– Pas le moins du monde ! » Lui promit Ed, qui paraissait presque aussi aux anges que le jeune garçon. Les deux adultes se gratifièrent d’un signe de tête entendu et Madame Granger retourna à ses affaires.
L’hippocampe à pattes, quant à elle, ne paraissait pas ravie de la tournure des évènements. Lorsque le géant voulut s’emparer d’elle de sa main libre afin de la mettre dans les bras du garçon, elle couina désespérément et s’accrocha le plus fort qu’elle put. Kit eut même l’impression d’entendre un « Non ! » au milieu de ses cris plaintifs. Mais elle ne pouvait rivaliser avec la force de Hammerson. Celui ci émit un glapissement surpris lorsque la dernière prise que trouva Rielle se trouvèrent être ses poils d’avant bras. « Lâche moi. » Lui enjoignit Ed d’un ton doux mais sans condition. Sur un dernier gémissement plaintif, la petite créature accepta de lâcher la pilosité fournie du géant. Il la déposa délicatement dans les bras d’un Kit émerveillé. Rielle se blottit machinalement contre le garçon et jeta un regard désespéré à Hammerson. Ce dernier arborait un air satisfait et un demi sourire se dessinait derrière sa barbe de trois jours.
« Ne t’inquiète pas Ri, rassura-t il la petite créature en lui caressant tendrement le dessus du crâne d’un doigt. Je te laisse entre de bonnes mains. Tu as entendu, il va devenir l’homme le plus fort de la galaxie ; il ne peut rien t’arriver ! » L’hippocampe à pattes émit un reniflement peu convaincu. « Je sais, je sais, convint Hammerson. Pour le moment il est encore tout petit. Mais je me suis laissé dire qu’il s’entraînait dur ! » Il y eut un soupir désabusé de la part de l’animal. « Allons allons, soit sage, la gourmanda Edward. Et puis, tu seras là pour l’épauler le temps qu’il devienne le plus fort. »
La petite créature bleue tourna le cou pour fixer Kit dans les yeux. Le garçon lui rendit gravement son regard, ne sachant pas si le géant blond faisait semblant de dialoguer avec Rielle ou si elle comprenait véritablement ce qu’il lui disait. Il trouvait les yeux noirs liquides de l’hippocampe bleue très particuliers. Cela lui semblait difficile de les lire. Il repensa au Docteur Sam, qui lui avait dit un jour que ce n’était pas les yeux qu’on lisait, mais les infimes mouvements de l’expression du visage selon le contexte, que l’on analysait inconsciemment. En considérant l’étrange créature, il réalisa que sa figure était assez statique. Comme elle ne montrait pas d’expression particulière, il ne pouvait pas essayer de déterminer ce à quoi elle songeait en le fixant ainsi. Elle pencha alors la tête sur le côté et il eut l’impression qu’elle lui souriait. Il écarquilla les yeux, surpris, et se rendit compte que la créature avait enroulé sa queue, ornée d’une magnifique nageoire caudale dorée, autour de son bras.
Ce qui était certain, en revanche, c’était que Ed souriait bel et bien d’un air aussi attendri que rusé. Derrière lui, ses compagnons continuaient de boire, discuter et rire entre eux, en faisant mine de ne pas suivre les évènements qui se déroulaient à côté d’eux. En réalité, ils n’en perdaient pas une miette. Mais, par considération pour Hammerson, ils lui laissaient un semblant de vie privée. Kit les connaissait tous par leur nom et il avait passé des moments privilégié avec chacun d’eux, depuis le temps qu’ils accostaient régulièrement sur la planète du garçon et logeaient invariablement à l’hôtel de Bourgétoile.
Les joyeux drilles de Hammerson avaient rapidement remarqué le petit Kit qui, peu farouche, était venu leur poser des questions sur l’endroit d’où ils venaient et sur la raison de certaines de leurs particularités physiques. Comme leurs cicatrices par exemple. Au début, les hommes du géant n’avaient rien répondu. Mais ce dernier, amusé par l’audace innocente du petit garçon, avait autorisé d’un rire les confidences. Sur le regard inquisiteur de la maman, ils avaient tout de même passé sous silence certaines choses pas très légales qui avaient mené à leurs cicatrices et qui les avaient poussés à parcourir l’espace intersidéral. Cela faisait à présent deux ans que, depuis leur rencontre avec Kit à l’auberge de Bourgétoile, ils revenaient régulièrement lui rendre visite. Les contrôles étant rares sur cette planète tranquille, ils s’étaient vite sentis comme chez eux. Quant à Kit, n’ayant pas de père – selon la formule consacrée concernant les enfants dont personne ne savait qui était le géniteur – il avait été enchanté de trouver autant de grands frères et d’oncles à sa disposition. D’ailleurs, Ed était devenu ce qui se rapprochait le plus d’un père pour lui. La considération familiale était réciproque et, tant que tous ces bandits se tenaient à carreau sous son toit, Madame Granger les considérait avec bienveillance.
« Nous n’allons pas pouvoir rester très longtemps cette fois ci, déplora Ed Hammerson à l’intention de son fils de coeur.
– Oooh ! » S’exclama l’enfant de déception. La petite créature fit écho à sa consternation avec un couinement plaintif. « Tu vois, Rielle est d’accord avec moi, vous devriez rester plus longtemps.
– Haha ! J’aimerais beaucoup passer plus de temps avec vous, les enfants, leur assura le géant blond. Mais le… devoir nous appelle.
– C’est nul, observa Kit d’un ton boudeur. Vous venez à peine d’arriver ! Vous pourriez rester un ou deux jours, quand même.
– Dis donc, je t’ai amené une nouvelle amie et tu trouves encore le moyen de te plaindre ? Ironisa Ed en couvant son jeune interlocuteur d’un regard moqueur.
– Je prends exemple sur toi, rétorqua le garçon avec un sourire insolent.
– Hahaha ! » Hammerson s’esclaffa bruyamment et tous les gens qui se trouvaient dans la salle tournèrent brièvement le regard vers lui, intrigués, avant de retourner à leurs affaires. « C’est quelque chose qui risque de t’apporter beaucoup d’ennuis, sais tu ? ajouta-t il ensuite avec une lueur malicieuse dans le regard.
– Ce n’est pas grave, balaya Kit. Je ferai avec ! »
Les hommes d’Ed se mirent à rire à leur tour. « Tu ne sais pas à quoi tu t’exposes ! » Pouffa l’un d’eux qui répondait au nom de Sun Lee. L’enfant haussa les épaules, ne sachant quoi répondre. Il n’avait plus très envie de dire quoique ce soit, maintenant qu’il savait que Hammerson ne se laisserait pas convaincre. En fait, le géant blond ne s’était jamais laissé convaincre de rester. A chaque fois qu’il avait ordonné le départ, rien ne réussissait à le retenir. Kit avait tout essayé, les larmes, l’argumentation, la provocation… Mais aucune de ses tactiques, élaborées avec soin, n’avaient jamais porté ses fruits. Il avait même demandé à sa mère des conseils. Malheureusement, elle ne s’était révélée d’aucun secour. Elle s’était contentée d’essayer de le raisonner sur le fait que Ed avait des choses importantes à faire et qu’il reviendrait un jour prochain. En attendant, il était particulièrement déçu. Il aurait voulu aborder le sujet de l’entraînement avec le géant blond et comparer ce qu’il avait à dire aux propos du Docteur Sam.
Il perçut un mouvement sur son bras. Rielle avait entrepris de l’escalader. Elle se retrouva sur son épaule en un rien de temps, enroula délicatement sa queue autour du cou du garçon pour affermir sa prise, et se mit à pousser une série de sons sur un ton clairement accusateur. Kit resta perplexe en se demandant si il s’agissait d’un véritable langage. Dans tous les cas, cela y ressemblait fort et, avant que Ed ne prenne la peine de répondre à la tirade de la petite créature furieuse, le garçon s’empara d’elle pour la tenir à bout de bras, face à lui même. « Qu’est ce que tu racontes ? lança-t il à l’hippocampe bleu et doré tout en le secouant doucement. Tu ne pourrais pas plutôt parler une langue que tout le monde comprend ? » Rielle ne daigna pas lui répondre et se contenta de le gratifier d’un plissement de ses yeux noirs de jais. « Elle a l’air en colère. » Commenta un Kit toujours intrigué par la créature. Il pensait que Ed lui avait remis un simple animal de compagnie. Un animal précieux, certes, puisqu’il avait dit quelque chose qui ressemblait au fait qu’il y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
« Cela lui arrive, acquiesça Hammerson d’un ton étonnamment doux de la part d’un morceau tel que lui.
– Tu vois, continua le garçon. Tu ferais mieux de rester, même juste une nuit de plus. » Le géant blond caressa la joue du petit de son poing en souriant. Kit soupira. Il sentait bien que son ultime tentative n’avait pas fonctionné non plus. D’ailleurs, les compagnons de Edward commençaient déjà à se lever et l’un d’entre eux fouillait ses poches à la recherche de quoi payer toutes les consommations. « Cette fois ci, vous partez vraiment très très vite, constata tout haut le garçon.
– Bien sûr, j’étais juste venu pour te confier mon trésor, lui murmura Hammerson sur le ton de la confidence. A la revoyure ! » Lança-t il ensuite d’une voix de stentor, pour tous les clients présents.
Sur un pas nonchalant mais efficace, la troupe quitta bientôt le petit hôtel, sous le regard consterné de Kit et de son hippocampe à pattes qu’il serrait à présent contre lui. Une fois qu’ils eurent disparu, celle ci leva les yeux vers le garçon et poussa un petit gémissement. « Oui, ils sont partis. » Répondit l’enfant. Il ne savait pas ce que lui disait la petite créature, mais il s’imaginait la comprendre. Il la considéra un moment, puis monta avec elle dans sa chambre. Madame Granger et son fils logeaient dans une dépendance de l’hôtel. Ils y possédaient un petit appartement qui donnait directement sur la cour intérieure. Kit avait la chance d’avoir une chambre pour lui tout seul. Il en poussa la porte et pénétra avec soulagement à l’intérieur. Après avoir posé Rielle sur son lit, il alla fermer la porte pour être certain d’être tranquille, et s’assit à côté de la créature bleue et dorée. Sa mère essayait toujours de le faire parler quand elle le voyait triste. Mais elle ne comprenait pas : il n’était pas triste ! Il était grand maintenant, alors il n’était plus triste. Par contre, il était déçu de l’attitude de Ed. Parfaitement. Et il en fit part à l’hippocampe qui le considérait silencieusement, la tête légèrement penchée sur le côté.
« Alors, comme ça, tu es un trésor ? » S’enquit Kit pour changer de sujet.
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