– Bien sûr que non, pourquoi est ce qu’elle serait repartie sinon ? s’enquit Bran d’une voix pâteuse et d’un air perplexe.
– Non, mais je ne disais pas avec nous en vrai, expliqua Kit. Je disais avec nous par l’esprit.
– Par l’esprit ? Je ne vois pas comment elle ferait un truc pareil…
– Et bien elle sait saigner à ma place, alors elle sait peut être faire ça aussi, exposa le garçon qui ne savait pas très bien comment formuler ce qu’il avait en tête.
– Elle m’avait parlé du fait qu’elle pouvait prendre des dégâts à ta place, mais elle ne m’a parlé d’aucun pouvoir psychique… » Le jeune homme réfléchissait tout haut en essayant de s’éclaircir l’esprit.
« Je me demande pourquoi elle ne m’en avait pas parlé, déplora doucement Kit.
– Pour que tu ne t’inquiètes pas.
– C’est vrai que je m’inquiète maintenant, avoua le garçon. Heureusement que je ne me suis pas trop fait mal jusque là !
– Hum… toussota Bran. Oui, heureusement… » Il se disait que ce ne serait pas très gentil de sa part de révéler à son cadet qu’il avait causé plusieurs blessures à sa soeur. Ce n’était pas le moment de lui donner mauvaise conscience pour rien. « Quoiqu’il en soit, maintenant, elle doit être trop loin pour pouvoir encaisser à ta place. Alors, soit prudent.
– Je suis toujours prudent. » Affirma Kit. Son aîné lui jeta un regard éloquent. « Bon, c’est vrai, avoua l’adolescent. Je ferai attention. » Il se tut une seconde, comme frappé d’une illumination. « J’ai une idée ! » S’exclama-t il avant de s’élancer dans la cuisine à côté du salon. Il revint rapidement en brandissant un couteau de cuisine de manière triomphante, sous le regard d’incompréhension de Bran. Il s’agissait d’un très long couteau, très pointu. Certainement un couteau à viande. Bran lui jeta un regard d’incompréhension avant d’écarquiller les yeux d’horreur lorsque le garçon entreprit de planter la pointe du couteau dans son avant bras gauche.
« Mais arrête ! » S’exclama le jeune homme en bondissant à bas du lit, tandis que Kit entreprenait de graver carrément une lettre en grimaçant de douleur. « Tu es fou ! » Bran fit voler le couteau d’un mouvement vif. L’objet alla se planter en vibrant dans le parquet. « Pourquoi est ce que tu as fait une chose pareille ? s’emporta l’aîné pourtant d’habitude si calme.
– Héhé, regarde ! Contra le garçon en lui mettant triomphalement son bras sous le nez. Elle ne doit pas être si loin que ça. La marque s’est un peu effacée ! » Bran jeta un oeil au R majuscule à vif que son cadet à la tête brûlée avait écrit au couteau sur son propre avant bras. En effet, la marque ne saignait déjà plus. Il y avait toujours le R, mais Rielle devait avoir à présent la même marque sur son bras – ou sa patte – à elle. « Tu essaies de communiquer avec elle ? réalisa le jeune homme sur un ton un peu adouci.
– Oui, répondit distraitement l’adolescent en inspectant sa cicatrice en forme de R. Mmmh, ça ne disparaît pas complètement. Oh ! » Il s’interrompit. Il venait d’avoir la brusque impression que l’esprit de sa soeur se superposait au sien et il la sentit de nouveau avec lui, comme durant les huit années qu’ils avaient passées ensemble. Cela ne dura qu’un bref instant. « Elle était là cette fois ! S’écria Kit. J’en suis sûr !
– Comment ça, là ?
– Et ben… Là ! Je ne sais pas comment l’expliquer, se découragea le garçon. Mais elle est partie maintenant. » Il soupira et alla s’affaler dans un fauteuil, les mains sur les yeux. Bran soupira en écho et s’assit sur le bord du canapé lit, juste en face de son cadet.
« On va la retrouver, tu sais, lui assura-t il d’un ton doux.
– Je sais, affirma résolument Kit. Mais elle avait l’air d’avoir peur. Je n’aime pas la savoir toute seule, perdue on ne sait où.
– Moi non plus, lui concéda le jeune homme. J’espère que cette Eglantine pourra la retrouver rapidement.
– Et moi donc ! » Les deux garçons échangèrent un sourire déterminé. A partir du moment où la femme au cache oeil trouverait la piste de Rielle, ils ne la laisseraient pas une seconde de plus que nécessaire entre les mains de ses ravisseurs. Et puis Kit était impatient de faire son premier voyage dans l’espace. Sa mère tenant un hôtel, elle n’avait pas eu la possibilité de l’emmener en vacances en dehors de la planète. Sans compter que, là, Eglantine lui avait dit qu’il pourrait la regarder piloter. Il était certain que cela l’aiderait beaucoup pour son école de pilotes et que cela lui garantirait même une certaine avance. D’ailleurs, il comptait bien lui poser tout un tas de questions et se réjouissait déjà des regards jaloux qu’il n’allait pas manquer de susciter auprès de ses futurs camarades.
Le plus grand se mit à bâiller à s’en décrocher la mâchoire. « Il faudrait peut être aller dormir, suggéra-t il.
– C’est vrai, approuva Kit. Mais j’aurais l’impression d’abandonner Rielle si jamais je vais dormir.
– Ce n’est pas le cas, lui assura Bran en se couchant de nouveau. Si tu vas dormir, tu seras plus en forme pour l’aider demain. Surtout que Jack a dit que toi et moi serions des mousses sur le vaisseau d’Eglantine.
– Ah bon ?
– Tu n’as pas entendu ?
– Non.
– Et bien nous allons bien être mis à contribution, crois moi, le prévint le jeune homme.
– Tu crois que ça va être si dur que ça ? se renseigna Kit.
– Cette Eglantine ne m’a pas l’air d’être quelqu’un à nous laisser nous tourner les pouces, si tu veux mon avis. Du coup, vient dormir, tu vas avoir besoin de force demain. Enfin, tout à l’heure. C’est pareil. » Il bâilla de nouveau, tandis que le plus jeune lui obéissait en le rejoignant. Kit repensa longuement au moment où il avait eu l’impression que l’esprit de sa soeur se superposait au sien et, sur cette pensée qui le réconfortait, il s’endormit de nouveau.
Rielle était désemparée, mais reprenait de l’espoir. Elle s’était demandée avec effroi ce qui arrivait à son bras, supposant que sa mère avait peut être testé quelque chose de nouveau sur elle. Mais elle avait été rapidement rassurée de voir le R majuscule qui s’était écrit sur son avant bras. Cela l’avait à peine picotée. La jeune fille avait pouffé de rire, étouffant le son dans ses mains. Seul Kit pouvait avoir eu une idée aussi idiote, elle en était certaine. Ce qui voulait dire qu’il avait finalement compris qu’elle encaissait les dégâts physiques pour lui. Peut être que c’était Bran qui lui avait expliqué ; même si elle aimait tendrement son frère de coeur, elle savait fort bien qu’il était parfois un peu lent d’esprit. Il ne prenait jamais la peine de réfléchir. Ramenant son bras blessé à elle – elle savait qu’elle allait cicatriser de quelque chose d’aussi dérisoire en quelques minutes seulement – elle entoura tendrement la marque en forme de R majuscule de son autre main et ferma les yeux. Toutes ses pensées se dirigèrent vers Kit. Elle pensait avoir presque réussi à joindre son esprit, tout à l’heure. Le R lui faisait dire qu’il était possible qu’elle ait réussi. Concentrée de tout son être, elle se sentit rejoindre son frère. Elle eût l’impression d’ouvrir les yeux dans un étrange salon, baigné par la pleine lune. Mais un bruit retentit à l’extérieur de sa cellule, qui lui fit réintégrer son corps immédiatement.
Un boucan terrible réveilla les deux garçons en sursaut le matin venu. Du moins, supposèrent ils que c’était le matin. Leur hôtesse soufflait avec enthousiasme dans une corne qui produisait un son qu’on pouvait certainement entendre jusqu’à Bourgétoile. Lorsque Kit se leva, difficilement, du lit, il constata que Bran avait déjà presque fini de s’habiller. Craignant d’être en retard, le plus jeune se précipita sur ses affaires pour rattraper le temps perdu. La corne s’arrêta enfin de beugler et le rire d’Eglantine emplit la pièce. « Hahaha ! Il va falloir vous habituer à ce genre de réveil si vous ne vous levez pas de vous même ! » Les prévint elle d’un ton enjoué. « L’avenir, sur mon navire, appartient à ceux qui se lèvent tôt ! chantonna-t elle. C’est bon ? Vous êtes prêts ?
– Oui ! S’exclama Kit avec autant d’entrain que la femme au cache oeil. C’est parti !
– Non mais oh ! Rétorqua prestement Eglantine. C’est moi qui décide du départ. On ne commence pas à faire les insolents et on écoute les ordres du capitaine. Autrement dit : moi.
– D’accord, capitaine ! » S’enthousiasma de nouveau le garçon. Eglantine roula un oeil perplexe. Mais elle n’allait pas se démonter pour si peu. Elle en avait vu d’autres. Leur désignant le canapé, elle leur ordonna :
« Rangez moi ça, et après je vous montrerai ma chérie, sur laquelle nous allons passer les prochains jours. » Les deux garçons obtempérèrent sans mot dire. Bran dut calmer les ardeurs de Kit, qui avait tellement d’entrain qu’il se laissait emporter et ne se montrait pas efficace dans la tâche assignée. Loin de là. Pendant ce temps, la femme les observait silencieusement, les jaugeant tous les deux du regard. Elle arborait un demi sourire en coin et se tenait appuyée contre le mur, les bras croisés. Lorsqu’ils eurent terminé et qu’ils sollicitèrent son aval, elle s’approcha du canapé, l’inspecta d’un oeil critique, fit bouffer quelques coussins, puis hocha la tête d’un air appréciateur. « Bon. Ce n’est pas trop mal, pour un début. » Commenta-t elle, à la grande joie de Kit. « Comme c’est acceptable, je ne vais pas vous le faire refaire. Suivez moi. » Elle les emmena hors de son appartement, de nouveau dans les couloirs de son repaire. « Je suppose que vous n’avez pas d’affaires ?
– Non, confirma Bran. Nous sommes partis tout de suite.
– Haha ! Bande de têtes brûlées ! S’esclaffa Eglantine. J’aime bien ça. Vous devez vraiment l’apprécier votre amie, elle a bien de la chance. » Alors qu’elle leur faisait parcourir plusieurs couloirs, Kit se demanda quelle taille faisait la structure. Et, comme il n’avait pas l’habitude de garder ses pensées pour lui, il posa la question tout haut. « Une grande partie du plateau, répondit évasivement leur nouveau capitaine. Mais j’avais besoin de place pour stocker ma résidence, ma chérie et mon équipage. Et tous les trucs qui vont autour. Plus diverses pièces pour plus tard ou au cas où. Bref, il me fallait beaucoup de place !
– Et il a fallu combien de temps pour creuser tout ça ? s’enquit le garçon impressionné.
– Pas si longtemps que ça. Une grotte occupait déjà la majeure partie de cet endroit. On a juste du niveler quelques couloirs et salles, rendre praticables d’autres endroits, creuser quelques pièces supplémentaires, des choses comme ça… »
Elle continua de leur expliquer les aménagements qui avaient du être fait dans le plateau du canyon et agrémenta son récit de quelques anecdotes de travaux. Kit perdit rapidement le fil lorsqu’elle se mit à mentionner certains de ses membres d’équipage. Il y en avait trop et, comme il ne pouvait pas mettre de visages sur les noms, tout s’embrouilla très vite dans sa tête. Il oublia instantanément tout ce qu’il essayait vainement de comprendre lorsqu’elle leur ouvrit une double porte et qu’ils pénétrèrent dans une immense salle. Il s’agissait d’une véritable grotte à elle toute seule. Des stalagmites grimpaient de partout et des stalactites hérissaient le plafond de partout, sauf une grande zone circulaire, au centre, d’où elles avaient toutes été enlevées. Un lac souterrain occupait le centre de la salle et, en terme d’eau, l’endroit en était bien fourni puisqu’ils pouvaient entendre des gouttes et des clapotis de tous les côtés. Kit se demanda comment cela se faisait qu’il y avait tant d’eau dans cette grotte alors que le canyon, à l’extérieur, paraissait si sec. Mais personne ne prit la peine de lui répondre. En plus du lac, un vaisseau trônait au centre de la grotte, les trois pattes de son train d’atterrissage posées autour de l’étendue d’eau.
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