup plus en profondeur, émerveillés par toutes les nouveautés du monde d’aujourd’hui. La femme aux yeux dorés avaient même trouvé le moyen de naviguer elle-même sur Internet et en avait profité pour naviguer, faisant partager ses découvertes par télépathie à son compagnon.

NaNoCamp Avril 2017 J+7 : Préquelles Arkhaiologia

– Oh, merci. »

Valentin ne s’attendait pas à recevoir un compliment ; il sourit à son interlocuteur d’un air gêné. Asklepios lui rendit un sourire apaisant. Il avait une physionomie qui mettait le jeune homme en confiance. « Qu’est ce que c’est ? S’enquit le médecin en voyant une fenêtre d’information apparaître sur un coin de l’écran.
– Oh, ça, ce sont les infos. Je suppose qu’une des personnes qui utilise ce poste aime bien rester au courant de ce qu’il se passe dans le monde. Ah mais c’est l’éruption d’un volcan ! »

Curieux, le jeune homme ouvrit la fenêtre en grand, pour lire rapidement l’article. « Waw… Émit-il. Un nouveau volcan vient d’apparaître dans le Pacifique… C’est impressionnant !
– Vraiment ?
– Euh… Oui, les volcans m’impressionnent, avoua Valentin.
– Je te comprends, les éruptions sont un spectacle cataclysmique, c’est très beau. Où se trouve le Pacifique ? »

Pour lui répondre, le jeune homme chercha une carte du monde à montrer. Malheureusement, la classique carte n’évoquait pas grand chose à Asklepios. Il n’arrivait pas à reconnaître le tracé et avait eu peu d’occasions de voir des cartes auparavant. « Tant pis, ce n’est pas important, balaya Valentin.
– J’aimerais beaucoup savoir, insista plaisamment le médecin.
– Hum, bon… » Après un moment de réflexion, le jeune homme lui montra un globe holographique et lui expliqua où ils se trouvaient eux et où se trouvait la zone volcanique. Asklepios se gratta pensivement la tête en étudiant le globe.

« Ceci, est-ce bien la route de la soie ? S’enquit-il finalement.
– Oui, c’est bien ça, acquiesça Valentin.
– Je vois mieux maintenant ! Se réjouit le médecin. D’après la description des lieux, Déa m’informe qu’il est possible que ce soit une région où s’étaient rendus deux d’entre nous.
– Et tu as déduit ça grâce au volcan… Parce que ?
– Parce que les deux qui sont partis là-bas sont de sacrés lurons. Et que l’un maîtrise la terre et l’autre le feu. (à vérifier)
– Non… C’est pas possible ! S’exclama Valentin. Tu penses que l’éruption vient d’eux ?
– Ça leur ressemblerait bien, ce sont de vrais plaisantins.
– Mais les volcans ne sont pas des plaisanteries, s’offusqua le jeune homme effaré. C’est très dangereux !
– Ne t’inquiète pas, le rassura Asklepios. Notre but n’est pas de blesser les populations. Ils ont toujours été très porté sur les blagues mais ils ne feraient de mal à personne. »

Valentin n’était pas très sûr d’apprécier l’humour de la création d’un volcan. Il tenta de relativiser en se disant qu’il n’était pas à même de réfléchir comme des personnes aussi puissantes. Il se disait qu’il fallait disposer de très grands pouvoirs pour créer un volcan sur un coup de tête. Une question se mit à lui tarauder l’esprit : « Comment s’appellent-ils ?
– [Machin] et [Bidule] »

Le jeune homme n’était pas calé dans toutes les mythologies du monde, mais il se promit de faire des recherches sur ces deux-là. Il était sûr d’avoir entendu parler d’au moins l’un des deux. En attendant que l’ordinateur termine la recherche demandée, ils épluchèrent les premières suggestions. Malheureusement, rien de sérieux dans les évènements mondiaux ne rapportait la découverte de personnes hors du commun qui parleraient des langues inconnues. « J’espère qu’ils n’ont pas eu le problème de mémoire comme Déa, s’inquiéta Asklepios. Sinon nous mettrons beaucoup plus de temps à les retrouver. » Il s’interrompit un instant, penchant la tête sur le côté. « Déa nous appelle. »

Au moins, elle ne paraissait plus envahir ses pensées à lui, songeait Valentin alors qu’ils se levaient pour se rendre dans l’annexe. Les deux femmes avaient fait sortir le dragon de sa cage. Béatrice en avait profité pour mettre en route une partie du matériel et avait convaincu Déa d’installer quelques capteurs sur l’animal. Elles le laissaient à présent voler dans l’annexe aux hauts plafonds et Béatrice prenait des mesures tandis que la femme aux yeux dorés fixait le dragon d’un air attendri. Valentin était certain que son amie comptait étudier le dragon le plus possible.

« C’est prudent de le laisser faire ce qu’il veut ?
– Oh, ne t’en fais pas pour ça, répondit Béatrice tout en restant concentrée sur son ordinateur. Déa a dit qu’elle pouvait le convaincre de ne pas faire de bêtises, alors je me suis dit que c’était une occasion idéale ! En plus, comme elle peut discuter avec lui, j’ai déjà tout un tas d’informations sur les jeunes dragons à peine sortis du nid : je sais ce qu’ils mangent, je sais combien de temps ils ont besoin de dormir, et plein d’autres choses. » Elle quitta l’écran qu’elle couvait des yeux pour tourner la tête vers son ami et reprit, toute excitée :

« Tu savais que les dragons avaient une mémoire génétique ? De ce que je sais, je suis actuellement la seule spécialiste sur les dragons au monde ! C’est trop bien !
– Tu sais que ça ne va pas durer ? Temporisa Valentin avec un sourire. Surtout avec la volée de dragons qu’ils ont dû attraper hier soir.
– Ha-HA ! Triompha Béatrice avec un sourire jusqu’aux oreilles. Et à qui crois-tu qu’ils vont les amener, tous ces petits dragons ? Heureusement que l’annexe est terminée, je ne sais pas ce que j’en aurais fait sinon… En tous cas, Massamba et Pommier vont être surpris en revenant. Je veux rassembler le plus d’informations possible sur ces animaux-là avant leur retour. Oh, et ne t’inquiète pas, je te filerai mes notes et on en discutera looonguement tous les deux. »

Vaincu par tant d’enthousiasme, Valentin acquiesça avec un franc sourire. Il remarqua alors qu’Asklepios et Déa avaient entamé un dialogue, dans ce qu’il supposait être leur langue d’origine. « Pourquoi vous ne parlez pas par télépathie ? Leur demanda-t-il.
– Parfois nous préférons parler à haute-voix, lui répondit simplement Déa. Je ne me l’explique pas, d’autant que la conversation est plus rapide et claire dans nos têtes, mais c’est ainsi. » Elle se tut un instant. « J’ai commencé à apprendre quelques mots de votre langue à Ouranos.
– Ouranos ?
– Le dragonnet, expliqua-t-elle. Je trouvais que ça lui allait bien. »

Ils contemplèrent l’animal évoluer dans les airs. Il était un peu gauche, comme tous les jeunes, et il lui arrivait de mal négocier certains virages. « Pourquoi tu lui apprends notre langue ? S’enquit ensuite Valentin qui avait l’impression de ne poser que des questions depuis la veille.
– Pour qu’il puisse vous comprendre ton amie et toi, si jamais nous sommes séparés. Quelque chose me dit que ça sera plus simple pour votre travail s’il comprend ce que vous dites.

NaNoCamp Avril 2017 J+6 : Préquelles Arkhaiologia

Le matin les trouva tous les quatre venant tout juste de s’endormir sur le canapé et les fauteuils du salon. Ils y restèrent toute une partie de la matinée, sommeillant dans des positions plus ou moins confortables. Ils furent réveillés par la lumière du jour, les volets s’étant ouverts automatiquement le matin venu. Les deux magiciens émergèrent plus rapidement que les deux thésards. Déa n’était pas très patiente. Elle secoua les deux amis afin de les réveiller. En plus de vouloir en savoir encore plus sur le monde d’aujourd’hui, elle tenait à voir le jeune dragon le plus rapidement possible. Les deux amis s’efforcèrent d’ouvrir les yeux et de se lever.

Après un copieux petit déjeuner fourni par la femme aux yeux dorés, ils se mirent tous les quatre en route en direction du campus, à pieds cette fois. En ce samedi, les alentours de l’université étaient déserts. Les locaux où ils se rendaient l’étaient tout autant. Ils paraissaient immenses ainsi vides. Pendant que Déa allait rendre visite au dragonnet en compagnie de Béatrice, Valentin s’installa à un poste informatique avec Asklepios. « Bien, commença le jeune homme. Ceci est un ordinateur et il est branché à Internet.
– Je n’ai pas très bien compris Internet quand tu l’as expliqué cette nuit, avoua le mage, mais j’ai compris qu’il pouvait nous aider à retrouver nos amis.
– Exactement. Du moins, je l’espère. Ce qui va compliquer nos recherches, c’est qu’il faut retrouver cinq individus potentiellement perdus dans le monde entier… Ça risque de prendre du temps.
– Peu importe, lui assura Asklepios. L’idéal serait de trouver Amaterasu.
– Amaterasu ? Vous êtes sérieux tous ? » Grommela Valentin qui se demandait à certains moments si quelqu’un lui faisait une blague.

Asklepios et Amaterasu étaient des dieux mythologiques et, s’il continuait la réflexion, Dea signifiait déesse. Le jeune homme se demandait d’ailleurs si elle avait un autre nom de déesse connue ; après tout, elle n’avait pas parue très sûre d’elle lorsqu’elle lui avait donné son prénom. La question lui était sortie de la tête pendant la nuit et, à présent, il se demandait s’il aurait le cran de poser la question au médecin du nom d’Asklepios de s’il était un dieu ou pas. Il craignait de passer pour un idiot. Et puis, techniquement, qu’est ce que c’était qu’un dieu ? Il se décida sur une question plus anodine :

« Pourquoi ce serait l’idéal de trouver Amaterasu ?
– Parce qu’elle maîtrise la capacité de… téléportation, expliqua le médecin avec son lourd accent. Grâce à elle, ce serait beaucoup plus facile de retrouver les autres et de nous rassembler.
– Vous rassembler, je vois bien. Mais comment ferait-elle pour retrouver les autres ?
– J’irai avec elle. Mes… capacités ne sont pas encore revenues à leur plein potentiel, mais je dispose d’une excellente perception qui s’étend sur plusieurs contrées. À nous deux, nous aurons retrouvé les autres en un rien de temps : il suffira qu’elle m’emmène un peu partout et je sentirai leurs présences. D’ici là, peut-être que Déa aura retrouvé toute sa puissance de pensée et qu’elle pourra joindre les membres restants. »

Valentin n’avait pas encore entendu son interlocuteur prononcer autant de phrases d’un coup. Le jeune homme trouvait que son élocution s’était améliorée, même si son accent était toujours très prononcé. En réfléchissant, il réalisa qu’Asklepios s’était toujours tenu en retrait en présence de Déa. Avec une forme de révérence, aurait-il pu dire. La femme aux yeux dorés ne s’était pas présentée comme telle, mais il se pouvait qu’elle soit la dirigeante de ce petit groupe. Peu importait ; pour le moment, il devait trouver un moyen de mettre la main sur Amaterasu.

« Hum, bon, reprit-il. Je vais avoir un peu de temps à obtenir une réponse valable, mais je lance une recherche sur les personnes qui parlent une langue bizarre en premier lieu. Les nouveautés sur hier et aujourd’hui. Ce qui est beau avec Internet, c’est qu’on trouve de tout. Après, l’inconvénient avec Internet, c’est qu’on trouve de tout aussi.
– Je te fais confiance, lui assura Asklepios. Ton amie et toi êtes des personnes généreuses et curieuses. Nous avons beaucoup de chance de vous avoir rencontrés.

NaNoCamp Avril 2017 J+3 : Préquelles Arkhaiologia

Son ami referma la bouche. Elle avait raison : inutile de faire l’ennuyeux moralisateur. La situation était particulière. Il prit place à l’avant tandis que Béatrice mettait le contact. La voiture électrique souffla en démarrant.

Alors que la voiture s’approchait du bâtiment où travaillait la jeune femme, Valentin put apprécier les dimensions de l’annexe qu’ils avaient construite à côté, lui qui n’allait que rarement de ce côté là du campus. Elle lui parut immense : il y avait même une porte pour y faire entrer de gros véhicules. Béatrice gara la voiture devant et en descendit pour désactiver l’alarme. Elle ouvrit la porte à taille humaine et se glissa à l’intérieur du bâtiment. Quelques secondes plus tard, la grande porte dévolue aux véhicules se soulevait. La jeune femme sortit du bâtiment pour garder sa voiture à l’intérieur. Elle ferma tout et alluma la lumière.

« Bienvenue dans la nouvelle annexe ! S’exclama Béatrice en désignant les alentours en tournant sur elle-même.
– C’est fou que tu aies les codes et les clefs de tout ici, commenta Valentin impressionné.
– Oh, tu sais, les professeurs Massamba et Pommier sont souvent en déplacement à cause de la recrudescence des apparitions de créatures surnaturelles. Et comme ils sont souvent appelés sur des sites, ils me laissent le soin de m’occuper de la maison.
– Et ils te font confiance ? » La taquina le jeune homme.

Son amie lui tira la langue et ouvrit le coffre de la voiture, tandis que Déa s’extirpait de l’habitacle. La femme aux yeux dorés ne fit pas de commentaire mais, à la façon dont elle regardait la voiture et les alentours, les deux amis sentirent bien que tout lui paraissait nouveau. Béatrice les planta là pour aller préparer une cage la plus confortable possible pour le pensionnaire endormi dans le coffre. En l’attendant, Valentin et Déa firent le tour de la pièce neuve, bordée de différentes cages et au centre de laquelle trônaient d’énormes cartons contenant les futurs équipements de l’annexe.

La femme aux yeux dorés fit la moue. « Ces cages sont grandes, mais elles restent froides pour y faire vivre qui que ce soit.
– Ne t’en fait pas, la rassura le jeune homme. Béatrice m’a expliqué que les créatures enfermées ici ne le seraient que de manière temporaire. Ce sera aussi le cas pour ce jeune dragon.
– Oui, je ne compte pas le laisser là. » Acquiesça Déa.

Une fois que Béatrice eut installé ce qu’il fallait dans la cage pour adoucir le séjour du dragon, ils entreprirent d’installer le bébé à l’intérieur. « Je vais lui laisser la couverture, je pense, déclara Valentin en contemplant l’animal blotti dans le tissu.
– Il est tout mignon avec juste la tête et la queue qui sortent, s’attendrit Béatrice en fermant soigneusement la porte. Bon ! En route pour l’hôpital à présent ! » Continua-t-elle avec entrain, tout en se dirigeant vers sa voiture pour remettre la banquette et la plage arrière en place.

Le trajet pour l’hôpital se déroula rapidement ; il n’y avait pas de circulation. Aux urgences, l’affluence était très faible. Béatrice expliqua au personnel soignant que Déa s’était retrouvée au milieu d’une mauvaise bagarre, qu’elle souffrait d’amnésie et qu’ils s’inquiétaient qu’elle ait pris un mauvais coup sur la tête. L’infirmière de garde eut la confirmation de l’amnésie lorsqu’elle demanda le nom de famille de Déa et que celle-ci fut incapable de répondre. « C’est peut-être indiqué sur votre carte d’identité, suggéra l’infirmière.
– Elle n’en a pas, intervint encore Béatrice. Nous l’avons trouvée telle quelle. »

Après quelques autres questions et arrangements, leur interlocutrice les envoya patienter dans la salle d’attente, en leur assurant que la nuit étant calme, ils n’auraient pas à attendre très longtemps. « Déa ? L’interpella Valentin. Tout va bien ? Tu as l’air un peu absente depuis un moment.
– Mmhmm… Émit machinalement la femme aux yeux dorés. Il y a quelque chose ici.
– Quelque chose ? Répéta Béatrice.
– Oui. »

Déa ne s’étendit pas en explication. Valentin vit que son amie rongeait son frein, curieuse qu’elle était. Elle prenait sur elle pour le moment, mais ce n’était qu’une question de temps : elle recommencerait bientôt à lui poser des questions. Il sourit par devers lui. Comment lui en vouloir ? Il se sentait au moins aussi curieux qu’elle. Ses pensées s’interrompirent lorsqu’il vit la femme aux yeux dorés se lever et quitter la salle d’attente. « Déa ? L’appela-t-il.
– Tu cherches quelque chose ? » Continua Béatrice en se levant pour la rattraper. Valentin bondit à son tour de son siège pour suivre les deux femmes.

Celle aux yeux dorés continuait de marcher dans le couloir de l’hôpital sans leur répondre. « Déa, je ne pense pas que nous ayons le droit d’aller par là… » Tenta le jeune homme, mais elle continuait de faire la sourde oreille. Elle s’arrêta tout aussi soudainement qu’elle s’était levée. « Déa… » Reprit Béatrice à son tour, mais elle se tut en voyant un homme se dresser au bout du couloir, face à eux. Il avait noué une blouse médicale autour de sa taille, laissant à l’air libre son physique presque corpulent, et leur faisait face, sa mine affichant la stupeur à la vue de la femme aux yeux dorés qui lui faisait face.

Une porte du couloir s’ouvrit brusquement, interrompant le silence presque surréaliste. Une adolescente sortit, gémissant de douleur, titubant sous l’effet d’un calmant quelconque. L’homme attrapa lestement la jeune fille et posa sa main sur sa tête. Surprise, l’adolescente ne songea même pas à se débattre. Une douce lueur orangée nimba la main et se propagea le long du corps de la jeune fille, s’arrêtant au niveau du ventre. Là, la lueur orangée se fit plus forte et l’homme ferma les yeux, l’air concentré. L’opération ne prit pas plus d’une poignée de secondes. Lorsque la lumière orangée disparut, l’adolescente était endormie.

L’homme se redressa, la portant jusqu’à la chambre qu’elle venait de quitter. Il en ressortit presque aussitôt, referma soigneusement la porte, et s’approcha de Déa. Celle-ci ne bougea pas et ses deux accompagnateurs ne savaient pas comment ils devaient réagir. L’inconnu prit le visage de Déa dans ses mains et posa son front sur le sien. Les mains se nimbèrent de nouveau de la douce lueur orangée, ainsi que la tête de la femme aux yeux dorés. Cette fois, l’opération prit un peu plus de temps, à la grande nervosité de Valentin et Béatrice.

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Valentin ne pouvait s’empêcher de fixer le dragon. Il avait encore du mal à réaliser qu’il en avait un chez lui. Ses pensées s’éparpillaient et il se redressa soudainement. « J’ai une idée qui pourrait t’aider à retrouver la mémoire, déclara-t-il à Déa avant de venir s’asseoir sur le canapé près d’elle.
– Ton téléphone ? S’enquit-elle en le voyant le lui désigner.
– Internet plutôt, corrigea-t-il.
– Je ne suis pas certaine d’avoir vraiment compris le concept d’Internet, avoua Déa. Mais je n’avais pas l’impression qu’il s’agissait d’une médecine.
– Ce n’est pas le cas, regarde. »

Le jeune homme déploya l’écran holographique et commença à naviguer. « Tiens, voilà ce qui s’est passé la semaine dernière dans les environs – je suppose que tu es du coin – et là c’est le parc à côté duquel nous t’avons rencontrée.
– Rien de ces choses ne me dit quoi que ce soit, soupira la femme aux yeux dorés.
– Mmmh, passons aux personnages célèbres alors… » Le jeune homme fit défiler des personnalités politiques, sportives, e-sportives, artistiques et tout ce qui lui passait par la tête. Mais personne ne disait quoique ce soit à Déa. Ni les personnes connues, ni même les noms des villes.

« Je pense que le problème est plus complexe que ce qu’il y paraît, intervint finalement Béatrice qui se tortillait pensivement une mèche de cheveux. Elle t’a dit que le concept d’Internet ne lui était pas familier. Nous devons prendre en compte la possibilité qu’elle ne vienne pas d’ici.
– Mais d’où alors ? Lança Valentin. Et pourquoi est ce qu’elle ne se souvient pas d’être venue ici, ni d’aucune ville ni rien ? Même la carte du monde ne lui parle pas…
– Je ne sais pas.
– Tu penses qu’on devrait l’emmener aux urgences comme on aurait dû le faire tout à l’heure ? Suggéra le jeune homme.
– Et laisser un dragon tout seul chez toi ? Pointa Béatrice.
– Hmpf… »

Malgré son admiration pour ces animaux mythiques, Valentin n’était pas prêt à en laisser un tout seul chez lui. « Il faudrait passer à ton labo avant, déclara-t-il après quelques instants de silence. Nous installons le dragon là-bas et puis direction l’hôpital. Par contre, je me vois pas promener un dragon dans la rue jusqu’au campus.
– Je vais chercher ma voiture dans ce cas, proposa Béatrice.
– Parfait. » Conclut Valentin.

Comme la jeune femme fermait la porte en s’en allant pour aller chercher son véhicule, Déa plongea dans son regard doré dans les yeux de Valentin, qui se sentit impressionné sans savoir pourquoi. « Je ne comprends pas tout ce qu’il se passe, lui dit-elle. Mais vous paraissez bons et de bonne foi avec votre amie. Je vais donc vous faire confiance. » Le jeune homme eut l’inexplicable impression que l’étrange inconnue venait de lui confier une mission sacrée. Il se tassa un peu sous le regard saisissant de Déa. Cette impression de grandeur émanant d’elle disparut aussi rapidement qu’elle était apparue. Elle lui sourit. Il lui sourit en retour, un peu gêné.

Le petit dragon émit un grognement plaintif. En réponse, la femme aux yeux dorés se mit à le caresser. Enchanté, l’animal se tourna sur le dos, laissant libre cours à la main caressante sur son ventre rond de bébé dragon. « Montre-moi encore des images s’il te plait, demanda Déa. Tout me paraît inconnu, mais tellement fascinant ! » Valentin acquiesça et lui montra des images de la ville. La femme aux yeux dorés penchait la tête sur le côté, comme perplexe face à ce qu’il lui présentait sur son écran holographique. Elle contemplait le tout en silence, posant parfois une question.
Béatrice fut bientôt de retour. Entre temps le dragon s’était endormi. « On le réveille ? S’enquit Valentin.

– Ça risquerait de l’énerver je pense. » Déclara son amie. Le jeune homme réfléchit un instant, puis enroula l’animal dans une vieille couverture qui traînait dans un de ses placard – qui utilisait encore des couvertures ces jours-ci – et Déa et lui entreprirent de le soulever doucement, pour voir s’ils pouvaient le porter à deux. Il était remarquablement léger pour une bête de cette dimension. Pour éviter que sa queue ne traîne par terre, la femme aux yeux dorée la fit passer par dessus son épaule.

Alors qu’ils descendaient les escaliers en le transportant le plus délicatement possible, Valentin croisait mentalement les doigts pour ne pas croiser de voisins. Surtout la pénible du dessus qui adorait traverser son appartement de long en large en talons à partir de sept heures du matin. Il aurait trop envie de lui jeter le dragon dessus, mais il préférait ne pas attirer l’attention. Heureusement ses voisins semblaient tous préférer rester chez eux – certainement en partie à cause de l’alarme songea le jeune homme – et ils parvinrent à la voiture de Béatrice sans se faire remarquer.

Mesurant l’animal du regard, la jeune femme ouvrit le coffre de son véhicule, enleva la plage arrière et rabattit la banquette arrière. Valentin et Déa glissèrent doucement dans la voiture le dragon qui dormait comme le bébé qu’il était. La queue de l’animal participait beaucoup dans sa longueur. Elle était très grande et, heureusement, très souple. Ils purent la faire rentrer en l’enroulant. Sans cela, ils n’auraient jamais pu faire tenir la bête dans l’habitacle.

Déa grimpa d’autorité à l’arrière, sur la banquette rabattue, à côté du dragon endormi. Valentin s’apprêtait à lui dire que ce n’était pas prudent de monter ainsi sans ceinture, mais Béatrice le poussa vers le siège passager avec un regard explicite.

NaNoCamp Avril 2017 J+1 : Préquelles Arkhaiologia

L’animal cligna ses yeux rouges de plaisir sous les caresses.

« Ils ont déclenché l’alarme juste pour lui ? Se demanda tout haut Béatrice. Il ne paraît pas si dangereux en plus.
– Il n’est peut-être pas seul, supposa Valentin en grattouillant le cou de la créature. Je ne sais pas combien d’œufs pondent les dragons.
– Une douzaine, intervint Déa. Normalement peu d’entre eux parviennent à sortir du nid car la mère s’occupe de ne garder qu’un ou deux, parfois trois, parmi les plus aptes de sa portée. Les autres… Meurent.
– Cela voudrait dire qu’une dragonne adulte a pondu ses œufs dans le coin ? Reprit Béatrice.
– Si quelqu’un a repéré un dragon adulte en ville, je comprends mieux l’alarme. »

Ce disant, Valentin s’imaginait apprivoiser le dragonnet. « Je ne pense pas qu’il y ait de dragon adulte dans les environs, déclara Déa pensivement.
– Pourquoi ça ? S’étonna Béatrice. Un dragon adulte a bien dû pondre l’œuf de ce bébé, non ?
– Oui, acquiesça la femme aux yeux dorés. Mais je ne sens pas assez de magie pour qu’un dragon adulte puisse survivre. Il n’y en a probablement aucun. Et ça m’énerve de savoir ça sans savoir qui je suis ! »

Une volée de dragonnets passa au-dessus d’eux, poussant des cris dans la nuit qui les firent sursauter. Des drones les poursuivaient en bourdonnant. D’un commun accord, les deux amis enjoignirent à Déa de convaincre l’animal perché au balcon de rentrer à l’intérieur de l’appartement. Ni Béatrice, ni Valentin, ne tenaient à passer à côté d’un tel spécimen à étudier ; ils doutaient que les drones suivaient les dragonnets pour jouer avec eux. Ils ne savaient pas si c’était pour les abattre, mais ils préféraient ne pas prendre le risque de le perdre.

Déa attira la créature à l’intérieur avec un morceau de viande crue qu’elle venait de faire apparaître dans sa main et alla de nouveau s’installer sur le canapé. Le petit dragon se coula dans l’appartement à sa suite et la rejoignit, ouvrant la gueule avec espoir. La femme aux yeux dorés le récompensa avec la viande, qu’il avala goulûment. Les deux amis les rejoignirent aussitôt, après avoir fermé la baie vitrée. Tandis que Déa nourrissait le bébé, Béatrice prit Valentin à part.

« Qu’allons-nous faire d’eux ? Lui souffla-t-elle. Toi ou moi pourrions héberger Déa, mais le dragon ? Qu’en ferons-nous ? Vu sa taille il ne supportera pas de rester enfermé dans l’un de nos deux appartements. Et puis j’ose même pas imaginer la quantité de nourriture qu’il doit ingurgiter.
– Ton labo, je ne vois que cette solution.
– Ce n’est pas mon labo… Mais tu as peut-être raison. L’agrandissement est terminé et prêt à l’emploi. Je suppose que Massamba et Pommier pensaient plutôt y loger des banshees ou je ne sais quoi d’autre. Je ne pense pas qu’ils verront d’inconvénient à avoir un jeune dragon à observer. Je suis certaine qu’ils trouveront fascinant le fait que les dragons – comme les fées – possèdent trois paires de membres.
– Tant qu’ils ne le charcutent pas, ça me va.
– Tu sais que, maintenant, l’imagerie médicale a évolué et qu’on a plus à ouvrir les êtres vivants pour voir ce qu’il y a à l’intérieur, n’est ce pas ? » Le taquina Béatrice.

Valentin la chatouilla en guise de représailles, puis ils s’installèrent tous deux face à leurs hôtes. Le petit dragon s’était couché sur le canapé, sa tête dans le giron de l’étrange femme aux yeux dorés. « Vous êtes bien gentils de vous occuper de nous, les remercia Déa tout en couvant l’animal d’un regard attendri. Je ne suis pas sûre d’avoir compris toutes vos pensées, mais tout ce que j’ai perçu était positif à notre égard. Vous pensez vraiment que certaines personnes pourraient nous vouloir du mal ?
– Du mal, pas vraiment, la rassura Valentin. Mais je suis certain de nos intentions à nous, du moins.
– Par contre, compléta Béatrice, je doute que nous puissions laisser le dragon en liberté à l’heure qu’il est. Tout le monde va le considérer comme dangereux et je crains qu’il ne soit abattu si on le laisse dehors. »

Déa leur adressa un grand sourire : « Les dragons sont dangereux. Un dragon adulte peut détruire une cité à lui tout seul.
– Et comment fait-on pour empêcher ça ? S’enquit Valentin.
– S’en faire des amis, expliqua-t-elle en caressant le dragonnet. Ou avoir de puissants mages pour se protéger.
– Et tu ne sais toujours pas comment tu as connaissance de toutes ces choses ? Vérifia Béatrice. Parce qu’il semblerait que tu sois la seule personne au monde à savoir tout ça.
– Ce serait intéressant que tu nous dises d’où tu tiens toutes ces informations. » Renchérit le jeune homme.

« Vous êtes des érudits je vois. » Déa sourit de nouveau et Valentin eut la désagréable impression qu’elle lisait toujours dans leurs pensées. « Toujours en quête de savoir, poursuivit rêveusement la jeune femme aux yeux dorés, vous voulez tout comprendre… Oh, et oui, je continue de capter vos pensées, mais c’est plus fort que moi, je ne fais pas exprès. » Elle leva fièrement la tête :

« J’aimerais bien savoir, moi aussi. Je ferai ce que je peux pour vous aider.
– Tant mieux ! S’exclama Béatrice. Parce que j’ai une question.
– Oui ?
– Tout à l’heure, tu as dit qu’il n’y avait pas assez de magie pour un dragon adulte, commença la jeune femme. Et tu m’as clairement l’air d’être une magicienne. Tu peux déjà faire des choses complètement folles, comme te régénérer, ou lire nos pensées, faire apparaître des trucs, ou parler aux dragons… Ou que sais-je encore. Penses-tu que tu pourrais faire encore plus de choses s’il y avait assez de magie pour entretenir des dragons adultes ? »

Déa resta silencieuse, comme si elle réfléchissait. « Je ne suis pas vraiment une magicienne, déclara-t-elle enfin. Enfin, j’ai certaines capacités et elles utilisent de la magie. Mais magicienne ne me semble pas le terme approprié.
– D’accord, acquiesça Béatrice, nous réfléchirons au terme approprié plus tard dans ce cas.
– Pour répondre à ta question, reprit Déa, je suis certaine que si ce monde possédait plus de magie, je serai plus puissante. Peut-être même que je ne serais pas amnésique !
– Tu penses que ça a un lien ? S’enquit curieusement Valentin.
– Non, je ne sais pas du tout, pouffa la femme aux yeux dorés. J’ai plutôt l’impression de m’être cognée la tête. »

NaNoCamp Avril 2017 J : Préquelles Arkhaiologia

Alors qu’ils questionnaient leur invitée sur les divers plats et boissons qu’elle avait fait apparaître et que celle-ci leur répondait la bouche pleine, une sirène retentit à l’extérieur. Ils s’interrompirent. « Qu’est ce que c’est ? S’inquiéta Déa après avoir avalé sa bouchée. Un danger ? » Les deux amis échangèrent un nouveau regard incertain. Leur réflexe suivant fut d’attraper leurs téléphones à la recherche d’informations. La jeune femme amnésique ne posa pas plus de questions, mais Valentin et Béatrice perçurent une petite piqûre dans un coin de leur esprit.

« Personne ne doit sortir et ceux qui sont dehors doivent se diriger vers l’abri le plus proche, résuma le jeune homme.
– Ce n’est pas une alerte toxique, renchérit Béatrice, mais il n’y a pas trop d’indications sur ce que c’est.
– Il faudra certainement attendre les infos pour savoir, soupira-t-il. De toutes façons… » Un barrissement assourdissant retentit, l’empêchant de terminer sa phrase.

« Quoi encore ? Lâcha Valentin avec nervosité.
– Pour une fois, je sais ce que c’est ! S’exclama joyeusement Déa. C’est un dragon. Un jeune je dirais.
– Un dragon ? S’étrangla Béatrice. Comment tu sais ça ? Ohlàlà, on avait pas encore vu de dragon… Il faut que je le voie !
– Tu veux aller voir un dragon ? S’ébahit son ami en roulant des yeux effarés. Tu es folle, c’est beaucoup trop dangereux !
– Oh non, ce n’est pas si dangereux si on sait comment s’y prendre, lui assura Déa. Et s’il est suffisamment jeune, il ne sait pas encore cracher.
– Comment sais-tu tout ça ? S’enquit Béatrice.
– Aucune idée. »

Sur ces mots, la femme aux yeux dorés se leva et, avisant que la porte-fenêtre de la cuisine donnait sur un balconnet, sortit à l’extérieur. Les deux amis se concertèrent brièvement du regard avant de la suivre. Une fois dehors, Déa inspira profondément l’air nocturne. « Je n’ai jamais vu une ville pareille, murmura-t-elle. Et l’odeur est bizarre. » Elle se racla la gorge, inspira une nouvelle fois et poussa un barrissement similaire à celui du dragon. Après quelques poignées de secondes, elle réitéra, mais sur un timbre légèrement différent. Le temps continua de s’écouler sans qu’il ne se passe rien. Une brise fraîche les effleura.

Les deux amis commençaient à se demander ce qu’ils attendaient lorsque de lourds battements claquèrent au dessus du petit balcon. Leurs yeux s’arrondirent en voyant un dragon de la longueur d’une petite voiture s’accrocher à la rambarde et faire face à Déa. Cette dernière, souriante, flatta la tête de l’animal dont les écailles projetaient des éclairs rouges à la lumière des lampadaires et de l’éclairage de l’appartement de Valentin. « Je peux le caresser ? S’enquit Béatrice avec envie. Je n’aurais jamais cru voir un véritable dragon un jour.
– Bien sûr, l’invita Déa. Il était un peu perdu et paniqué, mais il se sent mieux à présent. Il ne mordra pas. »

L’amie de Valentin leva doucement la main en direction du petit dragon. Celui-ci se tourna vers elle et lui adressa un sifflement de mise en garde. La femme aux yeux dorés rassura l’animal, qui consentit à se laisser effleurer par Béatrice. « Ses écailles sont douces et chaudes ! Commenta-t-elle joyeusement. Essaie ! » Lança-t-elle ensuite au jeune homme. Ce dernier ne se fit pas prier et s’approcha à son tour du petit dragon. Après avoir étudié tous les mythes liés aux dragons, il était enchanté d’en voir un et avait même du mal à y croire.