– Un bon forgeron a besoin de la chaleur la plus intense possible pour pouvoir fondre n’importe quel minerai, expliqua Nurri.
– On dirait que vous avez réussi, dit le garçon.
– Certes, et je n’en suis pas peu fier, se rengorgea le dverg. J’avais déjà parlé de ma trouvaille avec d’autres forgerons, tous plus réputés les uns que les autres, mais aucun n’a paru séduit par mon idée.
– Votre idée ? s’enquit la vane qui sentait que le forgeron des étoiles mourrait d’envie de se pavaner en parlant de son travail.
– Oui oui ! Connaissez vous les volcans ? » Leur demanda Nurri. Face aux dénégations de Bård et au visage inexpressif de Fen, il expliqua : « Les volcans sont des montagnes qui crachent du feu. Mais attention, pas n’importe quel feu, un feu liquide beaucoup plus chaud que le feu dont on a l’habitude. Et moi, Nurri Orrisson, j’ai réussi à dompter cette puissance. Elle court actuellement sous nos pieds et alimente mes forges. » Il se tourna vers l’enfant visiblement impressionné. « Dame Doelyn disait qu’il s’agissait du même feu qui fait briller les étoiles, c’est pourquoi elle m’a surnommé Nurri le forgeron des étoiles. » Il soupira à ce souvenir.
« Et donc, le leg de dame Doelyn pour le jeune Bård ? rappella la vane dans le but de faire un petit peu avancer les choses afin de rester le moins de temps possible dans cette chaleur infernale.
– Ah, oui, l’héritage de Dame Doelyn. Suivez moi. » Il les mena jusqu’à un coin de la pièce qui se trouvait être un atelier complet à lui tout seul. « C’est ici qu’elle travaillait, leur glissa-t-il en aparté tandis qu’il fourrageait dans les mécanismes d’un grand coffre. Ah ! Ca y est ! » Se réjouit il en trouvant enfin la bonne combinaison qui ouvrit ledit coffre dans un grincement de métal. Le garçon se demandait ce que pouvait bien receler un contenant aussi énorme.
Lorsqu’il jeta un coup d’oeil à l’intérieur cependant, il ne vit que deux petits coussins de velour bordeaux, sur chacun desquels était soigneusement posé un anneau finement ciselé. Nurri s’empara délicatement de l’un des anneaux et le tendit solennellement à Bård. Ce dernier tendit la paume et le dverg y déposa délicatement le bijou. Le garçon l’inspecta et constata qu’il était en fait constitué de deux anneaux : l’un fixe avec différentes runes gravées et l’autre qui pouvait tourner autour du premier. Celui ci possédait une petite encoche qui pointait en direction de l’une des runes gravées sur le premier anneau fixe. « A quoi servent ces marques ? s’enquit le fils de Doelyn en désignant les runes.
– A désigner des endroits, répondit le forgeron des étoiles. Met le ! »
L’enfant enfila l’anneau qui, comme par magie, s’adapta à la taille de son doigt. « Regarde. » Souffla Fen en désignant la ceinture de son protégé. Les runes gravées sur le manche en corne de narval du petit couteau s’étaient mises à briller, de même que la rune qu’indiquait l’anneau. « A quoi cela sert il ? demanda la vane impressionnée.
– A ouvrir des portes, expliqua Nurri. Bård dispose de la clef et son frère héritera de la serrure. » Le garçon fit tourner son anneau jusqu’au seul endroit où n’était gravé aucune rune. Son couteau cessa de briller. « Cet anneau n’obéira qu’à toi, ajouta le dverg. De même que l’autre n’obéira qu’à ton frère. Je n’ai jamais connu une créature plus douce que Dame Doelyn. C’est la raison pour laquelle j’ai consenti à lui enseigner les secrets de la confection de tels objets.
– Pourquoi ? Peuvent ils être dangereux ? s’enquit la vane.
– Plus que ça ! s’écria Nurri. Laissez n’importe qui apprendre à forger des anneaux de pouvoir et vous n’avez pas le temps de dire ouf que le chaos s’étend sur le monde entier avec un mégalomane qui veut le diriger ! Ce sont des connaissances bien dangereuses et je suis fort aise que le pouvoir de ces anneaux là soit séparé en deux, et qu’ils soient chacun assigné à une personne différente. »
Tandis que les deux adultes devisaient, l’enfant se demandait dans quel but sa mère lui avait légué cette clef qu’elle avait fabriquée de ses propres mains. « Nurri ? » La voix de Beyla retentit soudainement dans la salle. L’interpellé se dirigea vers un cylindre métallique dont le tuyau courait sur le mur en direction du plafond. « Oui ma douce ? s’enquit il.
– Rikk est rentré, l’informa sa femme. Je me suis dit que tu aimerais être au courant.
– Ah ! Enfin ! se réjouit le forgeron des étoiles. Cela signifie que le premier fils de Dame Doelyn est en route et qu’il ne va pas tarder.
– Je vais enfin pouvoir rencontrer mon frère. » Se réjouit Bård. De savoir qu’il lui restait une famille, quelque part, lui donnait chaud au coeur.
Fen, quant à elle, ne se montrait pas aussi heureuse de cette éventualité. Car, avant de savoir que son protégé était le second fils de Dame Doelyn, elle connaissait son premier né depuis bien longtemps. Il s’agissait de l’aelfe Siegfried et la louve redoutait de nouvelles retrouvailles avec ce dernier. Elles doutait qu’elles seraient chaleureuses. Siegfried avait une telle aversion pour les humains… En réfléchissant, elle réalisa que l’aelfe devait avoir compris que Bård était son demi frère lors de leur rencontre. Il avait été outré de constater que le garçon possédait le petit couteau au manche en corne de narval. « Bård, commença-t-elle. Je ne suis pas sûre que rencontrer ton demi frère soit une bonne idée…
– Pourquoi ? demanda le garçon surpris.
– Nurri ? » La voix de Beyla retentit de nouveau, empêchant la vane de répondre. « On frappe à la porte.
– Ce doit être l’aîné de Doelyn, supposa le forgeron des étoiles. Ouvre lui, je viens le chercher. »
Joignant le geste à la parole, il se dirigea vers l’escalier. « Vous pouvez rester ici en attendant, dit il à ses deux invités. Mais ne touchez à rien !
– Pourquoi ne veux tu pas que je rencontre mon frère ? s’enquit de nouveau l’enfant une fois que Nurri eût disparu au loin dans les escaliers.
– Je… » La louve sous forme humanoïde hésita et son visage exprima une gêne mêlée de compassion. Devait elle révéler tout de suite à son protégé que son demi frère voudrait probablement le tuer dès qu’il le verrait ? Devait elle le laisser découvrir la vérité tout seul ? Qu’est ce qui serait le moins perturbant pour un petit d’homme ?
« Et bien ? insista Bård. Dis le moi, Fen !
– Ecoute, capitula-t-elle, peut être ai je tort. Tâchons de nous dissimuler pour voir à quoi ressemble ton frère. Ainsi nous pourrons aviser de si nous faisons sa connaissance ou pas, cela te convient il ?
– Mmmh… D’accord. » Son protégé accepta le compromis, bien qu’un peu à contre coeur. Il avait vraiment hâte de voir son frère et il y tenait vraiment. Il imaginait de fraternelles retrouvailles avec de franches bourrades et des anecdotes sur leur mère qu’il avait à peine pu rencontrer. Mais Fen avait vraiment l’air inquiète. Elle avait tellement fait pour lui durant ces derniers jours, qu’il pouvait bien accepter de lui faire plaisir, même si cela lui coûtait un peu. Il la suivit donc se cacher derrière une immense pile de bric à brac. Il y avait tellement de choses accumulées ici qu’il ne leur fut pas difficile de trouver un endroit pratique d’où voir sans être vus.
Le temps que le forgeron des étoiles mit pour revenir avec l’aîné de Dame Doelyn parût infini au garçon impatient. Mais, enfin, le dverg finit par réapparaître à l’autre bout de la pièce, suivi par un aelfe élancé qui avançait d’une démarche régalienne, bien que légère. La vane étudia soigneusement le visage de l’enfant tandis qu’il reconnaissait lentement l’aelfe en question. Elle crut reconnaitre la stupeur, puis la déception et la peur. Puis, elle le vit serrer les dents en regardant fixement son demi frère prendre, à son tour, possession de son leg. Lorsqu’il passa le bijou à son doigt, un fil lumineux parcourut sa corne de narval plaquée d’acier le long des annelures. « Je constate qu’il n’y a qu’un anneau, déclarait Siegfried à ce moment là.
– Tout à fait, votre frère a déjà récupéré le sien. » Raconta Nurri qui regardait partout autour de lui, sans doute à la recherche de ses deux autres invités. Il espérait qu’ils ne touchaient rien de fragile ou n’étaient pas tombés malencontreusement dans la lave qui courait sous sa forge.
« Ce n’est pas mon frère, lâcha l’aelfe d’un ton dédaigneux. Ce n’est qu’un bâtard.
– Il n’en est pas moins lié à vous par le sang de votre mère, le gourmanda le dverg.
– Puisque vous étiez le maître respecté de ma mère, je ferai comme si vous n’aviez rien dit, grinça le demi frère de Bård en jetant au forgeron des étoiles un regard terrifiant. D’ailleurs, comment avez vous pu laisser un tel trésor à une vermine pareille ?
– Parce qu’il lui appartenait… commença Nurri.
– Je ne veux pas le savoir, coupa Siegfried. Dites moi au moins quelle direction il a prise en partant et j’irai chercher la fin de mon héritage moi même.
– Si Sa Grandeur daignait m’accorder son oreille, ne serait ce qu’un court instant que je lui explique pourquoi cela ne lui servirait à rien de recouvrer la part de son petit frère, je me ferai une joie de le lui exposer, ironisa le dverg sur un ton humoristique sous lequel perçait une menace sous jacente.
– Faites donc, acquiesça l’aelfe de mauvaise grâce.
– Ces objets, exposa alors Nurri, ont été forgés par votre mère, comme je vous l’ai dit, et elle y a placé tout l’amour qu’elle éprouvait pour vous deux. Pas d’interruption ! » Prévint il l’aîné en constatant qu’il voulait intervenir. « Ce faisant, elle a ensuite destiné chacun de ces anneaux à un seul d’entre vous et quiconque d’autre voudrait l’utiliser ne le pourrait pas. Y compris vous : vous ne pouvez pas utiliser l’anneau dévolu à votre frère.
– Les sorts ou les enchantements peuvent toujours se défaire, argua Siegfried. Dites moi où se trouve ce petit humain et, une fois que j’aurai récupéré ce qui me revient, j’en ferai mon affaire.
– Je suis ici. »
Avant que Fen ait pu le retenir, Bård était sorti de sa cachette et se dirigeait vers son demi frère avec résolution. Elle se dépêcha d’aller le flanquer en jetant un regard désapprobateur à l’aelfe. Le garçon tenait son bâton d’entrainement d’une main, son petit couteau de l’autre, adressant à son grand frère un air de défi. La scène resta ainsi figée quelques instants avant que le forgeron des étoiles ne brise le lourd silence : « Je vous préviens mes lascards, il est hors de question que vous vous combattiez ici ! C’est beaucoup trop dangereux !
– Allons dehors, dans ce cas, déclara l’enfant. Là haut nous pourrons nous battre autant que nous voudrons.
– Tu oses me défier ? » Le ton de l’aelfe était moqueur, bien que teinté de surprise. « Je dois reconnaître que tu n’as pas froid aux yeux. Soit, si c’est la mort que tu recherches, je te la délivrerai promptement, n’aie crainte.
– Je n’ai pas peur, lui assura calmement Bård.
– Mais vous ne devez pas vous battre ! s’emporta Nurri. Vous avez des legs complémentaires tous les deux ! L’un de vous détient la clef et l’autre la serrure ! Vous devez oeuvrer ensemble et non pas l’un contre l’autre ! »
Mais, peine perdue, les deux frères se dirigeaient déjà en direction de l’escalier d’un pas résolu. « Les sages paroles du forgeron des étoiles sont tombées dans l’oreille d’un sourd, commenta Fen en soupirant. Enfin, de deux sourds. J’ai l’impression que ces deux frères là sont aussi butés l’un que l’autre. » Ceci dit, elle leur emboîta le pas, espérant éviter le pire, et le dverg la suivit avec empressement. En montant les marches de l’escalier qui devait les mener vers leur duel, la vane tenta de les raisonner : « Bård, disait elle, tu ne vas tout de même pas combattre ton propre frère et toi, Siegfried, tu ne vas tout de même pas t’abaisser à combattre un enfant. Quelle gloire retireras tu de cela ? » Mais l’un comme l’autre lui opposait un silence borné. Elle essaya ensuite la provocation : « Décidément, s’écria-t-elle, vous êtes bien frères tous les deux ! Aussi têtu l’un que l’autre ! » La seule réaction qu’elle obtint provint de l’aelfe qui émit un bruit de bouche dédaigneux. Ou vexé. C’était souvent difficile à dire avec lui.
Au fur et à mesure qu’ils se dirigeaient vers la surface, la température se fit plus fraîche par contraste avec la chaleur presque invivable du sous sol. Dans la maisonnette de Nurri et Beyla régnait toujours une chaleur agréable, mais ils n’en profitèrent pas, sortant aussitôt dans le froid glacial de la fin d’après midi. Dehors, ils furent accueillis par Mørk et Svart, les deux corbeaux qui accompagnaient inlassablement Siegfried.