– Alors, que convient-il de faire face à l’intrusion non autorisée de l’ambassadeur Doji du Clan de la Grue, honorable Jynpo-sama ? » s’enquit Kistuki Hideaki.
Jynpo resta interdit quelques instants. Puis, comprenant que son idée pour résoudre le problème des poules n’avait rien à voir avec une intrusion non autorisée sur les terres de son Clan, il demanda, étonné : « Comment ça une intrusion non autorisée ?
– En effet mon Seigneur, cette intrusion n’a, en aucun cas, été autorisée durant votre exil forcé. » L’informa le conseiller Hideaki.
Le jeune seigneur comprit enfin de quoi il retournait, soit un grave affront de la part du Clan de la Grue, et posa précautionneusement son rapport sur les gallinacés. Il comptait fermement s’occuper de cela par la suite. « Il ne faut vraiment pas que j’oublie mon idée pour régler ce problème, pensait-il par devers lui. Pour une fois que j’y arrive tout seul, sans conseillers ni amis ! » Puis, il se leva, l’air grave et déclara : « Dans ce cas, nous ne pouvons pas rester sans réagir face à un tel affront venant de nos ennemis. Il faut une action forte ! C’est pourquoi je vous propose d’aller immédiatement débattre de la question dans la Salle du Conseil. »
Les deux conseillers s’inclinèrent, avant de suivre Jynpo qui se dirigeait déjà vers la salle, l’air plus concentré que jamais. Tout en parcourant les couloirs, Chiba admirait intérieurement son maître : « Malgré son jeune âge, les épreuves qu’il a affrontées ont fait de lui un vrai samouraï et un Seigneur des plus éclairé. Il a une telle aura de bravoure, les hommes le suivraient sans hésiter jusqu’aux tréfonds de l’Outreterre. De plus, à part le Shogun en personne, aucun guerrier ne peut rivaliser de force avec lui. Je suis certain qu’il est déjà en train de peaufiner les détails de sa stratégie en cas d’invasion du Clan de la Grue. » Hideaki, dans son esprit, appréciait la sagesse et l’intelligence dont faisait preuve Jynpo : « Quel grand homme ! Il dispose d’un esprit affûté et a probablement déjà pris en compte tous les tenants et les aboutissants des retombées politiques de chaque solution qui s’offre à lui. Je suis sûr qu’il a prévu que le trajet de son cabinet de travail à la Salle du Conseil lui laissera le temps de deviner les véritables intentions du Clan de la Grue. »
Pendant ce temps, Jynpo était, en effet, plongé dans ses pensées : « Il ne faut vraiment pas que j’oublie comment sauver les gallinacés de ce village, sinon ils vont encore se moquer de moi et me traiter de bébé-samouraï ! Non, mais en plus, je suis sûr de mon coup, j’ai eu une excellente idée. Ca marchera ! Avec celui-là, j’aurais fini de prendre connaissance de quatre rapports. Heureusement qu’il n’y avait pas de problème à régler pour les trois premiers… J’aurai bien travaillé aujourd’hui, je suis plutôt content, mais il faut encore que je m’occupe de cette nouvelle complication. Bon, comment je vais faire ? » C’est à ce moment précis qu’ils arrivèrent tous les trois devant la Salle du Conseil.
En entrant dans la pièce, Jynpo jeta un regard empli de nostalgie à cet endroit, qu’il n’avait pas vu depuis qu’il avait du quitter Yamato et son père, pour se rendre dans la lointaine, barbare et froide Sylvanie. Il contempla les moelleux coussins de soie marquant la place du chef de Clan, autrefois occupée par son père. Il alla s’asseoir à la place qui était déjà la sienne à l’époque, à la droite du chef de Clan. Une fois qu’il fut installé, il fit signe à ses conseillers de prendre place à leur tour. Voyant que Jynpo ne siégeait pas en tant que Seigneur, ils hésitèrent un bref instant, mais obéirent. Attendant que son maître prenne la parole, Hideaki songeait aux raisons qui l’avaient poussé à laisser de côté le siège de Seigneur où il aurait du prendre place : « Il n’a pas terminé le deuil de son père. Par respect il lui laisse encore la place. De plus, il ne veut certainement pas s’asseoir à l’endroit où le traître qui a tué son père s’est assis. Peut-être faudrait-il suggérer au futur Intendant de changer les coussins, cela l’aidera peut-être. »
« Alors, comment pensez-vous que le problème devrait être réglé ? » demanda Jynpo à ses conseillers en espérant qu’ils lui diraient comment réagir, car, pour sa part, n’ayant pas eu le temps d’y réfléchir, il n’en avait strictement aucune idée. « Il nous teste ! » pensèrent Chiba et Hideaki, persuadés que leur maître avait déjà la bonne réponse, mais qu’il voulait les mettre à l’épreuve pour se faire une idée par lui-même de la valeur de ses hommes, ainsi que l’aurait fait tout bon Seigneur nouvellement arrivé au pouvoir.
« A mon sens, il y a plusieurs solutions possibles, Maître, commença le conseiller diplomate. Premièrement, nous pouvons attendre l’arrivée de l’ambassadeur Doji au château. A partir de là, nous devrons l’accueillir selon les règles de l’hospitalité, pour ne pas entacher l’honneur du Clan du Dragon, mais il sera alors très difficile d’obtenir réparation de l’affront qui nous a été fait. La deuxième solution serait d’envoyer des hommes à sa rencontre, afin d’exiger des explications à cette intrusion et demander directement réparation. Si cela s’avère impossible, l’honneur nous obligera à en venir aux armes. Cela, en plus de risquer une confrontation directe envers le Clan de la Grue, montre aux autres Clans que notre frontière est aussi facile à traverser qu’une muraille de papier. Malgré notre réaction brutale, elle n’aurait été que trop tardive.
– Mais dites-moi, comment se fait-il que nous ayons été informés si tard de leur présence sur nos terres ? s’enquit Jynpo.
– Des Shugenjas sont probablement liés à cette affaire, Maître, répondit sombrement Chiba. Ils ont du les masquer magiquement pour qu’ils puissent arriver sans encombre en plein cœur de notre territoire.
– Il est à noter, intervint Hideaki, qu’il s’agit là probablement d’un test de la part du Clan de la Grue. N’oublions pas que derrière le raffinement dont ils font preuve, ils n’en restent pas moins des conspirateurs difficilement égalables. D’après moi, ils cherchent à savoir ce que valent vos décisions et connaître vos réactions pour savoir dans quel camp considérer notre Clan pour leurs futures machinations. Peut-être pensent-ils, naïvement, pouvoir manipuler l’actuel héritier du trône impérial, mon Seigneur.
– Nous pouvons également faire effectuer une marche forcée à nos armées en direction de notre frontière commune avec le Clan de la Grue, afin de les intimider Seigneur, suggéra Chiba.
– Ce serait une bonne solution, déclara Hideaki, si elle n’était pas aussi tardive. Sans compter que le Clan du Phénix, qui attend de voir si vous, Jynpo-sama, être aussi bon stratège que guerrier, peut profiter de cette occasion pour marquer des points décisifs dans la guerre qui nous oppose à eux. »