Hochement de tête mitigé, mais cela suffisait à Kyr pour le moment. Visiblement, Kilynn et lui n’avaient rien à craindre avec elle dans l’immédiat. La Centaure paraissait avoir saisi la légère réticence du garçon, mais ne s’en formalisa pas. Elle semblait comprendre qu’ils restent suspicieux. « Maintenant, la dernière question. Qui suis-je ? Par contre, là, il va falloir que tu me précises ta pensée, car c’est une question difficile. Que veux-tu savoir au juste ? Que je suis Barde ? Une Centaure ? Tu as probablement déjà deviné tout cela, non ? »
Il hocha affirmativement de la tête, oui, il avait déjà remarqué. Comment lui demander, sans la froisser, pour ses ailes, écailles, griffes et canines ? Ainsi que la raison de sa présence dans ce pays ravagé par la maladie et la famine ? « Votre nom par exemple, finit-il par dire.
– Mon nom ? C’est vrai que j’aurai peut-être du commencer par là. Vous n’avez qu’à m’appeler Drakëwynn. Ou par un diminutif, ou carrément un nom de votre choix. Je réponds à beaucoup de noms en fait, comme la plupart des ménestrels. »
Drakëwynn, quel drôle de nom. Cela n’expliquait rien aux enfants sur ses particularités physiques ou sa présence mais, inexplicablement, cela la rendait moins monstrueuse à leurs yeux. Un petit peu, tout du moins. La Centaure s’étira longuement avant d’installer sa tête au creux de sa paume, son coude reposant sur sa caisse retournée. Elle examinait pensivement les deux enfants qui terminaient leurs pommes. Kilynn prit la parole à son tour : « Et lui, c’est qui ? s’enquit-elle en pointant du doigt le petit dragon ronronnant sur le dos de la Femme-Jument.
– Lui ? C’est un dragon-papillon, il s’appelle Emlyg. Je l’ai trouvé, enfin, son œuf car il n’avait pas encore éclot, au milieu d’un trésor. Et pour cause, il semblerait qu’il soit le seul de son espèce dans le monde entier. Enfin, ça ne paraît pas trop le perturber. »
Elle chatouilla le petit animal qui émit une série de petits grognements aigus et se tortilla comme un ver de terre avant de glisser sur le sol. Vexé de cette chute peu gratifiante, il se drapa dans sa dignité et s’éloigna, la tête haute, afin d’aller bouder dans un coin. Cela fit sourire Kyr et Kilynn. Drakëwynn bailla longuement. « Je vous raconterai bien des histoires toutes plus passionnantes les unes que les autres, mais avec cette journée mouvementée vous devez être fatigués.
– C’est vous qui venez de bailler… » pointa Kilynn. La Centaure lui tira la langue. Une langue plus longue qu’elle n’aurait du l’être, comme celle d’un dragon. Puis elle s’étira de nouveau, avant de déplier ses jambes chevalines pour se lever.
« Si vous voulez, demain nous ferons l’inventaire de ce que j’ai récupéré dans la maison et vous pourrez garder ce que vous jugerez utile. » Leur dit-elle en se dirigeant vers la porte de la grange qu’elle entrouvrit. « L’incendie est terminé, constata-t-elle. Et je ne perçois rien de mauvais dans les environs. » Elle referma soigneusement la porte, la barra, nettoya les reliefs du repas, vérifia que le petit feu resterait dans les limites imposées et sortit une couverture de son sac. Sous le regard médusé du frère et sa sœur, elle s’installa le plus confortablement qu’il lui était possible avec la paille disponible, siffla son dragon qui vint immédiatement se blottir au chaud contre elle, dit : « Bonne nuit les enfants ! » ferma les yeux et s’endormit presque aussitôt.
Lorsqu’il fut persuadé que Drakëwynn dormait, Kyr murmura à sa sœur : « Elle est bizarre quand même, tu ne trouves pas ? » Elle acquiesça en silence et il reprit : « En plus elle ne nous a même pas demandé nos noms.
– Ca ne doit pas l’intéresser, supposa Kilynn.
– Ouais… Tu crois qu’on devrait aller fouiller dans son sac pour piquer des trucs et retrouver Caer ? Il a dit qu’on serait tous à l’abri du besoin avec ce qu’elle possède…
– T’as pas honte de dire ça ? s’exclama la fille. On ne peut pas faire ça à quelqu’un qui nous a permis de manger à notre faim et de dormir en sécurité ! En plus, si jamais elle se rendait compte qu’il lui manque quelque chose, elle saura que c’est forcément nous, alors imagine un peu ce qu’elle nous ferait ! »
Elle ne l’avait pas mentionné, mais Kyr comprit que sa sœur faisait référence aux épées longues et, surtout, au chant de terreur de la Barde. Il frissonna. « Tu as probablement raison. Mais bon, Caer va nous en vouloir de ne pas avoir profité de l’occasion.
– Tant pis, chuchota sa jumelle. Je pense que tu seras d’accord avec moi : je redoute moins la colère de Caer que la sienne à elle. Allez, viens, nous aussi on devrait dormir. »
Ils se blottirent tous les deux sous la couverture que la Centaure leur avait prêtée. Aucun des deux ne connaissait la matière dont cette couverture avait été faite, mais elle s’avérait très chaude et douce au toucher, comme une sorte de fourrure. Repus ainsi que vidés de leur énergie, ils glissèrent très rapidement dans le sommeil. Drakëwynn sourit, puis s’endormit véritablement à son tour.