– Et ?
– Et cela signifie que vous devez la laisser tranquille pour le moment. » Elle avait parlé d’un ton sans appel. Doug, qui n’avait certainement pas envie de s’attirer les foudres de la mère de Rielle, s’écarta de la jeune fille et se leva de mauvaise grâce. Mais sa captive ne se permit un soupir de soulagement que lorsqu’il eut passé le pas de la porte et se trouva hors de sa vue.
« Merci. » Emit elle d’une voix enrouée à intention de l’infirmière. Mais celle ci était également partie, pour s’occuper d’autres patients. Rielle contempla tristement son poignet menotté et, de l’autre main, effleura l’épais collier de métal qui lui enserrait le cou. Elle essaya quand même de reprendre sa forme d’hippocampe bleu et doré. Non seulement elle n’y parvint pas, mais en plus cela lui causa une vive douleur au niveau de l’endroit où l’aiguille perçait sa nuque et se répercuta jusqu’à sa tête. Elle ramena ses genoux à son visage et les enserra de son bras libre. Ainsi pelotonnée, la jeune fille se laissa aller à pleurer. Cela ne dura pas longtemps ; une idée lui traversa l’esprit. Elle essuya bien vite ses larmes. Il lui restait peut être une option. Le collier bloquait la métamorphose, mais il ne bloquait peut être pas sa capacité de contacter Kit. Et Bran. Sa résolution s’affermit, tandis qu’elle fermait les yeux en essayant de joindre son esprit à celui de son frère.
Il lui fallut un peu de temps pour réussir à se concentrer. Elle focalisa toutes ses idées sur Kit. Après avoir passé huit ans à rester sur son épaule, elle le connaissait de très près. Elle connaissait par coeur ses habitudes, ses réactions, ses tics, son odeur… En bref, tout ce qui faisait qu’il était lui. Une fois qu’elle eut de nouveau l’impression de se trouver sur son épaule familière, elle ouvrit les yeux. Elle réprima un mouvement de surprise en voyant un tableau de bord et les étoiles par une vitre. Elle comprit rapidement qu’il ne s’agissait pas de l’endroit où elle se trouvait elle, mais de l’endroit où se tenait Kit. Cela lui posa beaucoup de questions. Où était il ? Il était encore bien trop tôt pour qu’il soit allé à l’Ecole Planétaire de Pilotage. Elle essaya de regarder autour de lui et plus de questions se posèrent. Que faisait il dans une cabine de pilotage avec deux hommes en uniformes gris en guise de pilotes ? Qui était cette femme avec un cache oeil ? Et cette créature qui ressemblait à un dinosaure sans plumes ? C’est alors qu’elle vit Bran, à côté de Kit. Cette vision la réjouit, mais ne répondait pas à ses questions. Pouvait elle communiquer avec son frère maintenant qu’elle avait superposé son esprit au sien ? « Kit, murmura-t elle. Tu m’entends ? »
Il sursauta. « Kit, c’est moi, Rielle. Où es tu ?
– Ri ! S’exclama le garçon. Je suis dans un vaisseau de livraison. Où es tu toi ?
– Dans ton esprit, répondit elle tandis que tout le monde se tournait vers Kit dans la cabine de pilotage.
– Tu parles tout seul, mon garçon ? s’enquit la femme au cache oeil en levant un sourcil d’un air interrogateur.
– Non ! S’exclama l’adolescent. C’est Rielle ! Elle est avec moi ! C’est génial… Ri ! Bran et moi venons te chercher, ne t’en fait pas. Tu vas bien ?
– Oui oui, mentit elle en se disant qu’il ne servirait à rien de l’inquiéter.
– Je ne vais pas te dévoiler notre plan parce qu’Eglantine me fait de gros yeux, s’excusa Kit. Mais ne t’inquiète pas, tu n’auras pas à attendre longtemps.
– Faites attention à vous, les prévint la jeune fille. Ils ne plaisantent pas, là bas.
– Nous non plus, se pavana le garçon.
– Demande lui où elle se trouve dans le Complexe de Recherches, intervint Eglantine. Cela nous sera utile comme information.
– Je suis à l’infirmerie. » Indiqua Rielle avant que Kit ne lui transmette la question. Elle l’avait entendue. Elle entendait et ressentait tout ce que le garçon entendait et ressentait. C’était étrange comme sensation. « L’infirmerie du bloc C, précisa-t elle.
– L’infirmerie du bloc C, répéta le garçon à l’intention de la capitaine.
– Dites donc les loustics, vous devez aller livrer votre fret à quel bloc du Complexe d’Ayla Kree Lai ? » S’enquit Eglantine auprès des pilotes en gris.
Les pilotes échangèrent un regard incertain. Khouaf émit un grondement sourd. La femme au cache oeil émit un petit rire sec.
« Voyons, leur dit elle. Ce n’est pas vraiment une information d’importance. Vous allez nous y mener de toutes manières.
– Nous allons au bloc C, avoua l’un des hommes en uniforme gris.
– Et bien voilà, ce n’était pas si compliqué ! Les félicita moqueusement la capitaine. En tous cas, ça tombe bien. Moins de chemin nous aurons à faire, le moins de risques nous prendrons. C’est parfait.
– Tu entends ça Ri ? Se réjouit Kit. Nous serons là bientôt.
– Merci, murmura la jeune fille. Tu auras beaucoup de choses à me raconter quand nous nous retrouverons, j’ai l’impression.
– Oh oui, confirma l’adolescent avec enthousiasme. Mais tu devrais rester, comme ça je te raconte tout maintenant.
– Je crois que je ne vais pas pouvoir, déplora Rielle. Il y a beaucoup de gens autour de moi ; ça risquerait d’attirer l’attention. Et je n’ai pas envie qu’ils m’empêchent de discuter avec toi.
– Moi non plus. Tu vas partir alors ?
– Oui, mais je reviendrai, lui promit la jeune fille sur un air beaucoup plus assuré qu’elle ne le sentait réellement.
– Tu as intérêt.
– Compte sur moi ! » Lança-t elle d’un ton faussement enjoué.
Craignant de se mettre à sangloter et que Kit s’en rende compte, elle coupa brutalement le contact, réintégrant son corps d’un coup. Cela lui fit une sensation bizarre de retrouver son environnement, de reprendre conscience du contact du métal autour de son poignet et autour de son cou par exemple. Elle n’avait pas eu l’impression de transmettre à son frère ses ressentis. En revanche, elle, avait perçu absolument toutes les émotions qui agitaient l’esprit de Kit. Elle avait parfaitement bien ressenti son enthousiasme d’assister à une démonstration de pilotage. Et son inquiétude mêlée d’affection pour elle même, ce qui la toucha beaucoup. Et, surtout, sa joie et son soulagement de la percevoir avec lui. Rielle était certaine que lui n’avait pas eu accès à ses émotions à elle. Sinon il aurait perçu son angoisse et sa tristesse. Au lieu de lui demander si elle allait bien, il lui aurait demandé ce qui n’allait pas. Malgré tout son émoi, elle ne pouvait pas s’empêcher d’essayer d’analyser cette capacité qu’elle découvrait. Elle ne savait pas que de lier son intégrité physique à celle de son frère pouvait aussi lui permettre de relier son esprit au sien. Peut être était ce du à sa nature expérimentale ?
Sa mère ne lui avait jamais vraiment appris en quoi consistait ce petit rituel de sa race, si ce n’est qu’il liait deux personnes à vie. Celui qui initiait le rituel promettait de manière implicite qu’il prendrait toujours une part du fardeau de l’autre. Dans les temps lointains où la race d’Ayla Kree Lai était encore primitive, les vassaux des grands seigneurs opéraient ce rituel sur leur maître en signe de loyauté. Le seigneur en question pouvait ainsi s’aventurer sur n’importe quel champ de bataille sans aucun risque de blessure mortelle tant qu’au moins l’un de ses vassaux tenait encore debout. Dans le cas de Rielle, ce n’était pas parce qu’elle se considérait comme vassale de Kit qu’elle s’était permise de procéder à ce rituel. Mais parce qu’elle lui avait été reconnaissante de s’être montré aussi gentil avec elle alors que, jusque là, elle avait été considérée comme un monstre de laboratoire dans le Complexe de Recherches de sa mère et que son père l’avait laissée toute seule dans la petite ville de Bourgétoile sur une petite planète perdue au fin fond de nulle. L’adolescent, lui, s’était tout de suite attaché à elle et lui avait instantanément témoigné une affection sans bornes. Elle avait donc décidé de lier sa vie à la sienne.
A l’époque, comme elle était encore très petite, elle ne s’était pas rendue compte de toute la portée de son acte, mais elle savait déjà que cela signifiait que si il devait arriver quelque chose à Kit, elle en mourrait avant lui. C’est pourquoi Doug avait été horrifié de constater qu’elle saignait à la place du garçon et que les hommes en gris n’avaient pas pu le tuer. Sinon ils l’auraient tuée, elle. Etant proche d’Ayla, l’officier connaissait cette particularité de leur race. C’est également pour cette raison qu’elle savait que son frère n’était pas mort, comme Doug s’était plu à le lui répéter. Et pour cette même raison, encore, qu’il avait du insister sur le caractère métaphorique de la mort de Kit. Une pensée l’inquiéta soudain. Puisque l’officier était au courant du lien entre Kit et Rielle, il allait certainement en parler à sa mère, si ce n’était pas encore fait. Ayla se lancerait elle dans la création d’un appareil qui pourrait lui permettre de briser ce lien ? Bien sûr, tout ce qui était de l’ordre du psychique n’intéressait pas la scientifique. Mais si elle avait besoin de les séparer sur ce plan, pour une raison ou pour une autre, elle n’hésiterait pas. La jeune fille tenta de se rassurer en se disant qu’Ayla Kree Lai n’avait certainement prêté qu’une oreille peu attentive à cette information.
Quant à Bran… Elle avait décidé de se lier à lui un peu sur un coup de tête. Elle était mélancolique de savoir que Kit et elle allaient devoir le quitter pour une longue période de temps. Elle avait donc décidé de lui faire ce petit cadeau. Ce n’était que bien peu de choses en vérité. Mais dans son travail au ranch, elle savait que Bran écopait souvent de petites égratignures ou blessures bénignes qui étaient désagréables pour un humain, mais à peine perceptible pour elle qui guérissait à une vitesse folle. Même par rapport à la race d’Ayla Kree Lai. Le fait que Bran ait répondu de manière… et bien, intime, l’avait surprise. Mais elle avait décidé que cela valait le meilleur des remerciements en fin de compte. Sachant qu’il venait la secourir en compagnie de Kit, elle s’était réjouie de pouvoir prendre ses blessures à lui aussi. Les hommes en uniformes gris n’étaient pas toujours tendres. Rielle s’était aussi sentie touchée qu’il vienne aussi à son secours. En revanche, maintenant elle s’inquiétait aussi pour lui. Elle espérait que les deux garçons se montreraient prudents. La jeune fille ne savait pas combien elle pouvait encaisser de blessures en fait. De toutes façons, elle ne pouvait pas les aider autrement, alors heureusement qu’elle avait cela, se disait elle.
Rielle tira machinalement sur les menottes. Cela lui fit mal au poignet, mais elle continua. De toutes façons, elle guérirait vite. Elle se demanda comment son collier se clipsait. Peut être qu’elle avait les moyens de l’enlever tout compte fait. Elle commença alors à le palper de sa main de libre. Ce faisant, elle perçut des stries, mais aucune qui ne semblait faire partie d’un quelconque mécanisme d’ouverture. Comme elle n’avait rien d’autre à faire et qu’elle commençait à s’ennuyer, elle continua de chercher. « Tu n’as pas de moyen de l’enlever comme ça, l’informa l’infirmière qui était de retour.
– Ah bon ?
– Et non. Son ouverture nécessite une clef magnétique, ça ne s’enlève pas à la main.
– Pourquoi je devrais vous croire ? S’enquit fraichement Rielle.
– Peu importe que tu me croies ou pas, balaya l’infirmière. C’est ainsi. »
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