– Oh, nous les enfermerons quelques part, balaya la capitaine comme si il s’agissait d’une broutille. Ils ne nous dérangerons pas.
– Bon. » Le jeune homme était rassuré. Il n’aimait pas se rappeler cette période sombre de sa vie, lorsqu’il avait eu à faire avec l’homme cruel nommé Grand Jean d’Argent et qui avait causé sa perdition dans le marais. Au moins, cela lui avait permis de rencontrer ce vieil ermite bizarre qui lui avait appris tant de choses et, notamment, à estimer à qui il pouvait accorder sa confiance. Il considéra Eglantine un instant. Elle les avait accueillis en pointant une arme sur eux, là bas à Ocher Cove. Mais au delà de ça, elle ne lui paraissait pas dénuée d’émotions, ou fondamentalement méchante, comme avait pu l’être ce cuisinier. Il secoua la tête, essayant de se débarrasser de ces pensées parasites. Pour le moment, seul comptait le sauvetage de Rielle. Elle avait besoin d’eux, alors il n’allait pas se perdre dans ses vieux souvenirs. Comme le disait justement Kit à l’instant, il n’y avait pas de temps à perdre.
La porte de la cabine de pilotage s’ouvrit sur un bruit fluide de pneumatique. Khouaf, toujours revêtu de son éternel bleu de travail tâché, fit son apparition. Comme à son habitude, il ne dit pas un mot alors qu’il pénétrait dans la pièce de sa démarche bondissante. « Salut, Khouaf ! » Lui lança joyeusement la capitaine. Il répondit avec une espèce de trille qui venait de la gorge. « Qu’est ce qui t’amène ? » s’enquit ensuite Eglantine. Il se contenta de désigner les deux garçons d’un mouvement de tête. « Ah, c’est déjà l’heure de leur reprise, comprit la femme au cache oeil. Bon, vous avez entendu Khouaf, allez y ! Vous avez du travail qui vous attend. » Kit soupira, puis se leva pour emboîter le pas à son aîné qui suivait déjà le reptilien. Cette fois, au lieu de se montrer indifférent ou ennuyé, Thid parut compatir avec l’adolescent.
Rielle restait là à surveiller les gardes en uniformes gris, qui semblaient s’ennuyer. Ils étaient trois et ils s’étaient mis à discuter de la pluie et du beau temps. C’était une façon de parler, bien sûr, puisqu’il n’y a ni pluie, ni beau temps dans l’espace. Ils parlaient du champ de météores qu’ils avaient du traverser pour aller jusqu’au spatioport de Bourgétoile. Et de leurs familles aussi. La jeune fille apprit tout un tas de choses inutiles, dont beaucoup étaient ennuyeuses. Elle n’avait que faire du petit dernier de l’un d’entre eux qui faisait ses dents, notamment. Un autre était un papa totalement gaga qui ne cessait pas de parler des selles de son bébé. Elle ne savait pas qu’on pouvait avoir autant de choses à dire sur du caca de nourrisson. Pendant ce temps, elle n’avançait pas dans sa propre réflexion. Elle se trouvait prise au piège et cela l’irritait. Si des plantons s’amusaient à faire le pied de grue devant sa porte de sortie, elle allait peut être devoir essayer de s’enfuir une fois que le vaisseau serait arrivé à son port. Mais là, cela impliquait qu’elle allait à la fois devoir s’échapper discrètement du vaisseau, mais aussi trouver un moyen discret de quitter le complexe de recherche et ce, certainement à bord d’un autre vaisseau.
Elle savait fort bien, pour y avoir vécu sa prime enfance, que ce complexe ne se situait pas sur une planète, mais au beau milieu de l’espace. Du coup, elle ne pourrait pas juste quitter le complexe et se fondre dans la planète environnante, mais elle devrait quitter le complexe dans un vaisseau qui partait de là. Elle devrait certainement se cacher dedans. Cela ne devrait pas poser problème puisqu’elle pouvait se montrer particulièrement discrète en hippocampe à pattes. Mais cela impliquait un futur voyage désagréable, où elle devrait dormir dans des endroits peu confortables, voler de la nourriture et ainsi de suite. Une autre idée se fraya alors un chemin dans son esprit, qui ne lui plut pas beaucoup. Elle avait commencé à se demander comme elle pourrait facilement retrouver la planète de Kit. Là, s’était imposé à elle le fait qu’elle ne pourrait peut être pas retourner sur la planète de son frère. Pas parce qu’elle ne trouverait pas de vaisseau pour s’y rendre – après tout, elle savait qu’il y avait au moins deux spatioports sur cette planète – mais parce que dorénavant c’était le premier endroit où sa mère l’enverrait chercher. De plus, les hommes en uniformes gris avaient vu Kit et savaient même qu’il était en lien avec l’hôtel de Madame Granger. Et ça, c’était un problème. Cela signifiait qu’elle ne pourrait plus jamais vivre tranquillement auprès de son frère dans la ville natale de ce dernier. Elle essaya de se convaincre de ne penser qu’à sa fuite, mais son esprit n’arrêtait pas de gamberger sur ce qu’elle devrait faire après. Elle allait devoir se cacher. Cela, au moins, était certain. Reverrait elle Kit un jour ? Et Bran ? Elle avait partagé un étrange moment avec lui le matin de son enlèvement, qui lui paraissait à présent si loin. Ces pensées l’angoissaient.
Puis, soudain, une lumière se fit dans son esprit. Edward Hammerson. Son père l’avait déjà tirée du complexe de recherche une fois, il aurait certainement une nouvelle solution pour qu’elle puisse se cacher quelque part en sécurité. De plus, il pourrait faire passer des messages à Kit. Et à Bran. Cette idée la réjouit, mais se trouva aussitôt assombrie par un nuage de taille : comment allait elle faire pour retrouver le géant blond dans cet espace intersidéral infini ? Elle avait bien compris que son père ne faisait pas dans les activités légales. Et qu’il avait même un certain renom dans les milieux de la pègre. Comment faisait on pour retrouver quelqu’un comme ça ? Rielle n’en avait aucune idée. Elle craignait qu’en demandant aux mauvaises personnes, elle ne se mette dans un pétrin encore pire. Les gens qui devaient savoir où trouver son père ne devaient certainement pas être des personnes très recommandables.
La voix de l’officier retentit de nouveau dans les hauts parleurs, la faisant sursauter. « Rielle, je m’adresse à toi, je sais que tu m’entends. » Le fait qu’il s’adresse à elle directement lui glaça le sang. Elle se doutait bien qu’il était au courant qu’elle n’avait pas quitté le vaisseau, puisqu’elle n’avait aucun moyen de s’enfuir. Mais cela la terrorisa tout de même. « Rielle, tu ne peux aller nulle part. Je ne sais pas si tu l’as déjà vu ou pas, mais des personnes sont postées aux seuls endroits qui te permettraient de quitter ce vaisseau. Alors cesse de faire l’enfant et retourne dans ta cellule. Je compte sur toi pour faire preuve de sagesse et de maturité. Cela ne sert à rien de faire ce genre de caprice. » Si la jeune fille avait été un animal à fourrure, il ne faisait nulle doute que tous les poils de son corps auraient été hérissés en entendant ces propos. Un caprice ? Elle s’était faite enlever après que quelqu’un lui ait tiré dessus avec une fléchette à somnifère comme un vulgaire animal sauvage et il osait qualifier cette tentative d’évasion de caprice ? Rielle eût du mal à retenir le grondement qui lui venait à la gorge. Doug l’avait mise dans une colère noire. Elle était plus que jamais décidée de tout faire pour s’échapper, même si par la suite elle ne devait jamais réussir à voir Kit de nouveau.
Elle décida qu’elle attendrait que tout le monde quitte le vaisseau pour pouvoir s’en aller tranquillement, une fois qu’il serait arrivé. Cela lui paraissait être une bonne solution. Et puis, elle se sentait en sécurité dans ces conduites d’aérations. Personne ne pourrait jamais l’atteindre, ici. Elle n’était même pas certaine qu’ils auraient l’idée qu’elle avait pu s’enfuir par là. Malheureusement, même en échafaudant des plans, elle trouvait le temps long, était un peu fatiguée, se disait qu’elle n’allait pas tarder à avoir faim et, surtout, elle s’ennuyait à mourir. Elle s’affala de tout son long, se disant qu’elle devrait peut être dormir un peu pour tromper l’ennui. Mais le métal était froid et dur et une vague de nostalgie l’assaillit en pendant à toues ces nuits douillettes qu’elle avait pu passer dans le petit lit que Madame Granger avait trouvé juste pour elle. Cette maman là lui manquait. Kit lui manquait aussi. Surtout même. Et Bran également. Elle se sentit triste, mais d’autant plus déterminée.
Le sommeil dut s’emparer d’elle à un moment, puisqu’elle se réveilla en sursaut en entendant de nouveau la voix de l’officier dans le haut parleur. Il informait l’équipage qu’ils étaient arrivés à destination – ils étaient en train d’atterrir sur une plateforme plus exactement – et qu’ils allaient pouvoir quitter le vaisseau, mais en passant par une étape de contrôle à la sortie, puisqu’ils n’avaient toujours pas retrouvé Rielle. Cette dernière se réjouit de voir son attente prendre fin. Elle se redressa et s’étira longuement, car sa sieste mal installée l’avait toute ankylosée. Jetant un coup d’oeil par les ventaux de la grille d’aération, elle guetta le départ des hommes en uniformes gris qui surveillaient les capsules de sauvetage. Elles ne lui étaient plus d’aucune utilité à présent, mais la petite créature bleue et dorée se disait qu’une fois qu’ils seraient partis, elle n’aurait plus à attendre très longtemps avant de dévisser la grille pour sortir de cet endroit étriqué.
Une fois qu’ils furent partis – tout en continuant de parler de leurs enfants – elle prit sur elle de patienter encore quelques minutes. Elle se disait qu’à la place de Doug, elle ferait une ronde dans tout le vaisseau une fois que tout le monde l’aurait quitté, juste au cas où. Bien lui en prit, car un groupe d’uniformes gris passa effectivement dans le hall, aux aguets. Tout en se félicitant de sa ruse, elle se dit qu’il serait certainement plus sage d’attendre encore un peu avant de tenter une sortie. Lorsqu’elle en eut assez de patienter, elle sortit sa patte entre les ventaux et commença à dévisser à l’aide du couteau. Un bruit étrange la fit s’arrêter et rentrer prestement sa patte dans sa cachette. C’était très léger, mais persistant, comme si quelque chose fuyait. Elle constata alors qu’une fumée commençait à envahir la pièce et devait certainement envahir tout le vaisseau. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’il s’agissait d’un gaz et qu’ils cherchaient, une fois de plus, à l’endormir.
1780 mots