« Il était une fois en Yamato » Chapitre 3 : Jynpo et la politique (4/6)

Natsumi n’attendit pas plus longtemps et s’en fut. Son cousin, quant à lui, congédia ses gardes tout en songeant qu’il devrait aborder le sujet avec Chiba, afin de savoir comment protéger convenablement une jeune fille. Il nota également dans un coin de sa tête qu’il devait toucher deux mots à ce soupirant suspect de Simayi. A ce moment là, il se souvint qu’il avait un dîner et qu’il devait se préparer.

Pour ce faire, il retourna dans ses appartements, où il enfila prestement un riche yukata, et son plus beau haori de réception, brodé du signe du dragon. Inquiet de l’image qu’il allait donner, il s’inspecta dans son miroir. Malgré la richesse du vêtement, il se sentait un peu nu sans arme ni armure. D’ailleurs, ses compagnons sylvestriens ne se priveraient pas de quelques remarques désobligeantes sur le manque de virilité de sa tenue, pourtant traditionnelle. Il prit son katana et son wakisashi en main, et posa devant la glace. Cela n’avait pas autant de prestance que s’il avait été en armure, mais il se trouvait tout de même particulièrement élégant. « Si seulement Lyanna pouvait me voir, je me demande si cela lui plairait… » se questionna-t-il dans un profond soupir mélancolique. Se reprenant, il décida d’exécuter quelques passes d’armes, tout en continuant à apprécier l’esthétique du mouvement grâce à son miroir.

Après quelques longues minutes d’exercices, qui lui permirent de se remettre de ses pensées nostalgiques au sujet de son bel amour à sens unique, il se rendit compte qu’il était en retard pour le dîner. Il partit alors en trombe hors de sa chambre, bousculant un serviteur de passage et lançant des excuses à tout va. Arrivé devant la porte de la salle à manger, il s’aperçut qu’il avait toujours ses armes en main. Gêné mais pressé, il examina les différentes possibilités qui s’offraient à lui et, avisant un vase Ming aussi haut que lui, fourra son daisho à l’intérieur. Fier de son sens de l’improvisation, il réajusta son kimono et entra en espérant intérieurement ne pas attirer l’attention sur son retard.

Les regards de ses invités convergeant immédiatement sur sa personne, ses espoirs se virent immédiatement déçus. Penaud, il déclara à l’assemblée : « Euh, pardon ? » et se hâta se rejoindre sa place, espérant ne pas avoir trop fait entorse au protocole. Il s’assit rapidement entre ses deux conseillers Hideaki et Chiba, lui-même à côté de Ura, l’ami d’enfance du Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato. Le repas commença dans le silence le plus total, jusqu’au moment où Jynpo se souvient que c’était lui, en tant que Seigneur des lieux, qui devait commencer à parler. Il décida de s’adresser à son invité, assis de l’autre côté de la table, une place à sa gauche : « Hem… Vos appartements vous conviennent-ils Kame-sama ?
– Fort bien Mirumoto-sama, répondit plaisamment Sothy du Clan de la Tortue. Permettez-moi de vous présenter mon conseiller Kame Kuan Ti-san. » Celui-ci s’inclina poliment à l’attention de Jynpo, qui lui rendit son salut. « Et ma nièce Kame Lian Shi-chan.
– C’est un honneur de se retrouver à la même table que le héros de l’Empire, déclara-t-elle avec une œillade aguichante tout en s’inclinant gracieusement.
– C’est très aimable de votre part, dit Jynpo en rosissant ne sachant pas vraiment comment répondre au compliment. Pour ma part, je vous présente mes estimés conseillers Kitsuki Hideaki-san et Mirumoto Chiba-san, ainsi que mon ami d’enfance Mirumoto Ura-san et ma cousine Yasuki Natsumi-san du Clan du Crabe. »

Les conversations glissèrent rapidement sur divers sujets de moindre importance, tels que la nourriture, le château Togashi ou encore le voyage du chef du Clan mineur de la Tortue. Hideaki laissa ces discussions futiles suivre leurs cours, se focalisant sur les répercussions possibles de la présence de la jeune Lian Shi. En effet, il n’avait pas anticipé un passage à l’acte si rapide de la part de Kame Sothy. Ce dernier avait tout de même fait un détour dans son voyage afin de venir présenter en personne une prétendante au chef du Clan du Dragon. Bien qu’ayant conscience que diverses prétendantes allaient bientôt affluer, être pris de vitesse par un Clan mineur et éloigné le mortifiait quelque peu.

Justement, le matin même, il arrêtait le nom de la prétendante officielle de sa famille, les Kitsuki, en présence des principaux représentants de celle-ci. Kitsuki Eru était une jeune fille vive et jolie, aux longs cheveux presque bruns. Elle jouait souvent au shogi avec son oncle Hideaki, qui avait tout fait pour qu’elle obtienne l’aval de l’ensemble de la famille, en vue de devenir, peut-être, la future femme de Jynpo. Ennuyé d’avoir trop attendu avant de l’avoir présentée, et voyant que ce simple repas diplomatique était utilisé comme prétexte à introduire une prétendante, le Conseiller Kitsuki songea que la concurrence allait être rude. Il allait devoir mettre tout en œuvre afin de défendre les intérêts de sa famille.

« La Sylvestrie est-elle une destination courante pour vous, ou vos marchands ? s’enquit Natsumi.
– Il n’est pas facile de commercer avec la Sylvestrie, répondit Sothy. Ces gens sont peu raffinés et leurs mœurs pour le moins étranges. D’ailleurs, cela n’a pas du être facile de passer si longtemps dans une contrée aussi hostile, Jynpo-sama. Je vous admire d’avoir su porter la grandeur et la lumière de l’Empire si loin au delà de nos frontières !
– Merci bien, j’ai fait de mon mieux.
– Et dire que vos épreuves étaient loin d’être terminées une fois de retour, continua le Chef du Clan de la Tortue. Penser que vous avez su triompher du pire mal qui puisse arriver : la trahison d’un membre de votre propre famille !
– Ah, oui… En effet, triste histoire, éluda Jynpo.
– Je n’insisterai pas plus, intervint Sothy. Je comprends que ce furent des moments très difficiles. Pour revenir à ces terres mystérieuses et sauvages que vous avez parcouru pendant si longtemps, j’aurai aimé savoir quelles ont été vos impressions à propos des habitants de cette contrée ? »

Le Seigneur du Clan du Dragon resta un moment silencieux, à rassembler ses idées, cherchant la meilleure manière de formuler ses expériences hétéroclites. « Et bien, ils ne sont pas du tout comme ici. Mais ils sont très gentils… Enfin, pas tous, parce qu’il y a aussi des personnes peu recommandables en Sylvestrie. Cela dépend vers où on va.
– A quels endroits êtes vous donc allé ?
– J’ai commencé par me rendre dans un village gnome au cœur de la forêt, très nombreuses en Sylvestrie. Puis, après un arrêt dans un village d’Hommes-Lézards peu sympathiques, j’ai fini par arriver à Estaria, une petite ville du royaume d’Hogg, où je me suis rendu également par la suite. Bon, au passage j’ai fait escale sur une île démoniaque, mais je ne sais pas si elle fait vraiment partie de la Sylvestrie. Je suis aussi passé par Khaz Mithral, une ville naine dans la montagne, mais après je suis revenu en Yamato pour m’occuper du Clan. »

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 3 : Jynpo et la politique (3/6)

Après avoir remis ses enfants à leur nourrice, puis leur avoir retrouvé Natsumi – ce qui lui avait valu le titre de meilleur papa de Yamato – Chiba se rendit au bureau de son Seigneur. Celui-ci se trouvait apparemment perplexe à la lecture d’une missive. « Tu tombes bien ! s’exclama le jeune Chef de Clan.
– Oui, Jynpo-sama ?
– Je ne comprends pas pourquoi Sunan veut m’envoyer sa fille. Qu’il m’envoie des diplomates, c’est une chose, mais sa fille… Je ne comprends pas, est-elle diplomate ?
– Votre humilité vous honore, mon Seigneur, répondit le Conseiller Militaire en souriant. Mais vous n’êtes pas sans savoir que votre position en intéresse plus d’un. De nombreux pères, y compris Doji Sunan-sama le Chef du Clan de la Grue, souhaiteraient voir leurs filles mariées à un parti aussi avantageux que le votre. En effet, vous êtes l’héritier impérial et Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato, sans compter votre statut de Chef du Clan le plus honorable de tout l’Empire.
– Ah… Elle n’est pas diplomate alors… Mais, je ne la connais pas ; elle va faire ce long voyage fatiguant pour venir me voir, alors que si ça se trouve, je ne lui plairai pas, ou elle n’aimera peut-être pas le château Togashi. Et puis moi c’est sûr que je n’ai pas envie d’aller vivre chez les Grues. Et surtout, je n’ai pas envie de me marier, moi !
– C’est juste une première approche, histoire que vous fassiez connaissance, Jynpo-sama, expliqua Chiba. D’autres prétendantes se présenteront sûrement à vous dans les semaines à venir, vous pourrez faire votre choix.
– Déjà Ethir, puis Natsumi et même Hideaki veulent que je me marie. Alors qu’en Sylvanie, personne ne voulait que je me marie… » lâcha-t-il avec un soupçon de déception dans la voix.

Ne sachant trop que répondre, le Conseiller Militaire profita de la mention de Yasuki Natsumi pour orienter la conversation à ce sujet : « A propos de votre estimée cousine, elle me paraît un peu insaisissable ces derniers temps, particulièrement dans l’enceinte du palais. Il serait peut-être judicieux de garder à l’esprit qu’en tant qu’invitée et membre de votre famille, il en va de l’honneur du Clan de la protéger et de veiller à ce qu’elle reste en bonne compagnie, afin qu’elle ne soit pas mal influencée.
– Elle est en danger ? Quelqu’un lui veut du mal ? Qu’est ce qu’il s’est passé ? s’inquiéta Jynpo la main déjà posée sur son katana.
– Non, non, mais… »

Fonçant dans les couloirs sans écouter Chiba, le jeune Seigneur se mit à la recherche de sa cousine bien aimée. Après quelques minutes de fouille assidue, il la retrouva dans la bibliothèque du château en compagnie de Simayi, disciple du Conseiller en Magie Tamori Liang. Le feu de la vengeance dans les yeux, ses deux lames à moitié sorties de leurs fourreaux, Jynpo rugit, tel le dragon : « Natsumi ! Tu vas bien ? Qui te veut du mal ? » Il jeta un regard assassin au jeune Shugenja. « C’est lui la mauvaise compagnie qui cherche à mal t’influencer ?
– Euh, non. » répondit la jeune fille d’un air perplexe, tandis que son premier interlocuteur se décomposait devant la fureur du puissant Seigneur de ces lieux.

« Oh. » lâcha Jynpo avant d’inspecter les alentours d’un regard suspicieux au cas où quelqu’un d’autre voudrait du mal à sa cousine. « Je vais te détacher des hommes de ma garde personnelle pour qu’ils te protègent. » Et, sans attendre de réponse, il s’en fut au pas de course, ses armes toujours en main. Il se rendit rapidement dans l’un des baraquements de sa garde. Il lança aux hommes présents à l’intérieur du bâtiment « Allez vite voir ma cousine Natsumi et protégez la ! » avant de s’en aller prestement sans plus d’explications. Aussitôt dit, aussitôt fait, les gardes saisirent leurs armes et se précipitèrent en direction du château pour obéir aux ordres.

Pendant ce temps, le jeune Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato était arrivé jusqu’à son havre de paix : son bureau. Là, il prit le temps de se remettre de ses émotions, avant de se remettre à son courrier. Le soir venu, peu de temps avant qu’il ne doive rejoindre ses invités du Clan mineur de la Tortue, quelqu’un s’annonça à la porte. Il sauta alors de son coussin et ouvrit brusquement l’ouverture coulissante. Devant lui se trouva alors Natsumi, les bras croisés, tapant du pied et fusillant son cousin du regard. Décroisant les bras, elle désigna du pouce la vingtaine de grands gaillards en armure qui l’avaient suivie tout l’après-midi. « Ca, ça ne va pas être possible, lâcha-t-elle d’un ton acide.
– De quoi ? s’enquit naïvement Jynpo.
– Tu crois vraiment que c’était nécessaire de me faire suivre par un peloton de ta garde personnelle, pour me protéger d’un danger aussi imaginaire que soudain ?
– C’est pour ton bien, tenta d’argumenter le cousin qui essayait de ne pas se laisser déstabiliser.
– Et ça te prend d’un coup, alors que j’étais en train de discuter avec un soupirant prometteur ?
– Comment ça un soupirant ? s’exclama le Chef du Clan du Dragon. Ton père est au courant ? Et puis c’est qui d’abord ?
– Cela ne te regarde pas. Et tu crois qu’il est beaucoup plus convenable de faire suivre une jeune demoiselle à longueur de journée par une vingtaine de jeunes et beaux guerriers ?
– Euh, je n’avais pas pensé à ça, balbutia Jynpo en jetant un rapide coup d’œil suspicieux à ses gardes. Arrêtez de la suivre, vous. »

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 3 : Jynpo et la politique (2/6)

Pendant ce temps, Jynpo devisait avec Ura. Il avait réussi à se ménager un peu de temps afin de renouer avec son ami d’enfance. Ce dernier était justement en train de lui faire le récit d’une embuscade rondement menée par Hasaki, à l’encontre de traîtres à la solde de Shiro, feu l’oncle du jeune Seigneur. Il fut soudainement interrompu par l’irruption de Kitsuki Haruko l’Intendant, qui attendit poliment que le maître des lieux l’autorise à prendre la parole. « Oui ? s’enquit Jynpo.
– Kame Sothy-sama, le Chef du Clan de la Tortue vient d’arriver Mon Seigneur. Hideaki-san est en train de l’accueillir. Est-il de votre désir d’aller lui souhaiter la bienvenue Jynpo-sama ?
– Bien sûr, répondit avec empressement le jeune dirigeant du Clan. Excuse-moi Ura, mon ami, mais le devoir m’appelle. »

Alors que l’ancien ronin se levait afin de saluer son Seigneur, Jynpo bondit de ses coussins de soie pour se rendre au plus vite à l’entrée du palais. Chemin faisant, tandis qu’Haruko se pressait en vue de ne pas se laisser distancer, le Chef du Clan du Dragon s’efforçait de se souvenir de ce que son Conseiller en diplomatie lui avait appris et préconisé à propos du Clan mineur de la Tortue. Les terres de ce Clan se situaient à la pointe nord du continent de Yamato, au delà même de la Grande Muraille du Nord qui délimitait autrefois l’Empire. Jynpo se souvient que l’avisé Kitsuki Hideaki avait supposé que Kame Sothy venait probablement afin de réussir à implanter son commerce, apparemment honorable, mais fondamentalement frauduleux, sur les terres du Dragon. En effet, le petit Clan de la Tortue vivait principalement de pêche et de commerce. Mais il était de notoriété publique, même si personne n’avait jamais pu le prouver, que la provenance des produits était parfois plus que douteuse. Ils restaient cependant généralement bien vus de l’administration impériale de par l’importance des profits qu’ils apportaient, grâce aux taxes sur leur commerçants et aux denrées rares qu’ils amenaient d’autres continents, car ils étaient parmi les rares Clans à prendre la mer afin de les visiter.

En arrivant à l’entrée du château, toujours suivi de son Intendant qui commençait à s’essouffler, Jynpo constata que son Conseiller en diplomatie avait déjà rempli les devoirs d’accueil en bonne et due forme du Clan du Dragon. En effet, puisque leur hôte n’était le dirigeant que d’un Clan Mineur, la bienséance n’obligeait pas le Chef d’un Clan Majeur à venir lui souhaiter la bienvenue en personne. Celui-ci regarda l’interlocuteur d’Hideaki. Sothy était un homme de petite stature, raffiné et richement vêtu de soieries de grande qualité, brodées de fils d’or. Le regard qu’il posa sur le jeune Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato pétillait de malice. Le Chef du Clan du Dragon s’approcha des deux hommes, qui s’inclinèrent respectueusement devant lui comme le voulait l’étiquette, et déclara : « Je vous souhaite la bienvenue au château Togashi.
– C’est un honneur d’être ici votre hôte et d’être accueilli par le Seigneur de céans en personne, Jynpo-sama, répondit poliment le Chef du Clan de la Tortue.
– Quant à moi, je suis honoré d’avoir la visite d’un Chef de Clan, et non d’un diplomate, ainsi que c’est souvent le cas. »

Kame Sothy parut agréablement surpris des propos de son hôte et un fin sourire se dessina sur son visage. Mais il n’eût pas le loisir de lui faire une réponse courtoise car celui-ci reprit : « Quoiqu’il en soit, je laisse à Haruko, mon Intendant, le soin de vous mener à vos appartements avec votre suite. Je vous invite à dîner ce soir, nous pourrons parler de ce qui vous amène sur les terres du Clan du Dragon. » Sur ce, il reparti en coup de vent, comme il était venu.

A peine eût-il franchi la porte dans l’autre sens qu’il eût la surprise de se retrouver face à sa cousine d’un côté du couloir, et de l’autre : sa nouvelle Conseillère moine Hitomi Mayu, suivie comme toujours, du nouveau Conseiller Togashi Hotaka. Jynpo s’arrêta, net. La lueur avide qu’il perçut dans le regard de Natsumi ne lui dit rien qui vaille. « Heureusement qu’Haruko emmène le Chef du Clan de la Tortue et sa suite par un autre couloir. » songea avec soulagement le Chef du Clan du Dragon. Les deux moines s’inclinèrent respectueusement devant leur Seigneur, tandis que la jeune fille originaire du Clan du Crabe s’enquit après une légère inclinaison de la tête : « Kame Sothy n’est pas avec vous, Jynpo-sama ? » Ce dernier sentit tout l’effort que sa bien-aimée cousine avait du fournir afin de se montrer courtoise en présence des deux Conseillers.

« Non, répondit son cousin qui sentit un besoin irrépressible de se justifier : j’ai laissé le soin à Haruko de le mener à ses appartements. » Voyant l’expression de Natsumi changer et redoutant ce qui pouvait en découler, il se dépêcha d’ajouter d’un ton enjoué : « Mais je l’ai invité à dîner ce soir, tu n’as qu’à venir !
– Mon Seigneur est généreux ! » le remercia joyeusement sa cousine, qui paraissait soudain aux anges, au grand soulagement de Jynpo. Il fut d’autant plus rasséréné lorsqu’il constata qu’elle s’en allait, après s’être gracieusement inclinée. Ravi de s’être sorti de cette situation, qui aurait pu très mal tourner de son point de vue, il se tourna vers les deux moines et se retrouva confronté à la mine naturellement sévère de Mayu et au visage fermé de Hotaka. Intérieurement, il inspira profondément pour se donner du courage et demanda :

« Que voulez-vous ?
– Nous attendons que mon Seigneur nous fasse part de nos attributions officielles, expliqua la disciple des Kikage Zumi.
– Demandez à Hideaki, nous avons déjà défini tout cela, il vous dira. Je suis désolé, mais le devoir m’appelle. » Sur ces mots, Jynpo s’en fut d’un pas alerte et décidé, laissant Mayu sur sa faim et Hotaka, plus impassible que jamais.

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 3 : Jynpo et la politique (1/6)

Vêtu en serviteur du château Togashi, l’homme venait à l’instant de débarrasser le petit-déjeuner que le Seigneur Mirumoto Jynpo avait pris dans son bureau. Le maître de céans avait l’air préoccupé ces derniers temps. Mais aucune des tentatives d’allusions subtiles du domestique pour faire parler Jynpo-sama, dès que celui-ci l’autorisait à lui adresser la parole, n’avait fonctionné. Ses tentatives de suivre discrètement ses conversations étaient également infructueuses. Celui-ci tenait toujours des propos énigmatiques qui paraissaient n’avoir aucun rapport, ou ignorait carrément les questions posées, car plongé dans ses pensées. L’homme commençait à craindre de s’être montré trop pressant ou indiscret et que sa couverture ait été éventée. De plus, son mandataire devait s’impatienter, car il n’avait encore pu lui faire parvenir aucune information utile sur le Clan du Dragon à ce jour. Peut-être devrait-il plus se concentrer sur les conseillers. Mais même eux paraissaient ne pas connaître les pensées de leur maître. Jynpo était un adversaire puissant : il ne laissait rien filtrer.

Deux semaines s’étaient écoulées depuis l’arrivée de Mirumoto Hasaki, le jeune frère de Jynpo. Ne pouvant abandonner ses hommes, qui avaient perdu leur honneur à ses côtés, il était reparti tôt le lendemain, jurant au chef du Clan que même s’il était désormais ronin, il serait toujours fidèle à son frère bien aimé, car rien n’était plus important que les liens du sang. Et, ainsi errant, il arriverait peut-être plus facilement à en savoir plus sur les machinations du Clan du Scorpion dont il était venu lui faire part. En revanche, Mirumoto Ura, l’ami d’enfance de Jynpo, avait décidé de rester et de tout faire pour regagner son honneur en tant que samouraï du Clan du Dragon. Yasuki Natsumi se faisant plus discrète qu’à l’accoutumée, le maître du château Togashi se trouvait moins angoissé de subir ses remarques assassines. L’idée que cela ne ressemblait pas à sa cousine de lui épargner ses boutades et qu’il devrait peut-être s’inquiéter du fait qu’elle disparaisse aussi souvent ne vint pas à l’esprit de Jynpo. Il se contenta de se soucier de ses multiples autres problèmes liés à sa condition de Chef de Clan.

Chiba assistait avec fierté aux manœuvres matinales qu’effectuaient deux des compagnies d’élite du Clan du Dragon sur le terrain d’entraînement à l’extérieur de la capitale. Il savait que, malgré les récents revers du Clan, ses soldats ne s’étaient pas laissés abattre ; le retour du chef légitime, qui était en plus un véritable héros, semblait les inspirer. Le Conseiller militaire de Jynpo se faisait cependant du souci concernant l’armée menée sur les terres du Clan du Phoenix, par son prometteur commandant en second : Zhao Yun. Il savait pertinemment qu’il restait suffisamment de troupes pour défendre les terres du Clan du Dragon – ce qui ne l’empêchait pas de rester toujours vigilant – mais il regrettait de ne pas savoir comment se déroulait la campagne. Un sourire d’autodérision se dessina sur ses lèvres lorsqu’il se dit que ce qu’il regrettait surtout, c’était de ne pas mener cette campagne lui-même. En effet, son rôle de premier Conseiller militaire l’obligeait à rester auprès de son maître. Il se raisonna en ajoutant intérieurement que même si Zhao Yun était très compétent, il avait tout de même besoin d’acquérir l’expérience du terrain.

Voyant sa fille Sakura arriver en courant vers lui, suivie de près par son jeune frère Sung, Chiba oublia bien vite ses envies nostalgiques d’aventures et de gloire, pour se réjouir d’avoir la chance de pouvoir passer du temps avec ses deux enfants. Il est vrai que ces derniers auraient été tristes de voir leur père partir pendant des semaines, voire des mois. Le fringuant Zhao Yun n’avait pas ce problème, n’ayant pas encore fondé de famille. Le Conseiller, tout en prenant son fils dans ses bras et en demandant à sa fille d’un ton enjoué quel bon vent les amenait, songeait qu’il était tout de même étrange qu’à son âge, aucun mariage n’avait encore été arrangé par la famille Mirumoto pour ce jeune homme plein d’avenir. « Natsumi-san est encore introuvable, se plaignit la petite Sakura tandis que son frère approuvait d’un froufroutement véhément de son chiffon de soie.
– Vraiment ? Vous êtes bien sûrs de l’avoir cherchée de partout ? s’enquit gentiment leur père.
– Oui, répondit sa fille d’un ton boudeur. On l’a cherchée toute la matinée.
– C’est pour cela qu’au lieu de retourner vers votre nourrice, vous êtes sortis de l’enceinte sécurisée du palais Togashi pour venir tous seuls, à l’extérieur de la ville, jusque sur le terrain de manœuvres militaires ? »

Sakura rougit, gênée, tandis que Sung émettait un froissement de soie embarrassé. Alors que Chiba s’efforçait de ne pas se laisser attendrir, la petite fille tenta de se justifier : « Nous avons été très prudents, nous n’avons parlé à personne et fait attention à ne pas nous faire renverser par des chariots… » Son père songea que ses enfants étaient bien dégourdis et en tira une grande fierté.

« C’est fort bien de vous être montrés prudents. Mais la prochaine fois que vous voudrez sortir de l’enceinte, emmenez la personne que j’ai chargé de vous garder, c’est compris ? les gourmanda-t-il néanmoins.
– D’accord papa, acquiesça Sakura en même temps que Sung agitait son morceau d’étoffe d’un geste empli de promesses de bonne volonté.
– Bien. Rentrons à la maison maintenant, leur dit-il. Votre nourrice doit se faire un sang d’encre.
– Et tu nous aideras à trouver Natsumi-san s’il te plait ? s’enquit la petite fille ponctuée par un bruissement de soie implorant.
– Bien sûr, sauf si Jynpo-sama requiert mes services. »

Sur ce, accompagné par ses enfants, enthousiastes à l’idée de rejoindre leur compagne de jeu préférée, Chiba retourna au palais Togashi. Chemin faisant, il s’inquiéta du fait que la cousine du chef du Clan du Dragon disparaissait souvent ces derniers temps. En conséquence de quoi, il résolut d’en toucher un mot à son jeune maître, actuellement débordé par les obligations de sa fonction.

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 2 : Jynpo et sa cousine (6/6)

Le jeune Seigneur du Clan du Dragon passa en trombe devant Natsumi, sans lui accorder le moindre regard, perdu dans ses inquiétudes vis à vis des catastrophes que pouvait engendrer la présence de son ami de Sylvanie. Il parvint ainsi jusqu’à son cabinet de travail, où il s’assit à son bureau, afin de réfléchir calmement à la situation. Alors qu’il était totalement perdu dans ses réflexions, Mayu, Hotaka et Natsumi firent irruption dans la pièce, essoufflés. La moine de l’Ordre Kikage Zumi s’inclina respectueusement, forçant son alter-égo à faire de même. Natsumi, elle, resta les bras croisés, à fusiller son cousin du regard. « Que faites-vous là ? s’étonna Jynpo.
– En tant que conseillers de Mon Seigneur, nous attendons vos instructions, expliqua Mayu.
– Mes instructions ? Et bien, euh, demandez à l’Intendant de vous trouver des appartements, et je ferai appel à vous quand cela sera nécessaire. »
Hitomi Mayu s’inclina de nouveau et s’en fut, entrainant toujours Hotaka derrière elle. La cousine de Jynpo, elle, continua de le fixer intensément.

« Qu’est ce que j’ai encore fait ? se lamenta-t-il.
– Qu’entendez-vous par là, Mon Seigneur ? demanda-t-elle d’un ton plein d’emphase.
– Ben, pourquoi tu me fixes comme ça ?
– Mon Seigneur doit se méprendre, je ne le fixe d’aucune manière. Je tenais simplement à savoir pour quelle raison Mon Seigneur m’ignorait de la sorte. Mais peut-être que je ne suis pas d’assez haute naissance pour comprendre les non-dits de Mon Seigneur. »
A chaque « Mon Seigneur », Jynpo se recroquevillait un peu plus. L’air penaud de peur d’avoir vexé sa bien aimée cousine, il reprit, plein de ferveur : « Mais non ! Je ne voulais pas que tu penses ça ! Tu es ma cousine voyons, je ne voulais pas te vexer, mais… Mais… » Mais il ne put jamais trouver la bonne formulation : Hideaki arriva à ce moment là.

« Mon Seigneur, commença le conseiller en s’inclinant. Il m’a été rapporté que le Chef du Clan Mineur de la Tortue et sa suite approchaient de nos terres. Ils devraient arriver d’ici environ deux semaines.
– Le Chef du Clan Mineur de la Tortue ? s’étonna le chef du Clan du Dragon. Préparez-vous à le recevoir comme il convient. »
A cette nouvelle, une étrange lueur passa dans le regard de Natsumi, qui s’inclina devant Jynpo en déclarant : « Je prie Mon Seigneur de bien vouloir m’excuser, mais des affaires pressantes m’appellent.
– Euh, oui. » répondit Jynpo avant d’incliner légèrement la tête à l’intention de sa cousine, qui était déjà partie. Il se retourna vers Hideaki et reprit : « Que nous veut-il ?
– Le Clan Mineur de la Tortue revient de la conférence au sommet des Clans Mineurs, qui s’est tenue au seine du Domaine Impérial, il y a de cela quelques jours, expliqua le conseiller. Leur peu d’influence les pousse à chercher le soutien politique d’un grand Clan comme le nôtre.
– Très bien, commenta Jynpo.
– Je vais maintenant laisser Vos Seigneuries s’entretenir, vous devez avoir des affaires importantes à régler. » sur ces paroles, Hideaki prit congé, laissant Jynpo stupéfait :

« Vos Seigneuries ?… s’interrogea-t-il.
– Il est marrant ton ami, intervint une voix enjouée derrière lui. Pourquoi il avait des vêtements qui glissent ? » Jynpo se retourna brusquement, et remarqua alors la présence de son ami Ethir, toujours vêtu de ses haillons, de plus en plus miteux.
« Ethir ? s’étonna le Seigneur du Clan du Dragon. Je ne t’avais pas vu, que fais-tu là ? demanda-t-il, soulagé tout de même de savoir enfin où se trouvait son catastrophique ami.
– Je cherche Onbu, tu ne l’aurais pas vu par hasard ? » s’enquit le Sylvanien en épluchant une orange. Jynpo pâlit en songeant à tous les désastres potentiels que pouvait provoquer ce petit dragon. « Bon, tant pis, je vais continuer à chercher. » Conclut son ami avant de disparaître soudainement. Le jeune Seigneur s’affaissa, désespéré. Mais il n’eût pas le temps de s’apitoyer bien longtemps, car Chiba vint le trouver.

« Qu’y a-t-il ? s’enquit Jynpo qui redoutait la réponse.
– J’ai une grande nouvelle, Mon Seigneur, déclara Chiba. On vient de me rapporter que des personnes viennent de se présenter aux portes de l’enceinte du palais Togashi. L’une d’entre elles prétend être votre noble jeune frère, Sa Seigneurie Hasaki-sama. J’ai pensé que Mon Seigneur voudrait vérifier ses dires par lui-même.
– Hasaki ? s’enthousiasma Jynpo soudain rayonnant. J’arrive tout de suite ! »

Il se précipita aux portes de l’enceinte, bientôt rejoint par un Chiba essoufflé. Une fois arrivé, il vit une dizaine de ses soldats, regardant d’un œil suspicieux cinq cavaliers qui patientaient devant l’entrée. Ils étaient vêtus de lourdes capes tâchées par les intempéries, les capuches rabattues sur leurs visages ainsi cachés dans l’ombre. Celui qui les dirigeait, voyant Jynpo arriver, rabattit sa capuche en arrière. Son visage, bien qu’encore juvénile, reflétait la rudesse d’une vie de vagabond. Rejetant sa longue chevelure noire en arrière, il inclina la tête en déclarant d’une voix grave et solennelle : « Mes respects, Mon Seigneur.
– Hasaki ! s’écria celui-ci en guise de réponse. Descend donc de cheval ! »

Celui-ci s’empressa de glisser de sa monture et mit humblement un genou à terre, face à son frère, en disant : « Mon Seigneur, je sais que j’ai raté de nombreux évènements depuis la libération de notre Clan. Je vois de grands changements en vous, Jynpo-sama, de bons changements, et j’en suis ravi. J’ose espérer que Mon Seigneur ne me tiendra pas rigueur de mon absence lors ces hauts faits, car je puis lui assurer que rien ne m’a fait plus souffrir que de ne pouvoir participer à la chute du vil traître Shiro ! Mais, dans mes humbles efforts pour contrer la domination de ce vil lâche, je me suis vu contraint d’adopter la voie des Ronins et d’ainsi lever l’armée de la Justice et du Bien. Cependant, les circonstances ne m’ayant pas été favorables, je n’ai pu contrer la totalité des projets de ce vil mécréant. C’est donc dans l’échec que je me présente devant vous, implorant pardon et miséricorde.
– Mais non, répondit Jynpo éberlué par ce grand discours. Tu es mon petit frère, viens à la maison et on mangera un morceau pendant que tu me raconteras tout cela.
– Mon Seigneur est trop bon, dit Hasaki les yeux brillants de reconnaissance. J’espère un jour égaler votre bonté ainsi que votre sagesse ! Mais avant, regardez qui est venu se repentir avec moi, votre ami d’enfance : Mirumoto Ura ! »

Le jeune Ronin désigna l’un de ses compagnon encore à cheval. Celui-ci enleva à son tour sa capuche, découvrant un visage avenant, arborant un demi-sourire en coin. « Après avoir combattu Shiro de toute mon âme aux côtés de votre frère Hasaki-sama, j’aimerais à présent reprendre ma place auprès de vous et retrouver l’honneur que j’ai du délaisser pour le bien de notre Clan.
– Ura ! s’exclama Jynpo. Cela faisait si longtemps ! Venez tous à l’intérieur, je vous invite à déjeuner. »

Alors qu’ils se dirigeaient vers la salle à manger, Chiba prit son Seigneur à part. « Je sais qu’il s’agit de votre jeune frère, mais je tiens à rappeler à Mon Seigneur que les Ronins sont des gens sans honneur dont il faut se méfier, car ils ont renié Clan et Famille.
– Mais c’est mon petit frère, je ne vais pas le laisser sur le pas de ma porte ! Et je ne peux pas l’ignorer car les circonstances de son départ sont un peu particulières. » Chiba s’inclina et ne dit plus mot.

Une fois à table, Hasaki prit la parole : « Mon Seigneur, je dois confesser que ma présence ici n’est pas seulement due à l’amour fraternel qui nous lie, ni à un désir de vous revoir après ces longs mois d’errance. En effet, je suis, à mon plus grand regret, porteur d’une grave nouvelle.
– Une grave nouvelle ? » s’inquiéta Jynpo. Ura, quant à lui, leva un sourcil interrogateur à cette annonce, sans pour autant faire de commentaire. « Dis m’en plus…
– J’ai récemment appris que le Clan du Scorpion avait juré votre perte et qu’ils avaient déjà entamé des intrigues dans ce but.
– Mais je ne leur ai rien fait, moi ! » se plaignit Jynpo.

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 2 : Jynpo et sa cousine (5/6)

Pendant ce temps, devant la porte de la Salle du Conseil, à une distance respectable des deux gardes dépourvus de toute expression, Natsumi attendait son cousin de pied ferme. Elle avait bien l’intention de continuer à se venger quant à l’attente qu’il lui avait imposée lors de son arrivée. Alors qu’elle préparait quelques nouvelles phrases cinglantes, un jeune homme d’une vingtaine d’année déboucha d’un couloir annexe. Il lisait des rouleaux de parchemins en marchant et avait l’air obnubilé par sa lecture. « Bonjour ! » lui lança Natsumi qui, plutôt que de se décaler de sa trajectoire, voulait ainsi éviter qu’il ne lui rentre dedans. Le jeune homme s’arrêta et leva la tête, pantois. L’air un peu mal à l’aise, il la salua néanmoins en retour :

« Euh… Bonjour ! » avant de se replonger instantanément dans son parchemin. Mais il ne continua pas sa route, décidant visiblement d’attendre devant la salle du Conseil, comme elle. Vexée du manque d’attention que portait son interlocuteur à son égard, Natsumi reprit : « Je suis Yasuki Natsumi, fille du Chef de la Famille Yasuki du Clan du Crabe et cousine de Jynpo-sama, Chef du Clan du Dragon et Héritier du Trône Impérial. Et toi, qui es-tu ?
– Tamori Simayi. Enchanté très chère Yasuki Natsumi-sama, répondit-il d’un ton visiblement peu concerné sans même lever la tête.
– Que fais-tu ici ? s’obstina-t-elle.
– Mon Maître m’a fait mander ici, expliqua-t-il succinctement.
– Ah, Tamori Liang, le Conseiller Shugenja du Clan du Dragon. »
Le jeune homme releva la tête, l’air visiblement perplexe. « Comment savez-vous cela ? Ah, vous l’avez déduit de mon nom de famille, n’est ce pas ?
– Tout à fait ! » se rengorgea Natsumi, heureuse d’avoir enfin attiré l’attention de son interlocuteur.

Liang alla ouvrir la porte de la Salle du Conseil et fit signe à son disciple d’entrer, en même temps que Kitsuki Haruko, l’Intendant, arrivait pour rejoindre Hideaki. L’ensemble des Conseillers de Jynpo s’installèrent de façon adéquate, en fonction du rang de la Famille qu’ils représentaient, et non plus selon leur rang de Conseillers du Clan. Les portes se refermèrent sur une Natsumi des plus frustrée.

Jynpo se souvint alors qu’il était du ressort du Chef de la Famille principale du Clan de prendre la parole en premier. Or, il s’avérait qu’il était ledit Chef. Il devait donc parler au nom de la Famille Mirumoto. D’ailleurs, l’assemblée lui dédiait toute son attention. « En tant que Chef de la Famille Mirumoto, je pense qu’il serait judicieux et sage de faire en sorte de réparer les erreurs commises par mon prédécesseur, de continuer à protéger l’Empereur ainsi que l’Empire, et de défendre les intérêts du Clan. »
« C’est profond, ce qu’il dit. » songea un Hotaka toujours aussi impavide.
« Il vient de nous proposer ce qu’on faisait déjà depuis plus de mille ans, pensait quant à elle Mayu. Il doit vouloir laisser la main aux autres et entendre les propositions politiques de chacun. »

En tant que doyen de l’assemblée, Lo-Fu prit la parole : « En tant que Chef de l’Ordre Ize Zumi, je prône l’harmonisation de notre Clan. Et, je rajouterai que pour tout domaine il faut adopter la conduite suivante : l’invariabilité dans le milieu est ce qui constitue la vertu. Laissons donc les bêtes sauvages s’entredévorer loin de nos moissons et occupons-nous de faire prendre son essor spirituel au Dragon. » Un silence respectueux accueillit cette déclaration. « Oh ! Il a fait deux vers de dix-neuf pieds, c’est amusant, songea son disciple Hotaka en gardant son masque d’impassibilité. Il n’arrête pas de parler de moissons, il devait être paysan avant de devenir Moine. »

Ensuite, vint le tour de Liang le Shugenja, qui caressait son long bouc : « En tant que Chef de la Famille Tamori, je prône l’intensification de la guerre contre le Clan du Phénix, dans le but de nous venger des traitres Agashas et de mettre enfin un terme à cette guerre ancestrale. Afin de contrer efficacement les Shugenjas Phénix, je conseille de nous tourner d’avantage vers les études car, à la longue, l’esprit finit toujours par l’emporter sur la lame. » Son disciple Simayi pensa alors : « Mon Maître fait preuve d’une telle sagesse… Il arrive à concilier les questions d’honneur avec la recherche du savoir. Je me demande si j’arriverai à en faire autant. »

Puis, Hideaki déclara à son tour : « En tant que Chef de la Famille Kitsuki, je prône la continuation de la guerre contre le Clan du Phénix, sans pour autant passer par la voie des armes. En effet, celle-ci risque de nous apporter plus de soucis que de satisfaction. Des manœuvres politiques nous apporteraient les mêmes résultats, sans perte humaine ou d’influence. De plus, je pense que pour prévenir à d’autres éventuels conflits, il nous faut plonger au cœur des intrigues politiques de l’Empire. Cela nous permettra de mieux cerner le vice chez nos compatriotes, et ainsi défendre au mieux notre Clan et l’Empire. Je propose également, pour renforcer le Clan, de reprendre les relations commerciales avec les autres Clans. Relations qui avaient quasiment disparues lors du règne de Shiro. Nous devrions également renforcer nos liens avec le Clan du Crabe, nos seuls véritables alliés actuels. Enfin, je pense qu’il serait peut-être judicieux que le Seigneur de notre Clan établisse une alliance avec un Clan Majeur, par le biais d’une union. » Au grand effarement de Jynpo, la totalité de l’assemblé acquiesça avec entrain à cette dernière proposition. « J’espère que je serai prévenu suffisamment à l’avance si mariage il doit y avoir… » s’inquiéta Haruko l’Intendant.

Mais déjà, Hitomi Hikari prenait la parole : « Ne rivalise point : tu seras sans reproche. Choisis en politique le bon ordre. Choisis en affaire l’efficacité. Choisis pour agir l’opportunité. Choisis un bon terrain pour ton amour. Choisis-le profond pour ton cœur. Choisis envers autrui la bienveillance. Choisis en paroles la vérité. Tels sont les principes que prône l’Ordre Kikage Zumi pour l’orientation du Clan. » Tandis que Jynpo était de plus en plus désespéré, Mayu se disait, admirative : « Dire tant de choses en si peu de mots et ce, tout en restant aussi claire, est un don rare que j’aimerais tant posséder ! »

Tout le monde ayant parlé, le Seigneur du Clan du Dragon, totalement dépité, essaya de conclure cette petite réunion clanique. « En tant que Chef de Clan, je prendrai en compte les volontés de chaque Famille sur l’orientation dudit Clan. Je tâcherai de vous faire part des grandes lignes qui en découleront, dans les plus brefs délais. » Et, se souvenant que son ami Ethir risquait de débarquer à n’importe quel moment, il ajouta : « Une affaire de la plus haute importance requiert mon attention, je me vois contraint de mettre fin à cette réunion. » Sans plus attendre, Jynpo bondit de ses coussins et se précipita vers la porte, en marchant à grands pas. L’assistance eût à peine le temps de s’incliner respectueusement, qu’il avait déjà disparu. Lo-Fu et Hikari firent un discret signe à leur disciple respectif, pour leur indiquer de suivre le Seigneur de céans, dans le but d’obtenir des instructions, en tant que nouveaux Conseillers. Mayu se précipita à la suite de Jynpo et, en passant près d’un Hotaka dépourvu de toute réaction, l’entraina à sa suite.

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 2 : Jynpo et sa cousine (4/6)

Voilà une semaine que Jynpo avait dîné avec sa cousine et, depuis, il n’avait pas eu une minute à lui accorder. En effet, l’administration de ses terres nécessitait beaucoup plus de temps qu’il ne l’avait prévu. Et alors qu’il pensait se faciliter la tâche en nommant son nouvel Intendant, ce dernier ne cessait de le harceler pour divers problèmes dont le jeune Seigneur du Clan du Dragon ne soupçonnait même pas l’existence.

Alors qu’il avait réussi à se ménager une plage horaire pour s’entraîner seul aux armes, Natsumi fit irruption dans la salle d’entraînement, suivie par Sakura et Sung, les enfants de Chiba. Tous trois s’assirent dans un coin de la pièce et observèrent avec attention le Seigneur qui tentait de faire abstraction de leur présence, afin de mieux de concentrer sur le maniement de son daisho. « Vous voyez, même un Chef de Clan ne doit pas négliger son entraînement. Mais plus important encore, il ne doit pas négliger sa famille. Comme en ignorant un membre de celle-ci pendant une semaine, alors même qu’elle est son hôte. Mais ce n’est qu’un exemple, bien évidemment. » Les enfants écoutaient la jeune fille avec attention. Elle continua : « De même, quel que soit votre rang, lorsque vous recevez quelqu’un, il est de rigueur de lui accorder un minimum d’attention et de temps. Il en va de l’Honneur de votre Maison, car un hôte attentionné sera toujours plus respecté qu’un Seigneur dédaigneux. »

Jynpo, sentant que la leçon que Natsumi prodiguait à Sakura et Sung était aussi un reproche à son égard, tenta de retourner toute son attention sur ses mouvements de combat. Après tout, il ne désirait pas affronter sa cousine, qui plus est devant les deux enfants de son Conseiller militaire. « Cette tactique de combattre avec un katana et un wakisashi est typique de la Famille Mirumoto, la votre, reprit la jeune fille. Les Hida, qui sont la Famille principale de mon Clan, sont des guerriers qui, eux, n’ont besoin que de leur katana.
– Et dans ta Famille, les Yasuki, il n’y a pas de combattants ? s’enquit Sakura.
– Pour les membres de ma Famille, l’entraînement mental est plus important que le physique, ainsi que l’enseigne le Bushido, répondit-elle mielleusement.
– Mais il est où ton Clan ? interrogea de nouveau la fillette.
– Il se situe à la frontière sud-ouest de l’Empire, à la limite avec l’Outreterre où résident de nombreuses engeances du Mal. Mon Clan, le Clan du Crabe, est chargé de protéger l’Empire de toutes ces viles créatures, afin que les autres Clans puissent continuer à s’entraîner pour le bien de l’Empire. D’ailleurs, mon Clan prouve tous les jours qu’il n’est nul besoin d’aller à l’autre bout du monde pour s’entraîner et devenir un grand Guerrier Défenseur de l’Honneur de Yamato . »

Il était de plus en plus difficile pour Jynpo de faire abstraction des reproches à peine dissimulés de sa cousine. Alors que le fier Bushi Défenseur de l’Honneur de Yamato réfléchissait au meilleur moyen d’éviter la confrontation avec la cinglante Natsumi, l’Intendant Kitsuki Haruko entra soudainement dans la salle. Aussi mince que son oncle Hideaki, c’était un homme remarquablement discret, arborant des couleurs sobres, et il avait l’air perpétuellement préoccupé. Heureux de cette diversion, Jynpo s’empressa de s’enquérir : « Qu’y a-t-il, Haruko ?
– Mon Seigneur, je vous informe que l’honorable Togashi Lo-Fu, Maître Moine de l’Ordre Ize Zumi et chef de la noble Famille Togashi et que la non moins honorable Hitomi Hikari Maîtresse Moine de l’Ordre Kikage Zumi et chef de la noble Famille Hitomi sont arrivés aux portes du Palais et demandent à être reçus par Mon Seigneur, afin de lui présenter leurs salutations au nom de leurs familles respectives.
– Parfait ! s’exclama Jynpo soulagé de trouver une échappatoire. Fais-les entrer et amener dans la Salle du Conseil, je les rejoindrai là. »

Puis, sous le regard furieux de Natsumi, il partit en trombe afin de se changer et de faire appel à ses trois Conseillers. Une fois qu’ils furent tous réunis autour de la table, Jynpo fut satisfait de constater qu’une salle du Conseil, même remplie au tiers, faisait beaucoup plus sérieux. Sans compter que cette fois, le jeune Seigneur du Clan du Dragon n’avait pas oublié de s’asseoir à la place du Chef et qu’il en était très fier. Il salua les membres de l’assemblée, ainsi qu’il l’avait vu faire son père : Kitsuki Hideaki, Mirumoto Chiba, Tamori Liang, Togashi Lo-Fu, Hitomi Hikari et les disciples de ces derniers. Suite à cela, il fit signe à ses nouveaux invités de prendre la parole. Le vieux Moine Lo-Fu, drapé dans sa modeste toge bordeaux, se leva péniblement et commença : « Il est parfois des moissons qui n’arrivent pas à fleurir ; il en est aussi qui, après avoir fleuri, n’ont pas de grain. Je suis heureux de constater que mon Seigneur ne fait partie d’aucune de ces moissons. »

Intérieurement, Jynpo paniqua. Il se souvint subitement de l’un de ses précepteurs, un Moine de l’Ordre Ize Zumi aussi, qui lui dispensait son savoir à coup de phrases toutes aussi énigmatiques. Il prit conscience que, malgré le passage des années, la compréhension des propos des moines ne lui était pas plus aisée. Il décida donc d’incliner poliment la tête en essayant de masquer sa confusion. Heureusement pour lui, les deux familles de Moines Tatoués du Clan du Dragon descendaient rarement de leur montagne. Hitomi Hikari prit à son tour la parole : « Les paroles sincères ne sont pas élégantes ; les paroles élégantes ne sont pas sincères, Lo-Fu dono . » Alors que son aîné et alter-ego se renfrognait imperceptiblement, elle reprit, à l’attention de Jynpo : « J’espère que vous arrivez à reprendre vos marques après votre long exil, Jynpo-sama. Afin de, à la fois vous aider dans cette tâche, et de représenter le point de vue de la Famille Hitomi, j’aimerais mettre à votre disposition ma disciple Hitomi Mayu, en tant que Conseillère.
– Euh… Oui. » accepta Jynpo, tandis que Mayu inclinait la tête à son intention, en signe de respect.

« Pour éviter les obstacles dans un long couloir obscur, mieux vaut s’éclairer de plusieurs bougies. Je vous propose donc, à mon tour, les lumières de mon disciple : Togashi Hotaka. » Ce dernier inclina impassiblement la tête, avec un léger décalage de droite à gauche. « Tiens, on parle de moi. Je pensais juste faire figuration. D’ailleurs je me trouvais plutôt doué dans ce domaine. » songea Hotaka. « Lo-Fu sensei aurait quand même pu me prévenir, que je prévoie quelques affaires. Ah, mais je suis moine, c’est vrai. Je n’ai donc pas de possessions matérielles en plus de ce que je porte sur moi. »

« Euh… Oui. » répondit de nouveau le Seigneur du Clan du Dragon, qui se disait qu’il allait enfin pouvoir remplir sa Salle du Conseil régulièrement. Il reprit : « Très bien, voilà une bonne chose de réglée. A présent, l’un de vous a-t-il une autre nouvelle importante dont il voudrait nous faire part ?
– En effet, Jynpo-sama, intervint Hideaki. J’aimerais, si possible, profiter que tous les Chefs de Famille du Clan du Dragon soient réunis autour de cette table, pour mettre au clair la volonté de chaque Famille en ce qui concerne l’orientation politique du Clan du Dragon.
– C’est une très bonne idée Hideaki ! s’enthousiasma Jynpo. Nous allons faire ça. »

Alors que le Seigneur disait ces mots, ils se levèrent tous.

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 2 : Jynpo et sa cousine (3/6)

Sur ces mots il tourna les talons et s’en fut rapidement en direction de son cabinet de travail en se demandant à quelles occupations faisait référence Chiba. Natsumi se tourna vers le conseiller militaire et chef de la garde personnelle de son cousin d’un air perplexe. « Tonton ? » s’étonna-t-elle. Chiba haussa les épaules avec un demi-sourire. « Les Voies du Seigneur du Clan du Dragon sont impénétrables, reprit Natsumi avec une emphase exagérée.
– Et heureusement… lâcha le conseiller. Ainsi il restera toujours imprévisible aux yeux de nos ennemis. »
Sur ces paroles il prit sa fille dans ses bras et, suivi de la cousine de Jynpo, partit en direction des appartements de cette dernière. Tout en lui emboîtant le pas, Natsumi se demanda tout de même si le « heureusement » de Chiba ne signifiait pas tout autre chose.

Jynpo avait passé la majeure partie de sa journée à transférer ses dossiers de son cabinet de travail à celui de son Intendant, tout en essayant de surveiller les allées et venues de son ami Ethir-aux-oranges. Le soir était arrivé sans incident notable et le Seigneur du Clan du Dragon avait prévu de dîner avec sa cousine dans sa salle-à-manger privée, loin des discussions interminables de sa cour. « Alors mon cher cousin, comment cela s’est-il passé pour toi depuis la dernière fois que nous nous sommes vus ? demanda Natsumi.
– C’était quand la dernière fois que nous nous sommes vus ? s’interrogea Jynpo.
– Lors de l’enterrement de ton père, répondit la jeune fille.
– Ah, euh… Oui, triste affaire… » balbutia le jeune Samouraï, n’osant pas lui avouer que, bien que son père était mort, il l’avait revu depuis. « Sinon, ça ne s’est pas trop mal passé. J’ai voyagé sur plusieurs continents, rencontré des gens aux mœurs étranges, puis je suis enfin revenu de cet exil forcé pour venger mon père. Et me voilà. Et toi, ça s’est passé comment ?
– Quoi ? s’exclama Natsumi. Tu pars pendant presque un an à parcourir le monde et à vivre des aventures et tu me résumes ça en deux malheureuses phrases ? Tu te moques de moi ?
– Ben j’ai vu des dragons, des Gnomes, des Elfes, des mort-vivants, récita Jynpo. Plein de choses !
– Tu n’es vraiment pas doué pour raconter des histoires, déplora sa cousine.
– Mais ce ne sont pas des histoires qu’on raconte à des jeunes filles et, qui plus est, à table ! » se défendit le Seigneur du Clan du Dragon.

Avant que Natsumi ait pu envoyer une remarque cinglante à son cousin, une forme jaillit du mur en transperçant le papier riz et alla s’écraser dans un coussin, après avoir tenté un atterrissage raté sur la table en renversant tout sur son passage. « Heureusement que rien n’est solide ici ! s’exclama joyeusement Ethir qui venait d’entrer dans la pièce. Décidément, l’air de Yamato ne te réussit vraiment pas Onbu, tu n’arrives même plus à te poser correctement quelque part. » Ledit Onbu ignora son maître autant que les deux convives, et s’installa confortablement sur le coussin pour s’endormir. En ronflant. Le grand ensorceleur au crâne rasé s’assit sans cérémonie à la table de son ami et prit un sushi dans son assiette afin de l’examiner sous toutes les coutures. « Bizarre, commenta-t-il avant de le manger.
– Euh, Natsumi, je te présente mon ami Ethir, qui était l’un de mes compagnon d’aventures durant mon exil, intervint Jynpo.
– Enchantée… » commença celle-ci avant d’être coupée par Ethir qui s’enquit, la bouche pleine de nourriture :

« Tu t’es enfin remis de t’être fait jeter par Lyanna ?
– Mais non ! répliqua Jynpo. C’est ma cousine, Natsumi, de la famille Yasuki du Clan du Crabe.
– Qui est Lyanna ? s’enquit la jeune fille d’un air intéressé.
– Une Prêtresse très puissante, qui faisait partie de mon groupe de compagnons, répondit très vite Jynpo tandis qu’Ethir regardait en l’air d’un air suspicieux.
– Et donc, tu étais amoureux d’elle ? reprit Natsumi bien décidée à creuser l’histoire.
– Et donc rien du tout ! rétorqua Jynpo. Ca ne te regarde pas !
– Vu que tu t’en es remis et que ça n’avait pas marché avec la Princesse de Hogg, t’as qu’à faire comme Lyanna et te marier ! proposa gaiement l’ensorceleur.
– Quelle bonne idée ! s’exclama Natsumi. Surtout que tu es l’une des personnes les plus influentes du continent, tu ne devrais pas avoir trop de mal à te trouver une femme ! D’ailleurs, j’ai quelques amies qui…
– Mais non ! la coupa Jynpo qui sentait que le contrôle de la conversation lui échappait totalement.
– Mais si, ça va être drôle, tu verras, lui assura Ethir. Vous voulez des oranges ? » ajouta-t-il en leur en tendant une à chacun.

Ils acceptèrent les fruits, l’une avec enthousiasme et l’autre avec résignation. L’ensorceleur adressa un grand sourire à Natsumi. Celle-ci décida de profiter d’avoir un compagnon de son cousin à portée, pour en apprendre plus sur ses neuf mois d’exil. « Comment était Jynpo-sama durant vos aventures ? demanda-t-elle.
– Oh, le plus souvent mort, lâcha Ethir en sortant une nouvelle orange. Mais à part ça, il était comme tous les Samouraïs que j’ai rencontré.
– Comment ça, mort ? s’étonna Natsumi.
– Ben, pas en vie, expliqua-t-il.
– C’est compliqué, intervint Jynpo. Je t’expliquerai plus tard !
– Oh ! Le joli vase ! s’enthousiasma soudainement Ethir à la vue d’un énorme vase Ming au fond de la pièce. Ca sera parfait pour le bébé de Lyanna ! Bon, faut que j’aille mettre ça en lieu sûr… »

Sur ces étranges propos, l’ensorceleur se leva, alla prendre le vase et sortit de la pièce, chargé, sans plus de formalité. Ne resta qu’Onbu, ronflant toujours sur son coussin. « Pourquoi… ? commença Natsumi.
– Laisse, il est parti, c’est tout ce qui compte. » soupira son cousin.

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 2 : Jynpo et sa cousine (2/6)

Un peu plus tard, apprenant que sa cousine arrivait aux portes de l’enceinte du palais, Jynpo s’inquiéta. Alors qu’il se faisait un sang d’encre à propos de ses futures retrouvailles, il se souvint qu’Hideaki lui avait, en plus, fortement conseillé d’éviter une rencontre entre Yasuki Natsumi et l’ambassadeur Doji Kurou. A ce moment là, ledit Hideaki fit irruption dans le cabinet de travail du Seigneur du Clan du Dragon, où ce dernier prenait son petit-déjeuner. « Qu’y a-t-il Hideaki ? s’enquit Jynpo la bouche encore à moitié pleine.
– L’ambassadeur du Clan de la Grue s’apprête à prendre congé de Monseigneur, expliqua le conseiller.
– Je vais le saluer de ce pas, déclara le jeune Samouraï en se levant. Mais avant, je dois débarrasser mon repas !
– N’ayez crainte Jynpo-sama, le rassura Hideaki. Un serviteur s’en chargera. »

Soulagé, le chef du Clan du Dragon se précipita pour enfiler son armure de cérémonie avant de foncer dans sa salle du trône. Une fois confortablement installé sur son siège seigneurial, il attendit patiemment l’arrivée de Doji Kurou. Son regard parcourait machinalement la pièce. Elle pouvait accueillir facilement une centaine de personnes. Face au trône, il pouvait apercevoir le chemin qui menait de la porte d’enceinte à l’entrée du château. Plus le temps passait, plus l’angoisse l’étreignait. « Ah cette cousine ! Elle n’est pas encore là qu’elle m’embête déjà ! » songeait-il. « Et puis que fait l’ambassadeur ? Il est bien long. Il va finir par croiser Natsumi si ça continue… » Alors qu’il s’inquiétait tant et plus, Hideaki fit son entrée. « Alors ? lui demanda Jynpo.
– Je pense que vous pouvez laisser entrer Doji Kurou à présent, répondit le conseiller. Vous l’avez suffisamment insulté par cette longue attente, Monseigneur.
– Qu’il entre ! » s’exclama le jeune chef qui n’avait pas réalisé ce qu’il faisait.

L’ambassadeur fit à son tour son entrée, accompagné de ses gardes du corps Daidoji. Réalisant qu’il n’avait préparé aucun discours, Jynpo regarda Hideaki avec insistance. Celui-ci, prenant ce regard comme le signe qu’il pouvait lancer la conversation, déclara au grand dam de son Seigneur : « Mon maître vous écoute. » Doji Kurou s’inclina et commença :
« Moi, l’ambassadeur du grand Clan de la Grue… »

Mais Jynpo, toujours perdu dans ses pensées, ne l’écoutait déjà plus. « Mais, qui vois-je là-bas ? » s’interrogea-t-il en voyant venir du fond des jardins, par la porte ouverte qui donnait sur la salle du trône, une jeune fille toute menue à la chevelure châtain. « Ne me dites pas que c’est… Natsumi ! Oh non, pas déjà ! Elle vient par ici… Il a toujours pas fini de parler celui là ? Enfin, je veux dire, l’ambassadeur… Quoique, si il s’arrête de parler et qu’il s’en va, il va la croiser et ce serait terrible ! Mais elle continue de s’approcher ! Qu’est ce que je peux faire ? D’un autre côté, si il continue de parler et qu’elle arrive, ce sera tout aussi terrible ! Elle ne s’arrête toujours pas… » A ce moment là, le jeune Seigneur aperçut une orange qui roulait au fond de la salle, derrière l’ambassadeur et sa suite. Suivant le fruit en courant à moitié courbé, Ethir tentait désespérément de le rattraper. Jynpo se crispa, espérant que personne ne remarquerait son ami pourchassant ses propres oranges. Une fois qu’Ethir fut sorti par l’autre côté de la pièce sans qu’il y ait un incident diplomatique, le Chef du Clan du Dragon chercha de nouveau sa cousine du regard, se rappelant qu’il s’agissait là d’un autre incident diplomatique potentiel. Quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu’il constata qu’elle avait disparu ! Il fouilla frénétiquement les alentours du regard, sans succès.

« … je m’en vais donc, avec votre permission, retourner dans le Clan de la Grue. » termina l’ambassadeur. Jynpo arrêta de chercher sa cousine et, ne sachant que dire, inclina la tête. Il marmonna quelques formules de politesse pour souhaiter un bon voyage de retour à Doji Kurou et sa suite. Puis, à peine l’ambassadeur eût-il quitté le château que Jynpo jaillit de son trône afin de retrouver sa cousine qui l’inquiétait tant.

Il la retrouva dans les jardins, en compagnie de Chiba et des deux enfants de ce dernier. Elle apprenait à l’aînée à faire ricocher des cailloux sur un petit étang, tout en tenant le plus jeune dans ses bras. Jynpo accourut et interrompit le bavardage de Chiba et de sa cousine : « Natsumi ! » s’exclama-t-il. Celle-ci se retourna vers le Seigneur du Clan du Dragon et resta un moment interdite. Son cousin avait tellement changé depuis la dernière fois qu’elle l’avait rencontré ! Il paraissait bien plus grand et fort, et dégageait une forte aura de prestance. Natsumi était impressionnée mais, au vu de cette arrivée peu digne du deuxième homme le plus puissant de l’Empire de Yamato, elle se dit que tout n’avait peut-être pas changé chez son cousin. Elle inclina respectueusement la tête et déclara : « Je vous souhaite le bonjour mon Seigneur. Après toutes ces années je constate que vous êtes toujours aussi respectueux envers votre famille, la laissant entrer dans votre demeure sans formalité, ni délai ! Malgré tout, je serai grée à mon Seigneur que les hommes de mon père m’escortant soient enfin autorisés à entrer… »

Jynpo réalisa alors qu’il avait oublié d’envoyer un messager pour autoriser sa cousine et sa suite à entrer dans l’enceinte des murailles du palais. Il bafouilla quelques excuses, tandis que Chiba assistait à la scène, un léger sourire en coin. Il avait intercepté Natsumi quelques minutes auparavant, après qu’elle se fut introduite de manière mystérieuse dans la demeure des Mirumoto. Il avait ainsi pu éviter l’incident diplomatique avec l’ambassadeur. Jynpo, voulant changer de sujet, s’adressa aux enfants : « Vous vous amusez bien Sakura et Sung ? »

Pour toute réponse, Sakura se réfugia derrière son père et Sung tendit au chef du Clan du Dragon, le plus sérieusement du monde, l’un des morceaux de soie qu’il avait l’habitude de traîner partout avec lui. « Voyons Sakura, répond donc au Seigneur Jynpo » la gourmanda Chiba. La petite fille hésita un instant, puis, timidement, dit en regardant les pieds de Jynpo :
« Oui. Je joue avec papa et Natsumi-san.
– Ah… C’est bien, répondit le Seigneur du Clan du Dragon.
– Je sais que mon Seigneur a encore beaucoup de travail, intervint Chiba. Je me propose donc pour mener votre cousine à ses appartements, Jynpo-sama. Par la même occasion, elle pourra me donner des nouvelles de son père, le Chef de la famille Yasuki, qui est un vieil ami à moi.
– Ah oui, tonton Okoru ! s’exclama Jynpo. J’espère qu’il va bien ! Bon, je retourne travailler, à tout à l’heure ! »

« Il était une fois en Yamato » Chapitre 2 : Jynpo et sa cousine (1/6)

L’aube ne pointait pas encore et les gardes de la porte principale de la muraille du château Togashi veillaient scrupuleusement à la sécurité du palais de leur Seigneur Mirumoto Jynpo. A ce moment, ils virent au loin sur la route, un homme qui courait à toute vitesse. Vêtu en haillons et le crâne rasé, il se déplaçait à une allure remarquable. Voyant qu’il ne ralentissait pas, les deux gardes s’apprêtèrent à lui barrer le chemin. C’est alors qu’ils le virent fouiller dans un vieux sac et se retrouvèrent assaillis par une volée de projectiles. L’homme passa à côté d’eux, sans même ralentir, ni leur accorder le moindre regard. Les gardes se rendirent alors compte qu’ils s’étaient fait bombarder d’oranges et, sans chercher plus d’explications quant à cette mystérieuse attaque, ils se précipitèrent pour sonner l’alarme.

Après une nuit de sommeil agité, Jynpo fut réveillé par de nombreux bruits affairés au sein de sa demeure. Craignant que ce vacarme soit du à l’arrivée impromptue de sa cousine, il se redressa brusquement. C’est alors qu’il réalisa qu’il s’agissait du bruit de soldats courant de part et d’autre du domaine. Même si Natsumi était encline à s’attirer des ennuis, il dut reconnaître qu’il était peu probable qu’elle provoque un tel remue-ménage parmi ses gardes. C’est alors qu’une orange le heurta violemment, en plein dans la joue. Tournant la tête vers l’origine de l’attaque, il se rendit compte que le fruit avait transpercé le papier de riz qui séparait sa chambre de son jardin privé, et que par le trou un œil rond le fixait. « Jynpo ! s’exclama l’œil. Tu n’es pas mort ?! » Avant que ce dernier puisse répondre, le propriétaire de l’œil déchira la cloison pour entrer dans la pièce. « J’espère que c’était une porte… » reprit songeusement l’homme au crane rasé, avant de commencer à fouiner dans les affaires du jeune Seigneur du Clan du Dragon.

A ce moment là, des dizaines de gardes firent irruption dans le jardin et contemplèrent avec horreur le trou dans la cloison de la chambre de leur maître. Plusieurs d’entre eux menés par Mirumoto Chiba, l’épée au clair, se précipitèrent à l’intérieur. « Chiba ! l’interpella Jynpo. C’est vous qui faites tout ce vacarme de bon matin ?
– Nous cherchons à appréhender cet individu qui s’est introduit dans le palais sans autorisation, Monseigneur. » Expliqua le conseiller et chef de la Garde Personnelle de Jynpo, tandis que des gardes, encore haletants après leur course-poursuite effrénée, s’approchaient de l’homme qui, indifférent à ce qu’il se passait autour de lui, fouillait à quatre pattes dans un des placards de la chambre.

« Mais c’est mon ami ! » s’exclama ingénument le deuxième homme le plus fort de Yamato, avant de se retourner vers le postérieur qui sortait du placard. « Ethir, pourquoi te pourchassent-ils ?
– Qui me pourchasse ? » s’étonna le dénommé Ethir qui se retourna en se relevant, avant de croquer à pleine dents dans une orange.

C’est alors que l’un des gardes poussa un cri de surprise, en même temps que toutes les personnes présentes dans la pièce entendirent dans leur tête un joyeux « Onbuuu ! » retentissant. « Enlevez-moi ça ! » s’exclama le garde paniqué, tout en essayant de saisir le petit reptile ailé qui s’était accroché à son dos. Alors que ses collègues restèrent interdits, ne sachant quoi faire et attendant des directives, Ethir retourna à sa fouille minutieuse des appartements de Jynpo. Ce dernier intervint en faveur de l’animal, qui ressemblait à s’y méprendre à un dragon de la taille d’un chat : « Ne faites pas de mal à Onbu, il est fragile ! »

Entendant cela, le reptile lâcha le garde pour se précipiter et s’écraser sur le Seigneur du Clan du Dragon, qui reprit : « Désolé, tu ne t’es pas fait mal ? » L’animal l’ignora royalement et s’installa sur sa tête. Après quelques secondes de silence gêné, brisé uniquement par les déplacements d’Ethir et le ronronnement d’Onbu, Chiba demanda à son maître s’il avait besoin de ses services. Jynpo, essayant désespérément de déloger le petit animal perché sur sa tête, lui répondit : « Non non, ne t’en fait pas Chiba, j’irai prendre mon petit-déjeuner plus tard. »

Le conseiller resta un instant dubitatif face à cette réponse incongrue, mais se reprit bien vite et s’inclina, avant de faire partir tout le monde et de quitter lui-même la pièce. Une fois qu’ils furent tous partis et que Jynpo se fut résigné à garder Onbu sur sa tête, il demanda à son ami : « Ethir, que fais-tu là, au fait ?
– Ben, j’étais venu ramener ton cadavre à Lyanna, mais étonnamment t’es toujours en vie. Surtout avec tous ces gens armés qui traînent dans tes couloirs, je m’attendais vraiment pas à te retrouver vivant ! Alors je cherche des souvenirs pour les autres. »

Ethir l’Ensorceleur et Lyanna la Prêtresse faisaient tous deux partie de la Compagnie de la Licorne, que Jynpo avait du laisser pour venir s’occuper de son Clan. Bien qu’ayant fait une entrée terriblement peu conventionnelle, mais tout à fait digne de lui-même, le Samouraï était plutôt content de revoir son vieux compagnon d’arme, avec qui il avait vécu tant d’aventures et affronté maints dangers. « Iskaurix n’est pas avec toi ? s’enquit Jynpo en faisant référence au jeune dragon d’or qui accompagnait d’ordinaire son ami.
– Non, répondit joyeusement l’ensorceleur. Il est occupé à aménager son nouveau chez-lui, dans les montagnes à côté de chez les Nains. Et puis, ce continent ne lui a pas laissé de très bons souvenirs… Tu veux une orange ? »