– C’est vrai ? » Demanda le garçon. Ses joues étaient rosies de froid et son nez coulait avec ses larmes. La louve lui lécha de nouveau le visage.
« J’avais promis à ton père de prendre soin de toi si d’aventure il lui arrivait quelque chose, reprit elle. Et je te fais la même promesse. » Son protégé renifla et sécha ses larmes. Elle dénuda ses crocs en une forme de sourire. « Voilà qui est déjà mieux.
– J’ai toujours mal, précisa Bård d’une voix un peu enrouée.
– Mal ? Es-tu blessé ? s’inquiéta la Vane.
– Non, je suis triste, expliqua l’enfant.
– Oh… Tu le seras encore pendant longtemps.
– J’ai froid aussi, ajouta-t-il. Et faim.
– Mmmh, nous allons devoir remédier à tout cela, commenta Fen. Pour commencer, tu devrais remonter sur mon dos. Tu te pelotonneras dans ma fourrure, cela te tiendra chaud. Ensuite nous verrons pour la nourriture. »
Le garçon acquiesça et, lorsque la grande louve se coucha pour le laisser monter, il grimpa lestement sur l’encolure de celle ci. « Tient toi bien, le prévint elle.
– Où allons nous ? demanda Bård.
– Pour le moment, nous allons loin, répondit la Vane. En espérant que nous trouverons de quoi manger sur le chemin.
– J’espère, parce que j’ai vraiment faim. »
Fermement arrimé aux poils de la louve, Bård s’enfouit dans la chaleur de l’animal pour profiter du voyage. Fen galopa pendant tellement longtemps que l’enfant finit par somnoler, bercé par la cadence régulière de la course. Il se réveilla en même temps que la nuit tombait. Son estomac se rappelait à lui en gargouillant de manière accusatrice. Il se redressa un peu, mais la brise glacée lui fit retrouver dare dare le confort chaleureux de la fourrure. « Fen ? Appela-t-il.
– Mmmh ?
– Quand allons nous manger ? »
Elle ralentit sans répondre. Elle adopta un petit pas trottinant, paraissant rechercher quelque chose. Finalement elle s’arrêta devant un arbre qui poussait au pied d’une petite colline. Elle baissa la tête vers le sol et le garçon osa un regard par dessus le garrot. La louve avait posé le cadavre d’un jeune cerf. « Descend, lui dit elle la gueule dégagée de son fardeau.
– Le faut il vraiment ? demanda Bård peu enclin à quitter son nid douillet.
– Oui, mais rassure toi, ce ne sera pas long. » L’enfant glissa à contre coeur de sa confortable monture et se posta, frissonnant, à côté du produit de la chasse. A peine était il descendu que la Vane se mit à creuser la petite colline, éclaboussant des gerbes de neige et de terre de tous les côtés. Bård se poussa pour éviter la pluie boueuse qui s’abattait de toutes parts. Bientôt, la louve disparut dans le tunnel qu’elle venait de creuser. Elle en ressortit quelques instants plus tard, poussant son protégé à l’intérieur. Celui ci s’aventura dans le terrier sombre, il ne voyait presque rien mais se trouvait à l’abri de la bise froide et pouvait presque se tenir debout. En revanche, Fen le suivit en rampant, après avoir récupéré son cerf.
« Je ne vois pas grand chose, commenta le fils de Sigurd.
– Bientôt tu en verras encore moins : je vais camoufler l’entrée et la nuit va tomber.
– Mais tu restes avec moi, n’est ce pas ? vérifia l’enfant à qui cela ne disait rien de rester tout seul dans le noir.
– Oui, je vais rester là ce soir, le rassura la louve. Je dois laisser ma blessure cicatriser.
– Ta blessure ? s’étonna Bård.
– Je la dois à l’homme qui occupait la maison de ton père. » Expliqua Fen. La seule mention de son père fit monter les larmes aux yeux de l’enfant, mais il les contint. « Demain il n’y paraitra plus, continua la Vane qui ne semblait pas avoir remarqué le trouble de son petit compagnon. Tu devrais manger.
– Manger ?
– Oui, le cerf que j’ai attrapé tout à l’heure.
– Comme ça ? Cru ? se récria le garçon.
– Oh, ah, réalisa la louve. C’est vrai que vous ne mangez pas les choses crues, vous les humains.
– Pas vraiment, non, confirma ledit humain.
– Soit, partageons dans ce cas. Je vais en manger une partie et tu pourras faire cuire l’autre. » Sur ces mots, elle entreprit de dévorer une partie de la carcasse. Bård ne savait pas quoi faire. Il ne possédait rien d’autre que son couteau sur lui et, si cétait possible de faire du feu avec seulement ça, il n’en avait aucune idée. Déjà, avec les outils adéquats il avait toujours eu du mal à faire naître les petites flammèches, alors il paraissait compliqué de faire un feu.
Il se contenta de contempler l’ombre de la louve, qu’il devinait à peine, en train de manger son repas. « Et bien ? lui demanda-t-elle soudain en le faisant sursauter. Ne fais tu pas du feu ?
– Je ne sais pas comment m’y prendre, avoua-t-il enfin.
– Si je me souviens bien de la manière dont s’y prenait Sigurd, il faut commencer par aller chercher du bois. » Elle avait raison, Bård le savait. Mais sortir dans la nuit et la neige ne lui disait rien. Il gigota, mal à l’aise, en se demandant quel goût avait la chair crue.
« Je pense que je vais essayer la viande crue, décida-t-il.
– A ton aise, l’encouragea la Vane. Viens partager avec moi. » Il s’approcha en sortant son petit couteau. Son manche était en corne ou en os annelé et gravé de runes. Son père lui avait dit de le garder précieusement car c’était le cadeau de naissance de sa mère. Il découpa avec application une lanière de viande. Puis, après avoir hésité quelques secondes, il entreprit d’en mastiquer un morceau. Le goût était fort et cela s’avéra difficile à mâcher. « Alors, que penses-tu de mon cerf ? s’enquit la louve.
– C’est… dur à manger, confessa son protégé.
– C’est vrai que vos canines sont toutes petites. Vas tu aller chercher du bois pour faire du feu ?
– Je… Je n’ai pas très envie de sortir. Il fait froid et il fait nuit aussi…
– Ah ces humains ! s’exclama Fen. Il leur faut une seconde peau pour se protéger du froid, il leur faut de la lumière quand il fait noir… Vous n’êtes décidément pas viables comme espèce ! »
Bård se recroquevilla. Il se sentait en effet très faible et cela le rendit malheureux. « Allons donc, reprit la louve sur un ton plus doux. Je vais venir avec toi pour cette fois. Tu es encore un petit d’homme, tu as besoin que l’on veille sur toi. Viens. » Elle entreprit de sortir de la tanière qu’elle avait creusé, suivie par le jeune garçon. Une fois dehors, elle s’ébroua et renifla machinalement l’air, avant de se retourner en direction de l’enfant. « Nous y voilà, lui dit elle. Cherchons du bois. »
Heureusement, la neige s’était arrêtée de tomber, le ciel était dégagé et la lune pleine, inondant le bois de lumière argentée. Il pouvait donc se déplacer sans trop de mal. Il ramassa nombre de brindilles et de bûchettes, avant de retourner dans l’abri de la tanière, toujours escorté par Fen. Il avait toujours considéré les loups comme des animaux dangereux – ce qu’ils étaient, surtout lorsqu’ils se trouvaient affamés – mais il s’était très vite senti en confiance avec elle. Il faut dire que Fen n’était pas une simple louve, elle était une Vane et ça n’était pas rien. « Comment êtes-vous devenus amis avec mon… père ? » s’enquit Bård en déposant le bois dans la caverne. Il avait du mal à dire ce mot sans que sa voix ne tremble.
« Je te raconterai cette histoire une fois que tu auras fait ton feu pour cuire ton repas, décréta l’animal en bâillant.
– Je ne sais pas faire du feu comme ça, avoua-t-il.
– Allons bon, un petit d’homme qui ne sait pas faire de feu, s’étonna sa grande protectrice. Ne savez vous donc rien faire à la naissance ? » L’enfant ne répondit rien, un peu honteux. « Bien. Puisqu’il faut en venir là… » Reprit elle. Le garçon se frotta les yeux : dans la pénombre il avait l’impression que la forme de la louve diminuait en taille. Il ne voyait pas suffisamment ce qu’elle faisait, mais l’avoir entendue fourrager dans sa provision de brindilles, il perçut le heurt de pierres l’une contre l’autre. Et soudain, une étincelle jaillit. Puis une autre. Et une odeur de fumée commença à chatouiller les narines de l’enfant. Bientôt une petite flamme apparut sur un petit foyer composé d’une partie de la provision de bois de Bård. Il resta bouche bée. A la place de la louve géante se trouvait une jeune femme occupée à attiser la flammèche qu’elle avait fait naître.
« Je te préviens, lui dit elle une fois assurée que le feu prenait pour de bon, je ne ferai pas ça tous les jours, alors tu ferais mieux d’apprendre rapidement à faire du feu toi même.
– Que… ? balbutia-t-il.
– Ne savais tu pas que certains Vanes ont la capacité de prendre forme humaine ?
– Non, enfin si, j’ai entendu des histoires, mais je n’avais pas pensé que… » Il se tût, ne sachant pas vraiment quoi dire. Il étudia la physionomie de Fen, à présent éclairée par un petit feu ronflant. Son physique était humanoïde sans aucun doute, mais ses cheveux aussi argentés que sa fourrure, ses yeux d’or, ses canines plus saillantes que la moyenne et ses oreilles pointues trahissaient son origine de Vane.
« Qu’attends tu ? Lui demanda-t-elle d’un ton un peu brusque. Ne me dis pas que tu ne sais pas non plus faire cuire de la viande…
– Non non, je sais faire ça ! » La rassura-t-il avec empressement. Il découpa de nouveaux morceaux de la carcasse du cerf, les planta sur un morceau de bois effilé et entreprit de les faire rôtir. Son coeur se sentait revigoré par la lumière et la chaleur du petit feu. Il avait tellement faim que la viande qu’il avait – mal – cuite lui parût un festin digne des dieux. Tandis qu’il mangeait, Fen reprit sa forme de loup, ainsi que presque toute la place dans la tanière.
« Puis je te poser une question ? s’enquit elle alors que le garçon dévorait son dernier morceau de cerf.
– Oui oui.
– Que sais tu de ta mère ?
– Pas grand chose, confessa l’enfant. Je sais qu’elle m’a donné ce couteau lorsque j’étais bébé. Veux tu le voir ?
– Montre, acquiesça la louve.
– Regarde. » Bård lui tendit son petit couteau. La lame en était délicate, un fin ouvrage au fil coupant. Et son manche était particulier. Aux yeux de Fen, cela ressemblait à une base de corne de narval. Un morceau de corne gravé de runes. A y regarder de plus près, elles paraissaient un peu différentes que les runes qu’utilisaient habituellement les humains.
« Tu disposes là d’un joli petit croc, commenta finalement la Vane.
– Oui, approuva le garçon. Et il coupe vraiment bien. Père… Père disait que je n’aurai jamais besoin de l’aiguiser.
– S’agit il d’un couteau magique ? suggéra la louve.
– Je ne sais pas, répondit son protégé. Lorsque j’ai posé la question, père m’a seulement fait un clin d’oeil. » Cela n’aidait pas vraiment les réflexions de Fen. Qu’est ce qu’il pouvait avoir été pénible ce Sigurd avec ses airs mystérieux. D’apparence, elle aurait dit qu’il s’agissait d’une belle ouvrage aelfique. Mais son côté lupin ne s’étant jamais particulièrement intéressé à ce genre de question, elle ne pouvait pas en être absolument certaine.
« Garde le précieusement, conclut elle en bâillant de tous ses crocs.
– Tu m’as promis une histoire tout à l’heure. » Lui rappela Bård. Elle grommela. En lui laissant le soin de protéger sa progéniture, Sigurd continuait de lui apporter des ennuis, même mort. « Tu as promis, insista l’enfant.
– Oui oui, j’ai promis, répéta la louve. Voici ton histoire : ton père s’était mis en tête qu’il voulait chasser un grand cerf blanc. Malheureusement, sa cible s’avéra être non seulement la mienne, mais aussi celle d’un jeune aelfe.
– Existent ils vraiment ? demanda le garçon.
– Autant que les Vanes, ironisa Fen avant de reprendre : Après avoir rivalisé les uns et les autres de ruse et d’endurance afin de capturer ce cerf, je dois dire que nous avions fini par agir en meute pour le coincer. Mais tel n’était pas l’avis de l’aelfe, un jeune arrogant qui dédaignait les humains. Il était vexé que ton père ait réussi à rivaliser avec lui lors de cette chasse. Partager son butin avec un Vane, cela lui aurait été possible, mais avec un humain certainement pas. De dégoût, il tenta de tuer ton père.
– Mon père l’a-t-il tué ?
– Non, je me suis interposée, répondit la louve. Pour un humain, il m’avait impressionnée et je trouvais qu’il ne méritait pas de mourir pour seul crime d’avoir défié un aelfe.