Quelques lanternes illuminaient les abords du château, mais dispensaient une bien piètre luminosité pour contrecarrer la nuit hivernale de manière efficace.
Les pas d’Éléonore la menèrent à s’éloigner un peu de la bâtisse, jusqu’à un ensemble de constructions. D’après les sons de sabots et les odeurs caractéristiques de paille mêlée de crottin, elle supposa qu’elle était parvenue aux écuries. Elle s’en trouva surprise, car des chevaux étaient un véritable investissement pour un jeu de rôles grandeur nature, et qui s’avérait rarement possible.
« Qui va là ? » tonna une voix. Éléonore se retourna et aperçut un palefrenier armé d’une pelle. « Oh, ah, je ne vous avais pas reconnue, madame, veuillez m’excuser !
— Il n’y a pas de mal, le rassura-t-elle.
— Que faites-vous ici ?
— J’avais besoin de m’aérer un peu l’esprit et mes pas m’ont menée jusque là.
— Vous devriez rentrer, madame, les nuits ne sont pas sûres, même dans l’enceinte du domaine. Rien qu’aujourd’hui, on a attrapé un maraudeur. J’ai entendu dire qu’il était dans les cachots maintenant. Sûr que le seigneur Arthur va le faire pendre !
— Pourquoi en êtes-vous si certain ? s’étonna Éléonore.
— Ah ben c’est ce qu’on fait avec les maraudeurs en général.
— Mais et s’il n’a pas commis de crime ?
— Je… je sais pas, madame, ça dépend pas de moi. »
Éléonore décida de ne pas perturber plus ce personnage. Elle lui demanda s’il pouvait lui faire faire le tour des écuries. La requête le rendit perplexe, mais il s’exécuta. Cette écurie comportait beaucoup de chevaux, pas juste trois ou cinq pour faire illusion. Le palefrenier se mit à décrire les quelques désagréments qu’avaient subi quelques-uns des animaux et ce que le maître d’écurie et ses aides faisaient pour les soulager, puis il se mit à raconter les derniers évènements qui l’avaient marqué à l’écurie. Éléonore était impressionnée. Tant de précisions la mirent même un peu mal à l’aise. Par certains côtés, tout ici lui semblait un peu trop réaliste. Elle chassa très vite ces pensées désagréables et prit congé, au soulagement visible du palefrenier.
Comme elle commençait à grelotter sous l’effet du froid, Éléonore décida de rentrer. Avec un peu de chance, cette nuit Jodie ne resterait pas à la surveiller. Sur le chemin du retour, elle aperçut une porte aux multiples ferronneries sur une façade un peu dissimulée du château. Curieuse, elle s’en approcha et tenta de l’ouvrir. Elle fit la moue ; ainsi qu’elle le pressentait, la porte était solidement fermée à clef.
Alors qu’elle s’apprêtait à faire demi-tour, quelqu’un déverrouilla la serrure de l’autre côté et ouvrit le battant avec brusquerie. Le garde dénommé André écarquilla les yeux en la reconnaissant. « Madame ? Que faites-vous là ?
— Je venais m’assurer que le maraudeur était bien traité, répondit Éléonore avec à peine un instant d’hésitation.
— Ah, euh… Bah, il est traité comme un prisonnier normal. Il a eu un peu de gruau en plus du pain sec et de l’eau, c’est suffisant pour un rat pareil.
— Puis-je le voir ?
— Le voir ? » André avait l’air abasourdi. « Mais pourquoi ? »
Éléonore se contenta de le fixer droit dans les yeux. En grommelant, André s’effaça pour la laisser descendre les quelques marches, puis passa devant elle, prenant une lanterne au passage, pour la guider jusqu’à la cellule. Il y en avait très peu dans ce château, qui avait plus un but esthétique que militaire, et seule celle de l’intrus était occupée. « Il est là, indiqua le garde à sa maîtresse. Mais restez pas trop longtemps ni trop près : il pourrait vous contaminer avec un sale truc. »
Elle l’ignora et s’approcha des barreaux. Constatant qu’André restait posté à côté, elle lui fit signe de s’en aller. Comme il restait là, elle attendit qu’il s’en aille en le fixant d’un air sévère. Il finit par s’exécuter en ronchonnant. Lorsqu’elle estima qu’il était assez loin, elle s’approcha un peu plus de la cellule et s’éclaircit la gorge. « Bonjour ? » lança-t-elle. Les geôles n’étant éclairées que par la faible lumière extérieure qui se glissait péniblement par les soupiraux et André étant parti avec la lanterne, Éléonore peinait à distinguer le prisonnier.
Une ombre bougea et s’approcha d’elle. « Vous êtes la dame du château, vous, non ?
— Euh, oui, on peut dire ça comme ça.
— Qu’est-ce que vous faites là ?
— Je suis venu voir si vous étiez bien traité. »
L’intrus pouffa de rire. « Ouais bah super, je vais probablement mourir de dysenterie ou d’un autre truc sale. La seule chose qui me réjouit, c’est d’avoir toujours ma main : comme ça je vais pouvoir crever entier.
— Vous pourriez montrer un peu plus de reconnaissance pour votre main.
— À quoi bon ? De toute façon, vous n’êtes pas plus réelle que les autres. Enfin bon, merci quand même.
— Comment ça, je ne suis pas réelle ? »
Des pas coupèrent la parole du prisonnier. André revenait, accompagné de l’autre garde qu’Éléonore avait déjà vu et qui paraissait plus gradé. « Vous devriez retourner dans vos appartements, madame, lui dit-il. Ce n’est pas un endroit convenable pour une dame et encore moins de nuit. Je pense qu’à présent vous avez largement eu le temps de voir qu’il était bien traité et que vous n’avez pas très envie que je parle de votre escapade à votre père. »
Elle était déçue d’avoir été interrompue dans sa discussion avec le prisonnier, mais le garde avait raison : elle n’avait aucune envie qu’il rapporte ses faits et gestes au seigneur Arthur. « Je suis lasse, je vais me reposer. » déclara-t-elle avant de s’en aller. Pour lui éviter de devoir braver de nouveau la nuit glaciale, les gardes la guidèrent jusqu’à l’issue qui menait à l’intérieur du château. Éléonore ne reconnut pas tout de suite l’endroit où elle avait débouché, puis repéra les cuisines au loin. Soulagée, elle retourna rapidement jusqu’à ses appartements.
Jodie se trouvait là, dormant à moitié dans une bergère de laquelle elle se releva brusquement. « Madame ! Où étiez-vous ? J’espère que vous n’avez pas pris froid, vous avez l’air gelée ! » Ce disant, elle se précipita sur Éléonore pour lui ôter son manteau et la frictionner en la menant près de la cheminée. « Monseigneur me ferait pendre s’il savait que je vous ai laissée si longtemps dehors. Toute seule en plus ! »
Éléonore laissa Jodie s’affoler et se plaindre, tout en la déshabillant pour le coucher. Elle se contentait de repenser aux évènements de la journée. « Je prendrais bien un bain. » déclara-t-elle finalement. Elle réfléchissait toujours mieux dans un bain ou sous une douche, mais elle doutait que ce château soit pourvu de douches. « C’est possible ?
— Madame, vous n’y pensez pas, un bain vous achèverait ! Vous pourriez en prendre un demain, qu’en pensez-vous ? »
Fatiguée par les inquiétudes de la servante, Éléonore acquiesça. Cela parut calmer un peu Jodie, qui enleva la bouillotte et redisposa les oreillers pendant que sa maîtresse se couchait. Une fois la servante partie, Éléonore tourna longtemps dans le lit chaud et douillet. Elle se sentait très bien installée, mais tout ce qui s’était passé durant la journée tournait dans sa tête, l’empêchant de s’endormir. Elle se demandait notamment ce que le prisonnier avait bien pu vouloir signifier lorsqu’il lui avait dit qu’elle n’était pas réelle. De plus, il avait l’air beaucoup moins dans son rôle que les autres et cela lui paraissait particulièrement décalé.
***
« Alors, que penses-tu de l’expérience jusqu’ici ? s’enquit une femme d’âge mûr en rehaussant ses lunettes.
— C’est difficile d’en dire quoi que ce soit, chérie. Elle commence tout juste à explorer son nouvel environnement. Ce qui m’inquiète, c’est le prisonnier.
— Il n’était pas prévu, c’est vrai. Cela dit je pense qu’il sera intéressant de les voir interagir.
— Oui, allez, viens, elle dort maintenant. Allons nous coucher aussi. »
***
1313 petits mots pour aujourd’hui, mais en vrai c’est plutôt pas mal pour un mercredi ! Par contre ça y est : je n’ai plus d’avance.