« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (3/8)

« Alors, voyons voir la deuxième question… Ca concernait le pourquoi je me suis occupée de vous alors que vous m’aviez attaquée, c’est bien cela ? Je ne me suis pas posée la question à vrai dire. » dit-elle en se grattant pensivement la tête. « Mes actes sont loin d’être tout le temps réfléchis. Je vous ai probablement embarqués pour ne pas vous abandonner à votre triste sort, tous seuls, évanouis, dans la forêt. Disons que cela me semblait être la chose à faire sur le moment. » Elle sourit. « Et puis me faire assaillir par deux enfants qui meurent de faim, je ne considère pas vraiment ça comme une attaque qui puisse me faire courir un risque quelconque. Ca te convient ça aussi comme raison ? »

Hochement de tête mitigé, mais cela suffisait à Kyr pour le moment. Visiblement, Kilynn et lui n’avaient rien à craindre avec elle dans l’immédiat. La Centaure paraissait avoir saisi la légère réticence du garçon, mais ne s’en formalisa pas. Elle semblait comprendre qu’ils restent suspicieux. « Maintenant, la dernière question. Qui suis-je ? Par contre, là, il va falloir que tu me précises ta pensée, car c’est une question difficile. Que veux-tu savoir au juste ? Que je suis Barde ? Une Centaure ? Tu as probablement déjà deviné tout cela, non ? »

Il hocha affirmativement de la tête, oui, il avait déjà remarqué. Comment lui demander, sans la froisser, pour ses ailes, écailles, griffes et canines ? Ainsi que la raison de sa présence dans ce pays ravagé par la maladie et la famine ? « Votre nom par exemple, finit-il par dire.
– Mon nom ? C’est vrai que j’aurai peut-être du commencer par là. Vous n’avez qu’à m’appeler Drakëwynn. Ou par un diminutif, ou carrément un nom de votre choix. Je réponds à beaucoup de noms en fait, comme la plupart des ménestrels. »

Drakëwynn, quel drôle de nom. Cela n’expliquait rien aux enfants sur ses particularités physiques ou sa présence mais, inexplicablement, cela la rendait moins monstrueuse à leurs yeux. Un petit peu, tout du moins. La Centaure s’étira longuement avant d’installer sa tête au creux de sa paume, son coude reposant sur sa caisse retournée. Elle examinait pensivement les deux enfants qui terminaient leurs pommes. Kilynn prit la parole à son tour : « Et lui, c’est qui ? s’enquit-elle en pointant du doigt le petit dragon ronronnant sur le dos de la Femme-Jument.
– Lui ? C’est un dragon-papillon, il s’appelle Emlyg. Je l’ai trouvé, enfin, son œuf car il n’avait pas encore éclot, au milieu d’un trésor. Et pour cause, il semblerait qu’il soit le seul de son espèce dans le monde entier. Enfin, ça ne paraît pas trop le perturber. »

Elle chatouilla le petit animal qui émit une série de petits grognements aigus et se tortilla comme un ver de terre avant de glisser sur le sol. Vexé de cette chute peu gratifiante, il se drapa dans sa dignité et s’éloigna, la tête haute, afin d’aller bouder dans un coin. Cela fit sourire Kyr et Kilynn. Drakëwynn bailla longuement. « Je vous raconterai bien des histoires toutes plus passionnantes les unes que les autres, mais avec cette journée mouvementée vous devez être fatigués.
– C’est vous qui venez de bailler… » pointa Kilynn. La Centaure lui tira la langue. Une langue plus longue qu’elle n’aurait du l’être, comme celle d’un dragon. Puis elle s’étira de nouveau, avant de déplier ses jambes chevalines pour se lever.

« Si vous voulez, demain nous ferons l’inventaire de ce que j’ai récupéré dans la maison et vous pourrez garder ce que vous jugerez utile. » Leur dit-elle en se dirigeant vers la porte de la grange qu’elle entrouvrit. « L’incendie est terminé, constata-t-elle. Et je ne perçois rien de mauvais dans les environs. » Elle referma soigneusement la porte, la barra, nettoya les reliefs du repas, vérifia que le petit feu resterait dans les limites imposées et sortit une couverture de son sac. Sous le regard médusé du frère et sa sœur, elle s’installa le plus confortablement qu’il lui était possible avec la paille disponible, siffla son dragon qui vint immédiatement se blottir au chaud contre elle, dit : « Bonne nuit les enfants ! » ferma les yeux et s’endormit presque aussitôt.

Lorsqu’il fut persuadé que Drakëwynn dormait, Kyr murmura à sa sœur : « Elle est bizarre quand même, tu ne trouves pas ? » Elle acquiesça en silence et il reprit : « En plus elle ne nous a même pas demandé nos noms.
– Ca ne doit pas l’intéresser, supposa Kilynn.
– Ouais… Tu crois qu’on devrait aller fouiller dans son sac pour piquer des trucs et retrouver Caer ? Il a dit qu’on serait tous à l’abri du besoin avec ce qu’elle possède…
– T’as pas honte de dire ça ? s’exclama la fille. On ne peut pas faire ça à quelqu’un qui nous a permis de manger à notre faim et de dormir en sécurité ! En plus, si jamais elle se rendait compte qu’il lui manque quelque chose, elle saura que c’est forcément nous, alors imagine un peu ce qu’elle nous ferait ! »

Elle ne l’avait pas mentionné, mais Kyr comprit que sa sœur faisait référence aux épées longues et, surtout, au chant de terreur de la Barde. Il frissonna. « Tu as probablement raison. Mais bon, Caer va nous en vouloir de ne pas avoir profité de l’occasion.
– Tant pis, chuchota sa jumelle. Je pense que tu seras d’accord avec moi : je redoute moins la colère de Caer que la sienne à elle. Allez, viens, nous aussi on devrait dormir. »

Ils se blottirent tous les deux sous la couverture que la Centaure leur avait prêtée. Aucun des deux ne connaissait la matière dont cette couverture avait été faite, mais elle s’avérait très chaude et douce au toucher, comme une sorte de fourrure. Repus ainsi que vidés de leur énergie, ils glissèrent très rapidement dans le sommeil. Drakëwynn sourit, puis s’endormit véritablement à son tour.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (2/8)

Il se réveilla, blotti dans une chaude couverture, à côté de Kilynn qui dormait à poings fermés. Une agréable odeur lui titillait les narines et fit gémir son estomac. « Oh ? On dirait que l’appel de la nourriture se fait sentir. » lança une voix enjouée. Kyr émergea de la couverture douillette et vit la Centaure, ses quatre jambes pliées sous elle, à côté d’un petit feu ronflant grâce auquel elle faisait cuire des brochettes. Une créature, qui ressemblait à un dragon de la taille d’un chat aux ailes de papillon, bavait devant la promesse d’un repas imminent. Il avait une petite corne sur le nez et ses écailles brillaient, vertes et blanches, avec l’éclat du feu. Sentant une gêne à la main gauche, le garçon remarqua que celle-ci était bandée par de longues herbes qui maintenaient un cataplasme curatif. Il s’était bel et bien blessé en tapant sur la chemise de maille, mais sa blessure ne le lançait pas. Puis, il regarda autour de lui. Ils semblaient se trouver dans une grange. Il n’osait pas s’approcher de la Femme-Jument qui, bien qu’ayant retiré tout son attirail, était toujours impressionnante et l’intimidait toujours autant. Elle avait la robe isabelle et son corps humanoïde n’était plus vêtu que d’une chaude tunique à l’aspect douillet.

« Tiens Emlyg, pour toi ! » Elle jeta une brochette en direction du petit dragon-papillon. Ce dernier l’attrapa au vol et s’employa à engloutir goulument ce qu’il y avait dessus. Kyr entendit soudain un deuxième estomac gargouiller. Kilynn sortit de sous la couverture et étouffa un cri en apercevant la Centaure. Elle se rapprocha de son jumeau tout en jetant de rapides coups d’œil craintifs à leur environnement. « Et voilà pour vous deux, puisque vous êtes enfin réveillés ! » disant cela, la grande créature leur tendit deux brochettes en éventail d’une main, tandis qu’elle commençait à en manger une troisième qu’elle tenait de l’autre. Les deux estomacs gargouillèrent de plus belle et, pourtant, les deux enfants ne bougeaient pas. « Je ne vous mangerai pas vous, mais vos brochettes si vous ne venez pas les prendre. » Silence. « Venez ! Il y en aura d’autres lorsque vous aurez fini celles-là. »

Ces brochettes alternaient morceaux de viande et légumes divers. Le frère et la sœur échangèrent un regard, puis s’approchèrent timidement du feu. Kyr prit courageusement les brochettes de la main griffue de la Centaure, marmonna un remerciement, en donna une à Kilynn et, sans plus attendre, attaqua la sienne. Ils mangèrent d’un féroce appétit. Alors que la Femme-Jument terminait sa deuxième, les enfants en avaient déjà engloutis trois, avant d’en manger une quatrième plus calmement. Tous étaient restés silencieux durant le repas.

Maintenant qu’il étaient repus, ayant dévoré toutes les brochettes disponibles, leurs inquiétudes refaisaient surface. Ils l’observaient en coin, tandis qu’elle fourbissait ses nombreuses armes et nettoyait sa chemise de mailles, tout en faisant semblant de ne pas remarquer leurs regards inquisiteurs, les laissant l’observer à loisir. Kyr se demandait comment une Centaure pouvait s’être retrouvée dotée de fines écailles, sur le visage et les bras de ce qu’il pouvait en voir, et de griffes. Sans parler de ses canines. Oh, ainsi que ses ailes. Les Centaures n’ont pas d’ailes normalement, si ? En fait, toute sa personne était hors-norme, même pour un Centaure. Son petit dragon-papillon, après les avoir curieusement reniflés, dormait à présent sur son dos, blotti entre les plumes blanches. « Il semblerait que ça faisait longtemps que vous n’aviez pas tant mangé, leur dit-elle après un long silence. Tenez, j’ai encore ça si vous voulez. » Elle fouilla dans l’un de ses sacs et leur sortit des petites pommes qu’elle avait du cueillir sur le chemin. « Profitez-en, ce sont probablement les dernières de l’année. »

Elle avait vraisemblablement raison à ce sujet, puisqu’ils étaient au seuil de l’hiver. Ils en prirent une chacun et elle posa les autres sur une caisse retournée qui lui avait servi de plan de travail pour la cuisine. Puis elle recommença à s’occuper de ses armes. Après quelques bouchées, Kyr prit son courage à deux mains et prit la parole : « Excusez-moi, je peux vous poser une question ? » Cela fit glousser la Centaure.
« Tu viens de le faire, lui répondit-elle en rangeant ses armes. Ne t’en fais pas, tu es tout excusé. » Le garçon resta un moment interdit, le temps de comprendre la réponse saugrenue de son interlocutrice. Voyant qu’elle l’avait bloqué dans son élan, elle reprit plaisamment : « Tu peux poser d’autres questions si tu veux. » Quelques secondes s’écoulèrent tout de même avant qu’il ne reprenne la parole :

« Où sommes-nous ? Pourquoi vous nous avez donné à manger alors qu’on vous a attaquée ? Et qui êtes vous ?
– Houhouhou ! s’exclama la Centaure. Je ne m’attendais pas à une telle déferlante de questions quand je t’ai dit que tu pouvais en poser ! » Kyr se recroquevilla un peu, décontenancé. Ne pouvait-elle pas parler normalement celle-là ? Et pourquoi semblait-elle perpétuellement de bonne humeur ? C’en était presque indécent, selon lui, par les durs temps qui couraient. En plus, il ne pouvait pas s’empêcher de loucher sur ses canines pointues à chaque fois qu’elle souriait et cela le mettait mal à l’aise. « Je vais tâcher de répondre du mieux possible, reprit-elle, toujours souriante. Alors, où sommes-nous ? Dans la grange d’une ferme à présent inhabitée, à environ une demi-heure de marche de là où nous nous sommes rencontrés.
– A présent inhabitée ? émit Kilynn.
– Tout à fait, il a fallu que j’enterre les habitants… » déclara gravement la Femme-Jument, ce qui eût pour effet de faire reculer précipitamment les deux enfants.

Ils la regardaient, les yeux écarquillés de terreur. Elle resta un instant interdite face à leur réaction, avant de la comprendre et d’éclater de rire. « Je ne les ai pas tués voyons, leur expliqua-t-elle. Je voulais leur demander le gîte, puisqu’il n’y a plus d’auberge dans les environs. Mais tous ceux qui habitaient là étaient morts. Ils ont probablement succombé à la maladie. Ca avait l’air assez récent, le dernier a du mourir il y a quelques jours à peine. Enfin, je ne m’y suis pas trop attardée, je les ai enterrés, j’ai purifié quelques trucs récupérables que j’ai posés à côté de la caisse, là, et j’ai brûlé la maison.
– Pourquoi carrément brûlé ? demanda Kyr qui était revenu à sa place avec sa sœur.
– Parce que je n’avais pas de quoi l’assainir de la maladie. Le plus simple et le plus sûr était d’y mettre le feu. Je ne sais pas si cela évitera à des gens de tomber malade, mais il vaut mieux prévenir que guérir, comme le disait une amie à moi. La maison doit encore être en train de terminer de brûler à l’heure qu’il est. Mais ne vous inquiétez pas, que ce soit par la maladie ou le feu, nous ne courrons aucun risque ici. Cela répond-il à ta première question ? » Kyr acquiesça d’un hochement de tête. Ca y répondait dans l’ensemble, effectivement.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (1/8)

Un peu plus loin sur la route, quelqu’un chantait d’une façon digne d’un ménestrel. Enfin, d’une ménestrelle, car il s’agissait d’une voix de femme. Kyr était surpris, il n’entendait le bruit de sabots que d’un seul cheval. Et nonchalant qui plus est. Un compagnon le lui confirma, lui aussi n’entendait qu’une seule cavalière qui faisait route à travers la forêt. Quelle personne pouvait être insouciante au point de s’aventurer ainsi seule dans les bois en fin d’après-midi et d’automne ? Le garçon trouvait ceci étrange, mais il savait que ses compagnons ne reculeraient pas devant une opportunité pareille. Même si la cavalière s’avérait être une combattante hors paire et ne posséder que peu de biens, eux étaient nombreux, alors tout était bon à prendre et ce, malgré les risques. Surtout le cheval, que ce soit pour le vendre ou le manger.

En effet, les temps étaient durs pour les habitants de cette contrée, pourtant autrefois prospère. Depuis quelques années, de plus en plus de gens s’adonnaient au braconnage, banditisme ainsi que diverses autres activités hors-la-loi. Cela avait commencé après la Grande Calamité, une épidémie aussi foudroyante que meurtrière, qui avait ravagé la région de Kosh Mar ainsi que les autres petits royaumes environnants, après les grandes invasions de démons sur le continent. Les parents de Kyr y avaient succombé, de même que le Seigneur du duché du Val Vert où il habitait. Le successeur du Duc, étant jeune et mal entouré, avait des difficultés à gérer cette crise sans précédent. Son peuple se débrouillait donc comme il pouvait, même si cela incluait de détrousser des ménestrels, qui jouissaient pourtant, en règle générale, d’une sorte d’immunité tacite. Seulement, dans cette période chaotique, les règles, tacites ou non, n’avaient plus cours.

Kyr repoussa une mèche rebelle de cheveux noirs et serra plus fort le manche de son poignard. Cette arme, mal entretenue, avait plus la vocation de le rassurer que d’être utilisée contre quelqu’un. En effet, son rôle à lui, ainsi que celui de sa sœur jumelle tapie dans les buissons de l’autre côté de la route, était d’effrayer le cheval afin que son cavalier – ou sa cavalière dans le cas présent – vide ses étriers. Il attendait impatiemment le signal du Grand Caer, le chef de leur bande. Ancien maquignon n’ayant plus ni chevaux ni bétail à vendre, il s’était recyclé en chef d’une petite troupe d’une trentaine de bandits.

La femme continuait de chanter de manière insouciante, dans une langue que le jeune garçon ne comprenait pas. Le Grand Caer donna le signal, juste au moment où les sabots arrivaient dans le champ de vision de Kyr, réduit par les branches du buisson. En même temps que sa sœur Kilynn, il se jeta en hurlant sur la route face à la cavalière… qui s’avéra être une Centaure, une de ces créatures avec un corps de cheval et un torse humain en lieu et place de la tête et, qui plus est, celle-ci était dotée de gigantesques ailes neigeuses repliées. Elle ne réagit donc pas comme les brigands l’avaient escomptés. Elle s’arrêta instantanément de chanter et dégaina, comme mue par un réflexe, une épée longue qui s’enflamma à la sortie du fourreau. Le frère et la sœur s’arrêtèrent, tétanisés par l’immense créature devant eux qui avait levé un sourcil perplexe. Sentant le besoin immédiat de renforts, le chef de la bande fit sortir tous ses hommes qui encerclèrent la Femme-Jument. L’effet de surprise ayant été un échec, ceux-ci se trouvaient quelques peu hésitants. Surtout que leur cible était plus imposante que le plus puissant destrier lourd qu’ils aient jamais vu et plus équipée que le plus grand aventurier qu’il leur avait jamais été donné de rencontrer. Alors qu’eux n’étaient, pour la plupart, que des paysans et ouvriers affamés.

Le Grand Caer s’avança courageusement face à la Centaure ailée qui en avait profité pour analyser calmement la situation et ne paraissait pas inquiète. Kyr et Kilynn se réfugièrent avec soulagement derrière lui. « Je constate que tu n’es pas n’importe qui, contrairement à ce que nous avons cru, dit-il à ce qu’il espérait être sa future victime.
– En effet, approuva-t-elle. Serait-ce une nouvelle coutume du duché du Val Vert que d’accueillir les voyageurs en leur hurlant dessus juste avant de les encercler ?
– Cela fait quelques années que c’est le cas. Mais nous sommes cléments et vous laisserons passer sans faire d’histoires si vous nous laissez vos possessions. » lâcha-t-il d’un ton bravache.

Il y eût un silence, puis la Centaure partit dans un éclat de rire sonore. De sa main gauche, elle tira une seconde épée longue, qui sembla geler à la sortie du fourreau. Kyr regarda alors plus attentivement l’équipement de leur « proie ». Elle avait encore deux autres épées longues dans des fourreaux accrochés à la ceinture de sa partie humaine, une lance d’arçon lumineuse, qui barrait son dos équin et un arc long composite son dos humain. Elle était elle-même recouverte d’une fine chemise de mailles qui la protégeait du cou à la croupe. Partant de tout cela, qui sait ce qu’il pouvait y avoir de plus dans ses fontes, son sac et ses diverses sacoches…

Il n’était pas le seul à avoir fait l’inventaire des possessions visibles de la Centaure. « Caer, on devrait peut-être la laisser tranquille tout compte fait… » suggéra timidement un dénommé Rob, dont les yeux effrayés ne quittaient pas l’épée de feu et sa jumelle de glace. Il y eut une vague de marmonnements d’assentiment parmi les autres. Elle avait beau être seule contre eux, elle les intimidait. Et ce n’était pas Kyr qui les blâmerait pour ça, lui-même étant tellement effrayé que ses jambes tremblaient toutes seules. Elle pouvait l’écraser d’une seule patte sans même s’en apercevoir, il en était certain. Mais le Grand Caer voyait les épées longues et le reste sous un autre angle : celui de leur valeur marchande. « Votre ami parle sagement. » Intervint complaisamment la Femme-Jument sur le ton de la conversation. Elle sourit, ce qui découvrit des canines bien plus grandes et pointues qu’elles ne devraient l’être. Le jeune garçon remarqua alors que de fines écailles cuivrées soulignaient les yeux de la Centaure et que ses mains étaient griffues. Il déglutit. « C… Caer… balbutia-t-il.
– Silence ! ordonna l’interpellé. Elle est seule et nous sommes plus de vingt. En plus, elle ne peut pas s’envoler à cause des arbres. Regardez-la un peu, avec ce qu’elle porte nous pourrions tous être à l’abri du besoin pour le restant de nos jours !
– Peut-être, en convint l’intéressée. Mais à quel prix ? »

Elle fit négligemment tournoyer ses deux longues lames. Tous suivaient du regard les deux armes magiques. Voyant que cela ne suffisait pas à juguler l’avidité du Grand Caer, elle esquissa de nouveau son sourire carnassier et se remit à chanter. Mais il ne s’agissait pas du chant insouciant dont elle égrenait les notes en voyageant. C’était à présent un chant grave, percutant, qui réveillait les peurs les plus profondes et les faisait résonner encore et encore dans tout le corps. Un Chant Magique. Kyr, les yeux écarquillés, vit la plupart des bandits tourner les talons et fuir éperdument, complètement terrifiés, certains hurlant à s’en arracher les cordes vocales. Le garçon voulut faire de même, mais ses jambes refusaient de bouger, sauf pour s’affaisser sous lui, comme s’il était trop lourd pour elles. Autour, c’était la débandade. Seul Caer restait face à la Centaure, bien que blanc comme un linge et les mains tremblantes. C’est alors qu’elle s’avança, pas à pas, souriant toujours, chantant toujours. Elle leva lentement son épée de feu. Ce fut le maximum que le chef des bandits put supporter. Il recula en trébuchant et s’enfuit, ventre à terre, sans demander son reste.

Lorsque la Centaure remit ses lames au fourreau et s’arrêta de chanter, il ne restait plus que Kilynn, évanouie, et Kyr, toujours tétanisé, à genoux sur la terre battue de la route forestière. Son poignard gisait par terre, mais il n’arrivait pas à bouger pour le récupérer. La redoutable Femme-Jument s’approcha du garçon par terre et le souleva d’une main par l’arrière du col, pour le mettre à sa hauteur, aussi facilement que s’il s’agissait d’un chaton nouveau-né. Il ne se sentait pas moins vulnérable à vrai dire. Il voulut crier, seulement, aucun son ne sortit de sa bouche. Elle lui servit son effrayant sourire qui découvrait ses canines, puis le reposa à terre, le maintenant debout tout en soulevant Kilynn de son autre main. « Je suis désolée, s’excusa-t-elle joyeusement. J’y suis allée un peu trop fort. » Elle plaça la jeune fille sur son épaule, comme elle l’aurait fait d’un sac de pommes de terre.

« L… lâchez-la… bredouilla Kyr dans un filet de voix.
– Ne t’inquiète pas, le rassura la Centaure. Je n’avais pas l’intention de vous séparer. » Elle s’empara de nouveau du garçon et le posa sur son autre épaule, de la même manière dont elle avait embarqué sa sœur. Il se débattit faiblement, mais ses forces n’étaient pas revenues. De toutes façons, il était né cent ans trop tôt pour pouvoir gagner une épreuve de force contre elle. Il donna tout de même un coup de poing dans le dos de sa ravisseuse, suffisamment fort pour blesser sa main à lui et la faire glousser, elle. « Si tu veux réussir à me faire mal, tape là où je ne suis pas protégée par mon armure. » lui conseilla-t-elle ironiquement. Sur ce, dans un bruissement d’ailes elle se mit en route, au petit trot. La faim, le stress du guet-apens, le frayeur due au chant et les secousses du trot eurent finalement raison de Kyr, dont le cerveau coupa le contact, le laissant se balancer, inconscient, au gré du pas de la grande Femme-Jument.