La femme aux yeux dorés acquiesça et se tourna vers le médecin pour lui dire quelques phrases dans leur langue. L’homme hocha de la tête pour indiquer qu’il avait compris et, après s’être assurés que le dragon n’était plus un danger, ils quittèrent l’hôpital tous les quatre. Comme Valentin n’habitait pas très loin, ils convinrent de se réfugier chez lui. Béatrice baillait de tout son saoul ; la nuit était bien avancée et elle était bien fatiguée.
En pénétrant dans l’appartement du thésard, Déa et son ami furent surpris de constater que la lumière et la musique se mettaient en route toutes seules, sans magie. Ils avaient déjà été époustouflés par l’ascenseur, sans oublier les voitures dans la rue. Valentin installa ses invités dans son petit salon qui intriguait beaucoup les deux inconnus.
« Raconte-nous Déa, la supplia le jeune homme. Tu te rappelles de tout ? Comment ça se fait que tu étais écorchée quand tu es arrivée ? Tu te souviens enfin d’où tu viens et où on est ?
– Un instant, temporisa la femme aux yeux dorés, Asklepios voudrait suivre la conversation. Je vais filtrer votre langue…
– Asklepios ? Filtrer notre langue ? » Ni Valentin, ni Béatrice ne comprirent l’expression. Ils échangèrent un regard perplexe.
« Pardonnez-moi, s’excusa Déa avec un sourire joyeux. Vous ne devez pas saisir grand chose à la situation.
– C’est le moins qu’on puisse dire, commenta Béatrice.
– Je vais essayer de résumer, reprit la femme aux yeux dorés. Tout d’abord, beaucoup m’appelaient Déa à l’époque, mais aussi Belisama. Filtrer votre langue, c’est pour que mon ami puisse vous comprendre et vous parler. Je suis télépathe et j’ai le don universel des langues. C’est la raison pour laquelle j’ai assimilé votre langage très rapidement. Asklepios, lui, ne dispose pas de ces dons. Je traduis donc dans sa tête ce qu’il entend et ce qu’il veut dire. Comme ça, il peut vous comprendre et vous parler. Par contre, je dois être rouillée, ça me demande bien plus d’efforts qu’avant de faire ça…
– Ça… Ce doit être parce qu’il y a peu de magie, expliqua doucement Asklepios avec un lourd accent. C’est plus difficile pour moi aussi… De soigner. »
Valentin considéra pensivement l’homme sur son canapé. Celui-ci lui rendit paisiblement son regard, de ses yeux aux iris orangés. Le thésard se demanda d’où leur venaient ces couleurs d’yeux peu communes. « Arrête de te poser des questions, le gourmanda Belisama. Je ne pourrai pas répondre à toutes sinon !
– Arrête de lire mes pensées, se plaignit le jeune homme. C’est perturbant…
– Je vais essayer, promit la femme aux yeux dorés. Mais je ne garantis rien : c’est de l’ordre du réflexe pour moi.
– D’où venez-vous alors ? » intervint Béatrice avec le regard pétillant de curiosité.
Déa et Asklepios échangèrent un regard entendu. Valentin les soupçonna de discuter par télépathie en même temps qu’ils conversaient avec eux. La femme aux yeux dorés lui fit un clin d’œil et répondit : « En fait, la véritable question n’est pas d’où venons-nous, mais plutôt : de quand venons-nous ?
– De quand… » Murmura Béatrice. Les deux étaient stupéfaits.
« Vous avez voyagé dans le temps ? S’étonna Valentin.
– Pas vraiment, corrigea Déa après un bref regard en coin vers son compagnon. Pour simplifier, disons que nous sommes investis de magie et, quand elle est présente, nous sommes immortels. Lorsque le voile a éradiqué la magie du monde, nous sommes devenus poussière. Mais maintenant qu’elle est de retour, nous avons pu nous reconstituer.
– Comment se fait-il que tu te sois reconstituée amnésique ? s’enquit Béatrice.
– Nous sommes immortels, mais pas invulnérables, expliqua Belisama. Nous pouvons être blessés, même si aucune blessure n’est mortelle et que nous guérissons plus rapidement que vous. »
Il y eut un nouveau silence, le temps que Valentin et Béatrice digèrent les informations. La jeune femme prenait furieusement des notes sur son téléphone. « Nous devons trouver les autres, déclara Asklepios de sa voix profonde.
– Je ne sais plus où ils étaient lorsque le voile est apparu, soupira la femme aux yeux dorés. Ils étaient certainement aux quatre coins du monde… Je n’arrive pas à les joindre par télépathie pour le moment.
– Les autres ? Répéta Valentin. Vous êtes combien de… comme vous ?
– Sept, répondit Déa avec un sourire absent.
– J’avais une autre question, intervint Béatrice. Ce voile dont vous avez parlé tout à l’heure, qu’est ce que c’est ?
– C’est une bonne question, répondit la femme aux yeux dorés. Nous ne savons pas : nous n’en avions jamais entendu parler avant de le voir. Et de le subir. » Elle tordit la bouche à ce souvenir. « C’était très douloureux. »
Afin d’alléger un peu l’atmosphère, Valentin se leva pour aller chercher de quoi grignoter et boire. Lorsqu’il ouvrit le frigo, Belisama et Asklepios le rejoignirent pour inspecter cet étrange meuble qui produisait du froid. L’homme aux yeux oranges déclara, de son élocution hésitante et accentuée : « Le monde a bien changé durant notre absence.
– C’est certain, appuya la femme aux yeux dorés. Comme je te le disais tout à l’heure, on dirait que tout fonctionne avec de la magie, sauf que ça n’en est pas.
– Tout à l’heure ? questionna machinalement Valentin.
– Oui, lors de notre conversation télépathique, précisa Déa.
– Peut-être sommes-nous obsolètes dans ce monde là, continua l’homme aux iris orangés d’un ton pensif. C’est une étrange sensation.
– Je ne pense pas que vous soyez si obsolètes, commenta doucement Béatrice. Avec la magie qui monte de façon exponentielle, nous allons avoir besoin de personnes comme vous à mon avis. »
« Ce breuvage est très bon, parvint à dire Asklepios entre deux gorgées d’une infusion fruitée. J’espère que nous ne puisons pas dans vos réserves.
– Oh non, il n’y a pas de souci à se faire de ce côté là, le rassura leur hôtesse. J’aimerais vous poser quelques questions sur les créatures… magiques. Vous vous y connaissez bien en créatures magiques ?
– Nous en sommes nous-mêmes, répondit plaisamment Belisama. Je ne sais pas si nous pourrons répondre à toutes les questions, mais nous essaierons, n’est ce pas Askel ? »
Son ami aux yeux orangés acquiesça de bon cœur. Béatrice posa son mug, sortit son téléphone pour prendre des notes et commença ses questions. Valentin s’empressa de faire de même. Après tout, leurs sujets d’étude étaient très liés ; la nuit promettait de continuer à être aussi intéressante que lorsqu’elle avait commencé, lorsqu’ils avaient recueilli Déa après son entrée fracassante. De fait, ils passèrent une nuit blanche. Valentin se fit plusieurs fois la réflexion qu’il était heureux de ne pas avoir d’obligation le lendemain matin.
Le matin les trouva tous les quatre venant tout juste de s’endormir sur le canapé et les fauteuils du salon. Ils y restèrent toute une partie de la matinée, sommeillant dans des positions plus ou moins confortables. Ils furent réveillés par la lumière du jour, les volets s’étant ouverts automatiquement le matin venu. Les deux magiciens émergèrent plus rapidement que les deux thésards. Ils en profitèrent pour inspecter en détail l’appartement de Valentin.
Tout le monde sursauta lorsque le téléphone de Béatrice se mit à sonner. Sa propriétaire répondit, les paupières encore fermées et la voix ensommeillée. Quelques secondes plus tard, elle avait les yeux grands ouverts et s’exclamait : « Oui oui, j’y vais le plus vite possible ! » Quand elle raccrocha, elle se tourna vers les trois autres et expliqua : « Je viens d’avoir un appel de Massamba – c’est mon responsable – et, comme il est en déplacement avec Pommier, il me demande d’aller réceptionner le dragon qui a été capturé cette nuit ! »
Elle se leva précipitamment et s’empara de son sac. « Pouvons-nous venir aussi ? s’enquit Belisama.
– Oh, et bien oui, je n’y vois pas d’inconvénient, répondit Béatrice. Tu viens aussi Valentin ?
– Tu rigoles ? Je ne louperai un dragon pour rien au monde ! »
Ils se mirent tous les quatre en route en direction du campus, à pieds car ils étaient tout près. En ce samedi, les alentours de l’université étaient déserts. « Je travaille là. » expliqua Béatrice à Belisama et Asklepios, en leur désignant un bâtiment accolé à une sorte de hangar. Celui-ci était percé d’une immense porte qui pouvait laisser entrer un camion. « Et là, ajouta-t-elle en montrant le hangar, c’est une annexe qu’on a fait construire spécialement pour étudier des spécimens magiques. C’est là que je vous emmène. »
Elle les guida jusqu’à une porte à taille humaine, pianota sur un digicode, ouvrit la porte, pianota sur un autre digicode, puis laissa entrer ses trois compagnons dans le hangar. Elle ferma tout et alluma la lumière. « Bienvenue dans la nouvelle annexe ! s’exclama Béatrice en désignant les alentours en tournant sur elle-même.
– C’est fou que tu aies les codes et les clefs de tout ici, commenta Valentin d’autant plus impressionné qu’il n’avait encore jamais mis les pieds dans ce bâtiment.
– Oh, tu sais, les professeurs Massamba et Pommier sont souvent en déplacement à cause de la recrudescence des apparitions de créatures surnaturelles. Et comme ils sont souvent appelés sur des sites, ils me laissent le soin de m’occuper de la maison.
– Et ils te font confiance ? » La taquina le jeune homme.
Son amie lui tira la langue et les planta là afin d’aller préparer une cage la plus confortable possible pour son futur pensionnaire. En l’attendant, Valentin, Belisama et Asklepios firent le tour de la pièce neuve, bordée de différentes cages et au centre de laquelle trônaient d’énormes cartons contenant les futurs équipements de l’annexe. Le jeune homme expliquait de son mieux aux deux étranges magiciens comment fonctionnait l’Université.
« Arrives-tu à joindre les autres ? s’enquit Asklepios à Belisama entre deux explications.
– Pas encore, répondit la femme aux yeux dorés. La magie augmente, mais ce n’est pas encore suffisant. Ils doivent être très loin.
– Vous parlez des cinq autres comme vous ? questionna Valentin. Je peux peut-être vous aider à les retrouver.
– Vraiment ? se réjouirent-ils.
– C’est pas sûr, mais je peux essayer. Béatrice ? Tu me laisses l’accès à un pc ? »
Après l’autorisation de la jeune femme, Valentin s’installa à un poste informatique avec Asklepios, tandis que Belisama rejoignait Béatrice pour lui faire part de ses avis sur les cages à créatures magiques. De plus, la femme aux yeux dorés ne voulait pas rater l’arrivée du dragon. Elle appréciait ces créatures, mais savait aussi à quel point elles pouvaient se montrer dangereuses ; c’est pourquoi elle voulait faire profiter sa nouvelle amie de son expérience dans le domaine.
« Bien, commença le jeune homme. Ceci est un ordinateur et il est branché à Internet.
– Je n’ai pas très bien compris Internet quand tu l’as expliqué cette nuit, avoua le mage, mais je crois avoir compris en quoi il pouvait nous aider à retrouver nos amis.
– Exactement, c’est grâce à Internet que nous allons savoir où ils sont. Du moins, je l’espère. Ce qui va compliquer nos recherches, c’est qu’il faut retrouver cinq individus potentiellement perdus dans le monde entier… Ça risque de prendre du temps.
– Peu importe, lui assura Asklepios. L’idéal serait de trouver Amaterasu.
– Amaterasu ? Vous êtes sérieux tous ? » grommela Valentin qui se demandait à certains moments si quelqu’un lui faisait une blague.
Asklepios et Amaterasu étaient des dieux mythologiques et, s’il continuait la réflexion, Dea signifiait déesse et Belisama en était une. La question lui était sortie de la tête pendant la nuit et, à présent, il se demandait s’il aurait le cran de poser la question au médecin du nom d’Asklepios de s’il était un dieu ou pas. Il craignait de passer pour un idiot. Et puis, techniquement, qu’est ce que c’était qu’un dieu ? Il se décida sur une question plus anodine :
« Pourquoi ce serait l’idéal de trouver Amaterasu ?
– Parce qu’elle maîtrise la capacité de… téléportation, expliqua le médecin avec son lourd accent. Grâce à elle, ce serait beaucoup plus facile de retrouver les autres et de nous rassembler.
– Vous rassembler, je vois bien. Mais comment ferait-elle pour retrouver les autres ?
– J’irai avec elle. Mes… capacités ne sont pas encore revenues à leur plein potentiel, mais je dispose d’une excellente perception qui s’étend sur plusieurs contrées. À nous deux, nous aurons retrouvé les autres en un rien de temps : il suffira qu’elle m’emmène un peu partout et je sentirai leurs présences. D’ici là, peut-être que Belisama aura retrouvé toute sa puissance de pensée et qu’elle pourra joindre les membres restants. »
Valentin n’avait pas encore entendu son interlocuteur prononcer autant de phrases d’un coup. Le jeune homme trouvait que son élocution s’était améliorée, même si son accent était toujours très prononcé. En réfléchissant, il réalisa qu’Asklepios s’était toujours tenu en retrait en présence de Déa. Avec une forme de révérence, aurait-il pu dire. La femme aux yeux dorés ne s’était pas présentée comme telle, mais il se pouvait qu’elle soit la dirigeante de ce petit groupe. Peu importait ; pour le moment, il devait trouver un moyen de mettre la main sur Amaterasu.
(changement de chapitre ?)
2194 mots pour aujourd’hui en triche quasi totale ! Et il faudra pas mal de corrections dessus aussi.