— Enfin, je vous vois sourire. Voilà quelque chose qui n’arrive pas si souvent ces derniers temps. Bien ! Voici une deuxième nouvelle : l’incendie n’a pas causé de dégâts trop importants. Il y aura quelques menus travaux de réfection à effectuer, mais rien de bien grave. »
Arthur continua à expliquer qu’ils allaient en profiter pour redécorer cette partie du château et comment. Éléonore n’écouta les détails que d’une oreille distraite. [Introduire à un moment l’explication sur l’origine de l’incendie] Elle jeta un coup d’œil à Edmond qui lui rendit un regard impassible. Il n’était pas certain qu’elle puisse lui accorder sa confiance, mais il avait réussi sa part du marché et, lorsque les invités seraient arrivés, elle n’aurait plus qu’à tenir la sienne. Elle espérait qu’Arthur ne ferait pas fuir le prochain comme il avait, apparemment, fait fuir Lance.
Lorsque le repas se termina, Éléonore n’avait aucune idée de ce qu’elle avait mangé. Tous se levèrent et le seigneur Arthur suggéra à sa fille de s’habiller chaudement pour l’extérieur, car ils allaient devoir sortir. Jodie se tenait déjà là, juste hors de la salle à manger, avec gants, manteau, chapeau et tout ce qu’il fallait pour protéger Éléonore du froid. Cette dernière se promit de trouver une autre femme de chambre qui ne serait pas à la botte du seigneur du château. Elle refuserait toutes celles que lui proposerait Arthur.
Il l’emmena dans un bâtiment éloigné du château, mais — à la grande déception d’Éléonore — toujours sur le domaine. Les trois conseillers suivaient, même s’il fallait parfois détourner l’attention de Raymond des beautés de la nature hivernale qui l’émerveillaient. Éléonore s’apprêta à s’occuper du vieil homme, mais Sigismond s’en chargeait déjà avec prévenance.
Ils parvinrent à un grand pavillon circulaire aux couleurs éclatantes. Des cris s’en échappaient. Des cris humains. « Que se passe-t-il ? s’alarma Éléonore.
— Vous verrez, ma fille. C’est une surprise qui, je l’espère, vous endurcira un peu. » lui répondit Arthur sur un ton énigmatique, qui ne plut pas à son interlocutrice.
Lorsqu’ils parvinrent à l’entrée du pavillon, Sigismond les précéda pour sonner une petite cloche à l’entrée. Un individu maigrelet au visage chafouin vint soulever le battant. Voyant à qui il avait à faire, il s’inclina très bas. « Soyez les bienvenus, messeigneurs et madame. » Un nouveau hurlement l’interrompit. Il sourit. « Comme vous pouvez le constater, le bourreau Samedi est déjà à pied d’œuvre. Veuillez entrer. »
Arthur entra le premier. Éléonore considéra les trois conseillers. Raymond arborait un sourire absent. Sigismond, qui le maintenait dans la bonne direction en l’empêchant d’éparpiller son attention, avait pâli. Seul Edmond restait impassible et emboîta aussitôt le pas à son seigneur, comme si de rien n’était. « Qu’attendez-vous, ma fille ? » Elle n’osait pas poser le pied à l’intérieur ; étant donné les cris qu’elle entendait, Éléonore avait dépassé le stade du mauvais pressentiment.
Alors qu’elle essayait désespérément de faire abstraction du vacarme mâtiné de sanglots, Éléonore regardait tout autour d’elle. L’intérieur du pavillon était divisé en plusieurs parties par d’imposantes tentures richement brodées. Les invités se trouvaient dans une sorte de hall d’accueil, où étaient étalés de nombreux signes extérieurs de richesse [à décrire], certainement pour épater la galerie, supposa-t-elle.
Si tout cela appartenait bien au bourreau Samedi, celui-ci devait mener une véritable vie de patachon, songea Éléonore. Pourquoi, alors, officiait-il toujours comme bourreau ? La réponse lui parvint sous la forme d’un nouveau cri — de douleur ou de terreur, elle ne pouvait le déterminer — : cet homme aimait son métier. Éléonore, quant à elle, peinait à endurer ces hurlements et, pourtant, elle ne voulait pas quitter le pavillon.
« Bien bien bien, commenta Arthur au petit homme qui le regardait par en-dessous. Montrez-nous donc ce spectacle, dans ce cas. » Éléonore n’avait pas suivi leur conversation et espéra qu’elle n’en avait rien raté d’important. « Je suis impatient de voir œuvrer ce fameux bourreau Samedi dont j’ai tant entendu parler.
— Vous ne serez pas déçu, lui assura l’aide. Veuillez me suivre. »
Elle ne se sentait pas très vaillante et se demanda si son propre visage paraissait aussi décomposé que celui de Sigismond. Le petit homme les précéda dans le plus grand espace du pavillon, qui était aussi circulaire. Il était composé de quelques gradins entourant un espace vide, au centre duquel quelqu’un était attaché, nu, à un poteau autour duquel il pouvait bouger, mais pas s’enfuir. Il était ligoté de manière à présenter son dos au bourreau Samedi, qui s’amusait à le zébrer à l’aide d’un petit fouet.
Le tortionnaire était particulièrement massif et un peu bedonnant. Éléonore n’imaginait pas quelqu’un pouvoir s’échapper de son étreinte, une fois agrippé de ses mains puissantes. Il portait un capuchon classique de bourreau et possédait tout un arsenal d’outils dont elle ne voulait même pas connaître l’utilité. Pour le moment, elle avait les yeux écarquillés d’horreur en reconnaissant le supplicié. C’était Gaël, qui suppliait et poussait des cris de douleur. Un nouveau coup de fouet s’abattit sur son dos, l’ornant d’une nouvelle zébrure rouge. « Stop ! » hurla-t-il dans un sanglot.
Cette fois, il n’était plus possible de considérer qu’il s’agissait d’un jeu. Éléonore était effarée de tout ce que cela impliquait. Elle eut le tournis et se demanda si elle allait se sentir mal, mais Gaël poussa un cri éraillé qui la ramena à la conscience. « Comme vous pouvez le constater, commença le bourreau Samedi d’une voix si douce qu’elle détonnait avec la violence dont il faisait preuve, j’ai commencé les préliminaires avec mon sujet. Le fouet est un grand classique, parfait pour se mettre en jambe. »
Constatant qu’Arthur et ses conseillers avaient pris place sur les gradins, elle sentit une vague d’irritation l’envahir. « Comment pouvez-vous assister à ça comme si c’était normal ? leur lança-t-elle en s’efforçant de maîtriser sa voix qui tremblait de colère.
— Voyons ma fille, je vous avais pourtant dit que ce manant subirait ma sentence. Vous vous étiez beaucoup trop rapprochée de lui : et s’il vous avait transmis une maladie ou je ne sais quoi ? Je me dois de vous protéger.
— Me protéger ? » s’étrangla Éléonore.
Il ne servait à rien d’argumenter avec cet homme infect. S’il ne s’agissait pas d’un jeu, alors elle avait bel et bien à faire à un pervers de la pire espèce. « Et vous, comment pouvez-vous cautionner de telles actions ? » lança-t-elle aux conseillers. Aucun ne répondit. Elle n’avait pas besoin de leur réponse : elle avait conscience qu’ils ne faisait que suivre les ordres de leur seigneur. Se détournant d’eux, elle s’avança d’un pas décidé dans l’espèce de petite arène.
L’aide du bourreau Samedi voulut l’en empêcher, mais son maître l’arrêta d’un geste. « Laisse, dit-il de sa voix douce. Et voyons ce que me veut la dame. » Éléonore s’empara du premier objet qui lui tomba sous la main — un gourdin — et, le prenant à deux mains, elle en frappa le bourreau de toutes ses forces. Le coup ne parvint jamais à destination : Samedi avait attrapé ses poignets d’une seule main, bloquant ainsi son élan.
« Lâche-moi ! lui intima-t-elle en laissant tomber tout vouvoiement.
— Allons allons, je ne vous laisserai pas faire preuve de violence de bas étage, comme cela. Ce serait une insulte à mon art. » Le visage du bourreau était dissimulé sous son capuchon noir, mais Éléonore perçut à sa façon de parler qu’il souriait. Elle tenta vainement de se dégager, pendant qu’Arthur s’était redressé, la mine sombre.
« Que faites-vous ? s’enquit le seigneur d’une voix impérieuse.
— Je l’empêche seulement de me frapper, n’ayez crainte. Avec tout le respect que je vous dois, votre dame est impertinente. Je peux la punir pour vous, si vous le souhaitez. Ou vous montrer des moyens amusants de le faire. »
De voir Arthur songeur face à cette proposition alimenta encore plus la rage d’Éléonore. Voyant qu’elle ne pourrait pas dégager ses poignets, elle lança un puissant coup de genou en direction de l’entrejambe du bourreau. Puis, pâlit en constatant que cela avait à peine eu l’air de l’affecter. Il rit. « Monseigneur, intervint Sigismond d’une voix blanche. Vous ne pouvez pas laisser votre fille traitée de cette manière.
— Vous avez raison, Sigismond, concéda Arthur après un instant de réflexion. Lâchez donc ma fille ! »
Samedi libéra Éléonore, qui le fusilla du regard et s’empara d’une lame qui faisait partie de l’arsenal du bourreau. « Pourriez-vous lui demander de cesser de toucher mes précieux instruments ? plaida Samedi de sa voix douce où commençaient à percer quelques signes d’irritation.
— Ma fille, laissez cette lame, ce n’est pas un objet pour vous ! »
Ignorant tout le reste, Éléonore trancha les liens de Gaël, qui tomba à genoux. Elle le prit dans ses bras, prenant garde de ne pas toucher les zébrures du fouet. « J’ai pas pu m’échapper, souffla-t-il. Ils étaient trop nombreux à me chasser… » Dans tous les cas, se dit Éléonore, il ne pouvait plus aller nulle part dans son état. Elle se tourna alors vers son soi-disant père et ses conseillers, puis leur déclara, une lueur de défi dans le regard :
« J’ai décidé que sa vie m’appartenait, maintenant que je l’ai sauvée. Il est à moi. Ainsi, vous n’aurez plus à me trouver une nouvelle femme de chambre : il me servira de page ou de valet ou de je ne sais quoi et il ne quittera jamais mes côtés. Entendu ?
— Voyons ma fille… Arthur était pris de court.
— Ne vous avisez même pas de refuser ! Je ne demande que peu de choses, vous pouvez bien m’accorder celle-là.
— Mais, ma mie…
— Ma fille, corrigea-t-elle vivement.
— Ma fille, c’est un homme, il ne peut pas rester auprès de vous comme cela.
— Bien sûr que si. En tous cas, si vous souhaitez continuer à me voir au château, ce sera le cas. »
Sigismond était bouche bée, Edmond réfléchissait visiblement à toute allure à une façon de désamorcer la situation et même Raymond paraissait conscient de ce qu’il se passait autour de lui, pour une fois. « Et bien alors, pouffa-t-il d’ailleurs. Voyons, beaucoup de dames possèdent des pages sans qu’il y ait de souci. Ne lui faites-vous pas confiance ?
— Je… hésita Arthur. Bien sûr, je lui fais confiance.
— Vous vous souvenez certainement de ce qu’il s’est passé la dernière fois qu’elle avait ce regard-là, poursuivit Raymond. Ne risquez pas une nouvelle fuite de sa part pour quelque chose d’aussi trivial. Elle veut un serviteur, eh bien quoi ? La belle affaire ! »
1746 mots pour aujourd’hui, j’avais tellement peur de pas faire le quota avec ma journée nulle que je suis contente de l’avoir atteint ^^