Avisant un siège aux côtés du trône d’Arthur, Éléonore supposa qu’il s’agissait du sien et s’y dirigea pour s’y installer, remarquant que de nombreux employés du château étaient venus assouvir leur curiosité. Le seigneur l’accueillit avec un sourire et elle voulut, elle aussi, assouvir sa curiosité : « Pourquoi toute cette agitation ?
— La garde a appréhendé un individu suspect qui rôdait sur nos terres et me l’a amené pour jugement.
— J’ai rien fait je vous jure ! Aïe ! »
Ledit individu suspect, qui était maintenu à genoux sur le sol de pierres, se roula en boule pour encaisser un deuxième coup de pied d’un des gardes. Lorsque le prisonnier se redressa, Éléonore constata qu’un coup précédent l’avait fait saigner du nez. Alors qu’il reniflait et s’essuyait difficilement de son avant-bras, puisqu’il avait les poignets liés, Éléonore se demanda s’il jouait vraiment la comédie. Cela paraissait tellement réel qu’elle s’en trouva mal à l’aise et décida d’intervenir :
« Hum… Sei… Euh, père, voyons, vous ne pouvez pas les laisser se montrer si violents avec lui tant que vous ne savez pas s’il est coupable ou pas.
— Il a tout de même été trouvé, errant sur nos terres, ma fille. Juste pour cela, il mérite d’être puni.
— Je le trouve déjà bien assez puni, regardez dans quel état ils l’ont mis…
— Vous avez le cœur trop tendre, ma mie. »
Éléonore ne savait pas si « ma mie » pouvait s’appliquer à autre chose qu’à une compagne. En tant que terme très désuet, elle ne l’avait rencontré que dans ce sens en lisant de vieux contes. Dans le doute, elle corrigea : « Ma fille. » Le seigneur Arthur tiqua et sa mine s’assombrit. « Quels sont les crimes commis par cet homme ? poursuivit Éléonore.
— Eh bien, mademoiselle, commença l’un des gardes, nous faisions notre patrouille, lorsqu’André — lui, là — a repéré ce manant près du château. Il fouinait du côté des réserves, sûrement pour vous voler.
— Vous lui avez demandé ? lâcha Éléonore. Vous me paraissez un peu prompt aux accusations.
— Il nous a dit qu’il s’était perdu, pas vrai, maraud ? » intervint le garde dénommé André, en bousculant l’homme à ses pieds.
« Mais c’était une excuse à mon avis, dit-il d’un ton dédaigneux.
— Madame, je vous assure que je le pensais pas à mal ! s’écria le prisonnier en s’approchant d’Éléonore avant qu’André l’attrape par le col. J’avais froid et faim, je suis arrivé dans la région depuis peu, et je cherchais juste quelque chose à me mettre sous la dent. Je me disais que personne ne remarquerait la disparition d’une pomme et d’une miche de pain, j’avoue. Pitié, je demande votre pardon, je ne recommencerai pas !
— Tous les voleurs disent la même chose, soupira Arthur. Qu’on lui tranche la main, dans le doute.
— Ah non ! s’exclama Éléonore. C’est un traitement barbare ; or je pensais que nous étions des gens raffinés ici.
— Vous dites vrai, ma fille. Témoignons d’un peu de douceur dans ce monde de brutes. Jetez-le dans un cachot en attendant ! »
Les deux gardes obtempérèrent aussitôt, traînant sans ménagement le malheureux hors de la salle de doléance. Éléonore était satisfaite d’avoir évité qu’un pauvre hère se fasse trancher la main. Elle se demanda comment cela se serait passé si elle n’était pas intervenue, ce qui avait été prévu. Il y avait peu de chances que quiconque ait sorti une lame séance tenante, bien sûr.
Ses pensées furent interrompues par le seigneur Arthur qui avait posé sa main sur la sienne. « Votre clémence vous honore, ma fille. Mais souvenez-vous qu’un peu de fermeté est primordiale. » Éléonore acquiesça en retirant sa main de l’accoudoir. Tandis que d’autres sujets à traiter se présentaient les uns à la suite des autres, elle se laissa aller à ses pensées. Toutes les nouvelles interventions lui paraissaient triviales. Elle nota tout de même une redite de la maladie des poulets : trois paysans venaient quémander au seigneur de faire demander des remèdes, surtout s’il voulait continuer à profiter de volailles sur ses tables.
Une fois tous les suppliants entendus et mis dehors, Éléonore sauta à bas de son siège et s’apprêta à trouver un manteau pour découvrir l’extérieur. « Que faites-vous ? s’étonna Arthur.
— Je… retournais vaquer à mes occupations.
— Mais voyons, ma chère, il est bientôt l’heure de dîner [c’est ptêt plutôt midi, sinon il faudra dire que le repas de midi est passé et en parler, on verra]. Allez plutôt vous apprêter en conséquence et retrouvons-nous pour le repas. »
Un peu déçue d’avoir été coupée dans son élan, elle acquiesça et retourna dans ses appartements en se demandant en quoi consistait une tenue de dîner. En ouvrant la porte, elle se figea : Jodie l’attendait. La servante s’inclina en la voyant entrer. « Que faites-vous là ? s’enquit Éléonore, un peu fraîchement elle devait bien l’avouer.
— Comme vous n’avez plus de femme de chambre, je suis là en remplacement, madame, le temps que vous en ayez une nouvelle.
— Ah bon ? Qu’est-il arrivé à ma femme de chambre ?
— Elle a eu un accident. » répondit Jodie en lui jetant un coup d’œil en biais.
Éléonore se morigéna [OUI, ELLE SE MORIGÈNE ET JE VOUS CACA !]. La servante allait encore trouver étrange qu’elle ne se souvienne pas de sa femme de chambre. Une autre pensée désagréable s’insinua dans son esprit. « Qui vous a demandé de me servir de femme de chambre ? demanda-t-elle en commençant à se diriger vers la chambre où se trouvaient armoire, paravent et coiffeuse.
— Votre père, madame. Enfin, son valet de pied. »
La supposition d’Éléonore était confirmée, son soi-disant père voulait la surveiller. Elle décida de prêter particulièrement attention à ses propos en présence de Jodie. Au moins, cette dernière paraissait savoir quel genre de tenue convenait à un dîner et Éléonore n’en demandait pas plus pour le moment.
Les conversations lors du repas l’ennuyèrent grandement. Le seigneur Arthur aimait bien monopoliser les discussions, remarqua sa fille. En revanche les plats l’intéressèrent grandement. Elle avait le droit à un véritable dîner de château et elle goûta à tout avec ravissement, sans plus prêter attention au monologue paternel. Celui-ci afficha une mine déçue lorsqu’elle prit congé dès la fin du repas.
Elle n’en avait cure.
Pleine d’enthousiasme, Éléonore retrouva Jodie dans ses appartements pour lui demander de lui trouver quelque chose de suffisamment chaud pour aller se promener à l’extérieur. « Mais madame, il fait nuit en plus de faire froid, pourquoi voulez-vous vous infliger ça ? Surtout que vous devez encore vous reposer, si vous me permettez. Ce sont les médecins qui l’ont dit.
— Vous vous répétez, lui reprocha Éléonore. Et vous devriez cesser de discuter à chaque fois que je vous demande quelque chose. »
Jodie s’inclina de mauvaise grâce et s’en fut trouver le manteau le plus chaud possible dans la garde-robe. Puis, alors qu’elle s’apprêtait à suivre sa maîtresse dans son escapade, Éléonore la congédia pour se retrouver seule. La servante afficha une mine offusquée, mais elle commençait à avoir l’habitude et s’en fut sans s’en préoccuper. Jodie l’irritait. Cela s’avérait certainement réciproque. Elles se trouveraient beaucoup mieux en restant éloignées l’une de l’autre.
En quittant les murs du château, Éléonore frissonna. Le froid perçait l’épaisseur de son manteau, mais elle ne se laissa pas décourager pour autant. Elle espérait même qu’il neige, car l’effet des flocons sur le joli paysage du domaine devait offrir un spectacle féérique. Tout en exhalant de la buée, elle entreprit de faire le tour de la bâtisse. [petite description du château. Penser aussi à faire des descriptions de personnages un jour]
Après avoir longé tout un côté, elle se dit que le château était peut-être un peu trop imposant pour qu’il soit raisonnable d’en faire le tour complet, surtout la nuit tombée. Le chemin gravillonné lui semblait sûr, mais elle y voyait de moins en moins : le seul éclairage était dispensé par celui qui s’échappait des fenêtres de la demeure seigneuriale.
1334 petits mots pour aujourd’hui. Petite forme, un peu comme dimanche, mais en moins de temps. Du coup c’est plus positif, non ? Haha ! J’ai presque mangé toute mon avance par contre.