Tous ces livres paraissaient anciens et, pourtant, bon nombre d’entre eux paraissaient tout à la fois vieux et neufs. Elle réalisa qu’ils n’étaient anciens que dans leur style : les objets en eux-mêmes étaient récents. [tout ça, c’est tout pourri, il faudra reformuler] Cela ne l’aurait pas intriguée outre mesure s’il n’y en avait eu que quelques-uns. On parlait là de plusieurs centaines d’ouvrages et les plus motivés des participants des jeux de rôles grandeur nature n’auraient jamais pu en produire autant. Et puis, il y avait les chevaux. Sans compter la location du domaine. Tout cela devait avoir été très coûteux. Et puis, il y avait les bizarreries des gens.
Éléonore secoua la tête. Les gens agissaient étrangement, mais ils parlaient comme des personnes de son époque le feraient en imitant celles de la Renaissance. Son coup sur la tête l’avait déstabilisée, voilà tout. Quant au prisonnier qui paraissait complètement décalé par rapport au reste, ce devait aussi s’expliquer facilement. Les organisateurs avaient du introduire une composante voyage dans le temps, ou quelque chose d’approchant.
Elle se sentit mieux après toutes ses réflexions. Il lui restait un fond d’appréhension, mais elle l’étouffa de son mieux. Le fait de n’avoir toujours pas eu d’aperçu de [Bidulon] était ce qui l’embêtait le plus. Éléonore se sentirait entièrement rassurée s’il se trouvait dans les parages ; peu importerait le reste. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle ne l’avait pas vu, mais il lui manquait beaucoup. Malheureusement, cela ne donnait aucune indication de durée : [Bidulon] lui manquait dès qu’ils étaient séparés plus de quelques heures.
Elle eut le réflexe de chercher son téléphone pour lui envoyer un message. Se trouvant ridicule, elle pouffa de rire. Éléonore secoua de nouveau la tête, emprunta quelques livres et retourna dans ses appartements. À sa grande surprise, Jodie ne l’y attendait pas. Elle s’en réjouit brièvement, posa les livres sur une table, puis s’installa au secrétaire marqueté, dont elle ouvrit le battant et fouilla les tiroirs et compartiments. Il contenait du papier, des fioles d’encre, des plumes et tout le reste d’un attirail de papeterie.
Éléonore ouvrit une fiole d’encre, en inspira l’odeur et y trempa une plume, tout en s’emparant d’une feuille de papier. Elle fit quelques essais, puis commença à écrire une lettre à [Bidulon] pour lui raconter tout ce qu’elle avait vécu depuis son réveil. Cela lui prit quelques pages, jusqu’à ce que son horloge sonne midi. Bien qu’elle ait pris soin d’éponger l’encre, elle remarqua que ses mains en étaient maculées. Elle dissimula la lettre sous la réserve de feuilles vierges.
Alors qu’elle rangeait son matériel d’écriture, la porte du salon s’ouvrit sur Jodie. « Ah ! Madame ! Vous êtes ici !
— Oui, Jodie. Sauriez-vous où je peux trouver du savon et de l’eau pour nettoyer tout cela ? s’enquit Éléonore en montrant ses mains tachées.
— Je vais chercher ça, madame, vous ne pouvez pas aller déjeuner dans cet état. »
Ah, oui, le déjeuner. Éléonore n’y avait même pas pensé. Il faudrait certainement le prendre en même temps qu’Arthur, ce qui ne la réjouissait pas outre mesure. Bien sûr, elle pourrait prendre ses repas seule dans ses appartements, mais elle n’apprendrait rien d’utile ainsi. Elle se dit qu’elle devrait lui proposer d’inviter du monde, ce qui serait certainement plus intéressant que de l’écouter monologuer.
Une fois débarrassée de la majeure partie de l’encre qui maculait ses mains à présent rougies — Jodie n’avait pas réussi à tout enlever malgré son acharnement à frotter — Éléonore se rendit à la salle à manger. Les trois conseillers avaient été conviés à se joindre à eux et le vieux Raymond babillait à propos de sa femme Berthe. Les deux autres restaient silencieux et, pour cause, le seigneur Arthur arborait une mine sombre. Le repas commença, environné d’un silence de plomb.
« J’ai réalisé que nous possédions une bibliothèque très fournie, badina Éléonore pour essayer d’alléger l’atmosphère.
— Peut-être un peu trop, bougonna Arthur. J’ai peur que ces romans, que vous lisez, ne vous soient montés à la tête.
— Comment ça ?
— On m’a rapporté que vous vous étiez *promenée* dans les cachots cette nuit.
— Tout à fait. » Éléonore ne voyait pas de raison de le nier. « Je voulais vérifier la façon dont le prisonnier était traité. Étant donné la violence dont les gardes avaient fait preuve à son encontre, je tenais à m’assurer qu’il était encore entier. »
Le seigneur Arthur [il est comte au fait, lui, faut pas que j’oublie] lâcha un rire bref. « Qu’importe l’intégrité physique d’un manant comme lui ? Pourquoi vous préoccupe-t-il autant ?
— Parce que c’est juste un pauvre malheureux qui avait faim. Il ne mérite pas de se faire battre ainsi.
— Je vous l’ai dit, ma fille, vous êtes trop bonne. Cessez de vous préoccuper de lui.
— Qu’allez-vous en faire ?
— Je n’ai pas encore décidé. Oubliez-le. »
Éléonore ne continua pas plus la discussion, qui promettait de devenir vraiment houleuse. Elle ne comptait pas non plus obéir, au contraire. Retourner voir Gaël faisait partie de ses projets, mais elle allait devoir se montrer discrète. Elle ne se faisait pas tant de souci pour elle que pour le prisonnier. Il serait certainement considéré comme responsable si elle se faisait prendre.
Toute à ses pensées, elle n’avait pas remarqué qu’Arthur avait recommencé à parler. Il lui faisait la morale sur les risques de côtoyer des hommes et, à plus forte raison, des hommes de basse extraction. En entendant ça, Sigismond détourna la tête d’un air contrit, confirmant ainsi à Éléonore qu’il n’était pas noble. En plus de cela, il était le plus jeune des trois conseillers : il devait avoir du mal à faire entendre ses avis. Si tant est qu’Arthur écoutait un quelconque avis. Edmond, quant à lui, semblait n’écouter que d’une oreille distraite.
Les trois — même Raymond — semblaient avoir l’habitude des diatribes d’Arthur et n’intervinrent pas. Éléonore suivit leur exemple. Malgré le repas de qualité, elle trouva le temps terriblement long et se sentit soulagée lorsqu’Arthur décréta qu’il était terminé. Elle ne demanda pas son reste et s’en fut rapidement.
Edmond la rattrapa. « Madame, l’interpella-t-il. Je sais que je rase tout le monde à suggérer sans arrêt de vous marier, mais vous devez bien constater que ce serait une véritable échappatoire pour vous.
— Comment donc ?
— Voyons voyons, vous n’avez nul besoin de jouer l’ingénue avec moi, madame. Tout le monde, au château, a bien remarqué à quel point monseigneur continuait à vous accabler depuis votre retour.
— Depuis que je me suis réveillée, vous voulez dire ?
— Oh, non, depuis que vous êtes revenue, après votre séjour chez le bas peuple. »
Éléonore accorda toute son attention à Edmond ; elle espérait qu’il allait lui dévoiler de précieuses informations. « Je suppose qu’il avait initialement promis de se comporter correctement avec vous, reprit le conseiller. Mais, vous savez, les gens trop habitués au pouvoir ont parfois l’impression qu’ils peuvent n’agir qu’à leur guise. Ma foi, il doit se dire que sa parole était plus en l’air que véritablement promise. » Edmond la considéra un moment puis, comme ne répondait pas, il reprit :
« Enfin, peu importe, passons. Je vois bien que vous n’êtes pas une idiote. Vous devez bien savoir, au fond de vous, qu’il serait mieux pour votre bien-être de vous éloigner de lui. En vous mariant, vous seriez obligée d’aller vivre avec votre époux.
— Encore faudrait-il en trouver un qui survive jusqu’au mariage, pointa Éléonore. Est-ce donc seulement parce que vous vous souciez de mon bien-être que vous insistez pour me trouver un mari ? »
Edmond sourit. « N’avais-je pas dit que vous étiez intelligente ? Évidemment, j’ai quelque chose à gagner dans cette histoire, moi aussi. Il serait plus simple pour vous et moi que nous nous allions.
— Très bien, concéda Éléonore après quelques instants de réflexion. Je vous laisse me trouver des partis. Il en faut plusieurs. S’ils sont nombreux, j’espère que le seigneur Arthur n’osera pas à s’en prendre à eux.
— Voilà une bien sage remarque. Il me faudra quelques jours pour convaincre votre père et organiser tout cela, puis encore quelques jours supplémentaires pour les laisser tous arriver jusqu’ici. Il vous faudra faire preuve de patience, madame.
— De quoi parlez-vous ? » les interrompit Arthur qui avait tardé à sortir de la salle à manger.
« Je lui disais que je la trouvais encore un peu pâle, répondit Edmond avec un naturel qui impressionna Éléonore. Et qu’elle devrait plus se reposer. Après tout, son accident est encore tout récent.
— C’est tout à fait vrai. Allez donc vous allonger dans votre chambre, ma fille. Je vais vous raccompagner.
— Ce sera inutile, refusa Éléonore. Je préfère m’y rendre seule, merci. »
Elle leur tourna le dos et se pressa de rejoindre ses appartements. Jodie se trouvait encore là, à repriser des vêtements à côté de la cheminée. Éléonore se souvint alors qu’elle avait voulu prendre un bain la veille, que la servante lui avait refusé. Elle lui en fit de nouveau la demande. « Comment ça, madame ? Juste après manger ? Mais vous n’y pensez pas, sauf votre respect.
— Il y a toujours une excuse pour refuser mes demandes, avec vous. J’ai besoin d’un bain, maintenant. »
Jodie s’exécuta et, bientôt, Éléonore put profiter d’un bain très chaud. Elle soupira de bien-être dans l’eau savonneuse et ferma les yeux pour se détendre. Cela n’eut pas l’effet escompté puisque tous les propos tenus par Arthur pendant le repas et sa discussion avec Edmond repassèrent dans sa tête. Elle s’admonesta [comme ça elle se morigène ou se gourmande pas, BIIIM] : elle aurait dû prendre de quoi lire pendant sa baignade, cela lui aurait évité de se questionner sur ce qu’Edmond avait à gagner si elle se mariait.
Une autre chose l’avait profondément angoissée dans ses propos. Il avait parlé de plusieurs jours pour organiser une rencontre — des festivités probablement — et de plusieurs jours encore pour que tous ses prétendus prétendants arrivent. Au bout du compte, cela faisait vraiment un très long séjour à passer ici. Elle n’allait pas se plaindre de la vie de château, c’était intéressant et agréable en tant que dame, aussi. Mais combien de congés avait-elle pris pour venir là ? D’ailleurs, elle ne savait toujours pas où se trouvait ce « là ».
1718 mots pour aujourd’hui, ça va. Même si des fois j’aime pas ce que j’écris. MAIS IL FAUT PAS SE RELIRE, C’EST LE NANOWRIMO !