– Je ne l’ai pas caché délibérément, se justifia Ethelle. Tant de choses se sont passées depuis que j’ai quitté Eastlond qu’Arabella Finley m’était totalement sortie de l’esprit. Elle ne m’est revenue en tête que lorsque je l’ai vue à la soirée.
– Et pourquoi ne pas m’en avoir parlé alors ?
– Parce que… et bien je ne tenais pas à vous importuner avec mes mésententes vis à vis de mademoiselle Finley. »
Ethelle espérait que cette excuse suffirait, car elle n’avait aucune idée de quelle réponse plus satisfaisante elle aurait pu fournir. Nicolas ne paraissait pas ravi, mais il fit l’effort de repousser sa mauvaise humeur et offrit un sourire à la jeune femme rousse. Il s’approcha, s’agenouilla près d’elle et prit sa main entre les deux siennes. Ceci fait, il lui déclara d’une voix douce : « Dorénavant, n’hésitez plus à me faire part de vos soucis. Je ferai de mon mieux pour vous soutenir. »
La jeune femme lui adressa un gracieux sourire et le remercia chaleureusement. L’héritier des Merryweather retourna à sa place initiale et soupira. « Bien sûr, maintenant nous avons juste à attendre qu’elle décide de s’en retourner chez elle.
– Elle n’a pas vraiment de chez-elle, précisa Ethelle. Elle a établi son repaire dans un aéronef abandonné.
– Vraiment ? s’étonna Nicolas. Voilà qui est curieux. J’espère qu’elle ne décidera pas de rester ici en tant qu’invitée permanente.
– Il se peut que si, intervint Clay. Elle doit attendre des nouvelles de son majordome, l’homme que vous dites avoir arrêté avec votre pistolet et que Tina a… euh, et bien tué.
– Je suppose que ce majordome en question a dû lui envoyer un message de Lancy, ajouta Simon qui n’avait pas encore donné son avis. Sinon, elle ne serait pas ici.
– Elle a dit qu’elle avait été conviée par Heather Merryweather, précisa Ethelle.
– Ce qui n’est pas incompatible ! » dit le professeur Derrington avec un clin d’oeil.
Suite à cette conversation, Nicolas envoya Henry vérifier si Arabella Finley se trouvait toujours dans le manoir. En attendant le retour du majordome, Simon prit l’initiative de narrer leur rencontre avec Tina, leurs aventures dans la bibliothèque et l’incroyable rencontre de Chaahk, ponctué par les remarques de Clay. Ethelle eut du mal à le croire lorsque l’archéologue le lui présenta comme un dieu ancien qui s’était réveillé d’un long sommeil dans la bibliothèque ensevelie et millénaire. Elle plongea son regard dans les yeux vert éclatants de l’homme et cela suffit pour la convaincre sur le moment.
Contrairement au professeur Derrington, Chaahk n’était pas bavard. Ethelle subodorait que ce n’était pas juste parce qu’il ne connaissait pas la langue. Il paraissait plutôt du genre à parler avec parcimonie. De plus, elle ne croyait pas du tout Simon lorsqu’il expliquait que Chaahk ne connaissait pas leur langue : le dieu paraissait écouter attentivement toute leur conversation. En constatant qu’elle le fixait, il lui adressa un bref signe de tête. Tandis que Simon s’appesantissait concernant le dieu, Tina prit le relais de Clay pour ponctuer le récit de l’archéologue.
Ils n’avaient pas encore terminé de détailler les faits et gestes de Chaahk – qui s’était modestement tourné vers la fenêtre en faisant mine de contempler le paysage – lorsqu’Henry revint, pour les informer platement qu’Arabella Finley séjournait toujours dans le manoir et qu’il ne semblait y avoir aucun préparatif annonçant son départ prochain. Clay et Tina s’entre regardèrent, inquiets. Ethelle partageait leur inquiétude. Même si Gregory n’était plus, la Veuve-Noire devait avoir d’autres tours d’araignée dans son sac.
« Pour ma part, elle sait déjà que je suis là, déclara la jeune femme rousse. Vous, en revanche, vous devriez tâcher de vous éclipser. Vous n’auriez jamais dû venir ici, c’est trop dangereux et votre travail à la bibliothèque est trop important : les créatures magiques pullulent à présent et causent de nombreux accidents.
– Clay s’inquiétait pour toi, expliqua Tina. Alors il voulait absolument vérifier que tu allais bien. C’est lui qui nous a tous traînés jusqu’ici. »
Tous les regards se tournèrent vers l’ancien Faucheux, qui rosit légèrement. « Peu importe, balaya-t-il vivement. Maintenant que nous sommes là et que nous avons vu que tout allait bien, nous pouvons réfléchir à un moyen de partir d’ici.
– Ce n’est pas très difficile, déclara Ethelle. Je vais aller discuter avec elle, pour vous laisser le temps de filer.
– Tu… balbutia Clay. Vous ne repartez pas avec nous ?
– Non, j’ai réussi à glaner quelques éléments qui pourraient expliquer la mort de mon père. Je ne peux pas m’arrêter en si bon chemin et partir.
– Vraiment ? s’enthousiasma Simon. Je suis heureux de savoir que vous avancez dans la résolution de cette terrible affaire. J’espère que vous en verrez bientôt le dénouement ! »
Ethelle le remercia avec chaleur. « Bien, je vais aller converser avec notre amie l’araignée. J’ai été très heureuse de vous revoir, même si ce fut bref. Monsieur Chaahk, j’ai été heureuse de vous rencontrer. » L’homme aux longs cheveux noirs s’inclina et la gratifia de l’un de ses rares sourires. Après les derniers au-revoirs, mademoiselle quitta le petit salon pour trouver Arabella Finley.
Henry l’escorta et l’annonça, avant de la laisser seule en présence de la Veuve-Noire. Cette dernière avait encore revêtu une longue robe noire qui soulignait la filiformité (trouver le vrai mot) de son corps. Un petit collet blanc renforçait la rigidité de son aspect général. A la lumière du jour, Ethelle pouvait remarquer que le teint d’Arabella était très pâle, presque maladif. Elle supposa que c’était dû au manque de lumière de sa vie dans la nacelle de l’aérostat inachevé.
« Je suis surprise de vous voir ici, lâcha l’héritière de Jeremiah Finley.
– Au moins autant que je l’étais en vous voyant arriver à la réception organisée par Heather Merryweather, j’imagine, rétorqua Ethelle. J’exige de savoir pourquoi vous êtes venue !
– Parce que j’ai appris qu’il s’agissait d’une réunion des personnes qui estimaient que la chute de l’entreprise de mon oncle n’était pas dûe à votre père. Je suis donc venue voir par moi-même ce qu’ils en pensaient.
– Je suppose que vous leur avez fait part de votre théorie impliquant des dragons, poursuivit mademoiselle Morton.
– Tout à fait et ils y ont été très réceptifs, contrairement à ce que vous semblez croire. Je vous trouve bien dédaigneuse. Peut-être êtes-vous de mauvaise humeur ? Serait-il arrivé quelque chose à votre ami Clay ?
– Qui ? Votre sbire qui a déserté ? Comment le saurais-je ? Vous me paraissez avoir des soucis avec votre toile, madame la Veuve-Noire. Auriez-vous perdu un élément crucial de votre organisation ?
– Que savez-vous à propos de Grégory ? » siffla Arabella en plissant les yeux.
Ethelle sourit intérieurement : en réussissant à irriter la Veuve-Noire, elle aurait plus de facilité à diriger la conversation. « A vous voir ainsi en colère, j’en déduis que j’ai raison, triompha la jeune femme rousse. Après avoir commis un crime aussi grave qu’une tentative d’assassinat, il a peut-être été condamné à la peine capitale. Cela expliquerait que vous n’ayez pas de ses nouvelles… Comment allez-vous donc faire sans son précieux soutien ? Je me le demande.
– Petite insolente ! cracha Arabella. Comment osez-vous me provoquer ainsi ? Vous êtes aussi retorse que votre père et vous finirez comme lui !
– Tuée par une banshee si je me souviens bien de vos dires ? railla Ethelle.
– Vous n’êtes qu’une idiote : la banshee n’annonçait que sa mort. »
Alors que la Veuve-Noire continuait son explication sur les fonctions d’une banshee, la jeune femme rousse regardait autour d’elle. Mademoiselle Finley n’avait pas apporté beaucoup de bagages. Une fillette d’une dizaine d’années était recroquevillée dans un coin, terrorisée par la dispute. Sur le petit bureau trônait un attaché-case en cuir fatigué. L’objet attira le regard d’Ethelle tant il lui semblait familier.
Et, pour cause, les lettres C.M. étaient gravées en grand sur le rabat.
(changement de chapitre)
Béatrice vient de me proposer une soirée pizzas. En voilà une bonne idée ! C’est une perspective beaucoup plus réjouissante que le lait entamé du frigo et la conserve. Je ne savais pas trop quoi faire de ma râleuse de fée en partant. J’ai réalisé que c’était une vraie râleuse tout à l’heure, quand elle s’est mise coup sur coup à ronchonner quand j’ai arrêté de lui gratouiller la tête et lorsque Béatrice est apparue sur l’hologramme téléphonique.
Je l’ai laissée hors de sa cage, en espérant qu’elle ne mette pas trop le bazar. J’ai aussi laissé la fenêtre ouverte. Je me dis que c’est mieux qu’elle choisisse si elle préfère rester avec moi ou s’envoler pour retrouver les autres fées. Je verrai bien si elle est toujours là quand je rentrerai…
“INTERRUPTION : MESSAGE URGENT CENTRALE D’APPARTEMENT :
Les capteurs ont détecté une fenêtre ouverte pendant votre absence. Voulez-vous que la Centrale se charge de la fermer ?
NON
Préférence enregistrée. La Centrale vous posera de nouveau la question en cas d’intempéries.”
Il fait plutôt doux ce soir d’ailleurs. Je proposerai peut-être à Béatrice de faire une promenade après la pizza.
Le plus grand parc de la ville se trouvait au bout de la rue où habitait Béatrice. Leur discussion se fit plus légère au fur et à mesure de leur promenade. Ils furent très déçus lorsque les drones du parc se mirent à informer les visiteurs qu’ils devaient se diriger vers les sorties les plus proches, car le parc allait fermer pour la nuit. Les jeunes gens obéirent et sortirent de l’enceinte. Malheureusement, ils étaient sortis loin de chez eux. Ils entreprirent donc de rentrer par la ville. La nuit était noire à présent, mais l’éclairage citadin avait pris le relais.
Valentin et Béatrice se sentaient légèrement euphoriques après leur bol d’air et leurs plaisanteries. Marchant dans la rue bras dessus, bras dessous, ils rivalisaient de mots d’esprit peu recherchés qui les faisaient glousser. Occupés qu’ils étaient, les jeunes gens ne remarquèrent pas les deux individus louches qui se plaçaient derrière eux, tandis que deux autres venaient à leur rencontre.
« Alors le p’tit couple, il passe une bonne soirée ? S’enquit l’un des quatre.
– Bonsoir… Émit Valentin en prenant conscience du danger.
– Si vous voulez continuer de passer une bonne soirée, reprit le malfrat, il va falloir nous donner tout ce que vous avez qui a d’la valeur.
– Rien que de vous avoir rencontrés nous fait passer une mauvaise soirée, alors bon… » Ne pût s’empêcher de lâcher Béatrice.
L’un de ceux qui se tenait derrière plaqua brutalement la jeune femme contre le mur de l’immeuble voisin. « Quesstadi ? » S’emporta-t-il, une main autour du cou de sa proie qui émit un geignement tant surpris qu’étouffé. « Fais gaffe à c’que tu dis ! La prévint-il d’un ton énervé.
– Calmons-nous, tenta de tempérer Valentin.
– C’est un nerveux, expliqua doucereusement le premier malfrat qui paraissait être la tête pensante du groupe. Alors dépêchez-vous de nous donner tout c’que vous avez avant qu’il s’énerve. »
Alors que le jeune homme, ne voyant pas trop quoi faire d’autre et craignant pour son amie, s’apprêtait à obtempérer, l’atmosphère changea subitement. Une fine brise nocturne les effleura tous, suivie d’un infime instant de calme intense. Puis l’agresseur de Béatrice se retrouva violemment attiré en arrière et propulsé sur un poteau qui lui coupa le souffle. La jeune femme faisait désormais face à sa sauveuse, entièrement nue et à moitié écorchée. De la lymphe et du sang s’écoulaient des plaies. Béatrice aurait voulu crier face à cette vision d’horreur, mais rien ne sortit de sa bouche.
1927 mots pour aujourd’hui, mais je l’avoue : j’ai trichouillé en rajoutant un petit bout de texte que j’avais déjà écrit avant.