Un silence tendu les enveloppa quelques instants. « Bien, soit, ce gueux sera votre valet, si telle est votre volonté, ma fille. » Arthur paraissait mal à l’aise en disant ces mots, qui avaient l’air d’être le produit d’un gros effort. « Il devra tout de même subir une punition.
— Encore ? s’emporta Éléonore. Ne pensez-vous pas qu’il a été assez puni par la prison et, maintenant, par la torture ?
— Il n’a subi que quelques coups de fouet, ma fille, n’exagérez pas, tout de même.
— Il a subi bien plus. Voyez ces marques ? Elles me disent que cela fait un moment que ce c… que le bourreau Samedi s’échauffait sur lui. Et là, il est sur le point de perdre conscience. Je ne sais pas ce qu’il vous faut ! »
Le seigneur pinça les lèvres, fâché. « Il va falloir le couvrir, le transporter et le soigner, continua Éléonore avec fermeté.
— Et que voulez-vous d’autre encore ? se rebiffa Arthur. Une baronnie, peut-être ?
— Bien sûr que non. Mais il ne me sera d’aucune utilité en si mauvais état.
— Je vais faire appeler des gens pour le transporter et nous appellerons un médecin une fois revenus au château. » intervint Edmond.
Arthur ne répondit pas, se contentant de tourner les talons et de quitter le pavillon comme une furie. Éléonore remercia Edmond qui emboîta le pas à son seigneur afin d’aller quérir de quoi amener Gaël au château. Raymond était de retour dans le vague et Sigismond s’approcha du bourreau Samedi et de son aide, qui affichait une mine hostile. « Trouvez-nous de quoi couvrir ce pauvre homme, leur ordonna-t-il du ton le plus ferme qu’il pouvait produire.
— Vous devriez avoir honte d’interrompre ainsi une représentation du célèbre bourreau Samedi ! jappa le petit homme en colère.
— Cela m’est complètement égal. » L’intendant était désormais écarlate. Éléonore avait l’impression qu’il était lui aussi soulagé que ladite représentation ne soit pas allée plus loin.
L’aide n’argumenta pas plus, mais n’obéit pas, non plus que le bourreau, qui se contenta de se retirer de la pièce d’un pas pesant. « Laissez-les, conseilla Éléonore à Sigismond. Du secours va bientôt arriver. » Ce disant, elle se tortilla pour enlever son manteau, tout en essayant de faire bouger Gaël le moins possible. Ce dernier avait les yeux fermés, mais s’agrippait fermement à elle.
« Ça va ? lui murmura-t-elle à l’oreille.
— Pas très bien… avoua Gaël en grimaçant à chaque mot. Merci. Encore. » Il sourit. Éléonore le serra un peu plus fort. Au milieu de toute cette étrangeté, elle le trouvait suffisamment normal pour la rassurer, au moins un peu. Elle sentit l’étreinte de Gaël se détendre et tout son corps se relâcher : il avait perdu connaissance.
Éléonore refusa catégoriquement de quitter son valet d’une semelle. Elle craignait qu’on ne l’emmène elle ne savait où, si elle le lâchait des yeux. Comme Arthur ne se trouvait nulle part en vue, elle fit emmener Gaël dans sa propre chambre et le fit allonger sur son lit, en attendant qu’un médecin vienne le soigner. Le transport avait réveillé le blessé, qui gémissait par intermittence. Comme il avait des plaies sur tout le corps, il avait été décidé de le laisser nu, le temps qu’on lui applique des bandages. Éléonore l’avait tout de même laissé recouvert de son manteau, pour qu’il n’ait pas trop froid.
Elle fut surprise de ne voir venir qu’un seul médecin, accompagné d’une infirmière. Qui plus est, elle ne se souvenait pas les avoir vus, même si elle préférait ne pas trop se fier à ce qu’elle se rappelait du moment où elle était elle-même blessée. Les deux praticiens examinèrent gravement Gaël, puis firent de leur mieux pour désinfecter les plaies, malgré la douleur que cela causait à leur patient. Éléonore attrapa sa main, qu’il broya dans la sienne. Enfin, ils bandèrent le tout, puis vérifièrent qu’il n’avait rien de cassé et qu’il n’y avait pas d’autres problèmes.
Le médecin recommanda du repos et l’infirmière leur donna une crème à appliquer régulièrement. Ils se lavèrent ensuite consciencieusement les mains et Éléonore réalisa qu’elle les avait aussi vus se laver les mains à leur arrivée. Cette idée avait même étonné Jodie, qui n’en voyait pas l’intérêt. La Renaissance n’était pas réputée comme une époque où l’on prêtait vraiment attention à l’hygiène. « Attendez ! les interpella Éléonore alors qu’ils s’apprêtaient à partir, profitant que la servante était sortie. Emmenez-nous avec vous.
— Pardon ? s’étonna le médecin tandis que l’infirmière détournait le regard.
— Vous savez très bien ce que je veux dire, reprit Éléonore. Vous ne pouvez pas nous abandonner ici, je ne sais même pas ce que ça implique d’être ici, mais ça me rend folle. S’il vous plait, emmenez-nous. »
L’infirmière et le médecin échangèrent un regard empli de culpabilité. Après avoir toussoté d’un air gêné, l’infirmière déclara : « Je ne vois pas de quoi vous parlez, madame. Vous vous trouvez bien chez vous, n’est-ce pas ? Vous devez être fatiguée après toutes ces émotions, vous devriez vous reposer aussi. » Jodie revint sur ces entrefaites et, ayant entendu la dernière phrase de l’infirmière, elle demanda :
« Êtes-vous lasse, madame ?
— Je… Non. Je leur disais seulement que je les accompagnerais volontiers, pour visiter leur hôpital. » Elle jeta un dernier regard suppliant en direction des deux praticiens, qui détournèrent les yeux une nouvelle fois et battirent en retraite, au grand désespoir d’Éléonore.
« Voulez-vous quelque chose, madame ? s’enquit Jodie. Peut-être faire enlever cet homme nu de votre lit ?
— Non Jodie, je veux le garder là.
— Mais voyons, madame, c’est indécent de le garder là, sauf votre respect.
— La décence peut aller se faire voir, avec tout mon respect.
— Madame !
— Oui, Jodie ?
— Qu’est-ce qui vous prend ?
— Il me prend que j’ai vu une scène horrible juste après manger, que je vis un cauchemar depuis que je me suis réveillée ici et qu’il n’y a pas moyen d’être tranquille plus de cinq minutes dans ce château et que j’ai envie de rentrer chez moi.
— Oh… euh… et bien je vous laisse, madame.
— Merci. »
La servante fila en dehors des appartements et Éléonore expira longuement en se frottant le visage. Elle retourna s’asseoir sur le lit, à côté de Gaël, et remarqua qu’il la fixait. S’efforçant de sourire, elle lui demanda : « Est-ce que ça va mieux maintenant ?
— Plutôt, oui. Ce lit est quand même vachement plus confortable que le poteau de tout à l’heure. »
Éléonore avait l’impression que la bonne humeur du blessé était forcée. Il souffrait visiblement et son regard était hanté. Elle reprit : « Il te… te torturait depuis longtemps lorsque nous sommes arrivés ?
— Oui, il avait commencé de bon matin.
— Je suis désolée que tout ça te soit arrivé.
— Il ne faut pas, c’est pas de ta faute. En plus, tu as fait de ton mieux pour que je puisse m’enfuir ET tu m’as tiré des pattes de ce gros pervers, là.
— Oui, mais c’est temporaire. En fait, maintenant que je t’ai ramené au château, c’est un peu le retour à la case départ pour toi.
— Bah, au moins je suis vivant et entier. On pourra s’enfuir ensemble.
— J’aimerais beaucoup. J’ai pas envie de rester ici plus que nécessaire, j’ai vraiment envie de rentrer chez moi maintenant.
— Et moi donc…
— D’ailleurs, maintenant que nous avons le temps, peux-tu m’expliquer ce qu’il se passe ici ? » s’enquit Éléonore.
1237 mots pour aujourd’hui. COMME ÇA J’AI MANGÉ TOUTE LA PETITE AVANCE QUE J’AVAIS !