Le fort du Dragon

Je me suis adossé à une colonne. Je haletais et maintenais debout Carline, dont les jambes flageolaient et les yeux roulaient dans leurs orbites. Bon sang, elle avait besoin de soins de toute urgence ; la fléchette devait être empoisonnée, à moins qu’elle n’ait perdu trop de sang.

Je devais me dépêcher : après avoir inspiré profondément, j’ai jeté un bref coup d’œil derrière le pilier. Aucun poursuivant en vue, mais je les entendais distinctement, au loin. Raffermissant ma prise sur mon amie d’un côté et ma masse d’arme de l’autre, j’ai continué à avancer en prenant garde où je posais les pieds. Je ne voulais pas finir comme Entus ; le sol du vieil édifice s’était écroulé sous ses pas trop lourds et précipités. Son harnois rutilant n’avait pas suffi à le protéger de la chute ; il était mort sur le coup.

En inspectant les alentours, nous avons compris que ce fort était piégé. Le bourgmestre du village avait omis de nous prévenir ! Furieux, j’ai promis de faire payer à ce nigaud bedonnant le décès de notre compagnon. Dielline, d’une voix vibrante d’émotion, avait déclaré : « La colère ne nous mènera à rien pour le moment, Gath. Nous… nous ne nous sommes pas montrés très prudents. Avoue que, mise en garde du bourgmestre ou non, ce n’était pas très professionnel de notre part de ne pas avoir pris le temps de chercher des pièges.

— Bien sûr que nous n’en avons pas cherché ! Le seul danger de cet endroit est censé être un dragon et les dragons sont beaucoup trop présomptueux pour s’abaisser à installer des protections ou systèmes d’alarme, tout le monde le sait ! »

La douce Dielline s’était recroquevillée sous l’éclat de ma véhémence. Les jointures de ses doigts agrippés à son bâton blanchirent. Carline était intervenue en nous assurant qu’elle allait désormais s’occuper des pièges, au cas où il y en aurait d’autres. J’ai soupiré. « C’est une gentille proposition de ta part, mais ce n’est pas ta spécialité.

— Haha ! Je n’ai pas de spécialité, tu sais bien, mais je m’y connais quand même mieux en traquenards que vous deux. »

Elle avait raison, bien sûr. Nous avons donc continué, plus lentement. Pendant que Carline s’occupait de chercher des pièges éventuels, je ruminais en mon for intérieur. Sans Entus, serions-nous capables d’affronter le dragon ? Même si je suis un bon guerrier, je ne portais pas une aussi grosse armure que lui. Nous allions devoir compter sur la magie de Dielline pour en finir au plus vite et Carline devrait probablement nous soigner plus que d’ordinaire. En tous cas, pas question d’abandonner maintenant : nous étions trop avancés dans cet ancien fort qui servait d’antre au dragon. Et la somme promise par le bourgmestre était rondelette, sans parler du prestige d’être venus à bout d’un si formidable adversaire.

« Attention ! » Carline s’était précipitée sur Dielline, les entraînant toutes les deux à terre. J’ai à peine eu le temps de lever mon bouclier pour me protéger de la volée de fléchettes s’abattant sur nous. À ma grande surprise, j’en suis sorti indemne. Mes deux compagnes n’avaient pas été aussi chanceuses : le corps menu de Dielline était criblé de traits et son regard, désormais vide, contemplait le plafond. Carline gémissait, agenouillée à côté du cadavre encore chaud de notre petite magicienne. Elle se tenait l’épaule, dans laquelle était fichée une fléchette.

Atterré, j’ai fixé une dernière fois la douce Dielline. Nous n’allions plus pouvoir continuer à deux, dont une blessée. Si le dragon arrivait maintenant, il aurait tout le loisir de nous dévorer. J’ai attrapé Carline pour l’aider à se relever. « Viens, filons de cet endroit maudit… » Elle gémissait en continu et ne paraissait pas être en état de pouvoir se soigner elle-même. La soutenant de mon mieux, j’ai entrepris de rebrousser chemin en direction de la sortie.

Et puis, les bruits ont commencé, mais pas assez distincts pour que je puisse déterminer quelles créatures les produisaient. Des gobelins ? Des kobolds ? Bon sang, ce pouvait être n’importe quoi ! La seule chose dont j’étais sûr, c’était qu’ils se rapprochaient. J’ai poussé un juron et j’ai bifurqué avec Carline dans un autre couloir. J’espérais ne pas croiser le dragon ou tomber dans un piège, ces derniers ayant certainement été installés par les créatures que j’entendais au loin. C’est là que nous avons débouché sur une vaste salle à colonnades, où je nous avais cachés pour reprendre notre souffle.

Au fur et à mesure de notre progression entre les colonnes, Carline avançait avec de plus en plus de difficulté. J’ai tenté de l’encourager en chuchotant, mais elle ne réagissait presque plus, posant juste un pied après l’autre de manière mécanique et de plus en plus erratique. Occupé à la soutenir, je me suis empêtré les jambes dans un filin qui courait près du sol.

Une détonation retentit pendant que je trébuchais, entrainé par la masse inerte de Carline.

J’ai eu le temps de voir une colonne tomber dans ma direction, mais pas de l’éviter. La douleur était si intense que j’ai pensé mourir sur le coup. Bloqué sous le pilier, je ne sentais plus mes jambes. Lorsque j’ai rouvert les yeux, mon regard a croisé ceux de Carline et son crâne fracassé par une pierre au sol, dans la chute. Les éclats de sa mandoline en miettes étaient éparpillés tout autour de nous, comme une décoration mortuaire.

Je ne pouvais ni bouger, ni proférer le moindre son, et des pas s’approchaient de moi. La lumière tremblotante d’une torche m’éblouit. « Ils sont là ! » cria la voix de celui qui portait la torche. Je sentais ma conscience s’effilocher peu à peu. Quelqu’un enjamba la colonne pour se retrouver du côté de Carline, vers laquelle ma tête était tournée. Il la poussa négligemment du pied, avant de toussoter d’un air dégouté. Puis, il se pencha vers moi.

C’était le bourgmestre. « Ah ben il n’est pas encore mort, lui, constata-t-il. Viens l’achever et puis après on s’occupera de réinstaller tout ça pour les prochains qui se sentiront assez téméraires pour affronter le soi-disant dragon du fort. Je pense qu’on tirera un bon prix de leur équipement ! »

2022, un nouvel espoir

Glorieuses salutations en ce 2022 incertain,

Je ne sais pas toi, mais je trouve que comme 22 est un nombre absolument génial, cette année s’annonce géniale aussi. On y croit ! (assure-t-elle en marchant les yeux fermés sur une fine bande de terre branlante, avec un incendie qui gronde d’un côté, un raz de marée qui se précipite de l’autre et le ciel zébré d’éclairs au-dessus) Ceci dit, on a évité l’apocalypse zombie dont je parlais dans mes vœux précédents et c’est déjà pas mal, il faut bien l’avouer.

J’ignore ce qui nous attend pour 2022, mais je sais ce que je te souhaite : j’espère que cette année sera généreuse en tribulations stimulantes. Pour vivre des aventures aussi satisfaisantes qu’épiques, je te souhaite moult bonus de bonheur, moult trésors incommensurables de dragons, moult buffs de constitution pour passer les jets de santé haut la main et moult réussites critiques sur l’amour pour que tu en aies jusqu’à la fin de tes jours.

Je souhaite que tu croules assez sous toutes ces choses pour que tu puisses en partager partout autour de toi. Que l’année 2022 soit aussi glorieuse que le laisse présager son 22 !

Bisous et à bientôt pour de nouvelles aventures ❤️

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (6/8)

« Une déesse dragonne de cuivre, précisa Vorastrix.
– Elle est la déesse de quoi ? s’informa la jumelle.
– Des blagues ! répondit joyeusement l’homme à la robe d’argent.
– Plus précisément de l’humour, des contes et de l’inspiration, ajouta la ménestrelle.
– C’est ta déesse alors vu que tu es Barde ? demanda Kyr.
– Non, réfuta la Centaure. Mon dieu est Skerrit, le dieu des Centaures. Et vous, quelle est votre divinité tutélaire ?
– On en a pas vraiment, répondit Kilynn. Nos parents vénéraient Pélor, comme la plupart des gens.
– Ha, c’est toujours pratique d’avoir une divinité tutélaire, dit Drakëwynn. Par exemple, si la voix qui te parle dans ta tête s’avère être un dieu ou une déesse draconique, je pense qu’il faudra que tu t’intéresses un minimum à son culte.
– Ca dépend quel dieu draconique hein, intervint Vorastrix.
– Ah bon ? Pourquoi ça ? s’enquit la fille.
– Bah, ce qu’il veut dire, expliqua la Centaure, c’est qu’il y a des dieux draconiques pas très fréquentables.
– C’est le moins qu’on puisse dire… » ronchonna l’homme, avant de reprendre d’un ton plus joyeux : « Mais ça occupe et ça rapporte plus que les démons ou les morts-vivants !
– Ca c’est bien vrai ! approuva la ménestrelle avec véhémence. Tu te rappelles tout ce qu’on a récupéré grâce à Laruk ?
– Oui, ce brave vieux Laruk, c’était un de nos meilleurs ennemis, en convint Vorastrix. Par contre, il n’était pas très malin, lancer un sort utilisable une fois tous les 500 ans pour espionner nos techniques, c’était vraiment du gâchis.
– Surtout pour ce que ça lui a servi… » ajouta Drakëwynn.

Se remémorant de bons souvenirs tout en continuant de marcher, les deux amis se mirent à s’esclaffer. Kyr se promit de demander plus de détails sur cette histoire à la Centaure, une fois son compagnon reparti. Ce qui l’embêtait avec lui, ce n’était pas seulement le fait que l’homme l’ignorait totalement au détriment de sa sœur, c’était surtout qu’il le trouvait inquiétant. Pourtant, objectivement parlant, quelqu’un à qui Kilynn ose parler en le connaissant à peine, qui rit sans arrêt et propose des oranges n’a rien de très effrayant. Mais cet individu-là était en plus doté d’ailes d’anges, d’écailles, de griffes, de crocs et d’un charisme démesuré qui le rendait angoissant aux yeux du garçon. « Au fait, reprit soudainement Vorastrix à l’attention de la ménestrelle. Tu crois qu’on peut survivre trois jours en dormant sans boire ni manger ?
– C’est bien possible, répondit-elle. Mais dans ce cas là on doit se sentir un peu faiblard au réveil. Pourquoi tu me demandes ça ?
– Oh, pour rien…
– C’est Onbu qui a encore fait des siennes, c’est ça ? s’enquit Drakëwynn.
– Hihi ! pouffa son ami en guise de réponse. Quoiqu’il en soit, j’ai encore plein de choses à faire pendant ces trois jours ! A plus tard ! »

Sans attendre de réponse, il déploya ses grandes ailes neigeuses et il s’envola. Une fois en l’air, il héla ses dragons et ils disparurent tous les trois après un marmonnement de Vorastrix, suivi d’un claquement de doigts. Emlyg, n’ayant plus son compagnon de jeu, retourna se poser sur le dos de la Centaure et s’employa à taquiner l’aigle perché sur l’épaule de celle-ci. « Qu’est ce qu’il voulait dire ? demanda Kyr à la ménestrelle.
– Aucune idée, répondit celle-ci. Il a du faire une bonne blague à quelqu’un à mon avis. C’est pas toujours facile de suivre son cheminement de pensées.
– Ca, on avait remarqué, grommela le garçon.
– Je trouve que tu y arrives plutôt bien, à le suivre, déclara Kilynn.
– Oh, c’est parce que ça commence à faire un bout de temps que je le pratique ! expliqua Drakëwynn.
– Même s’il a l’air d’un crétin, il a de grands pouvoirs non ? s’enquit Kyr. Il me fait peur.
– Peur ? s’esclaffa la Centaure. Tant que tu n’es pas son ennemi, tu n’as rien à craindre de lui, va. Il est effectivement très puissant, maîtrisant même plusieurs sortes de magies. Et, ne te fie pas à son air idiot qu’il affectionne. Il est loin d’être bête, il pense juste de manière… différente.
– C’était lui ton ami ensorceleur passionné par les oranges dont tu nous avait parlé hier soir ? s’informa Kilynn comme pour vérifier quelque chose.
– Oui oui, c’était lui, le seul, l’unique ensorceleur aux oranges ! confirma la ménestrelle.
– Je m’en souviens, ajouta le frère. Tu nous avais dit qu’il devait être quelque part à embêter des gens et à distribuer des oranges. Faut croire que tu avais raison sur les deux points…
– Allons, ne laisse pas ses facéties te vexer, Kyr, lui conseilla la Centaure. Il adore par dessus tout taquiner les gens susceptibles.
– Drakëwynn, tu nous racontes ces histoires avec Laruk ? demanda la sœur.
– Laruk ? mmmh, il y a pas mal de choses à raconter à son sujet… A mon avis, vous deux le connaissez au moins de réputation.
– Ah bon ? s’étonnèrent les enfants.
– Oui, appuya la ménestrelle. C’est celui qui a assassiné l’ancien Roi de la Cité d’Hogg.
– L’Assassin Rouge ? voulu savoir Kyr.
– Lui-même, confirma Drakëwynn. C’est vrai qu’il était bien plus connu sous le nom d’Assassin Rouge.
– Mais… l’Assassin Rouge a été défait par la Compagnie de la Licorne… » dit le garçon de manière hésitante car il ne savait pas vraiment lui-même ce qu’il voulait entendre par là. « Je veux dire, il était votre ennemi à ton groupe et toi, mais ne me dis pas que…
– Que ? s’enquit la ménestrelle avec curiosité.
– Une Centaure Barde, murmura Kilynn. Un ensorceleur qui donne des oranges, un dragon d’or, des Mages Rouges pour ennemis, l’Assassin Rouge… Je crois qu’il n’y a plus de doute à avoir : finalement, c’est bien toi Ekwo de la Compagnie de la Licorne ?… »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (5/8)

Vorastrix le regarda, l’air étonné, comme si il n’avait effectivement pas encore remarqué le jeune garçon. Il s’effaça prestement devant lui et lui déclara d’un ton d’excuse : « Oups ! Je suis au milieu de la route c’est vrai, vous pouvez passer à présent messire, bon voyage à vous ! Alors, tu disais ? enchaîna-t-il directement à l’attention de Drakëwynn.
– Mais je suis avec elles ! Je suis le frère de Kilynn ! s’énerva le garçon.
– Désolé p’tit, j’ai rien besoin d’acheter, s’excusa l’homme ailé sur un nouveau ton. Décidément cette route est bien fréquentée ! On ne peut même plus discuter tranquillement ! »

Il s’écarta de nouveau mécaniquement, comme pour laisser une fois de plus le passage à Kyr. Ce dernier décida d’abandonner, se disant que s’époumoner ne servirait à rien. Il se demandait même si Vorastrix n’était pas en train de se moquer ouvertement de lui. Mais il n’eût pas le temps de penser plus avant : la ménestrelle continua sa conversation avec son ami, tout en reprenant la route. Les jumeaux remontèrent sur Nuit-Noire pour les suivre. Ce faisant, le garçon se prit à espérer que l’étrange individu ne les accompagnerait pas tout le voyage. Il trouvait que Drakëwynn suffisait amplement côté bizarrerie. Le dragon d’or, quant à lui, s’envola pesamment pour contempler le monde de haut. « Kyr, elle me parle encore, chuchota Kilynn à son frère.
– Qui ça ? ta voix ? » s’enquit le garçon.

Sa sœur hocha affirmativement la tête. « Oh ! s’exclama la Centaure qui les avait visiblement entendus. Ta voix essaie encore de communiquer avec toi ?
– Pourquoi, pas à toi ? s’étonna Vorastrix à l’adresse de Drakëwynn.
– Bien, on va régler ce problème tout de suite tant qu’on y est, déclara la ménestrelle en ignorant la répartie de son ami.
– Bah, déjà comme problème, il y a qu’elle parle toute seule, ronchonna l’homme tout en sortant une orange de son vieux sac.
– Elle me parlait à moi, pointa Kyr qui se vit superbement ignorer par Vorastrix qui s’employait à éplucher une nouvelle orange.
– Kilynn, commença la Centaure, je vais parler dans différentes langues, et tu vas me dire laquelle ressemble le plus à celle de la voix qui te parle dans ta tête. »

La fille hocha la tête. Tandis que Drakëwynn commençait à dire des phrases dans différentes langues, Kyr observait Vorastrix en boudant. Celui-ci, une fois son orange terminée, en sortit machinalement une autre et, marmonnant ce qui semblait être une incantation, fit jaillir une ligne de glace de son doigt pour givrer son orange. L’air satisfait du résultat, il commença à la manger. Le garçon, bien qu’impressionné par le rayon de givre, continuait de se demander quand l’ami de la Centaure allait repartir. « Ca ressemble à ça ! s’exclama soudain sa sœur.
– Du draconien ? s’étonna la ménestrelle.
– Je sais pas ce que c’est, mais je suis presque sûre que c’est cette langue-là que j’entends, assura Kilynn.
– Qui pourrait bien te parler en draconien par télépathie ? s’interrogea tout haut la Centaure.
– Peut-être Emlyg ? suggéra Vorastrix.
– Pas possible, répondit Drakëwynn. Elle l’entend depuis qu’elle est toute petite, ça ne peut pas être Emlyg.
– Lui aussi parle dans la tête des gens ? s’enquit Kyr.
– Oui, confirma la ménestrelle. Mais il n’est pas assez vieux et n’a pas une assez grande portée télépathique pour que ce soit lui. Non, l’hypothèse la plus probable que je vois, c’est qu’un dieu draconique ou un grand dracosire s’amuse à parler à Kilynn pour une raison ou pour une autre.
– Un dieu draconique ? s’étonna la sœur.
– Un grand dracosire ? C’est sûr que ce sont des hypothèses qui coulent de source, ironisa le frère.
– Mais oui ! s’exclama Vorastrix en se frappant le front du plat de la main. Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ? C’est peut-être un dieu draconique qui t’a choisie ! Ce sont des choses qui arrivent.
– Choisie moi ? balbutia Kilynn. Mais pourquoi ?
– Pour ça, il faut que tu apprennes la langue, expliqua la Centaure. Ou alors tu lui demandes de te parler en langue commune. Sont pénibles ces dieux à croire que leur langue de prédilection a le monopole. Dans tous les cas, je comprends maintenant pourquoi mon ami… Vorastrix te regardait bizarrement.
– Bizarrement, moi ? s’offusqua l’homme chauve. Y a rien de bizarre dans ma façon de regarder les gens. Tu veux une orange petite ? »

Kilynn accepta l’orange en question, tandis que son frère se sentait, une fois de plus, laissé pour compte. Voyant que la petite fille prenait le fruit, l’homme fit un bond en arrière, l’air étonné de voir qu’elle avait accepté l’orange. « J’ai une idée, déclara-t-il. C’est peut-être Agrum !
– Agrum ? Et plus sérieusement ? s’enquit la ménestrelle.
– Quoi ? Tu trouves qu’Agrum n’est pas sérieux ? se vexa Vorastrix.
– J’ai pas dit ça, soupira la Centaure. C’est juste qu’il y a peu de chances que ce soit lui.
– C’est vrai, en convint l’homme ailé.
– Qui est Agrum ? demanda Kilynn.
– Quelle inculte ! s’exclama-t-il outré. Ils vous apprennent quoi vos parents ?
– Ils sont morts, l’informa la fille.
– Ah, donc pas grand chose, en déduisit platement Vorastrix. Agrum est le fils de Hlal et…
– Et je vous expliquerai ça plus tard, le coupa la Centaure.
– Qui est… Hlal ? s’enquit Kilynn.
– Une déesse draconique. » Répondit très vite Drakëwynn, avant que son ami ne réponde quelque chose comme « la mère d’Agrum évidemment ! »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (4/8)

Kyr et Kilynn étaient totalement ignorés au détriment d’une retrouvaille entre deux vieux amis qui avaient l’air aussi étrange l’un que l’autre. Le garçon décida, par conséquent, d’intervenir : « Drakëwynn, tu le connais ?
– Oh que oui ! répondit joyeusement celle-ci.
– Drakëwynn ? C’est toi ça ? s’étonna l’homme chauve.
– Il semblerait, confirma la Centaure.
– Hihi ! C’est rigolo ! pouffa-t-il allègrement. Moi… Qu’est ce que c’est que ça ? s’exclama-t-il soudain en désignant les deux enfants.
– Ce sont des jumeaux que j’ai récupéré, lui expliqua la ménestrelle.
– Non, mais ça ! » se plaignit-il en pointant un doigt accusateur en direction de Kilynn.

Il trépignait tant que les enfants prirent peur et glissèrent prestement du cheval pour se réfugier vers Drakëwynn. « Ben quoi, tu vois bien que ce sont des gosses, lui dit-elle.
– Oui, mais elle là, c’est quoi ? » persista-t-il.

Il reprit son calme tout aussi soudainement qu’il l’avait perdu et scruta le ciel d’un air pensif. La Centaure ne semblait pas avoir saisi la véritable teneur du questionnement de son ami et se montra perplexe. L’homme, lui, se mit à observer Kilynn d’un regard inquisiteur. Se frottant pensivement le menton, il lui tourna autour tout en gardant ses yeux braqués sur elle, suspicieux. Le dragon d’or s’approcha à son tour pour assister à la scène de plus près. « Tu sais ce qu’il lui prend, toi ? » lui demanda la ménestrelle. Le dragon hocha négativement de la tête, toujours impassible, voire même blasé. Voyant que l’homme continuait de tourner autour de Kilynn, son frère décida de s’interposer : « Vous la mettez mal à l’aise, arrêtez de la fixer comme ça ! » Comme s’il ne l’avait pas entendu, l’étrange individu continuait à marmonner dans sa barbe – qu’il n’avait pas – et finit par lancer à Drakëwynn, en guise d’explication… un haussement d’épaule. Puis, sautant du coq à l’âne, il lui demanda avec entrain : « Et toi alors, comment ça va depuis la semaine dernière ?
– Bah, je t’ai écrit un mot que Roval t’a apporté, répondit-elle.
– Oh, je l’ai pas lu, Onbu l’a déchiré en voulant me protéger de ton aigle. »

Kyr se demandait qui pouvait être Onbu. En toute logique, puisque le dragon d’or était la seule autre créature en leur compagnie, il devait s’agir de lui. Mais pourquoi un dragon redouterait-il l’attaque d’un aigle messager ? « Tant pis, soupira la Centaure. Je te disais donc…
– Attend ! lui intima son ami à la grande robe d’argent. Réglons d’abord ton problème de pénurie ! »

Il prit un vieux sac à l’air fatigué, l’ouvrit, et bombarda la ménestrelle d’oranges les unes à la suite des autres sans se soucier le moins du monde du lieu d’atterrissage desdites oranges. Mais Drakëwynn avait déjà ouvert son propre sac et réceptionnait adroitement les précieux fruits qui avaient l’air de ne tenir aucune place dans quelque sac que ce fut. Les enfants assistaient, incrédules, à la scène saugrenue qui se déroulait devant eux. Une fois l’échange effectué, l’homme que Kyr trouvait encore plus étrange que la Centaure, reprit : « Donc, tu disais ?
– Je parlais principalement des délicieux champignons que je cueillais sur le bord de ma route. J’en ai plein, t’en veux ?
– Oh oui ! J’en ferai des oranges aux champignons ! » s’enthousiasma l’étrange individu ailé.

Ce fut donc au tour de Drakëwynn de bombarder son ami d’une volée de champignons. Kyr ne savait pas du tout quoi penser de ces deux personnages qui avaient tour à tour l’air puissants et idiots. Des oranges aux champignons, ce devait être infect. En quête d’éventuelles explications sur ces réactions bizarres, il tourna son regard en direction du dragon d’or. Ce dernier, se sentant observé, détourna la tête avec dédain et, l’air de rien, souffla nonchalamment un énorme cône de feu sur la route, faisant sursauter les jumeaux qui roulèrent de grands yeux effrayés. Le garçon vit alors, esquivant les flammes tandis que la ménestrelle applaudissait la performance, une boule s’envoler dans les airs et une voix tonitrua soudain dans sa tête : « Non mais ça va pas ?! Qu’est ce que c’est que ces gamins qui veulent faire leurs intéressants en crachant du feu n’importe où sans faire attention à leur mentor ?! »

Kyr, surpris, remarqua que sa sœur aussi l’avait entendue. « Oh, tiens, bonjour Onbu ! lança la Centaure à la petite boule volante qui s’avéra être un dragon miniature à peine plus gros qu’Emlyg. Tu m’as l’air bien grognon aujourd’hui.
– Hmpf ! » souffla le petit dragon qui s’était posé sur l’épaule de l’ami de Drakëwynn. Puis, le garçon l’entendit de nouveau parler dans sa tête, bien que cela semblait s’adresser à tout le monde : « Ils n’ont pas voulu me choisir pour mentor-protecteur, se plaignait-il télépathiquement. Ils ne savent pas reconnaître la véritable puissance lorsqu’ils la voient. Ils mériteraient que je les mange en civet ces stupides lièvres ! »

Kyr comprit enfin qui était véritablement Onbu et, après ces propos, ne s’étonna plus de savoir qu’il avait attaqué l’aigle de la ménestrelle. En effet, cet animal lui paraissait aussi intellectuellement atteint que son maître. C’est ce moment que choisit le dragon-papillon de la Centaure pour sortir de son sac. Voyant Onbu, il poussa un roucoulement joyeux et s’élança sur lui pour jouer. Celui-ci poussa des grognements offusqués, mais suivit tout de même Emlyg qui s’était envolé. « Je croyais qu’Emlyg était le seul de sa race, s’étonna Kilynn.
– Il l’est, lui assura Drakëwynn. Onbu et Emlyg ne sont pas exactement les mêmes créatures. Tu regarderas de plus près si tu en as l’occasion et tu verras qu’Onbu a de vraies ailes de dragon alors qu’Emlyg dispose d’ailes de papillon. De plus, il a une petite corne sur le nez que n’a pas Onbu et ainsi de suite. Ils ont pas mal de différences.
– Je vois. » commenta sérieusement la petite fille avant de se tourner vers l’homme chauve qui mangeait de nouveau une orange. Elle parut prendre son courage à deux mains pour lui demander : « Qui êtes-vous au fait ?
– Moi ? s’étonna l’ami de la Centaure en se désignant lui-même du doigt. Je suis Vorastrix !
– Vo… commença Drakëwynn avant d’éclater de rire. T’es vraiment incorrigible ! »

Vorastrix pouffait de rire, visiblement très fier de sa plaisanterie que Kyr et Kilynn, ne sachant pas parler le draconien, ne pouvaient, par conséquent, pas comprendre. Le garçon s’interrogeait sur le sens caché de tout cela. « Vous allez où comme ça toutes les deux au fait ? s’enquit l’homme auprès de la ménestrelle.
– Hey ! s’offusqua Kyr avant qu’elle ne puisse répondre. Moi aussi je suis là ! »

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 3 : Jynpo et la politique (4/6)

Natsumi n’attendit pas plus longtemps et s’en fut. Son cousin, quant à lui, congédia ses gardes tout en songeant qu’il devrait aborder le sujet avec Chiba, afin de savoir comment protéger convenablement une jeune fille. Il nota également dans un coin de sa tête qu’il devait toucher deux mots à ce soupirant suspect de Simayi. A ce moment là, il se souvint qu’il avait un dîner et qu’il devait se préparer.

Pour ce faire, il retourna dans ses appartements, où il enfila prestement un riche yukata, et son plus beau haori de réception, brodé du signe du dragon. Inquiet de l’image qu’il allait donner, il s’inspecta dans son miroir. Malgré la richesse du vêtement, il se sentait un peu nu sans arme ni armure. D’ailleurs, ses compagnons sylvestriens ne se priveraient pas de quelques remarques désobligeantes sur le manque de virilité de sa tenue, pourtant traditionnelle. Il prit son katana et son wakisashi en main, et posa devant la glace. Cela n’avait pas autant de prestance que s’il avait été en armure, mais il se trouvait tout de même particulièrement élégant. « Si seulement Lyanna pouvait me voir, je me demande si cela lui plairait… » se questionna-t-il dans un profond soupir mélancolique. Se reprenant, il décida d’exécuter quelques passes d’armes, tout en continuant à apprécier l’esthétique du mouvement grâce à son miroir.

Après quelques longues minutes d’exercices, qui lui permirent de se remettre de ses pensées nostalgiques au sujet de son bel amour à sens unique, il se rendit compte qu’il était en retard pour le dîner. Il partit alors en trombe hors de sa chambre, bousculant un serviteur de passage et lançant des excuses à tout va. Arrivé devant la porte de la salle à manger, il s’aperçut qu’il avait toujours ses armes en main. Gêné mais pressé, il examina les différentes possibilités qui s’offraient à lui et, avisant un vase Ming aussi haut que lui, fourra son daisho à l’intérieur. Fier de son sens de l’improvisation, il réajusta son kimono et entra en espérant intérieurement ne pas attirer l’attention sur son retard.

Les regards de ses invités convergeant immédiatement sur sa personne, ses espoirs se virent immédiatement déçus. Penaud, il déclara à l’assemblée : « Euh, pardon ? » et se hâta se rejoindre sa place, espérant ne pas avoir trop fait entorse au protocole. Il s’assit rapidement entre ses deux conseillers Hideaki et Chiba, lui-même à côté de Ura, l’ami d’enfance du Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato. Le repas commença dans le silence le plus total, jusqu’au moment où Jynpo se souvient que c’était lui, en tant que Seigneur des lieux, qui devait commencer à parler. Il décida de s’adresser à son invité, assis de l’autre côté de la table, une place à sa gauche : « Hem… Vos appartements vous conviennent-ils Kame-sama ?
– Fort bien Mirumoto-sama, répondit plaisamment Sothy du Clan de la Tortue. Permettez-moi de vous présenter mon conseiller Kame Kuan Ti-san. » Celui-ci s’inclina poliment à l’attention de Jynpo, qui lui rendit son salut. « Et ma nièce Kame Lian Shi-chan.
– C’est un honneur de se retrouver à la même table que le héros de l’Empire, déclara-t-elle avec une œillade aguichante tout en s’inclinant gracieusement.
– C’est très aimable de votre part, dit Jynpo en rosissant ne sachant pas vraiment comment répondre au compliment. Pour ma part, je vous présente mes estimés conseillers Kitsuki Hideaki-san et Mirumoto Chiba-san, ainsi que mon ami d’enfance Mirumoto Ura-san et ma cousine Yasuki Natsumi-san du Clan du Crabe. »

Les conversations glissèrent rapidement sur divers sujets de moindre importance, tels que la nourriture, le château Togashi ou encore le voyage du chef du Clan mineur de la Tortue. Hideaki laissa ces discussions futiles suivre leurs cours, se focalisant sur les répercussions possibles de la présence de la jeune Lian Shi. En effet, il n’avait pas anticipé un passage à l’acte si rapide de la part de Kame Sothy. Ce dernier avait tout de même fait un détour dans son voyage afin de venir présenter en personne une prétendante au chef du Clan du Dragon. Bien qu’ayant conscience que diverses prétendantes allaient bientôt affluer, être pris de vitesse par un Clan mineur et éloigné le mortifiait quelque peu.

Justement, le matin même, il arrêtait le nom de la prétendante officielle de sa famille, les Kitsuki, en présence des principaux représentants de celle-ci. Kitsuki Eru était une jeune fille vive et jolie, aux longs cheveux presque bruns. Elle jouait souvent au shogi avec son oncle Hideaki, qui avait tout fait pour qu’elle obtienne l’aval de l’ensemble de la famille, en vue de devenir, peut-être, la future femme de Jynpo. Ennuyé d’avoir trop attendu avant de l’avoir présentée, et voyant que ce simple repas diplomatique était utilisé comme prétexte à introduire une prétendante, le Conseiller Kitsuki songea que la concurrence allait être rude. Il allait devoir mettre tout en œuvre afin de défendre les intérêts de sa famille.

« La Sylvestrie est-elle une destination courante pour vous, ou vos marchands ? s’enquit Natsumi.
– Il n’est pas facile de commercer avec la Sylvestrie, répondit Sothy. Ces gens sont peu raffinés et leurs mœurs pour le moins étranges. D’ailleurs, cela n’a pas du être facile de passer si longtemps dans une contrée aussi hostile, Jynpo-sama. Je vous admire d’avoir su porter la grandeur et la lumière de l’Empire si loin au delà de nos frontières !
– Merci bien, j’ai fait de mon mieux.
– Et dire que vos épreuves étaient loin d’être terminées une fois de retour, continua le Chef du Clan de la Tortue. Penser que vous avez su triompher du pire mal qui puisse arriver : la trahison d’un membre de votre propre famille !
– Ah, oui… En effet, triste histoire, éluda Jynpo.
– Je n’insisterai pas plus, intervint Sothy. Je comprends que ce furent des moments très difficiles. Pour revenir à ces terres mystérieuses et sauvages que vous avez parcouru pendant si longtemps, j’aurai aimé savoir quelles ont été vos impressions à propos des habitants de cette contrée ? »

Le Seigneur du Clan du Dragon resta un moment silencieux, à rassembler ses idées, cherchant la meilleure manière de formuler ses expériences hétéroclites. « Et bien, ils ne sont pas du tout comme ici. Mais ils sont très gentils… Enfin, pas tous, parce qu’il y a aussi des personnes peu recommandables en Sylvestrie. Cela dépend vers où on va.
– A quels endroits êtes vous donc allé ?
– J’ai commencé par me rendre dans un village gnome au cœur de la forêt, très nombreuses en Sylvestrie. Puis, après un arrêt dans un village d’Hommes-Lézards peu sympathiques, j’ai fini par arriver à Estaria, une petite ville du royaume d’Hogg, où je me suis rendu également par la suite. Bon, au passage j’ai fait escale sur une île démoniaque, mais je ne sais pas si elle fait vraiment partie de la Sylvestrie. Je suis aussi passé par Khaz Mithral, une ville naine dans la montagne, mais après je suis revenu en Yamato pour m’occuper du Clan. »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (3/8)

Puis, scandant la formule du parchemin plus que faisant une incantation professionnelle et ce, tout en exécutant de grands gestes, la Centaure fit apparaître, dans l’espace laissé par les villageois, une immense table chargée de victuailles en tout genre. Il y avait de la place pour tout le monde et un divin fumet se dégageait des plats. La ménestrelle fit signe aux habitants du village de prendre place. « Installez-vous et ne vous privez pas ! Buvez bien également, le tout a des propriétés curatives qui vous guériront et vous donneront une forme du tonnerre ! » Les bien-portants aidèrent les malades à s’asseoir et prirent place à leur tour. Drakëwynn poussa Kyr et Kilynn à jouir également du repas et, comme il restait une place, elle en profita elle aussi. Les enfants ne purent dire combien de temps dura le festin, mais, comme la Centaure l’avait prédit, les malades guérirent en mangeant et tous se sentaient remarquablement bien. Lorsque les reliefs du repas disparurent en même temps que le sort arrivait à son terme, les villageois vinrent remercier la ménestrelle tour à tour. Ce fut une vague de « Grand merci Dame Ekwo ! » « Nous vous en serons éternellement reconnaissants Maîtresse Ekwo ! » et autres variations sur le même registre. Drakëwynn abrégea les remerciements en invoquant le prétexte qu’elle avait encore bien de la route à parcourir avant le soir et c’est ainsi que les jumeaux et elle quittèrent le village, sous les vivats de ses habitants.

« Et bien, soupira la Centaure une fois qu’ils ne virent plus le hameau, après ce contretemps, il faut croire qu’on arrivera pas en ville aujourd’hui finalement.
– Dis Drakëwynn, appela Kyr qui commençait à bien savoir diriger le cheval.
– Oui ?
– Pourquoi les villageois t’appelaient tous Ekwo ?
– Tu sais qui est Ekwo, n’est ce pas ? s’enquit la Centaure.
– Oui bien sûr, répondit le garçon. C’est la ménestrelle de la Compagnie de la Licorne.
– Et, sais-tu de quelle race elle est ? demanda Drakëwynn.
– C’est une Centaure… Oooh, j’ai compris ! s’exclama-t-il. Comme tu es une Centaure et qu’en plus tu es Barde, ils t’ont prise pour la célèbre Ekwo, c’est ça ? »

Drakëwynn éclata de rire. « Quelque chose dans ce goût là, oui ! répondit-elle en riant toujours.
– Qu’est ce que j’ai dit de drôle ? » maugréa Kyr en se tournant pour s’adresser à sa sœur.

Celle-ci paraissait choquée, mais ne dit pas un mot, malgré les nombreuses questions que lui posa son frère pour s’enquérir de son problème. Il finit par abandonner et continua la route en grommelant. Puisqu’ils savaient qu’ils n’arriveraient pas en ville ce jour là, ils ne se pressèrent pas et voyageaient au pas. Plus exactement, Nuit-Noire voyageait au pas. La Centaure, elle, quittait souvent la route pour cueillir des champignons, des fleurs, ramasser des cailloux dont elle trouvait les formes amusantes, faire des moulinets avec ses différentes armes et autres activités qui lui faisaient passer le temps, car elle trouvait que le gros cheval des jumeaux n’avançait pas très vite. « Dis-moi Kilynn, que peux-tu me dire sur la langue que parle la voix dans ta tête ? s’enquit soudainement la ménestrelle.
– Euh… balbutia la fille. C’est difficile à dire. Elle parle d’une manière un peu sifflante…
– Mmmh, ça peut s’appliquer à plusieurs langues ça, déclara la Centaure. Ca ne m’aide pas beaucoup…
– Drakëwynn ! la coupa Kyr. Regarde là-bas, sur le bord de la route ! »

Elle tourna la tête dans la direction que lui indiquait le garçon et Kilynn, qui était derrière son frère, jeta un regard par dessus l’épaule de celui-ci. Au loin, sur le bas côté se trouvait un dragon d’or assis, qui devait faire environ la taille de la Centaure. En face de lui, de l’autre côté de la route, un homme se prélassait, mangeant un fruit. Une orange pour ce que Kyr pouvait en discerner. En plus d’être doté de grandes ailes aux plumes blanches, il était vêtu d’une longue robe argentée, aussi éclatante que son crâne rasé brillant au soleil et portait une cape semblable à celle de Drakëwynn. Une énorme épée à deux mains était attachée sur son dos et un grand cimeterre pendait à sa ceinture. Il avait l’air en grande conversation avec le dragon, un aigle perché sur son épaule. Les voyageurs continuèrent d’avancer et l’homme finit par faire mine de les remarquer. Il se leva alors avec un magnifique effet de cape, en déployant ses grandes ailes neigeuses de toute leur envergure, et se tourna vers eux. Sa prestance était impressionnante et son charisme époustouflant. Il avait tout l’air d’être l’un des lanceurs de sorts les plus puissants de tout le continent de Sylvanie. Selon Kyr, le fait qu’il discute avec un dragon d’or, même petit, en était la preuve irréfutable. Peut-être était-il même un Ange envoyé des dieux.

« Roval ! » s’exclama joyeusement la Centaure. En réponse à ce nom, l’aigle s’envola de l’épaule de l’homme aux ailes blanches pour aller se poser sur celle de Drakëwynn. « Je t’ai ramené ton oiseau. » Déclara le mystérieux individu. Le jumeau remarqua alors que cet homme là, comme la ménestrelle, était doté de griffes, de crocs et de quelques écailles cuivrées lui parsemant le visage. Lui aussi devait être un de ces fameux Disciple des Dragons de Cuivre dont Drakëwynn avait parlé la veille. « Tu tombes bien, lui dit familièrement la Centaure comme si elle le connaissait depuis longtemps. J’étais justement en panne d’oranges !
– J’ai bien fait de venir te ramener ton aigle en mains propres alors ! » se réjouit l’homme.

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 3 : Jynpo et la politique (3/6)

Après avoir remis ses enfants à leur nourrice, puis leur avoir retrouvé Natsumi – ce qui lui avait valu le titre de meilleur papa de Yamato – Chiba se rendit au bureau de son Seigneur. Celui-ci se trouvait apparemment perplexe à la lecture d’une missive. « Tu tombes bien ! s’exclama le jeune Chef de Clan.
– Oui, Jynpo-sama ?
– Je ne comprends pas pourquoi Sunan veut m’envoyer sa fille. Qu’il m’envoie des diplomates, c’est une chose, mais sa fille… Je ne comprends pas, est-elle diplomate ?
– Votre humilité vous honore, mon Seigneur, répondit le Conseiller Militaire en souriant. Mais vous n’êtes pas sans savoir que votre position en intéresse plus d’un. De nombreux pères, y compris Doji Sunan-sama le Chef du Clan de la Grue, souhaiteraient voir leurs filles mariées à un parti aussi avantageux que le votre. En effet, vous êtes l’héritier impérial et Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato, sans compter votre statut de Chef du Clan le plus honorable de tout l’Empire.
– Ah… Elle n’est pas diplomate alors… Mais, je ne la connais pas ; elle va faire ce long voyage fatiguant pour venir me voir, alors que si ça se trouve, je ne lui plairai pas, ou elle n’aimera peut-être pas le château Togashi. Et puis moi c’est sûr que je n’ai pas envie d’aller vivre chez les Grues. Et surtout, je n’ai pas envie de me marier, moi !
– C’est juste une première approche, histoire que vous fassiez connaissance, Jynpo-sama, expliqua Chiba. D’autres prétendantes se présenteront sûrement à vous dans les semaines à venir, vous pourrez faire votre choix.
– Déjà Ethir, puis Natsumi et même Hideaki veulent que je me marie. Alors qu’en Sylvanie, personne ne voulait que je me marie… » lâcha-t-il avec un soupçon de déception dans la voix.

Ne sachant trop que répondre, le Conseiller Militaire profita de la mention de Yasuki Natsumi pour orienter la conversation à ce sujet : « A propos de votre estimée cousine, elle me paraît un peu insaisissable ces derniers temps, particulièrement dans l’enceinte du palais. Il serait peut-être judicieux de garder à l’esprit qu’en tant qu’invitée et membre de votre famille, il en va de l’honneur du Clan de la protéger et de veiller à ce qu’elle reste en bonne compagnie, afin qu’elle ne soit pas mal influencée.
– Elle est en danger ? Quelqu’un lui veut du mal ? Qu’est ce qu’il s’est passé ? s’inquiéta Jynpo la main déjà posée sur son katana.
– Non, non, mais… »

Fonçant dans les couloirs sans écouter Chiba, le jeune Seigneur se mit à la recherche de sa cousine bien aimée. Après quelques minutes de fouille assidue, il la retrouva dans la bibliothèque du château en compagnie de Simayi, disciple du Conseiller en Magie Tamori Liang. Le feu de la vengeance dans les yeux, ses deux lames à moitié sorties de leurs fourreaux, Jynpo rugit, tel le dragon : « Natsumi ! Tu vas bien ? Qui te veut du mal ? » Il jeta un regard assassin au jeune Shugenja. « C’est lui la mauvaise compagnie qui cherche à mal t’influencer ?
– Euh, non. » répondit la jeune fille d’un air perplexe, tandis que son premier interlocuteur se décomposait devant la fureur du puissant Seigneur de ces lieux.

« Oh. » lâcha Jynpo avant d’inspecter les alentours d’un regard suspicieux au cas où quelqu’un d’autre voudrait du mal à sa cousine. « Je vais te détacher des hommes de ma garde personnelle pour qu’ils te protègent. » Et, sans attendre de réponse, il s’en fut au pas de course, ses armes toujours en main. Il se rendit rapidement dans l’un des baraquements de sa garde. Il lança aux hommes présents à l’intérieur du bâtiment « Allez vite voir ma cousine Natsumi et protégez la ! » avant de s’en aller prestement sans plus d’explications. Aussitôt dit, aussitôt fait, les gardes saisirent leurs armes et se précipitèrent en direction du château pour obéir aux ordres.

Pendant ce temps, le jeune Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato était arrivé jusqu’à son havre de paix : son bureau. Là, il prit le temps de se remettre de ses émotions, avant de se remettre à son courrier. Le soir venu, peu de temps avant qu’il ne doive rejoindre ses invités du Clan mineur de la Tortue, quelqu’un s’annonça à la porte. Il sauta alors de son coussin et ouvrit brusquement l’ouverture coulissante. Devant lui se trouva alors Natsumi, les bras croisés, tapant du pied et fusillant son cousin du regard. Décroisant les bras, elle désigna du pouce la vingtaine de grands gaillards en armure qui l’avaient suivie tout l’après-midi. « Ca, ça ne va pas être possible, lâcha-t-elle d’un ton acide.
– De quoi ? s’enquit naïvement Jynpo.
– Tu crois vraiment que c’était nécessaire de me faire suivre par un peloton de ta garde personnelle, pour me protéger d’un danger aussi imaginaire que soudain ?
– C’est pour ton bien, tenta d’argumenter le cousin qui essayait de ne pas se laisser déstabiliser.
– Et ça te prend d’un coup, alors que j’étais en train de discuter avec un soupirant prometteur ?
– Comment ça un soupirant ? s’exclama le Chef du Clan du Dragon. Ton père est au courant ? Et puis c’est qui d’abord ?
– Cela ne te regarde pas. Et tu crois qu’il est beaucoup plus convenable de faire suivre une jeune demoiselle à longueur de journée par une vingtaine de jeunes et beaux guerriers ?
– Euh, je n’avais pas pensé à ça, balbutia Jynpo en jetant un rapide coup d’œil suspicieux à ses gardes. Arrêtez de la suivre, vous. »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 3 : Rencontres (2/8)

Drakëwynn poussa une chaise qui se trouvait devant la table pour coucher son corps chevalin à la place. Kilynn s’assit sur une chaise à côté, son frère à côté d’elle. Emlyg, curieux, était sorti du sac et s’était installé sur les larges épaules de sa maîtresse. Le vieil homme, après avoir demandé à sa femme d’aller chercher de quoi boire pour leurs hôtes, s’assit à son tour, en face de la Centaure qui attendait patiemment qu’il lui explique ce dont il retournait. « Je me nomme Byrn, se présenta-t-il. Je suis pour ainsi dire le bourgmestre de ce hameau. Je sais que vous avez certainement des affaires plus importantes à gérer, mais le village tout entier se meurt. Il nous faut des bras pour s’occuper des champs et des bêtes, mais il n’y en a presque plus de disponible… Nous avons grand besoin de votre aide : pourriez-vous soigner les habitants malades ? Nous vous donnerons tout ce que vous voudrez en échange, notre survie dépend de vous, aidez nous, je vous en prie ! »

La Centaure écoutait les explications, impassible et sans mot dire. « Tu peux faire ça ? lui souffla Kilynn.
– Je ne suis pas médecin, ni prêtresse, répondit tout haut Drakëwynn.
– Je… Je suis sûr que vous pouvez faire quelque chose ! se récria le vieil homme. Je vous reconnais ! Je vous ai vue à Hogg, vous êtes E…
– Néanmoins, le coupa-t-elle, je peux ausculter quelques personne pour voir si je peux faire quelque chose pour eux. Mais ne vous faites pas d’illusions. Si vous me connaissez, vous savez que c’est mon amie la guérisseuse, pas moi. Je suis seulement Barde.
– Je vous remercie Ma Dame, je suis certain que vous avez le pouvoir de nous sauver.
– Par qui dois-je commencer ? s’enquit-elle en dépliant ses jambes afin de se lever.
– Mon fils et ses enfants si possible, ils sont juste là. » répondit Byrn en désignant une alcôve dans un des coins de la pièce.

Son dragon-papillon toujours sur l’épaule, Drakëwynn écarta le tissu qui faisait office de rideau de séparation et s’approcha des deux lits qui se trouvaient derrière. Kyr et Kilynn s’approchèrent pour la regarder œuvrer. Dans l’un des lits reposaient un homme et un adolescent à peine plus âgé que les jumeaux qui voyageaient avec la ménestrelle. Dans l’autre se trouvaient trois petites filles, plus jeunes. Tous avaient l’air très mal en point. Ils respiraient difficilement. Le vieil homme et sa femme observaient les faits et gestes de la Centaure, plein d’espoir. Celle-ci ausculta les malades les uns à la suite des autres, tout en gardant son masque d’impassibilité. Kyr, pour sa part, ne se sentait pas très bien. Cela ressemblait exactement au mal qui avait terrassé ses parents. Il tourna son regard vers sa sœur. Elle était d’une pâleur mortelle. « Je suppose que je n’ai pas le choix, soupira soudainement la ménestrelle.
– Vous allez faire appel à votre amie la guérisseuse ? s’enquit Byrn.
– Pas possible, je ne peux pas la contacter, répondit-elle. Combien de malades y a-t-il dans ce hameau ?
– En tous nous sommes une trentaine, en comptant les enfants. Plus de la moitié d’entre nous sont malades, résuma le vieil homme.
– Mmmh, mettons que chaque enfant compte comme une demi part d’adulte et c’est parfait ! se réjouit Drakëwynn. Byrn, rameutez tout le monde, les malades comme ceux qui ne le sont pas encore. Qu’ils se rassemblent tous sur ce qui vous sert de place du village ! »

Sans demander d’explications plus détaillées, l’homme s’en fut réunir les habitants. « Que vas-tu faire ? demanda Kilynn à la Centaure.
– Les convier à un festin curatif ! répondit joyeusement la Femme-Jument en sortant un parchemin de son étui. Kyr et toi en ferez aussi partie. Allez, aidez moi à sortir ces cinq malades du lit ! »

Aidés de la vieille femme, ils firent sortir le père et ses quatre enfants dehors, sous le soleil automnal. Une fois tout le village réuni, la ménestrelle s’adressa à eux en ces termes : « Mesdames et messieurs, cher public, je vous salue ! Comme il se trouve que j’erre souvent sur les routes, vous me connaissez peut-être de vue et de réputation. » Des murmures révérencieux s’élevèrent de la part des habitants. « Les dieux ont mis votre village sur ma route et ce, probablement afin de m’enjoindre de vous libérer de ce fardeau, cette maladie qui vous tyrannise et vous afflige ! » Kyr trouvait déconcertant l’aisance avec laquelle Drakëwynn était passée du registre courant qu’elle employait avec eux, à l’emphase bardique dont elle faisait preuve à présent. La voix et les intonations de la Centaure avaient totalement changé. « D’ordinaire, continua-t-elle, la guérison n’est pas ma spécialité. Mais aujourd’hui, pour vous, je vais user d’un parchemin magique dont j’ai fait l’acquisition dans la prestigieuse ville semi-sous-marine de Nolthrian, qui se trouve à des milliers de lieues d’ici. »

Le garçon se demanda si tous les Bardes exagéraient autant qu’il lui semblait que Drakëwynn le faisait. Voyant que cela impressionnait tout de même les villageois, il ne fit aucun commentaire. Il se promit néanmoins de questionner son imposante compagne de voyage à propos de la part de vérité dans ce beau discours. Sa sœur, elle, paraissait totalement envoûtée par les paroles de la Centaure. « Faites place ! somma soudainement la ménestrelle d’une voix de stentor. Faites place et je vous promets que vous n’oublierez pas cette journée de si tôt ! » Tandis que les habitants s’écartaient pour créer un espace vide, Drakëwynn continuait de parler en s’avançant : « Aujourd’hui, en ce jour mémorable, vous serez tous mes invités d’honneur, car je vous convie au Grand Festin Magique des Héros ! »

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 3 : Jynpo et la politique (2/6)

Pendant ce temps, Jynpo devisait avec Ura. Il avait réussi à se ménager un peu de temps afin de renouer avec son ami d’enfance. Ce dernier était justement en train de lui faire le récit d’une embuscade rondement menée par Hasaki, à l’encontre de traîtres à la solde de Shiro, feu l’oncle du jeune Seigneur. Il fut soudainement interrompu par l’irruption de Kitsuki Haruko l’Intendant, qui attendit poliment que le maître des lieux l’autorise à prendre la parole. « Oui ? s’enquit Jynpo.
– Kame Sothy-sama, le Chef du Clan de la Tortue vient d’arriver Mon Seigneur. Hideaki-san est en train de l’accueillir. Est-il de votre désir d’aller lui souhaiter la bienvenue Jynpo-sama ?
– Bien sûr, répondit avec empressement le jeune dirigeant du Clan. Excuse-moi Ura, mon ami, mais le devoir m’appelle. »

Alors que l’ancien ronin se levait afin de saluer son Seigneur, Jynpo bondit de ses coussins de soie pour se rendre au plus vite à l’entrée du palais. Chemin faisant, tandis qu’Haruko se pressait en vue de ne pas se laisser distancer, le Chef du Clan du Dragon s’efforçait de se souvenir de ce que son Conseiller en diplomatie lui avait appris et préconisé à propos du Clan mineur de la Tortue. Les terres de ce Clan se situaient à la pointe nord du continent de Yamato, au delà même de la Grande Muraille du Nord qui délimitait autrefois l’Empire. Jynpo se souvient que l’avisé Kitsuki Hideaki avait supposé que Kame Sothy venait probablement afin de réussir à implanter son commerce, apparemment honorable, mais fondamentalement frauduleux, sur les terres du Dragon. En effet, le petit Clan de la Tortue vivait principalement de pêche et de commerce. Mais il était de notoriété publique, même si personne n’avait jamais pu le prouver, que la provenance des produits était parfois plus que douteuse. Ils restaient cependant généralement bien vus de l’administration impériale de par l’importance des profits qu’ils apportaient, grâce aux taxes sur leur commerçants et aux denrées rares qu’ils amenaient d’autres continents, car ils étaient parmi les rares Clans à prendre la mer afin de les visiter.

En arrivant à l’entrée du château, toujours suivi de son Intendant qui commençait à s’essouffler, Jynpo constata que son Conseiller en diplomatie avait déjà rempli les devoirs d’accueil en bonne et due forme du Clan du Dragon. En effet, puisque leur hôte n’était le dirigeant que d’un Clan Mineur, la bienséance n’obligeait pas le Chef d’un Clan Majeur à venir lui souhaiter la bienvenue en personne. Celui-ci regarda l’interlocuteur d’Hideaki. Sothy était un homme de petite stature, raffiné et richement vêtu de soieries de grande qualité, brodées de fils d’or. Le regard qu’il posa sur le jeune Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato pétillait de malice. Le Chef du Clan du Dragon s’approcha des deux hommes, qui s’inclinèrent respectueusement devant lui comme le voulait l’étiquette, et déclara : « Je vous souhaite la bienvenue au château Togashi.
– C’est un honneur d’être ici votre hôte et d’être accueilli par le Seigneur de céans en personne, Jynpo-sama, répondit poliment le Chef du Clan de la Tortue.
– Quant à moi, je suis honoré d’avoir la visite d’un Chef de Clan, et non d’un diplomate, ainsi que c’est souvent le cas. »

Kame Sothy parut agréablement surpris des propos de son hôte et un fin sourire se dessina sur son visage. Mais il n’eût pas le loisir de lui faire une réponse courtoise car celui-ci reprit : « Quoiqu’il en soit, je laisse à Haruko, mon Intendant, le soin de vous mener à vos appartements avec votre suite. Je vous invite à dîner ce soir, nous pourrons parler de ce qui vous amène sur les terres du Clan du Dragon. » Sur ce, il reparti en coup de vent, comme il était venu.

A peine eût-il franchi la porte dans l’autre sens qu’il eût la surprise de se retrouver face à sa cousine d’un côté du couloir, et de l’autre : sa nouvelle Conseillère moine Hitomi Mayu, suivie comme toujours, du nouveau Conseiller Togashi Hotaka. Jynpo s’arrêta, net. La lueur avide qu’il perçut dans le regard de Natsumi ne lui dit rien qui vaille. « Heureusement qu’Haruko emmène le Chef du Clan de la Tortue et sa suite par un autre couloir. » songea avec soulagement le Chef du Clan du Dragon. Les deux moines s’inclinèrent respectueusement devant leur Seigneur, tandis que la jeune fille originaire du Clan du Crabe s’enquit après une légère inclinaison de la tête : « Kame Sothy n’est pas avec vous, Jynpo-sama ? » Ce dernier sentit tout l’effort que sa bien-aimée cousine avait du fournir afin de se montrer courtoise en présence des deux Conseillers.

« Non, répondit son cousin qui sentit un besoin irrépressible de se justifier : j’ai laissé le soin à Haruko de le mener à ses appartements. » Voyant l’expression de Natsumi changer et redoutant ce qui pouvait en découler, il se dépêcha d’ajouter d’un ton enjoué : « Mais je l’ai invité à dîner ce soir, tu n’as qu’à venir !
– Mon Seigneur est généreux ! » le remercia joyeusement sa cousine, qui paraissait soudain aux anges, au grand soulagement de Jynpo. Il fut d’autant plus rasséréné lorsqu’il constata qu’elle s’en allait, après s’être gracieusement inclinée. Ravi de s’être sorti de cette situation, qui aurait pu très mal tourner de son point de vue, il se tourna vers les deux moines et se retrouva confronté à la mine naturellement sévère de Mayu et au visage fermé de Hotaka. Intérieurement, il inspira profondément pour se donner du courage et demanda :

« Que voulez-vous ?
– Nous attendons que mon Seigneur nous fasse part de nos attributions officielles, expliqua la disciple des Kikage Zumi.
– Demandez à Hideaki, nous avons déjà défini tout cela, il vous dira. Je suis désolé, mais le devoir m’appelle. » Sur ces mots, Jynpo s’en fut d’un pas alerte et décidé, laissant Mayu sur sa faim et Hotaka, plus impassible que jamais.