NaNoWriMo 2014 jour 19 : Bård

Bård n’avait pas attendu. Lorsque l’ase s’était emparé de son arc, il s’était empressé de placer l’encoche de son anneau sur la rune du bouleau. Quand la flèche fusa dans sa direction, son épée était devenue un bouclier de bois dans lequel elle se ficha. « Ta magie ne fait que retarder l’inévitable, l’informa Ull de sa voix de velour.
– C’est ce que tu crois ! » Fanfaronna l’adolescent. Toujours armé de son bouclier de bouleau, il fondit sur l’ase pour le trancher avec son couteau. Ull l’esquiva sans mal. Ils continuèrent ainsi leur ballet, évitant les coups l’un de l’autre avec plus ou moins de bonheur. L’ase ne paraissait faire aucun effort, contrairement à son jeune adversaire. « Tu ne t’en sortiras pas aussi facilement, lança Bård d’un ton bravache bien qu’haletant.
– Je n’ai pas besoin de me sortir de quoique ce soit, répondit chaleureusement le chasseur. Et je doute fort que tu puisses m’infliger une quelconque éraflure, malgré tes jolies babioles magiques.
– Tu es trop sûr de toi. » Sur cette assertion l’adolescent, qui avait repris son souffle, se lança de nouveau à l’attaque.

Le combat s’éternisait beaucoup trop, le garçon en avait conscience. Il ne pourrait jamais tenir la cadence aussi longtemps que son adversaire. Surtout qu’il lui semblait que Ull jouait avec lui comme un adulte bienveillant joue avec un enfant. Un jeu dangereux néanmoins, car si l’adolescent n’y prenait pas garde, il risquait de mourir. L’ase s’arrêta soudainement. « Nous devrions arrêter là nos simagrées. Rend toi à présent.
– Jamais ! Cracha Bård avec toute la témérité aveugle que lui conférait sa jeunesse.
– Puisque c’est vraiment ce que tu veux. » Ull soupira. Il tira une nouvelle flèche sur le garçon qu’il para avec son bouclier de bouleau. Sylveig cria. La flèche était en réalité un leurre car, lorsque Bård jeta un nouveau coup d’oeil au dessus de son bouclier, l’ase était déjà sur lui, brandissant son long couteau de chasse. Les yeux du garçon eurent à peine le temps de s’écarquiller qu’une masse bouscula Ull et roula par terre avec lui.
Les deux belligérants se retrouvèrent presque instantanément sur leurs pieds. L’adolescent se trouva presque heureux de constater que son frère venait d’apparaître. Il arrivait au bon moment ; Bård avait clairement vu sa fin arriver. Il se rendit compte qu’il n’était pas le seul lorsque la renarde aux yeux verts vint se coller à sa jambe. Il ne put s’empêcher de songer, avec une pointe de jalousie, que l’aelfe avait un léger côté poseur. La fine brise qui agitait ses cheveux, juste comme il fallait, en rajoutait à ce sentiment. Le flottement dura à peine une seconde. Les deux combattants se jetèrent derechef l’un à l’encontre de l’autre. La corne de narval et le couteau de chasse s’entrechoquèrent en une série de coups rapides.

Bård n’arrivait pas à repousser l’admiration qu’il éprouvait pour son frère en ce moment. Siegfried parvenait à tenir tête à un ase. Ull ne se permettait pas de jouer avec lui comme il jouait précédemment avec le garçon. Néanmoins il parait ou esquivait les attaques de l’aelfe avec toujours beaucoup d’aisance. Beaucoup trop de son point de vue. « Tu devrais peut être l’aider. » L’intervention de Sylveig le sortit de sa passivité. Elle avait raison. Il était tellement occupé à admirer son frère et l’ase qu’il en oubliait son implication. Il récupéra la forme flambante de son épée. Puis profita d’un bref instant où Ull ouvrait sa garde en écartant la corne de narval pour se glisser et le blesser. En réalité, il avait juste entaillé sa tunique. Mais il l’avait touché ! Emporté dans son élan il continua d’attaquer avec une ardeur décuplée. L’ase, irrité comme on le serait d’un moustique, tourna soudainement ses coups sur l’adolescent. Ce dernier vit une nouvelle fois la mort arriver sur lui, avant que Siegfried ne s’interpose une nouvelle fois, en le repoussant. En revanche, en sauvant une nouvelle fois son demi frère, il écopa d’une sérieuse blessure à son bras. Pas sa main d’épée heureusement.

« Ne reste pas dans le chemin, le rabroua-t-il avec irritation avant de repartir dans une passe d’armes avec Ull.
– Je n’étais pas dans le chemin, j’essayais de t’aider ! lança Bård.
– Et bien tes efforts sont vains, rétorqua l’aelfe en esquivant le couteau de chasse.
– Mère a dit que nous devions oeuvrer ensemble, insista désespérément le garçon.
– Oeuvre mieux, balaya Siegfried sur un ton définitif.
– Tout seul, tu n’arriveras pas à le tuer ! Persista-t-il avec entêtement.
– Me tuer ? » S’étonna Ull. Il bondit en arrière afin de pouvoir rire hors de portée de la corne de narval recouverte d’acier. « Vous comptez donc me tuer ? Mais voyons les enfants, je suis immortel…
– Les enfants, s’étrangla Siegfried. Tu viens de me traiter d’enfant ?!
– Mon intention n’était pas de te vexer, mais il faut te rendre à l’évidence : à mon échelle tu es très jeune et encore bien inexpérimenté. » L’aelfe n’avait pas l’intention de supporter un tel affront. L’ase avait trop tiré sur la corde.

« Bård, dit Siegfried. Il a raison : nous ne pourrons pas le tuer.
– Comment allons nous faire, alors ? s’enquit l’adolescent tandis que Ull les étudiait avec curiosité.
– Te rappelles tu ce que mère nous a fabriqué et comment cela fonctionne ?
– Evidemment ! s’exclama le garçon encore étonné que son frère lui parle sans aménité.
– Tient toi prêt à t’en servir.
– Pouvons nous reprendre ? s’enquit doucereusement l’ase.
– A l’instant. » Répondit sèchement Siegfried en fondant de nouveau sur lui. Bård réfléchit le plus rapidement possible. Son frère avait l’intention de se servir de la serrure et de la clef. Mais comment ? Il comptait visiblement que l’adolescent le sache. Celui ci tourna nerveusement son anneau sans savoir quelle destination choisir. Cela aurait il une influence ?

L’aelfe combattait furieusement. Il n’aimait pas être moqué. Essayant de ne pas s’appesantir sur cet affront, il restait fermement concentré sur son adversaire. Il ne pensait pas avoir plus d’une chance d’offrir une ouverture à son demi frère. Voilà l’ouverture. Siegfried prit la corne de métal à deux mains et l’enfonça le plus profondément qu’il put dans le torse de Ull. « Maintenant ! » Cria-t-il à Bård. Ce dernier bondit, glissa la clef couteau dans la serrure corne et déverrouilla la porte que son frère ouvrit brutalement. L’ase, paralysé par la porte qui s’ouvrait en lui, roulait des yeux surpris. L’adolescent se demanda comment il pouvait continuer à vivre. Sur les côtés du chambranle se voyaient les organes de Ull. Siegfried s’empara de l’épée de son demi frère, découpa le coeur de l’ase, puis le jeta dans le monde qu’ils avaient ouvert. Un monde vide et encore plus neigeux que chez eux, où les blizzards semblaient maîtres et où le ciel était en permanence noir de nuages. Ayant accompli son oeuvre, l’aelfe referma la porte. Bård la verrouilla et récupéra son couteau, en même temps que son épée que Siegfried lui tendait. Ce dernier récupéra sa corne de narval, refermant le corps de Ull. L’ase resta un instant debout, puis chuta, face contre terre.

« Je croyais qu’il ne pouvait pas mourir, dit l’adolescent en câlinant les deux renardes qui venaient lui mendier un peu de tendresse après tant d’émotions.
– Il n’est pas mort, lui assura son frère. Mais sans son coeur, il est paralysé dans un état bien proche de la mort. Maintenant, son influence va décroître. » Comme en réponse aux propos de Siegfried, les ifs autour d’eux se mirent à perdre leurs épines. Mais, comme leur maître, ils ne mourrurent pas totalement, les troncs restant droits et bien vivants. La neige en revanche, se mit à fondre, laissant enfin place au printemps qui avait été tellement repoussé. « Si nous lui rendions son coeur, sa vie lui reviendrait elle ? s’enquit Bård qui avait décidé de profiter du fait que son frère acceptait de lui parler.
– Oui, confirma platement l’aelfe. As tu l’intention d’ouvrir de nouveau la porte pour lui rendre son coeur ?
– Non, répondit le garçon. Je n’ai pas envie qu’il recommence à tuer des gens pour s’approprier leurs pouvoirs.
– Moi non plus, convint son frère.
– Dans ce cas là, tout va bien ! » s’enthousiasma Bård, heureux de constater que tout n’était pas affrontement entre Siegfried et lui. Il avait du mal à réaliser qu’il avait atteint cet objectif pour lequel il s’entraînait depuis six ans. Il n’arrivait pas à se dire que tout était terminé, que Ull avait bien été mis hors d’état de nuire. Au dessus de la cime des ifs dépouillés, il pouvait voir Svart et Mørk dessiner des cercles dans le ciel. Les petites vanes renardes s’étaient blotties dans ses bras. Même Skade, qui avait été prête de répondre à l’appel de l’ase chasseur. Il ferma les yeux et leva la tête vers les rayons de soleil printaniers, pour laisser son visage s’en imprégner. « Bon ! s’exclama soudain l’adolescent. Où se trouve Fen ? »

Les ténèbres lui donnaient un fort sentiment d’isolement. Mais l’isolement ne lui faisait pas peur. Elle avait l’habitude d’être un loup solitaire. Elle flottait donc là, indifférente à son isolement. Etait ce donc à cela que ressemblait la mort ? Allait elle errer ainsi sans but pour toute l’éternité ? Elle était un peu déçue. Elle aurait espéré ou ne plus penser, ou passer à quelque chose de plus intéressant. Pas forcément de grandiose, comme participer aux festins du Valhalla, mais de moins terne en tous cas. De plus, elle éprouvait un peu de froid dans cette immensité sombre. Elle n’aurait plus rien du ressentir pourtant, si ? Quel ennui. Etre condamnée à ne faire que penser dans les ténèbres tout en ayant froid. Vraiment, cette perspective ne l’enchantait pas du tout. Elle dressa l’oreille. Du moins, métaphysiquement. Elle avait cru percevoir un bruit, dans cet environnement vide. Elle cessa donc de penser, attentive. Pendant un long moment, qu’elle ne put quantifier mais qui lui parut long, elle attendit en vain. Peu importe, se disait elle, puisqu’elle avait tout le temps d’attendre. Ce n’était pas comme si elle avait quelque chose de plus intéressant à faire, n’est ce pas ? De nouveau, elle perçut quelque chose. Elle avait bel et bien entendu un bruit. Mais son origine était difficile à déterminer.

Elle l’entendit de nouveau. C’était plus clair, cette fois. Fen crut reconnaitre une voix. Qui pouvait donc parler tout haut dans cette immensité sombre et vide ? N’était elle donc pas seule ? Elle tourna toute son attention dans l’attente d’un potentiel nouveau bruit. « Snob ! » s’exclama la voix. Voilà qui était surprenant. Fen décida d’essayer de diriger son esprit en direction de la voix. Allait elle parler de nouveau ? « Minable. » Entendit elle à sa grande satisfaction. Mais il ne s’agissait pas de la même voix. Elle était plus grave et plus posée que la première. « Espèce de poseur ! » Répartit la première voix. Elle semblait plus jeune. Fen hésita. Il lui semblait qu’elle connaissait cette voix. « Avorton. » Répartit la deuxième voix. Elle se rendit compte qu’elle la connaissait aussi, cette deuxième voix. En même temps qu’elle entendait ces voix de plus en plus distinctement, elle prit conscience de son corps. Elle possédait toujours son corps. Peut être avait elle survécu à Fenrir finalement. Elle se concentra et réussit à faire l’effort d’ouvrir les paupières.

Le nouvel environnement qui s’offrit à son regard était flou mais, au moins, il n’était plus enveloppé de ténèbres infinies. A présent elle entendait clairement les deux personnes qui se disputaient et posa instantanément des noms sur elles. Bård et Siegfried se trouvaient non loin d’elle et se chamaillaient. « Tu n’es qu’un arrogant ! » persistait l’adolescent. « Je n’ai pas besoin d’argumenter avec un sale gosse de ton espèce. » rétorquait l’aelfe. Les lèvres de Fen s’étirèrent en un sourire. Elle voulut se redresser, mais l’effort lui arracha un gémissement. Les deux frères cessèrent aussitôt de se disputer.

NaNoWriMo 2014 jour 8 : Bård

« Comment avez vous pu obtenir une telle chaleur ? demanda Fen qui suffoquait presque.
– Un bon forgeron a besoin de la chaleur la plus intense possible pour pouvoir fondre n’importe quel minerai, expliqua Nurri.
– On dirait que vous avez réussi, dit le garçon.
– Certes, et je n’en suis pas peu fier, se rengorgea le dverg. J’avais déjà parlé de ma trouvaille avec d’autres forgerons, tous plus réputés les uns que les autres, mais aucun n’a paru séduit par mon idée.
– Votre idée ? s’enquit la vane qui sentait que le forgeron des étoiles mourrait d’envie de se pavaner en parlant de son travail.
– Oui oui ! Connaissez vous les volcans ? » Leur demanda Nurri. Face aux dénégations de Bård et au visage inexpressif de Fen, il expliqua : « Les volcans sont des montagnes qui crachent du feu. Mais attention, pas n’importe quel feu, un feu liquide beaucoup plus chaud que le feu dont on a l’habitude. Et moi, Nurri Orrisson, j’ai réussi à dompter cette puissance. Elle court actuellement sous nos pieds et alimente mes forges. » Il se tourna vers l’enfant visiblement impressionné. « Dame Doelyn disait qu’il s’agissait du même feu qui fait briller les étoiles, c’est pourquoi elle m’a surnommé Nurri le forgeron des étoiles. » Il soupira à ce souvenir.

« Et donc, le leg de dame Doelyn pour le jeune Bård ? rappella la vane dans le but de faire un petit peu avancer les choses afin de rester le moins de temps possible dans cette chaleur infernale.
– Ah, oui, l’héritage de Dame Doelyn. Suivez moi. » Il les mena jusqu’à un coin de la pièce qui se trouvait être un atelier complet à lui tout seul. « C’est ici qu’elle travaillait, leur glissa-t-il en aparté tandis qu’il fourrageait dans les mécanismes d’un grand coffre. Ah ! Ca y est ! » Se réjouit il en trouvant enfin la bonne combinaison qui ouvrit ledit coffre dans un grincement de métal. Le garçon se demandait ce que pouvait bien receler un contenant aussi énorme.

Lorsqu’il jeta un coup d’oeil à l’intérieur cependant, il ne vit que deux petits coussins de velour bordeaux, sur chacun desquels était soigneusement posé un anneau finement ciselé. Nurri s’empara délicatement de l’un des anneaux et le tendit solennellement à Bård. Ce dernier tendit la paume et le dverg y déposa délicatement le bijou. Le garçon l’inspecta et constata qu’il était en fait constitué de deux anneaux : l’un fixe avec différentes runes gravées et l’autre qui pouvait tourner autour du premier. Celui ci possédait une petite encoche qui pointait en direction de l’une des runes gravées sur le premier anneau fixe. « A quoi servent ces marques ? s’enquit le fils de Doelyn en désignant les runes.
– A désigner des endroits, répondit le forgeron des étoiles. Met le ! »

L’enfant enfila l’anneau qui, comme par magie, s’adapta à la taille de son doigt. « Regarde. » Souffla Fen en désignant la ceinture de son protégé. Les runes gravées sur le manche en corne de narval du petit couteau s’étaient mises à briller, de même que la rune qu’indiquait l’anneau. « A quoi cela sert il ? demanda la vane impressionnée.
– A ouvrir des portes, expliqua Nurri. Bård dispose de la clef et son frère héritera de la serrure. » Le garçon fit tourner son anneau jusqu’au seul endroit où n’était gravé aucune rune. Son couteau cessa de briller. « Cet anneau n’obéira qu’à toi, ajouta le dverg. De même que l’autre n’obéira qu’à ton frère. Je n’ai jamais connu une créature plus douce que Dame Doelyn. C’est la raison pour laquelle j’ai consenti à lui enseigner les secrets de la confection de tels objets.
– Pourquoi ? Peuvent ils être dangereux ? s’enquit la vane.
– Plus que ça ! s’écria Nurri. Laissez n’importe qui apprendre à forger des anneaux de pouvoir et vous n’avez pas le temps de dire ouf que le chaos s’étend sur le monde entier avec un mégalomane qui veut le diriger ! Ce sont des connaissances bien dangereuses et je suis fort aise que le pouvoir de ces anneaux là soit séparé en deux, et qu’ils soient chacun assigné à une personne différente. »

Tandis que les deux adultes devisaient, l’enfant se demandait dans quel but sa mère lui avait légué cette clef qu’elle avait fabriquée de ses propres mains. « Nurri ? » La voix de Beyla retentit soudainement dans la salle. L’interpellé se dirigea vers un cylindre métallique dont le tuyau courait sur le mur en direction du plafond. « Oui ma douce ? s’enquit il.
– Rikk est rentré, l’informa sa femme. Je me suis dit que tu aimerais être au courant.
– Ah ! Enfin ! se réjouit le forgeron des étoiles. Cela signifie que le premier fils de Dame Doelyn est en route et qu’il ne va pas tarder.
– Je vais enfin pouvoir rencontrer mon frère. » Se réjouit Bård. De savoir qu’il lui restait une famille, quelque part, lui donnait chaud au coeur.
Fen, quant à elle, ne se montrait pas aussi heureuse de cette éventualité. Car, avant de savoir que son protégé était le second fils de Dame Doelyn, elle connaissait son premier né depuis bien longtemps. Il s’agissait de l’aelfe Siegfried et la louve redoutait de nouvelles retrouvailles avec ce dernier. Elles doutait qu’elles seraient chaleureuses. Siegfried avait une telle aversion pour les humains… En réfléchissant, elle réalisa que l’aelfe devait avoir compris que Bård était son demi frère lors de leur rencontre. Il avait été outré de constater que le garçon possédait le petit couteau au manche en corne de narval. « Bård, commença-t-elle. Je ne suis pas sûre que rencontrer ton demi frère soit une bonne idée…
– Pourquoi ? demanda le garçon surpris.
– Nurri ? » La voix de Beyla retentit de nouveau, empêchant la vane de répondre. « On frappe à la porte.
– Ce doit être l’aîné de Doelyn, supposa le forgeron des étoiles. Ouvre lui, je viens le chercher. »

Joignant le geste à la parole, il se dirigea vers l’escalier. « Vous pouvez rester ici en attendant, dit il à ses deux invités. Mais ne touchez à rien !
– Pourquoi ne veux tu pas que je rencontre mon frère ? s’enquit de nouveau l’enfant une fois que Nurri eût disparu au loin dans les escaliers.
– Je… » La louve sous forme humanoïde hésita et son visage exprima une gêne mêlée de compassion. Devait elle révéler tout de suite à son protégé que son demi frère voudrait probablement le tuer dès qu’il le verrait ? Devait elle le laisser découvrir la vérité tout seul ? Qu’est ce qui serait le moins perturbant pour un petit d’homme ?

« Et bien ? insista Bård. Dis le moi, Fen !
– Ecoute, capitula-t-elle, peut être ai je tort. Tâchons de nous dissimuler pour voir à quoi ressemble ton frère. Ainsi nous pourrons aviser de si nous faisons sa connaissance ou pas, cela te convient il ?
– Mmmh… D’accord. » Son protégé accepta le compromis, bien qu’un peu à contre coeur. Il avait vraiment hâte de voir son frère et il y tenait vraiment. Il imaginait de fraternelles retrouvailles avec de franches bourrades et des anecdotes sur leur mère qu’il avait à peine pu rencontrer. Mais Fen avait vraiment l’air inquiète. Elle avait tellement fait pour lui durant ces derniers jours, qu’il pouvait bien accepter de lui faire plaisir, même si cela lui coûtait un peu. Il la suivit donc se cacher derrière une immense pile de bric à brac. Il y avait tellement de choses accumulées ici qu’il ne leur fut pas difficile de trouver un endroit pratique d’où voir sans être vus.

Le temps que le forgeron des étoiles mit pour revenir avec l’aîné de Dame Doelyn parût infini au garçon impatient. Mais, enfin, le dverg finit par réapparaître à l’autre bout de la pièce, suivi par un aelfe élancé qui avançait d’une démarche régalienne, bien que légère. La vane étudia soigneusement le visage de l’enfant tandis qu’il reconnaissait lentement l’aelfe en question. Elle crut reconnaitre la stupeur, puis la déception et la peur. Puis, elle le vit serrer les dents en regardant fixement son demi frère prendre, à son tour, possession de son leg. Lorsqu’il passa le bijou à son doigt, un fil lumineux parcourut sa corne de narval plaquée d’acier le long des annelures. « Je constate qu’il n’y a qu’un anneau, déclarait Siegfried à ce moment là.
– Tout à fait, votre frère a déjà récupéré le sien. » Raconta Nurri qui regardait partout autour de lui, sans doute à la recherche de ses deux autres invités. Il espérait qu’ils ne touchaient rien de fragile ou n’étaient pas tombés malencontreusement dans la lave qui courait sous sa forge.

« Ce n’est pas mon frère, lâcha l’aelfe d’un ton dédaigneux. Ce n’est qu’un bâtard.
– Il n’en est pas moins lié à vous par le sang de votre mère, le gourmanda le dverg.
– Puisque vous étiez le maître respecté de ma mère, je ferai comme si vous n’aviez rien dit, grinça le demi frère de Bård en jetant au forgeron des étoiles un regard terrifiant. D’ailleurs, comment avez vous pu laisser un tel trésor à une vermine pareille ?
– Parce qu’il lui appartenait… commença Nurri.
– Je ne veux pas le savoir, coupa Siegfried. Dites moi au moins quelle direction il a prise en partant et j’irai chercher la fin de mon héritage moi même.
– Si Sa Grandeur daignait m’accorder son oreille, ne serait ce qu’un court instant que je lui explique pourquoi cela ne lui servirait à rien de recouvrer la part de son petit frère, je me ferai une joie de le lui exposer, ironisa le dverg sur un ton humoristique sous lequel perçait une menace sous jacente.
– Faites donc, acquiesça l’aelfe de mauvaise grâce.
– Ces objets, exposa alors Nurri, ont été forgés par votre mère, comme je vous l’ai dit, et elle y a placé tout l’amour qu’elle éprouvait pour vous deux. Pas d’interruption ! » Prévint il l’aîné en constatant qu’il voulait intervenir. « Ce faisant, elle a ensuite destiné chacun de ces anneaux à un seul d’entre vous et quiconque d’autre voudrait l’utiliser ne le pourrait pas. Y compris vous : vous ne pouvez pas utiliser l’anneau dévolu à votre frère.
– Les sorts ou les enchantements peuvent toujours se défaire, argua Siegfried. Dites moi où se trouve ce petit humain et, une fois que j’aurai récupéré ce qui me revient, j’en ferai mon affaire.
– Je suis ici. »

Avant que Fen ait pu le retenir, Bård était sorti de sa cachette et se dirigeait vers son demi frère avec résolution. Elle se dépêcha d’aller le flanquer en jetant un regard désapprobateur à l’aelfe. Le garçon tenait son bâton d’entrainement d’une main, son petit couteau de l’autre, adressant à son grand frère un air de défi. La scène resta ainsi figée quelques instants avant que le forgeron des étoiles ne brise le lourd silence : « Je vous préviens mes lascards, il est hors de question que vous vous combattiez ici ! C’est beaucoup trop dangereux !
– Allons dehors, dans ce cas, déclara l’enfant. Là haut nous pourrons nous battre autant que nous voudrons.
– Tu oses me défier ? » Le ton de l’aelfe était moqueur, bien que teinté de surprise. « Je dois reconnaître que tu n’as pas froid aux yeux. Soit, si c’est la mort que tu recherches, je te la délivrerai promptement, n’aie crainte.
– Je n’ai pas peur, lui assura calmement Bård.
– Mais vous ne devez pas vous battre ! s’emporta Nurri. Vous avez des legs complémentaires tous les deux ! L’un de vous détient la clef et l’autre la serrure ! Vous devez oeuvrer ensemble et non pas l’un contre l’autre ! »

Mais, peine perdue, les deux frères se dirigeaient déjà en direction de l’escalier d’un pas résolu. « Les sages paroles du forgeron des étoiles sont tombées dans l’oreille d’un sourd, commenta Fen en soupirant. Enfin, de deux sourds. J’ai l’impression que ces deux frères là sont aussi butés l’un que l’autre. » Ceci dit, elle leur emboîta le pas, espérant éviter le pire, et le dverg la suivit avec empressement. En montant les marches de l’escalier qui devait les mener vers leur duel, la vane tenta de les raisonner : « Bård, disait elle, tu ne vas tout de même pas combattre ton propre frère et toi, Siegfried, tu ne vas tout de même pas t’abaisser à combattre un enfant. Quelle gloire retireras tu de cela ? » Mais l’un comme l’autre lui opposait un silence borné. Elle essaya ensuite la provocation : « Décidément, s’écria-t-elle, vous êtes bien frères tous les deux ! Aussi têtu l’un que l’autre ! » La seule réaction qu’elle obtint provint de l’aelfe qui émit un bruit de bouche dédaigneux. Ou vexé. C’était souvent difficile à dire avec lui.

Au fur et à mesure qu’ils se dirigeaient vers la surface, la température se fit plus fraîche par contraste avec la chaleur presque invivable du sous sol. Dans la maisonnette de Nurri et Beyla régnait toujours une chaleur agréable, mais ils n’en profitèrent pas, sortant aussitôt dans le froid glacial de la fin d’après midi. Dehors, ils furent accueillis par Mørk et Svart, les deux corbeaux qui accompagnaient inlassablement Siegfried.

NaNoWriMo 2014 jour 7 : Bård

Fen et Bård entrèrent dans l’atmosphère chaude et douillette de la petite maison. Même sous forme humanoïde la tête de la vane touchait presque le plafond. Alors que dehors tout était froid, jusqu’à la lumière, ici le feu ronflant dans la cheminée éclairait tout d’une chaleureuse ambiance orangée. « Enlevez vos bottes. » Leur intima une petite dverg affairée. Ses cheveux couleur de miel étaient aussi régulièrement tressés que la barbe flamboyante et fournie qu’aroborait le forgeron des étoiles. Nurri et sa femme étaient de petits êtres qui faisaient environ la taille du garçon, mais bien plus massifs. « Tu n’aurais pas du laisser la porte ouverte aussi longtemps Nurri, reprit la femme de ce dernier à son intention.
– Mais voyons Beyla, il fallait bien que je vérifie si je pouvais les laisser entrer, rétorqua le dverg. Je ne peux tout de même pas ouvrir notre porte à n’importe qui.
– C’est ça le forgeron des étoiles ? chuchota l’enfant à sa protectrice.
– Comment ça, ça ? s’étrangla un Nurri outré. Je ne te parais pas assez grand pour mériter ce titre c’est ça ? Je m’en vais t’en donner, moi, des ça tiens… Tsss. Et que faites vous là, chez moi, pour commencer vous deux ? »

Bård adressa un regard hésitant à Fen qui lui répondit avec un hochement de tête encourageant. « C’est… C’est un rouge gorge qui m’a dit de venir ici, expliqua-t-il.
– Pia ! » cria alors Nurri en faisant sursauter le garçon. En réponse à l’appel du dverg, un petit oiseau voleta jusqu’à son doigt tendu, où il se percha. « Cet oiseau là ? s’assura le petit être trapu.
– Peut être bien, supposa l’enfant qui n’avait aucune idée de comment distinguer un rouge gorge d’un autre.
– Il s’agissait bien de cette charmante oiselle, appuya Fen. Mon nez ne me trompe pas.
– Mmhmm, émit le forgeron des étoiles. Tu es donc le second fils de Dame Doelyn, je suis bien aise de faire enfin ta connaissance.
– Euh… Et bien merci. » Répondit Bård en jetant un nouveau coup d’oeil incertain en direction de sa protectrice. Il ne savait pas ce qu’il devait répondre à tout cela et les pensées se bousculaient dans son esprit. La fameuse Doelyn dont avait parlé le corbeau Mørk, celui qui était un peu idiot, devait donc bel et bien être sa mère.

« Toutes mes condoléances, ajouta le dverg sur un ton étonnamment doux. C’est une terrible perte, elle était une élève formidable.
– Une élève ? s’ébahit le garçon qui n’avait pas encore totalement quitté l’âge où l’on considère ses parents comme des dieux.
– Oui oui, confirma Nurri. Un beau jour elle est venue me voir pour me demander de lui apprendre l’art de la forge. » Il toussota d’un air gêné. « En réalité c’est d’elle que me vient mon surnom de forgeron des étoiles. » Il lissa machinalement sa barbe fournie. « Quoiqu’il en soit, dès que j’ai appris pour son décès, j’ai immédiatement envoyé Pia et Rikk à la recherche de ses fils.
– Pour quelle raison ? s’enquit Fen.
– Parce qu’elle avait laissé un cadeau pour chacun d’eux chez moi. » Répondit le dverg. Les yeux de Bård s’illuminèrent et son coeur bondit dans sa poitrine. Sa mère avait laissé quelque chose pour lui, en plus de son joli couteau que ce pompeux de Siegfried avait voulu lui voler. “Rikk n’est pas encore revenu, mais suivez moi, je vais vous montrer le leg du jeune Bård.”

Nurri s’empara d’une lanterne qu’il remplit d’huile et alluma soigneusement. Ceci fait, il ouvrit une porte qui menait à un escalier qu’il entreprit de descendre. Malgré la lumière de la lanterne, le garçon n’y voyait pas grand chose et il craignait de trébucher. Le dverg devait avoir l’habitude puisqu’en écho aux pensées de l’enfant, il déclara : “Ne vous inquiétez pas, une fois que nous serons en bas nous, serons mieux éclairés.” La descente parut interminable. Bård se demanda jusqu’à quelle profondeur le forgeron des étoiles allait les mener. Il s’interrogeait également sur la raison pour laquelle sa mère, Dame Doelyn, l’avait surnommé forgeron des étoiles, lui qui les menait des lieues sous terre. En tous cas, il en avait l’impression.
Après avoir descendu l’équivalent de plusieurs étages, qui semblèrent durer des heures au garçon, ils débouchèrent sur une salle immense où régnait une chaleur intense. Quel contraste par rapport au froid glacial dont il avait pris l’habitude depuis ces derniers jours ! L’enfant se sentit même un peu nauséeux. “Bienvenue dans mon atelier !” leur souhaita le dverg avec un entrain qui dépareillait de son ton bourru avec lequel il les avait accueillis. Bård n’avait jamais vu une pièce aussi grande ni jamais ressenti autant de chaleur.