NaNoWriMo 2019 : Prison Dorée, jour 7

Lorsqu’elle se réveilla, Éléonore se délecta de se constater seule dans la chambre. Elle s’étira avec un grand sourire, qui se figea presque aussitôt : quelqu’un frappait à la porte. « J’entre, madame. » l’informa la voix de Jodie. Le battant s’ouvrit sur la servante qui portait un plateau chargé. « J’espère que vous avez bien dormi, madame. » ajouta-t-elle en posant son fardeau au-dessus des jambes d’Éléonore et avant d’ajuster les oreillers.

« Très bien, merci. Et maintenant que je ne suis plus blessée, vous n’avez plus à vous occuper des coussins. » Jodie pinça les lèvres, mais ne répondit rien, se contentant d’un signe de tête pour indiquer qu’elle avait compris. « J’aimerais manger seule à présent. » continua-t-elle et, à sa grande surprise, la servante s’exécuta sans protester, mais non sans afficher une moue désapprobatrice.

Tout en mangeant, Éléonore songeait qu’elle aimerait bien se passer totalement de Jodie. Le seul problème était de s’habiller sans elle, car les robes étaient compliquées et elle ne savait pas les enfiler seule. Du moins, pas encore. Elle comptait bien comprendre comment se rendre autonome à ce niveau-là ; elle espérait que c’était possible.

Le petit déjeuner était vraiment copieux et elle fut bientôt rassasiée. Il restait encore tellement de victuailles sur son plateau, qu’elle se dit qu’elle pourrait en profiter pour amadouer le prisonnier. Peut-être qu’une fois le ventre plein, il se montrerait plus volubile et qu’elle pourrait apprendre plus de choses. Elle pressentait qu’il détenait des réponses dont elle avait besoin, même si elle n’avait pas encore compris quel était son but à elle en tant que personnage.

Et ses souvenirs n’étaient toujours pas de retour ; cela la chiffonnait un peu.

Se concentrant de nouveau sur son objectif, elle tartina quelques tranches de pain frais qu’elle disposa en sandwichs, pour pouvoir les transporter plus facilement sans mettre de confiture de partout, et récupéra un œuf dur avec quelques tranches de lard, puis une pomme. Après avoir réfléchi à la meilleure manière de transporter toutes ces choses, elle enleva la taie d’oreiller de l’un des coussins — qu’elle dissimula sous le monceau de ses congénères — et fourra la nourriture à l’intérieur. Puis, poussant le plateau sur le côté, elle cacha son baluchon de fortune derrière le lit.

Satisfaite, elle se leva et ouvrit l’armoire pour en inspecter le contenu. Le meuble renfermait une grande quantité de vêtements et Éléonore eut l’impression d’être submergée par une marée de tissus. Elle extirpa une robe pour l’étudier et soupira : les pantalons allaient lui manquer avant longtemps. Après avoir tâté et examiné plusieurs autres toilettes, Éléonore capitula et appela la servante.

Cette dernière, qui était restée dans le salon à portée de voix, arriva presque aussitôt et l’aida à s’habiller avec diligence. Même si Éléonore la trouvait irritante, elle devait bien admettre que Jodie se montrait efficace. Elle s’efforça donc de la remercier, avant de lui demander de quoi se couvrir pour sortir. « Encore, madame ?
— Oui, il fait jour maintenant, j’espère que cela ne perturbera pas autant tout le monde.
— S’il vous plait madame, il neige à gros flocons pour le moment, ne pouvez-vous pas attendre ? »

Éléonore hésita : Jodie avait l’air terrorisée. Elle jouait très bien la comédie. Encore une fois, cela paraissait presque trop réaliste. Perturbée, Éléonore capitula. « Très bien, je ne sortirai pas pour le moment, mais j’ai tout de même envie de rester seule. Vous pouvez disposer et vaquer à vos occupations. Hors de mes appartements, cela va sans dire. » Jodie obtempéra, après avoir récupéré le plateau du petit déjeuner.

Après avoir attendu un moment que la servante se soit éloignée, Éléonore retourna vers son lit, s’empara de son baluchon et le dissimula sous ses jupons. Elle fit quelques pas pour vérifier qu’il était correctement fixé et, satisfaite de son subterfuge, elle quitta ses appartements. Tout en se rendant en direction des cuisines, proches de l’accès aux cachots, Éléonore se demandait comment elle allait convaincre les gardes de la laisser accéder à la cellule du prisonnier. Quelqu’un pourrait peut-être l’informer sur les horaires de relève de la garde. [il va aussi falloir parler des horloges, partout, qui font du bruiiit]

En arrivant en vue de la porte qui menait aux geôles, Éléonore aperçut deux hommes d’armes qui entraient dans les cuisines. Elle n’avait pas eu le temps de les voir suffisamment pour les reconnaître et elle espéra qu’il s’agissait d’André et du gradé qui allaient chercher de quoi se sustenter. S’ils avaient veillé toute la nuit, ils devaient certainement partir se reposer ensuite. Haussant les épaules, elle décida de tenter sa chance.

Elle se dirigea droit vers la porte qui menait aux cellules, de la manière la plus naturelle possible pour ne pas attirer l’attention, et poussa la porte, espérant qu’elle n’était pas verrouillée. En réfléchissant aux évènements de la veille, Éléonore se souvint que [je ne sais plus quel garde] n’avait pas pris la peine d’utiliser une clef. L’état de la porte lui confirma qu’elle était défectueuse et nécessitait des réparations. Sans se poser plus de questions, elle descendit rapidement les quelques marches jusqu’au sous-sol sans laisser à ses yeux le temps de s’habituer à la pénombre. Une fois tout en bas, il y avait plus de lumière grâce aux petites ouvertures des cellules placées sur le côté du bâtiment.

Elle extirpa son baluchon de sous ses jupons et rejoignit la cellule de l’unique prisonnier. « Hem, bonjour. » le salua-t-elle. Affalé par terre, il tourna brièvement le regard dans sa direction, mais ne répondit pas. « Je vous ai amené un petit quelque chose, ajouta-t-elle sans s’émouvoir. Je me suis dit que ça serait meilleur que ce qu’ils vous servent ici. » Une lueur d’intérêt étincela dans le regard de l’homme, qui se redressa et s’approcha d’elle.

Éléonore lui fit passer ce qu’elle avait ponctionné sur son plateau matinal par les barreaux et il s’en empara avidement. Il croqua dans l’œuf et, pendant qu’il mâchait, il la considéra pensivement. « Pourquoi tu as fait ça ? [le faire tutoyer depuis le début]
— Parce que j’avais envie de discuter et que je me suis dit que vous… — ou tu ? — seriez mieux disposé à parler le ventre plein.
— Tu peux dire “tu” si tu veux. » Il attaqua ensuite le lard. « Eh ben, parlons dans ce cas. De quoi tu veux parler ? »

Éléonore ne répondit pas tout de suite. Elle n’osait pas demander si elle se trouvait bien dans le monde réel. Rien que de penser à une question aussi ridicule la fit rougir. Le prisonnier, occupé à dévorer son repas supplémentaire, ne remarqua rien. « Pourquoi tu as dit que je n’étais pas réelle hier soir ? » s’enquit-elle finalement en adoptant sa façon habituelle de s’exprimer.

Son interlocuteur termina d’avaler sa bouchée en cours et répondit : « Parce que rien n’est réel ici, du coup je pensais que toi non plus.
— Je suis réelle.
— Haha oui, enfin ça, c’est ce que tout le monde dit, hein.
— Comment je peux le prouver ?
— Je ne sais pas. » avoua-t-il en croquant dans une tartine. « Ch’est très bon. »

La conversation ne menait nulle part et Éléonore sentait la frustration monter. Elle ne pouvait pas rester longtemps : il fallait absolument qu’elle mette cette occasion à profit pour en savoir plus. Elle demanda : « Vous savez des choses en particulier sur mon… hem… mon père ?
— Pas du tout. Enfin, c’est le seigneur des lieux et il a une tête de pervers, mais c’est tout.
— Pourquoi tu es venu là ?
— J’étais venu foutre la merde, mais ça s’est pas vraiment passé comme prévu. Je te raconterai volontiers toute l’histoire, mais comme je ne suis pas certain que personne nous écoute, je préfère en rester là.
— Qui nous écouterait ? s’étonna-t-elle.
— Les deux gus qui m’ont coupé de l’extérieur.
— Qui sont-ils ?
— Deux grands malades. Ils étudient les gens, mais quelqu’un devrait contrôler ce qu’ils font. Je vais garder la pomme pour plus tard. Merci en tous cas ! Comment tu t’appelles, dame du château ?
— Éléonore.
— Enchanté, moi c’est Gaël. »

Il lui sourit et elle le lui rendit. « Tu ne devrais pas trop t’attarder ici, Éléonore. Même si tu es la dame du château, quelque chose me dit que tu risques d’avoir des ennuis si on te surprend ici.
— C’est vrai, approuva-t-elle en se levant et en époussetant sa robe.
— Tu peux revenir quand tu veux. J’ai l’impression que ta conversation sera plus intéressante que celle d’André et, comme tu peux le voir, je risque d’avoir du mal à te rejoindre ailleurs. »

Éléonore sourit de nouveau. « Je reviendrai, oui. Je suis sûre que je trouverai d’autres questions à poser.
— Parfait ! File maintenant. Et encore merci pour le petit déjeuner. »

Elle récupéra la taie d’oreiller et s’en fut rapidement. En arrivant à la porte, elle s’ouvrit et Éléonore eut tout juste le temps de se dissimuler derrière le battant et de se baisser. Les deux gardes passèrent, encombrés de victuailles, et André fit claquer la porte sans regarder. Lorsqu’ils eurent disparu à son regard, elle réalisa qu’elle avait retenu son souffle et le relâcha doucement. Elle prit une nouvelle inspiration, avant de se redresser et de filer hors des geôles.

Craignant d’y retrouver Jodie, Éléonore décida de ne pas retourner dans ses appartements tout de suite. Elle avait besoin d’un peu de temps pour réfléchir à sa discussion avec Gaël. À la place, elle décida d’essayer de retrouver la grande bibliothèque du château. Les livres devraient lui laisser le loisir de la réflexion en paix. Elle mit un peu de temps avant de retrouver la salle. Lorsqu’elle s’y était rendue en compagnie de Jodie, elle n’avait pas encore l’esprit très clair.

Lorsqu’enfin, elle parvint à destination, Éléonore ne put s’empêcher d’afficher un immense sourire. Tous ces livres rangés sur leurs rayonnages lui donnaient une impression de sérénité. D’humeur à présent guillerette, elle commença à s’emparer de volumes pour les parcourir. Si elle en croyait des sonneries de l’horloge de la bibliothèque, elle passa plusieurs heures à passer d’un livre à l’autre, les prenant au hasard, regardant quel sujet ils abordaient, et les rangeant de nouveau avant d’attraper le suivant.

Une nouvelle pensée désagréable traversa son esprit.

 

1710 mots pour aujourd’hui, c’est à peu près le quota du jour à faire pour arriver au bout du NaNoWriMo dans les temps, donc ça va.