– Ce n’est pas un cadeau, le reprit l’adolescent en lui assénant un petit coup de son arme en bois sur la tête. C’est quelque chose que vous devrez mériter ! Aujourd’hui, nous allons commencer à apprendre comment désarmer quelqu’un qui a une arme de portée alors que vous, non. »
Comme à chaque fois, les balbutiements des deux débutants furent désastreux. Mais ils étaient déterminés et au fil des mois – ou des années pour certaines choses particulièrement complexes – ils parvinrent à exécuter tout ce que Bran leur demandait. Ce dernier avait également étudié les étranges capacités de Rielle. Plusieurs questions s’étaient posées à lui. Tout d’abord, si la fillette pouvait prendre une forme animale, pouvait elle en prendre d’autres ? Après de nombreux essais, il s’avéra que ce n’était pas le cas. En revanche elle pouvait moduler sa taille d’hippocampe à pattes. Elle pouvait devenir aussi petite qu’un rat ou aussi grande qu’elle même sous sa forme de petite fille. Elle était aussi capable de faire fluctuer ses degrés de transformation. Devenir une fillette avec une queue à nageoire ou un hippocampe qui parle par exemple.
Durant ces années – où Ed Hammerson et ses compagnons ne daignèrent même pas se montrer, au grand dam des deux enfants à qui ils manquaient beaucoup – certains contrebandiers un peu moins scrupuleux commencèrent à créer une certaine insécurité au sein de Bourgétoile. Mais ils apprirent rapidement à éviter le garçon à l’animal bleu et or. La bête, minuscule au premier abord, gonflait comme un poisson globe et était dotée de dents pointues. Quant au garçon, il ne fallait pas se fier à sa taille. Les deux inséparables purent ainsi continuer de profiter de leur enfance en toute insouciance. De manière un peu trop insouciante, même, considérait Rielle. Elle ne pouvait pas s’empêcher de s’inquiéter à chaque fois que Kit en venait à provoquer des gens sans même s’en rendre compte. D’ailleurs, en constatant que la jolie créature était tout à fait apte à défendre son fils rassurait beaucoup Madame Granger, qui continuait à les laisser vaquer à leurs occupations à leur guise. Le fait que son rejeton soit capable de gérer lui même les problèmes n’entrait pas en ligne de compte. Bien sûr, il rentrait parfois avec un oeil au beurre noir ou des égratignures. Mais jamais plus. Kit lui même en était parfois surpris. Il y eût cette incartade où il était persuadé de ne pas avoir réussi à éviter un rayon tiré d’un pistolet à énergie d’un dadais particulièrement vindicatif. Mais il se vanta à sa mère d’être encore plus doué que ce qu’il pensait, puisqu’il n’avait qu’une légère brûlure là où le rayon l’avait frôlé. Pendant qu’il se pavanait, alors que Madame Granger essayait de soigner la plaie, le regard de cette dernière était tombé sur Rielle. La petite créature se léchait discrètement la patte au même endroit, estima la mère, que là où le rayon avait frôlé Kit. Le lendemain, Rielle ne portait plus de trace de blessure, tandis que le garçon arborait fièrement son bandage. Cette remarque sortit donc de la tête de Madame Granger.
Les années passant, le temps où Kit allait pouvoir postuler à l’Ecole Planétaire de Pilotage approchait. Il allait avoir ses seize ans dans quelques mois. Durant toutes ces années, Edward ne fit qu’une seule apparition pour voir comment se portaient les deux enfants. Il en avait profité pour expliquer aux contrebandiers un peu trop sûrs d’eux, que ce n’était pas une très bonne idée de provoquer le désordre dans un endroit où l’on souhaitait se cacher. Ses compagnons et lui s’étaient montrés tellement persuasifs que Bourgétoile entra de nouveau dans une période de calme après leur départ. Encore une fois, Kit et Rielle avaient déploré le peu de temps qu’il leur avait consacré. Comme excuse, il avait mis en avant ses activités très prenantes pour le moment et le fait qu’il ne serait pas très prudent qu’il s’attarde où que ce soit. Lorsque sa fille et son ami s’étaient enquis de ce qui le menaçait, Ed avait éludé. « Je ne savais pas que tu étais capable de parler, lorsque tu avais cette forme, s’étonna-t il néanmoins auprès de la petite créature bleue et dorée certainement pour changer de sujet.
– Nous nous sommes entraînés dur, expliqua fièrement Kit. Nous savons faire plein de choses tous les deux maintenant !
– Je n’en doutais pas, pouffa Hammerson d’un ton qui démentait quelque peu ses paroles. Mais je croyais que tu devais garder tes secrets, Rielle. » Ajouta-t il tout bas. La précaution était inutile, personne ne prêtait attention à leur conversation dans la salle.
« Je lui ai tout dit dès le premier jour, le provoqua l’hippocampe.
– Ah ben c’est malin… Lâcha Edward. Heureusement que je t’ai laissée sur une planète isolée si tu balances ta sécurité à tout va.
– J’aurais été plus en sécurité avec toi, pointa Rielle.
– Haha ! S’esclaffa le géant blond. Tu ne crois pas si mal dire ! Les choses ont été un peu… chaotiques pourrait on dire.
– Tu as toujours des problèmes avec maman ? S’enquit sa fille.
– Entre autre, confirma vaguement Ed.
– Pourquoi est ce que nous ne pouvons pas venir avec toi ? Répéta-t elle une ènième fois d’un ton irrité.
– Je te l’ai déjà dit, ma sirène, ce serait beaucoup trop dangereux.
– Nous sommes vraiment devenus des champions, plaida Kit tandis que Rielle approuvait d’un vigoureux hochement de tête.
– Ce qui ne suffit absolument pas pour monter sur mon vaisseau, balaya Hammerson d’une façon définitive.
– Pfff. »
L’hippocampe à pattes, sous ses airs dédaigneux, était désemparée. Elle aimait beaucoup Kit. Et sa mère aussi. Cette dernière avait appris un an auparavant qu’elle pouvait prendre forme humaine et elle n’avait pas eu l’air surpris ou effrayé. Elle avait accepté ce fait comme si c’était la chose la plus classique du monde. De temps en temps, elle lui jetait des regards pensifs, mais cela s’arrêtait là. Elle avait également tissé des liens profonds avec Bran qu’elle adulait plus que quiconque. Et cette situation convenait parfaitement à Rielle. Mais les voyages interstellaires et les lieux plus avancés technologiquement parlant lui manquaient. Les lieux avec plus d’eau aussi. Au final, la planète de Kit était assez aride par rapport à ce dont elle avait l’habitude. Et son côté animal aquatique se languissait de grandes étendues d’eau pour nager pendant des heures. Plus enfoui en elle, résidait l’envie de créer des liens avec ce père qu’elle n’avait que peu eu l’occasion de côtoyer. A son grand déplaisir, celui ci se montrait particulièrement fuyant.
Ed Hammerson était parti peu de temps après cette conversation. Il avait eu l’air de considérer que sa fille se portait suffisamment bien à son goût et que Kit grandissait de manière tout ce qu’il y avait de plus satisfaisante. Cela avait paru lui convenir. Madame Granger, elle, était surtout soulagée de voir que les choses allaient redevenir plus calmes, grâce à l’intervention de l’imposant Edward auprès de toutes les fripouilles qui zonaient dans le coin. D’ailleurs, une partie d’entre elles avaient décidé de carrément quitter la planète. L’atmosphère s’était faite beaucoup trop oppressante à son goût ; elle la ressentait d’autant plus qu’elle était en contact direct autant avec les gens du crû comme de ceux qui venaient d’ailleurs. Elle se permit donc de souffler, mais contempla, le coeur serré, les deux jeunes aller s’isoler ensemble après le départ du géant blond. Elle n’aimait pas les voir tristes. Enfin, c’était assez difficile de déterminer les émotions de Rielle avec sa tête d’hippocampe inexpressive. Mais toutes les émotions de Kit se marquaient sur sa figure et elle savait que les deux enfants étaient devenus particulièrement fusionnels.
Le garçon laissa ses pas le guider tandis qu’il ruminait, en compagnie de la petite créature bleue et dorée qui broyait, elle aussi, du noir sur son épaule. L’inconscient de Kit les mena tout droit au ranch où travaillait toujours Bran. Au lieu de le harceler comme à leur habitude, les deux apprentis se perchèrent sur une barrière pour contempler leur professeur grand frère à l’oeuvre. Il débourrait un cheval. Ils se tinrent sage pendant toute l’opération, les mines mornes et le moral en berne. Lorsqu’il remarqua leur présence, il s’inquiéta. S’approchant avec son jeune cheval, il leur lança : « Et bien alors, vous êtes malades tous les deux ?
– Non, grommela Kit.
– Hmpf, renchérit Rielle.
– Vous vous êtes encore battus ?
– Même pas, déplora presque le garçon. On vient de voir Ed partir. »
Bran savait qui était Edward Hammerson, il savait également que Kit l’admirait beaucoup et qu’il était le père de Rielle, même si il ne ressemblait pas beaucoup à cette dernière physiquement. « Vous devriez être contents de l’avoir vu, reprit il. Alors pourquoi vous faites ces têtes ?
– Il n’a pas voulu rester, expliqua le garçon.
– Il n’a pas voulu nous emmener, se plaignit la fille en même temps.
– Mmmh, je vois… » Commenta platement Bran, embêté de les voir aussi déprimés. « Bien, voici ce que je vous propose, continua-t il d’un ton enjoué. Pendant que je termine mes corvées, vous allez prévenir votre mère que vous aller passer la nuit avec moi. Ensuite, vous revenez avec des couvertures et un pique nique. Ca vous va ? »
Les deux plus jeunes le fixèrent avec des yeux ronds, le temps que l’idée intéressante se fraye un chemin dans leurs esprits envahis par les idées noires. Une fois qu’ils eurent réalisé que Bran leur proposait de passer toute une nuit comme des adultes, ils s’entre regardèrent et un sourire se dessina sur leurs mines dépitées. « Wouhou ! S’écria Kit. Allez vient Rielle ! Dépêchons nous ! On revient vite Bran ! » La petite créature bondit prestement de nouveau sur l’épaule du garçon, qui se mit à courir à toute allure en direction de Bourgétoile. Il avait beaucoup d’endurance pour réussir un tour de force pareil, mais il n’en arriva pas moins complètement essoufflé au petit hôtel que tenait sa mère. « Maman ! Hurla-t il tellement fort que tout le pâté de maisons avait pu l’entendre. Rielle et moi, on va passer la nuit chez Bran.
– Mmmh, et il est sûr de ça, Bran ? S’enquit Madame Granger assez perplexe vu leur état d’excitation.
– Oh oui, c’est lui qui nous a proposé, se réjouit Kit.
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