NaNoWriMo 2014 jour 22 : Bård

Passage numéro 1 :
“Maître, le village que l’on nous a indiqué se trouve par là bas ! s’exclama Svart. Par contre…
– Par contre ? s’enquit le maître en question.
– Et bien, il semblerait qu’il ait été attaqué, répondit le corbeau.
– Et une partie est toute brûlée, gloussa Mørk.
– Allons voir.” Lâcha le maître de sa voix profonde. Ainsi que le corbeau le lui avait dit, le village se trouvait en ruines. La moitié des maisons avaient été éventrées par le feu et les malheureux villageois qui les peuplaient avaient été essaimés un peu partout sur la terre battue et en partie recouverts par la neige, morts. Seules subsistaient quelques poules qui avaient été épargnées et erraient à la recherche de quelque chose à picorer. Mais plus aucune espèce plus grosse qu’un chat. Ils s’aventurèrent au milieu des cendres, des cadavres et des squelettes d’habitations.

« Votre source vous a-t-elle expliqué quelle était la maison de Sigurd ?
– Non, avoua Svart un peu penaud.
– Dans ce cas, nous allons chercher. » Conclut le maître qui s’employa dès lors à pousser les portes des chaumières pour en visiter l’intérieur. Il retourna également certains morts mâles mais, malgré la décomposition qui les dévisageait, aucun n’était Sigurd. Ses inspections le menèrent, toujours accompagné des corbeaux, jusqu’au grand hall, la plus vaste habitation du village. Un grand trou béait dans l’un des murs, mais la structure avait été épargnée par les flammes. Il entra. Le spectacle qui s’offrit à lui le fit froncer du nez. Il s’approcha du cadavre cloué au mur. « Tsss. » Lâcha-t-il. L’homme qu’il recherchait était mort. D’une mort grossière selon le maître, puisqu’il se retrouvait cloué au mur comme un vulgaire pantin. Il fouilla la maison toute entière. Aucune trace d’un corps d’enfant nulle part. Le fils de Sigurd avait peut être survécu. Si c’était le cas, ce devait être cet enfant qui se trouvait en possession de ce que Sigurd lui avait volé, car il n’avait pas réussi à mettre la main sur ce précieux objet non plus. Il se redressa et, frustré, heurta le mur de son poing. Les corbeaux n’osèrent pas intervenir.

Leur maître retourna dehors et inspecta le sol. Malheureusement, les dernières chutes de neige avaient recouvert toutes les éventuelles traces qui auraient pu lui indiquer une direction à suivre. Il se sentait impuissant et cela le mettait en colère. Il ne lui restait plus qu’une solution. « Menez moi jusqu’à la personne qui vous a indiqué ce village, ordonna-t-il aux deux corbeaux.
– Mais ce garçon se trouvait loin d’ici et il a du bouger depuis, objecta Svart. Je ne sais pas si nous allons pouvoir le retrouver, le monde est vaste…
– Retrouvez le, j’ai des questions à lui poser. » Le ton était sans appel, et Svart comprit qu’il ne servait à rien de tergiverser. Il donna un coup de bec à Mørk qui s’apprêtait à dire une bêtise – or le maître n’était pas d’humeur – et prit son essor, accompagné de son frère.

Passage 2 :
La lune était pleine, inondant le paysage enneigé d’une douce lueur argentée. D’aucuns diraient blafarde, mais ces gens ne savaient pas de quoi ils parlaient. Seuls les hermétiques à la beauté pouvaient proférer des choses pareilles. C’était ce que Fen disait toujours en tous cas. Elle adorait la lune. Probablement à cause de sa nature de louve. Assis en tailleur sur un rocher solitaire, Siegfried contemplait la grosse boule haute dans le ciel et la vue dégagée qu’il avait de la plaine qui s’étendait à ses pieds. Il entendit des loups hurler au loin. Il sourit. Il leva la tête vers la lune et hurla avec eux. Comme il le faisait jadis en compagnie de Fen. Ils se connaissaient depuis qu’il était aelfon et elle louveteau. Il lui avait appris l’aelfique et elle les manières des loups. La meute avec laquelle il chantait – car les loups considéraient cela comme de la musique – lui répondit avec entrain. Ils avaient souvent hurlé à la lune Fen et lui. En grandissant, ils s’étaient moins fréquentés, ayant chacun leurs affaires de leur côté.
C’était ainsi qu’un beau jour, il s’était rendu compte qu’elle s’était liée d’amitié avec des humains. Un, en l’occurence, qui répondait au nom de Sigurd. D’après ce qu’il avait compris, ils avaient vécu beaucoup d’aventures ensemble, la vane s’abaissant à lui servir occasionnellement de monture. Et comme il se pavanait ce rustaud ! Sans aucun respect pour la nature faerique de la louve qui avait daigné lui offrir son amitié. Sigurd ne lui avait jamais témoigné aucun respect non plus. Les rares fois où il avait eu le malheur de le rencontrer, il lui avait toujours parlé familièrement, comme à l’un de ses semblables. Vraiment, Siegfried ne voyait pas ce que Fen trouvait à cet humain vulgaire. Mais elle semblait lui accorder plus d’intérêt qu’à lui même. Elle lui avait assuré qu’il se faisait des idées mais, selon lui, ses actes prouvaient sans cesse le contraire.

Ce Sigurd, non content de lui voler l’affection de la vane, s’était en premier mis en tête de courtiser sa mère. Bien sûr, l’humain ne savait pas à ce moment là que Doelyn se trouvait être la mère de Siegfried. Mais ce n’était pas une excuse. Il avait chassé le cerf blanc pour elle, mais il n’aurait jamais réussi si Fen ne lui avait pas prêté son aide. C’était d’ailleurs suite à cet épisode qu’ils avaient fait connaissance, l’humain et eux. L’aelfe se souvenait encore du moment où la vane s’était dressée face à lui pour l’empêcher de tuer Sigurd. Il en avait été blessé. Encore plus lorsqu’il avait vu l’humain chevaucher la louve et parader en amenant le cerf blanc à Dame Doelyn. Et, pire que tout, avait été l’annonce de la naissance de Bård le demi humain. Sa mère paraissait aussi faire grand cas de son fils cadet, le bâtard. Elle avait tellement envie de le protéger qu’elle avait tissé un sort autour de lui afin que personne ne remarque la nature semi aelfique du bébé. Heureusement, elle n’avait pas infligé à son aîné la présence du petit et de son père. Il était déjà suffisamment difficile de supporter qu’elle fasse parfois semblant de ne pas être sa mère qu’il n’aurait pas supporté qu’elle accorde de l’attention au bébé.

Siegfried ne savait pas pendant combien de temps les loups et lui avaient loué ainsi la lune, mais il se sentait maintenant beaucoup plus apaisé. Perchés sur la branche basse d’un arbre tout proche, Svart et Mørk se pressaient l’un contre l’autre afin d’échanger un peu de chaleur. Ils avaient sursauté lorsque celui qu’ils appelaient leur maître s’était mis à hurler à la lune avec les loups. Ils sursautèrent de nouveau lorsque l’aelfe leur intima : « Partons. Nous devons trouver Ull.
– Mais quand dormirons nous maître ? se plaignit Mørk.
– Nous aurons tout le temps de dormir lorsque nous serons morts. Pour le moment, nous avons du pain sur la planche. »

Passage 3 début (le passage 3 va être un chapitre à lui tout seul normalement)
La forêt de Ull était plus difficile à trouver d’hiver en hiver. Elle poussait autour de l’ase chasseur à chaque fois que celui ci en décidait ainsi. A force d’emmagasiner les pouvoirs de créatures magiques, celui de l’ase devenait de plus en plus puissant. Les hivers s’allongeaient et sa zone d’influence s’étendait, glaciale, sur de plus en plus de terrain. En revanche, sa forêt d’ifs restait la même. Cela revenait à chercher un oeuf dans un verre d’eau, puis dans une flaque, dans une mare, un étang, jusqu’à la mer. La première année où il était parti à la recherche de Ull, Siegfried l’avait non seulement trouvé, mais aussi affronté. Il grimaça amèrement à ce souvenir. Il n’avait du son salut qu’à l’intervention des deux frères corbeaux qui lui avaient permis de battre en retraite. L’ase ne l’avait pas poursuivi. L’aelfe se promit de prendre sa revanche. Mais il du se rendre à l’évidence : sa mère avait raison, il ne pourrait pas en venir à bout seul. Depuis, il surveillait les déplacements de la forêt magique. En attendant son heure, il contrait du mieux qu’il pouvait l’augmentation de l’influence du Chasseur. « Maître, l’interrompit Svart dans ses réflexions. Nous avons trouvé un autre de ces campements de braconniers.
– Oh oui ! renchérit Mørk. Tout un groupe !
– Ont ils des prisonniers ? s’enquit Siegfried.
– Des tas. » Répondit le corbeau idiot d’un air épanoui, comme si il s’agissait de la meilleure nouvelle du monde. Svart lui infligea un coup de bec moralisateur.

« Ce n’est pas une raison de se réjouir, le morigéna-t-il.
– Pourquoi me frappes tu tout le temps Svart ? s’enquit Mørk d’une voix tremblante qui menaçait de se briser. Je vais finir par croire que tu ne m’aimes plus… » Ignorant la suite de l’échange habituel entre les corbeaux, l’aelfe hocha la tête pour lui même. Comme si il avait besoin d’une raison de plus de détester les humains, nombre de ceux ci s’étaient fait chasseurs de créatures. Suivant l’appât du gain, ils capturaient vanes, aelfes qui s’étaient aventurés en dehors de leurs cités cachées et dvergs qui s’étaient aventurés en dehors de leurs profondes grottes. Ils raflaient au passage toutes les autres créatures de nature plus ou moins magique qu’ils pouvaient trouver. Les sbires de Ull et, notamment, Skadi les rémunéraient grassement. En se remémorant Skadi la géante, Siegfried passa machinalement ses doigts sur la grande balafre dont s’ornait son visage depuis leur rencontre. Elle n’était pas une ase, mais faisait partie de ce peuple de géants. Femme de Ull, elle lui était entièrement dévouée et défendait les alentours de sa forêt d’ifs à l’aide de son long fouet avec lequel elle marquait ses ennemis. Contrairement à son ase de mari, elle n’était pas immortelle et l’aelfe lui avait promis de la vaincre définitivement un jour prochain. Elle avait ri. Il pinça les lèvres à ce souvenir douloureux, tant pour les blessures récoltées que pour son amour propre. Il lui ferait payer l’affront de son visage et celui de sa moquerie.

Une fois que les oiseaux eurent fini de se disputer et de se réconcilier, ils menèrent Siegfried jusqu’au campement qu’ils avaient repéré. Il eut le soulagement de constater que ce groupe de chasseurs ne comportait que des humains. L’aelfe avait pu s rendre compte d’expérience que certaines bandes de braconniers comprenaient des créatures elles mêmes magiques. Il avait notamment eu à faire à un groupe dirigé par un vane renard quelques temps auparavant. Cette fois il avait du s’abstenir d’intervenir. Il venait d’être blessé par Skadi et un vane aussi gros que ce renard était un adversaire trop difficile à mettre à bas, estropié comme il l’était à ce moment là.

NaNoWriMo 2014 jour 19 : Bård

Bård n’avait pas attendu. Lorsque l’ase s’était emparé de son arc, il s’était empressé de placer l’encoche de son anneau sur la rune du bouleau. Quand la flèche fusa dans sa direction, son épée était devenue un bouclier de bois dans lequel elle se ficha. « Ta magie ne fait que retarder l’inévitable, l’informa Ull de sa voix de velour.
– C’est ce que tu crois ! » Fanfaronna l’adolescent. Toujours armé de son bouclier de bouleau, il fondit sur l’ase pour le trancher avec son couteau. Ull l’esquiva sans mal. Ils continuèrent ainsi leur ballet, évitant les coups l’un de l’autre avec plus ou moins de bonheur. L’ase ne paraissait faire aucun effort, contrairement à son jeune adversaire. « Tu ne t’en sortiras pas aussi facilement, lança Bård d’un ton bravache bien qu’haletant.
– Je n’ai pas besoin de me sortir de quoique ce soit, répondit chaleureusement le chasseur. Et je doute fort que tu puisses m’infliger une quelconque éraflure, malgré tes jolies babioles magiques.
– Tu es trop sûr de toi. » Sur cette assertion l’adolescent, qui avait repris son souffle, se lança de nouveau à l’attaque.

Le combat s’éternisait beaucoup trop, le garçon en avait conscience. Il ne pourrait jamais tenir la cadence aussi longtemps que son adversaire. Surtout qu’il lui semblait que Ull jouait avec lui comme un adulte bienveillant joue avec un enfant. Un jeu dangereux néanmoins, car si l’adolescent n’y prenait pas garde, il risquait de mourir. L’ase s’arrêta soudainement. « Nous devrions arrêter là nos simagrées. Rend toi à présent.
– Jamais ! Cracha Bård avec toute la témérité aveugle que lui conférait sa jeunesse.
– Puisque c’est vraiment ce que tu veux. » Ull soupira. Il tira une nouvelle flèche sur le garçon qu’il para avec son bouclier de bouleau. Sylveig cria. La flèche était en réalité un leurre car, lorsque Bård jeta un nouveau coup d’oeil au dessus de son bouclier, l’ase était déjà sur lui, brandissant son long couteau de chasse. Les yeux du garçon eurent à peine le temps de s’écarquiller qu’une masse bouscula Ull et roula par terre avec lui.
Les deux belligérants se retrouvèrent presque instantanément sur leurs pieds. L’adolescent se trouva presque heureux de constater que son frère venait d’apparaître. Il arrivait au bon moment ; Bård avait clairement vu sa fin arriver. Il se rendit compte qu’il n’était pas le seul lorsque la renarde aux yeux verts vint se coller à sa jambe. Il ne put s’empêcher de songer, avec une pointe de jalousie, que l’aelfe avait un léger côté poseur. La fine brise qui agitait ses cheveux, juste comme il fallait, en rajoutait à ce sentiment. Le flottement dura à peine une seconde. Les deux combattants se jetèrent derechef l’un à l’encontre de l’autre. La corne de narval et le couteau de chasse s’entrechoquèrent en une série de coups rapides.

Bård n’arrivait pas à repousser l’admiration qu’il éprouvait pour son frère en ce moment. Siegfried parvenait à tenir tête à un ase. Ull ne se permettait pas de jouer avec lui comme il jouait précédemment avec le garçon. Néanmoins il parait ou esquivait les attaques de l’aelfe avec toujours beaucoup d’aisance. Beaucoup trop de son point de vue. « Tu devrais peut être l’aider. » L’intervention de Sylveig le sortit de sa passivité. Elle avait raison. Il était tellement occupé à admirer son frère et l’ase qu’il en oubliait son implication. Il récupéra la forme flambante de son épée. Puis profita d’un bref instant où Ull ouvrait sa garde en écartant la corne de narval pour se glisser et le blesser. En réalité, il avait juste entaillé sa tunique. Mais il l’avait touché ! Emporté dans son élan il continua d’attaquer avec une ardeur décuplée. L’ase, irrité comme on le serait d’un moustique, tourna soudainement ses coups sur l’adolescent. Ce dernier vit une nouvelle fois la mort arriver sur lui, avant que Siegfried ne s’interpose une nouvelle fois, en le repoussant. En revanche, en sauvant une nouvelle fois son demi frère, il écopa d’une sérieuse blessure à son bras. Pas sa main d’épée heureusement.

« Ne reste pas dans le chemin, le rabroua-t-il avec irritation avant de repartir dans une passe d’armes avec Ull.
– Je n’étais pas dans le chemin, j’essayais de t’aider ! lança Bård.
– Et bien tes efforts sont vains, rétorqua l’aelfe en esquivant le couteau de chasse.
– Mère a dit que nous devions oeuvrer ensemble, insista désespérément le garçon.
– Oeuvre mieux, balaya Siegfried sur un ton définitif.
– Tout seul, tu n’arriveras pas à le tuer ! Persista-t-il avec entêtement.
– Me tuer ? » S’étonna Ull. Il bondit en arrière afin de pouvoir rire hors de portée de la corne de narval recouverte d’acier. « Vous comptez donc me tuer ? Mais voyons les enfants, je suis immortel…
– Les enfants, s’étrangla Siegfried. Tu viens de me traiter d’enfant ?!
– Mon intention n’était pas de te vexer, mais il faut te rendre à l’évidence : à mon échelle tu es très jeune et encore bien inexpérimenté. » L’aelfe n’avait pas l’intention de supporter un tel affront. L’ase avait trop tiré sur la corde.

« Bård, dit Siegfried. Il a raison : nous ne pourrons pas le tuer.
– Comment allons nous faire, alors ? s’enquit l’adolescent tandis que Ull les étudiait avec curiosité.
– Te rappelles tu ce que mère nous a fabriqué et comment cela fonctionne ?
– Evidemment ! s’exclama le garçon encore étonné que son frère lui parle sans aménité.
– Tient toi prêt à t’en servir.
– Pouvons nous reprendre ? s’enquit doucereusement l’ase.
– A l’instant. » Répondit sèchement Siegfried en fondant de nouveau sur lui. Bård réfléchit le plus rapidement possible. Son frère avait l’intention de se servir de la serrure et de la clef. Mais comment ? Il comptait visiblement que l’adolescent le sache. Celui ci tourna nerveusement son anneau sans savoir quelle destination choisir. Cela aurait il une influence ?

L’aelfe combattait furieusement. Il n’aimait pas être moqué. Essayant de ne pas s’appesantir sur cet affront, il restait fermement concentré sur son adversaire. Il ne pensait pas avoir plus d’une chance d’offrir une ouverture à son demi frère. Voilà l’ouverture. Siegfried prit la corne de métal à deux mains et l’enfonça le plus profondément qu’il put dans le torse de Ull. « Maintenant ! » Cria-t-il à Bård. Ce dernier bondit, glissa la clef couteau dans la serrure corne et déverrouilla la porte que son frère ouvrit brutalement. L’ase, paralysé par la porte qui s’ouvrait en lui, roulait des yeux surpris. L’adolescent se demanda comment il pouvait continuer à vivre. Sur les côtés du chambranle se voyaient les organes de Ull. Siegfried s’empara de l’épée de son demi frère, découpa le coeur de l’ase, puis le jeta dans le monde qu’ils avaient ouvert. Un monde vide et encore plus neigeux que chez eux, où les blizzards semblaient maîtres et où le ciel était en permanence noir de nuages. Ayant accompli son oeuvre, l’aelfe referma la porte. Bård la verrouilla et récupéra son couteau, en même temps que son épée que Siegfried lui tendait. Ce dernier récupéra sa corne de narval, refermant le corps de Ull. L’ase resta un instant debout, puis chuta, face contre terre.

« Je croyais qu’il ne pouvait pas mourir, dit l’adolescent en câlinant les deux renardes qui venaient lui mendier un peu de tendresse après tant d’émotions.
– Il n’est pas mort, lui assura son frère. Mais sans son coeur, il est paralysé dans un état bien proche de la mort. Maintenant, son influence va décroître. » Comme en réponse aux propos de Siegfried, les ifs autour d’eux se mirent à perdre leurs épines. Mais, comme leur maître, ils ne mourrurent pas totalement, les troncs restant droits et bien vivants. La neige en revanche, se mit à fondre, laissant enfin place au printemps qui avait été tellement repoussé. « Si nous lui rendions son coeur, sa vie lui reviendrait elle ? s’enquit Bård qui avait décidé de profiter du fait que son frère acceptait de lui parler.
– Oui, confirma platement l’aelfe. As tu l’intention d’ouvrir de nouveau la porte pour lui rendre son coeur ?
– Non, répondit le garçon. Je n’ai pas envie qu’il recommence à tuer des gens pour s’approprier leurs pouvoirs.
– Moi non plus, convint son frère.
– Dans ce cas là, tout va bien ! » s’enthousiasma Bård, heureux de constater que tout n’était pas affrontement entre Siegfried et lui. Il avait du mal à réaliser qu’il avait atteint cet objectif pour lequel il s’entraînait depuis six ans. Il n’arrivait pas à se dire que tout était terminé, que Ull avait bien été mis hors d’état de nuire. Au dessus de la cime des ifs dépouillés, il pouvait voir Svart et Mørk dessiner des cercles dans le ciel. Les petites vanes renardes s’étaient blotties dans ses bras. Même Skade, qui avait été prête de répondre à l’appel de l’ase chasseur. Il ferma les yeux et leva la tête vers les rayons de soleil printaniers, pour laisser son visage s’en imprégner. « Bon ! s’exclama soudain l’adolescent. Où se trouve Fen ? »

Les ténèbres lui donnaient un fort sentiment d’isolement. Mais l’isolement ne lui faisait pas peur. Elle avait l’habitude d’être un loup solitaire. Elle flottait donc là, indifférente à son isolement. Etait ce donc à cela que ressemblait la mort ? Allait elle errer ainsi sans but pour toute l’éternité ? Elle était un peu déçue. Elle aurait espéré ou ne plus penser, ou passer à quelque chose de plus intéressant. Pas forcément de grandiose, comme participer aux festins du Valhalla, mais de moins terne en tous cas. De plus, elle éprouvait un peu de froid dans cette immensité sombre. Elle n’aurait plus rien du ressentir pourtant, si ? Quel ennui. Etre condamnée à ne faire que penser dans les ténèbres tout en ayant froid. Vraiment, cette perspective ne l’enchantait pas du tout. Elle dressa l’oreille. Du moins, métaphysiquement. Elle avait cru percevoir un bruit, dans cet environnement vide. Elle cessa donc de penser, attentive. Pendant un long moment, qu’elle ne put quantifier mais qui lui parut long, elle attendit en vain. Peu importe, se disait elle, puisqu’elle avait tout le temps d’attendre. Ce n’était pas comme si elle avait quelque chose de plus intéressant à faire, n’est ce pas ? De nouveau, elle perçut quelque chose. Elle avait bel et bien entendu un bruit. Mais son origine était difficile à déterminer.

Elle l’entendit de nouveau. C’était plus clair, cette fois. Fen crut reconnaitre une voix. Qui pouvait donc parler tout haut dans cette immensité sombre et vide ? N’était elle donc pas seule ? Elle tourna toute son attention dans l’attente d’un potentiel nouveau bruit. « Snob ! » s’exclama la voix. Voilà qui était surprenant. Fen décida d’essayer de diriger son esprit en direction de la voix. Allait elle parler de nouveau ? « Minable. » Entendit elle à sa grande satisfaction. Mais il ne s’agissait pas de la même voix. Elle était plus grave et plus posée que la première. « Espèce de poseur ! » Répartit la première voix. Elle semblait plus jeune. Fen hésita. Il lui semblait qu’elle connaissait cette voix. « Avorton. » Répartit la deuxième voix. Elle se rendit compte qu’elle la connaissait aussi, cette deuxième voix. En même temps qu’elle entendait ces voix de plus en plus distinctement, elle prit conscience de son corps. Elle possédait toujours son corps. Peut être avait elle survécu à Fenrir finalement. Elle se concentra et réussit à faire l’effort d’ouvrir les paupières.

Le nouvel environnement qui s’offrit à son regard était flou mais, au moins, il n’était plus enveloppé de ténèbres infinies. A présent elle entendait clairement les deux personnes qui se disputaient et posa instantanément des noms sur elles. Bård et Siegfried se trouvaient non loin d’elle et se chamaillaient. « Tu n’es qu’un arrogant ! » persistait l’adolescent. « Je n’ai pas besoin d’argumenter avec un sale gosse de ton espèce. » rétorquait l’aelfe. Les lèvres de Fen s’étirèrent en un sourire. Elle voulut se redresser, mais l’effort lui arracha un gémissement. Les deux frères cessèrent aussitôt de se disputer.

NaNoWriMo 2014 jour 18 : Bård

Siegfried se mouvait à une vitesse ahurissante, comme une ombre entre les arbres. Il savait enfin où il devait se rendre. En quittant Fen et les corbeaux, il avait dégainé la corne de narval que lui avait légué sa mère. Il savait que le manche du couteau de Bård était composé de la base de la même corne. En tant qu’aelfe, il avait quelques tours dans son sac. C’était d’ailleurs bien pour cette raison que Ull recherchait à dévorer son pouvoir. Siegfried avait ordonné à sa lame annelée de retrouver la part qui lui manquait. Et, docilement, sa corne recouverte d’acier le dirigeait dans la direction du petit couteau. Un mauvais pressentiment le pressait et l’aelfe courait en réponse. Tout à sa hâte, l’aelfe trébucha presque sur l’une des nombreuses meutes du maître de ce bois d’if. « Je n’ai pas le temps. » Déclara-t-il tout haut en se mettant à bondir de chien en chien, comme si c’était naturel. Lorsqu’il arriva à la hauteur des archers à cheval, sans qu’ils aient eu le temps de réagir dans l’intervalle, il trancha de deux coups précis les cordes des arcs ennemis et reprit sa course comme si de rien n’était. Toute la meute se mit à le poursuivre, mais il allait beaucoup trop vite. Il disparut bientôt à leurs yeux et à leurs truffes.

« Et je suis enchanté de te rencontrer Bård, fils de l’aelfe Doelyn. » La voix de Ull était profonde et veloutée. Il se montrait tellement enchanteur que l’adolescent oublia un instant qu’il était venu le punir de la mort de ses parents. Les deux renardes se firent toutes petites derrière son dos. « Je t’ai fait chercher pendant longtemps, reprit l’ase. Toi, mais aussi ton frère. » Il leva distraitement la tête, comme si il entendait un bruit. Il sourit. « Il est en chemin. Pour te retrouver je suppose. Ou me tuer. Ou les deux. Cet aelfe est plein de colère. » Ull soupira. « Mais je le tuerai avant qu’il ne me tue. Il a assassiné ma tendre Skadi… Elle devait être l’ultime sacrifice pour mon avènement en tant que sauveur de l’univers et, à présent, elle n’est plus. Quelle tristesse. » Une larme glissa sur le visage parfait de l’ase. « Il a aussi rendu Fenrir complètement fou. Mais de cela je ne peux pas lui tenir rigueur. Je ne sais, moi même, pas comment me débarrasser de ce monstre, c’est pourquoi j’ai été contraint de l’enchaîner dans ma forêt. Il se calmera bien. Toutefois, rares sont ceux qui réussissent à le mettre dans une telle rage. » L’ase planta son regard bleu acier dans celui de l’adolescent et lui tendit la main. « Vient à moi, mon garçon, vient participer à la plus grande oeuvre de ta vie. »

Hypnotisé, Bård commença à s’avancer vers la main tendue. Paniquée, Sylveig le mordit fermement à l’épaule. L’adolescent s’arrêta aussitôt en secouant la tête. « Qu’est ce… commença-t-il en regardant autour de lui d’un air hébété.
– Oh, mais voilà une jeune vane très vilaine, la gourmanda Ull. Cela ne se fait pas de se mordre entre sacrifices. » Le charme qui maintenait Bård était rompu grâce à la petite renarde. Il dégaina son épée magique fabriquée par le réputé forgeron des étoiles et son couteau à la lame effilée fabriquée par sa mère. « Venez à moi tous les trois, reprit l’ase. Je vous offre l’opportunité de participer à quelque chose de grand et de magnifique qui vous dépasse.
– Non, posa l’adolescent.
– Non ! Renchérirent les petites soeurs renardes.
– Non ? s’étonna Ull dont le regard s’attardait désormais sur les jeunes vanes. Comment pouvez vous vous allier au meurtrier de votre père ?
– Vous racontez n’importe quoi ! Repartit Sylveig.
– Oui, n’importe quoi ! Appuya Skade.
– Tiens, vous ne me croyez pas, sussurra l’ase chasseur. Dans ce cas là, contemplez et voyez si je vous mens. » De son couteau de chasse, il découpa un cercle de glace de l’étange gelé. Il s’en empara et le tint devant lui comme si il leur présentait un miroir. Alors qu’ils allaient tous les trois intervenir, des images se formèrent à la surface de la glace. Ils purent y voir Bård tirer des flèches en direction du vane renard qui avait essayé de les capturer quelques temps auparavant. Puis la sanglante mise à mort du vane par Fen.

« Tu es vraiment cruel de montrer cela à des petites filles, fulmina le garçon.
– Ce n’est pas moi qui suis cruel, corrigea Ull. C’est la vérité qui l’est. Je ne fais que la dévoiler. Insinuerais tu que tu préfèrerais cacher cette vérité à ces deux charmantes enfants ? Ne méritent elles pas de savoir ?
– Ce n’est pas ce que j’ai dit ! » S’emporta Bård. Depuis que le charme était rompu, cet ase commençait sérieusement à l’énerver. Les renardes avaient glissé par terre. Il devait absolument les convaincre. Il cria à Ull : « Tu détournes la vérité ! Tu avais envoyé ce vane nous capturer Fen et moi. Nous ne faisions que nous défendre, sans même savoir qu’il s’agissait de leur père. » Le regard ironique de l’ase l’insupportait. Il s’écria : « Sylveig ! Skade ! Il essaie de vous tromper ! C’est de sa faute si votre père aussi est mort ! » Un silence pesant accueillit sa déclaration. Il n’osait pas se retourner pour regarder la réaction de ses deux cadettes, de peur de rater un mouvement du chasseur. Il restait en garde, menaçant l’ase. Afin de paraître encore plus dangereux, il fit flamboyer l’épée du forgeron des étoiles. Une soudaine morsure au niveau de sa cheville lui fit pousser un petit cri de surprise. Il baissa les yeux. La renarde aux yeux bleus s’agrippait à sa prise en grondant. « Lâche moi Skade ! s’exclama Bård.
– Lâche le ! » renchérit Sylveig horrifiée. Elle se jeta sur sa soeur afin de lui faire lâcher prise. La renarde aux yeux bleus finit par laisser la cheville de l’adolescent. Il grimaça. Les dents étaient petites mais pointues ; il souffrait atrocement.

« Viens, viens à moi, enjoignit plaisamment Ull à Skade. Je t’accueillerai avec les autres créatures qui font à présent partie de moi. Nous ne ferons qu’un et nous nous vengerons de ce meurtrier qui a tué ton père. » Ces propos résonnèrent profondément en Bård. Meurtrier il l’était, oui. Il avait tué des gens et ces gens étaient venus le hanter dans son sommeil. Il perdit un instant de sa superbe. Il ne pouvait pas en vouloir à Skade de sa réaction : lui même avait tué l’assassin de son propre père. Il se demanda ce qui lui avait pris d’emmener deux fillettes innocentes avec lui. Bien que c’était Fen qui avait mis le vane renard à mort, il ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable. De même, il n’avait pas pu sauver leur mère. C’était en réalité plutôt elle qui l’avait sauvé en emmenant tous ses assaillants avec elle. Il ressentit soudain un profond dégoût pour lui même. D’un oeil torve, il contempla Skade aux yeux bleus se diriger lentement, avec timidité, vers Ull. A côté de lui, Sylveig geignait, ne sachant ce qu’elle devait faire. Il pensa de nouveau à cette scène où il s’était pareillemment trouvé impuissant : lorsque la vane renarde s’était laissée tomber de l’à pic. Avant, elle lui avait souri. Elle lui avait confié ses petites. C’était d’ailleurs pour aller les chercher dans le terrier qu’ils s’étaient attardés avant de prendre la fuite et que leur mère avait décidé de mener les chasseurs sur une autre piste, pour lui permettre de se cacher avec Sylveig et Skade.

Il secoua la tête. Il ne pouvait pas laisser la petite renarde se faire absorber par Ull. « Skade, appela-t-il faiblement. Skade, je te demande pardon de ne pas t’avoir dit que Fen et moi avions tué un vane renard. » La fillette sous forme canine s’arrêta d’avancer. « Je suis vraiment désolé d’avoir fait une chose pareille, reprit il. Je sais que je ne mérite pas ton pardon. Mes parents aussi ont été massacrés, tu sais. Alors, je sais exactement ce que tu ressents en ce moment précis. » La renarde baissa la tête. « J’ai tué le meurtrier de mon père. Je ne crois pas que cela m’ait rendu meilleur, si tu veux tout savoir. Mais je comprends ton besoin de sang. C’est pourquoi… » Il se laissa tomber à genoux, bras écartés. « C’est pourquoi je te laisserai prendre ma vie, si c’est vraiment ce que tu souhaites. » Un silence accueillit sa déclaration. Ull lui même se taisait, surpris. Skade se retourna, les yeux remplis de larmes. Bård lui sourit et leva la tête, lui offrant ainsi sa gorge sans défense. « Ne laisse personne se venger pour toi. Si tu dois tuer quelqu’un, fait le toi même. » Conclut il. A ces mots, la renarde se précipita sur l’adolescent, tous crocs dehors. Elle bondit. Mais au lieu de l’attraper à la jugulaire, elle lui mordit l’épaule en pleurant. Le garçon l’étreignit affectueusement d’un bras. Elle le lâcha et retomba à terre. Il lui caressa la tête avec tendresse tandis que sa soeur bondissait sur elle à grands renforts de câlins.

Bård se releva. Il époussetta soigneusement la neige sur ses genoux. Puis il leva les yeux sur l’ase qui assistait à la scène avec ennui, tout en se remettant en garde. « Tes artifices resteront vains contre nous, asséna-t-il.
– Vous préférez donc subir la méthode la moins douce, soupira Ull. Décidément, peu sont ceux qui comprennent qu’en me laissant absorber leurs pouvoirs, je pourrai sauver des millions de vies en évitant le Ragnarök. Vous êtes tous tellement égoïstes à ne penser qu’à vos petites personnes… Méprisable. Vous êtes tous méprisables. » Il fondit sur les petites renardes qui se consolaient l’une l’autre. Mais Bård veillait. Malgré une morsure à la cheville et une autre à l’épaule, il interposa sa lame flamboyante juste à temps sur le chemin de l’ase, qui dut changer de trajectoire si il ne voulait pas voir ses bras tranchés. Comprenant qu’il devait d’abord venir à bout du fils de Doelyn si il voulait s’emparer des petites vanes, Ull concentra sa puissance sur lui. Il s’empara de son grand arc en if qui lui barrait le dos et le banda.

NaNoWriMo 2014 jour 17 : Bård

– Ah oui, c’est vrai. » Tout à sa concentration pour se débarrasser de la meute de chiens, il en avait oublié le principal : sa blessure était la cause de leur poursuite. Estimant qu’il se trouvait suffisamment loin pour que le cavaliers ne risquent pas de lui tomber dessus à l’improviste, il redescendit au sol. Il s’agenouilla dans la neige et en prit de grandes poignées pour s’occuper de nettoyer son éraflure causée par la flèche de l’archer. Sylveig voulut lécher le sang qui coulait de la plaie, mais Bård la repoussa sans ménagement. « C’est pour aider à te soigner, argument la petite renarde aux yeux verts.
– Oui, cela nettoie bien, renchérit Skade.
– Cela se peut, mais ce qui donne une odeur si forte à ma blessure est peut être du poison, leur opposa l’adolescent. Et ce n’est pas le moment de s’empoisonner.
– Moi je pense que si c’était du poison, tu serais déjà mort, rétorqua Sylveig.
– Je suis peut être en train de mourir, répartit le garçon.
– Non, moi je pense que ces personnes là préfèrent poursuivre leur proie, intervint la renarde aux yeux bleus.
– Peu importe. » Conclut Bård.

Les deux soeurs durent se ranger à l’avis de leur aîné et se contentèrent dès lors de le fixer sagement tandis qu’il bandait sa blessure dûement nettoyée à la neige. Ceci fait, il testa la fixation du bandage. Satisfait, il confectionna plusieurs boules de neige souillées qu’il jeta dans plusieurs directions au hasard. Puis il se lava se nouveau les mains dans de la neige propre et commenta : « J’espère que ça sera suffisant. » Les petites renardes acquiescèrent. Elles s’installèrent de nouveau sur leur monture qui se remit en route. Encore une fois, l’adolesccent n’avait aucune idée de la direction à suivre qui le mènerait jusqu’à Ull. L’idée de se rendre aux archers l’avait effleuré. Si il s’était laissé capturer, ils l’auraient très certainement emmené devant leur maître. Mais il craignait de ne plus se trouver en mesure de tuer Ull si il était mené devant lui en tant que prisonnier. Il aurait probablement été désarmé, voire attaché. Sans compter que cette situation aurait potentiellement pu s’avérer très dangereuse pour Sylveig et Skade les petites vanes. Tant pis. Puisque Fen avait l’air de penser que Ull se tenait au centre de son propre bois d’ifs, Bård s’efforça de s’enfoncer du côté le plus touffu de la forêt.

« Il est vraiment difficile de discerner quoique ce soit, maître, déplora Svart.
– Peu m’importe, balaya Siegfried. Continuez de chercher Fen et cet imbécile de Bård.
– Bien maître. » Se plia le corbeau qui reprit son essort et retourna explorer la forêt d’ifs en compagnie de Mørk. L’aelfe progressait d’un bon pas entre les arbres. Contrairement à son frère, il ne se préoccupait pas de la piste qu’il pourrait laisser puisque les gens de sa race ne laissaient aucune trace en marchant, y compris dans la neige moelleuse ou la terre meuble. Sur le qui vive, il éprouvait une grande inquiétude. Il avait pu constater, lors de sa précédente visite, que plusieurs entités plus ou moins dangereuses parcouraient ces bois. Il espérait que le petit groupe mené par Fen n’avait pas fait de mauvaise rencontre. Il avait éliminé la géante Skadi, cela faisait un risque potentiel en moins. Sa conscience profita de ce moment pour lui souffler qu’il n’aurait jamais réussi à vaincre la femme au fouet si Bård ne l’avait pas handicapée avec son épée magique. Il refoula bien vite sa conscience avec une question d’un tout autre ordre : d’où tirait il, d’ailleurs, une si belle ouvrage ? Tant mieux pour lui si cela lui permettait de survivre à la cour des grands. Mais que n’avait il pu se tenir, ce petit arrogant… Cette revanche contre Skadi c’était à lui seul, Siegfried, de s’en charger. Cette tête brûlée avait bien failli en périr. Attirer ainsi sur lui l’attention d’une adversaire aussi dangereuse, fallait il être vraiment idiot. Comment Fen avait elle pu s’embarrasser d’un tel poids ? Cela le dépassait. La loyauté ne pouvait pas tout expliquer. Franchement.

« Maître ! l’interrompit Mørk dans ses réflexions. Venez vite ! » Siegfried réagit instantanément et se précipita derrière l’oiseau. Le spectacle que lui firent découvrir les corbeaux était macabre. L’aelfe ne voyait pas de mot plus juste. A part, peut être, morbide. Du sang maculait la neige et les troncs des ifs de partout, accompagné de poils arrachés et parfois même de lambeaux de peau. Une véritable mise à mort s’était tenue là. Malgré sa répugnance face à une telle boucherie, Siegfried s’accroupit à côté d’un corps à priori humanoïde et écarta la chevelure qui lui en dissimulait le visage. Il écarquilla les yeux. Cette personne, qui qu’elle fut, était le portrait craché de Ull. Voici donc ce qu’étaient les mystérieux archers qui menaient les nombreuses meutes de chiens de l’ase : des reproductions de lui même. L’aelfe se releva, balayant du regard l’étendue de cadavres des canins et des deux cavaliers qui les accompagnaient. Qui, ou quoi, avait bien pu commettre une chose pareille ? Certains des cadavres étaient partiellement démembrés et dévorés, ce qui excluait la possibilité que ce soit l’oeuvre de Fen. Elle ne se serait pas attardée après s’être débarrassée de ses ennemis. Et, surtout, le chien ne faisait pas partie de ses habitudes alimentaires. Quelque chose de très dangereux parcourait ces bois.

« Il y a une grosse empreinte, maître. » L’informa Svart. Siegfried s’approcha. L’empreinte était grosse, en effet. Et maculée de rouge. Apparemment, le responsable du massacre de la meute avait pataugé dans le sang de ses victimes. En l’étudiant rapidement, il en conclut qu’elle ressemblait à une empreinte de patte de loup. Mais d’un loup formidable. Encore plus grand que Fen. « Suivrons nous ces empreintes ? s’enquit le corbeau tandis que son frère Mørk becquetait des morceaux de viande du cadavre de l’un des chiens.
– Oui, acquiesça l’aelfe. Suivons les, mais prudemment. Je souhaite éviter une confrontation avec un monstre pareil. » Il espérait de tout son coeur que la vane et ses protégés se trouvaient loin de cette bestiole carnassière. « Mørk, nous y allons, insista-t-il en constatant que le deuxième corbeau ne semblait pas prêt à laisser un tel festin.
– Mais, toute cette viande… protesta l’oiseau charognard.
– Nous y allons. » Le ton de l’aelfe ne laissait pas de place au compromis. En ronchonnant, Mørk rejoignit son frère.

Les empreintes ensanglantées les conduisirent jusqu’à une clairière. En débouchant dans l’espace libre, Siegfried s’empara instantanément de sa corne de narval plaquée d’acier et bondit sur l’énorme bête qui venait de mettre Fen à terre. Fenrir rugit, furieux, et accorda toute son attention à cet aelfe importun qui l’empêchait de dévorer le pouvoir de cette vane qu’il venait de vaincre. « Ne sur estime pas ta force, petit être. » Gronda le grand loup noir en faisant claquer sa mâchoire. Mais Siegfried avait esquivé. Etant donné la taille de la bête qui l’empêchait d’être aussi vive que lui, il pouvait éviter facilement n’importe laquelle de ses morsures. En revanche, le tuer était une autre affaire. Il avait beau percer le cuir de l’animal encore et encore, cela ne semblait jamais être suffisant. Il décida de viser des endroits encore plus sensibles. En quelques bonds agiles, toujours poursuivi par des claquements de la mâchoire qui essayait de l’attraper au vol, il se trouva assez haut dans un arbre pour se laisser tomber sur l’horrible tête et lui planter sa lame torsadée dans l’oeil. Fenrir poussa un glapissement retentissant. Siegfried esquiva prestement une nouvelle tentative de morsure. La douleur paraissait avoir fait entrer le grand loup dans une fureur aussi noire que son pelage qui paraissait absorber la lumière. Le regard fou de son oeil valide cherchait l’aelfe en tous sens et de la bave commençait à bouillonner dans sa gueule. « Attention maître ! Cria Svart. Il devient berserk ! »

A présent totalement enragé, Fenrir se mit à tout détruire sur son passage. Siegfried estima qu’il était temps de s’en aller. Il glissa jusqu’à Fen, qui s’était toute recroquevillée en position humanoïde. Il ne savait même pas si elle vivait encore. La prenant dans ses bras, il esquiva un coup de patte furieux du loup noir, et s’en fut se réfugier dans le couvert de la forêt d’ifs. Tout en fuyant, il se demandait si le monstre était capable de détruire tous les arbres. Il espéra que ce serait le cas car, ainsi, il serait plus facile de mettre la main sur Ull. Mais aussi sur Bård. Si Fen était ici, où pouvait bien se trouver cet idiot ?

Avant toute chose, il devait se réfugier dans un endroit suffisamment isolé pour s’occuper de la vane. D’endroits isolés il n’y avait pas foison. Siegfried se contenta dès lors de s’arrêter lorsqu’il n’entendit plus les hurlements de rages de Fenrir. Il posa un genou à terre et se servit de ses jambes comme de support pour poser le corps inerte. « Montez la garde et restez vigilants. » Ordonna-t-il aux corbeaux qui obéirent aussitôt. Sans plus s’occuper d’eux, il tourna toute son attention sur Fen. Elle avait été grièvement blessée. Elle saignait de partout et respirait à peine. Mais, au moins, elle respirait. L’aelfe ne put retenir un souffle de soulagement. En revanche il devait la soigner rapidement, sinon elle risquait de mourir bientôt. Il jura. Normalement il n’avait pas le temps pour ça. Et Bård qui risquait de faire des bêtises plus grosses que lui tant qu’il ne l’aurait pas retrouvé… Son regard erra sur le visage de Fen. Il n’avait pas de temps à perdre et ne voulait pas la laisser mourir. Il cessa de réfléchir et se mit à l’oeuvre. En quelques minutes, il eût nettoyé et bandé les plus grosses blessures de la vane. Ceci fait, il balaya un carré de la neige, déposa une fourrure sur le sol ainsi libéré et coucha la blessée le plus confortablement qu’il le put. Il la couvrit d’une autre fourrure. Maintenant qu’il avait commencé à la soigner, il serait ironique qu’elle meure de froid. Il ne devait pas perdre une minute de plus. « Svart, appela-t-il.
– Oui maître ?
– Assure toi qu’il ne lui arrive rien pendant mon absence. » Le corbeau n’eût pas le temps de répondre que l’aelfe avait déjà disparu.

« Comment compte-t-il que j’accomplisse une chose pareille dans ce bois mal fréquenté ? » Ronchonna Svart.

Bård en avait assez de chercher Ull. Il en avait assez des ifs. Il en avait assez que Fen ne soit pas avec eux. Il en avait assez de fuir les meutes de chiens qu’il entendait de temps à autre. Il en avait assez que son frère le traite comme un moins que rien. Il ne savait pas depuis combien de temps il se trouvait dans cette forêt. Il avait juste envie de se retrouver chez le forgeron des étoiles et de manger un plat chaud de Beyla. Que lui dirait la louve si elle se trouvait avec lui, se demanda-t-il. Elle lui dirait probablement quelque chose de l’ordre de : si il ne venait pas à bout de Ull, il ne pourrait pas profiter de nouveau de passer un moment chaleureux dans la demeure des deux dvergs. De toutes façons, si ses deux parents étaient morts, c’était du fait de cet Ull. Il avait vu les sbires qui avaient tué son père et sa mère lui avait dit que l’ase l’avait assassinée. Et cela, il ne pouvait pas le laisser passer. Ull devait payer.

Le coeur plein de sombres pensées, il trébucha. Doté de bons réflexes, il attrapa une branche de justesse qui lui permit de tomber sur ses pieds. Il prit alors conscience qu’il se trouvait au bord d’un petit étang gelé et qu’il n’était pas seul. Un homme aux longs cheveux aussi noirs que sa moustache contemplait rêveusement la glace. Il était revêtu d’une tunique verte et d’une cape de fourrure au capuchon repoussé en arrière. Comme Skadi la géante, il possédait un grand couteau de chasse et un arc en if lui barrait le dos. En revanche, il ne possédait pas de fouet. A la place, une épée pendait à sa ceinture. Toute sa personne dégageait un pouvoir immense. Bård en resta bouche bée. Constatant qu’il n’était plus seul dans sa clairière à l’étang, l’homme tourna sa tête vers les trois jeunes intrus et leur adressa un sourire avenant. « Soyez les bienvenus chez moi. » Les accueillit le doux rêveur d’une voix chaleureuse. Il exsudait la bienveillance par tous les pores de sa peau. Du moins était ce là l’impression qu’il donnait à l’adolescent, qui se trouvait à deux doigts de se jeter dans ses bras. « Je me nomme Ull. »

NaNoWriMo 2014 jour 16 : Bård

Pas parce qu’elle comptait le délivrer, non. Son ton enjôleur ne la laissait pas dupe et elle trouvait qu’il lorgnait du côté de Bård avec beaucoup trop de convoitise à son goût. En revanche, elle hésitait sur la marche à suivre. « Qu’est ce qui me prouve que tu ne te mettras pas en tête de nous dévorer ? demanda-t-elle afin de gagner quelques précieuses secondes de réflexion.
– Ma reconnaissance, évidemment, lui assura Fenrir avec un aplomb inébranlable.
– Et que gagnerons nous en échange ? marchanda la louve.
– Ma loyauté indéfectible et je vous prêterai également assistance pour ce que vous êtes venus faire ici, quelle qu’en soit la raison. » La vane en était certaine, son protégé se trouvait en danger en présence de cet animal là. Après tout, ce ruban pouvait être assimilé à une laisse et ce loup noir pouvait tout à fait être une créature dévouée à Ull. Une chose, cependant, était certaine : jamais elle ne pourrait vaincre une telle créature en combat. Alors que son esprit fonctionnait à toute allure, Bård intervint, épée flamboyante dégainée.

« Je ne te fais pas confiance, lança l’adolescent. Je pense, moi, que si tu te trouves attaché, ce doit être pour une bonne raison.
– Le crois tu, petit d’homme arrogant ? s’enquit mielleusement Fenrir.
– Recule Bård ! » S’écria Fen. Alors que celui ci bondissait sur le côté, elle prit sa forme lupine pour bousculer le loup noir dont la mâchoire immense claqua dans le vide. « Prend les petites et va-t-en, ordonna-t-elle au garçon tout en faisant face à Fenrir.
– Mais… commença-t-il.
– Fait ce que je te dis ! » rugit la louve. A son grand soulagement, il obtempéra et battit en retraite avec les renardes, disparaissant rapidement tous les trois dans la forêt. Le grand loup noir s’esclaffa d’un rire qui semblait provenir d’outre tombe, avant de demander :

« Penses tu réellement que tu pourras m’empêcher de mettre la patte dessus ?
– Je te retiendrai le temps qu’il lui faudra pour se mettre hors de ta portée, répondit la vane sur un ton résigné. Ainsi, tu ne pourras pas l’emmener à ton maître.
– Mon maître ? répéta Fenrir. Je n’ai pas de maître, juste un geôlier. Non, je compte vraiment garder cette proie pour moi seul. Je pourrai néanmoins la partager avec toi, si tu consentais à rester à mes côtés.
– Et bien tu ne feras ni l’un ni l’autre, l’informa Fen avec hauteur. Une fois qu’il sera suffisamment loin, tu seras retenu par ta chaîne enrubannée.
– Ne t’en fait pas pour si peu, cette chaîne me permet d’aller où bon me semble dans toute cette forêt.
– Peut être, mais tu ne pourras plus le pister avec ton odorat. Dès lors, il lui sera très facile de se dissimuler.
– Il est vrai que cette envahissante odeur d’if est gênante, concéda le loup noir. Il reste donc juste à voir si tu es capable de me retenir suffisamment longtemps. »

Sur ces mots, il montra les crocs et bondit sur la louve. Malgré qu’elle soit bien plus petite que lui, elle avait de quoi lui répondre. Plusieurs fois elle parvint à se suspendre à la gorge de son ennemi, à la recherche de la veine jugulaire. Mais, à chaque fois, Fenrir parvint à la repousser. Il finit par remarquer la faiblesse qu’avait Fen à la patte où le renard l’avait mordue et commença à prendre sérieusement le dessus. De plus, son haleine glaçante pénétrait la fourrure de la vane et de subir un tel froid l’affaiblissait d’autant plus. Elle se retrouva bientôt avec sa fourrure poisseuse de sang, recouverte qu’elle était des blessures infligées par les redoutables crocs de Fenrir. Elle l’avait blessé également, mais ses crocs à elle paraissaient manquer d’efficacité sur le cuir épais de son opposant. « Je vais me faire un plaisir de te tuer avant de chasser ton petit, se réjouit le loup noir avec expectative.
– Il doit déjà être hors de ta portée, rétorqua la louve en haletant.
– Ah, les mères qui se sacrifient pour leurs enfants, quelle chose admirable. » Ironisa Fenrir. Il attrapa Fen par l’échine et la jeta par terre. Elle luttait contre l’évanouissement et seule la douleur l’empêchait de sombrer totalement. Sa conscience s’effilochait. Elle espéra alors que Bård avait véritablement réussi à se mettre hors de la portée du cruel loup noir. Elle avait promis à Sigurd qu’elle protègerait son fils si il lui arrivait quoique ce soit. Elle espéra que, désormais, il n’aurait plus besoin d’elle, car elle sentait sa vie s’échapper et savait qu’elle ne pourrait plus le protéger. Son grand corps de louve lui demandant trop d’énergie, elle se métamorphosa inconsciemment dans sa forme humanoïde, qui se recroquevilla en position foetale. Toujours dans cet état de semi conscience où elle ne parvenait pas à différencier le rêve de la réalité, elle se demanda si elle était déjà morte ou pas encore. Après avoir vaillamment lutté pour maintenir sa conscience, elle sombra dans les ténèbres.

Pendant ce temps, Bård fuyait de toutes ses forces. Les petites renardes avaient pris appui sur son sac à dos de leurs pattes arrières et s’agrippaient fermement à ses épaules afin qu’il puisse garder ses mains libres. Et de ses mains, il en avait rapidement eu besoin. Après avoir réfléchi qu’il laissait une piste trop visible à suivre dans la neige s’il venait à être poursuivi, que ce soit par le grand loup noir ou n’importe quoi d’autre de dangereux, il s’était vivement hissé sur les branches d’un if. Puis, il avait continué sa course dans les arbres. Même sans se montrer aussi agile que son aelfe de frère, il conservait une cadence hors du commun. Il s’arrêta un moment pour reprendre son souffle : ses poumons le brûlaient. Les deux petites soeurs s’employèrent à lui lécher consciencieusement les oreilles en vue de le réconforter. Toujours un peu apeurées, elles laissaient de temps à autre échapper un petit geignement. « Tout va bien. » Les rassura-t-il brièvement. De cela, il n’en était pourtant pas certain. Si il réussissait à se montrer habile à semer qui que ce soit, comment Fen le retrouverait elle ? Il regrettait de l’avoir laissée seule face à un ennemi. Mais il y avait eu un tel sentiment d’urgence dans sa voix lorsqu’elle lui avait intimé de s’en aller… Il n’avait pu que lui obéir. Il éprouvait beaucoup d’admiration pour la louve. En ce moment encore plus que d’habitude : comment comptait elle se dépêtrer du grand loup noir, telle était son interrogation. Si elle arrivait à accomplir l’exploit de le vaincre, nul doute qu’elle parviendrait à trouver une astuce pour les retrouver dans les bois, ses petites renardes et lui.

L’adolescent reprit sa progression d’arbre en arbre. Plus lentement, mais aussi avec plus de détermination. Il venait de décider qu’il trouverait Ull lui même. Si Fen pouvait battre ce Fenrir, alors lui pouvait vaincre cet ase. Et même si elle trouvait juste une astuce pour ne pas avoir à terrasser son adversaire, lui pouvait trouver une astuce pour débarrasser tout le monde de Ull et montrer qu’ainsi il méritait le respect de tous. Sa mère avait dit qu’il devrait agir de concert avec son frère. Et bien, si Siegfried se trouvait si fort que cela et qu’il voulait sa part de victoire, il n’avait qu’à le retrouver avant que lui même, Bård fils de Sigurd l’humain et Doelyn l’aelfe, ne défasse Ull de ses propres mains. Ses fantasmes de grandeur furent interrompus par des aboiements. Il s’arrêta un moment. Sylveig et Skade dressèrent également les oreilles. « Ils se rapprochent… » Gémit Skade. Sa soeur aux yeux verts signifia son approbation avec force hochements de tête. Le garçon ne réfléchit pas longtemps. Comme il ne pouvait pas rebrousser chemin et que les aboiements provenaient de sa droite, il continua tout droit. Bientôt il s’arrêta de nouveau. Il ne se montrait pas très inquiet vis à vis des chiens. Il y avait de grandes chances qu’ils ne se rendent même pas compte de sa présence. Si même Fen et les renardes ne parvenaient pas à utiliser leur odorat à cause des ifs, aucun chien n’y arriverait non plus. Par contre, il se pouvait que ces chiens ne soient pas seuls et s’ils étaient accompagnés de personnes, elles pourraient avoir l’idée de regarder en l’air et de l’apercevoir.

Il s’arrêta de nouveau. Et si ces chiens étaient une meute de chasse appartenant à Ull ? Il lui suffirait de les suivre pour le trouver, n’est ce pas ? « Surtout, quoiqu’il se passe, ne faites pas un bruit. » Enjoignit il aux renardes. Sur ces mots, il rebroussa chemin. Il sentit Skade se crisper. Il bondit lestement de branche en branche jusqu’à voir les chiens. Il resta tout de même suffisamment loin afin qu’ils ne l’entendent pas. Car, comme les fillettes sur son épaules, il savait qu’ils avaient l’ouïe fine. Il pu dénombrer une vingtaine de chiens, encadrés par deux chasseurs à cheval. L’un des deux était il Ull ? Il se remémora alors Skadi, la femme géante au fouet contre laquelle combattait Siegfried. Il se dit que l’ase devait être plus grand que ces deux là, qui paraissaient avoir taille humaine. Après, l’étaient ils ou non, c’était difficile à dire à cause de leurs capuchons qui dissimulaient leurs visages dans l’ombre. Il suivit la meute et les cavaliers aussi rapidement qu’il le pouvait. Heureusement, dans un bois aussi dense, les chevaux ne pouvaient galoper très vite.

Il glissa et se rattrapa de justesse. Mais Sylveig émit un petit glapissement de surprise qui fit dresser l’oreille des deux cavaliers. Ils arrêtèrent leurs chevaux et rappellèrent leurs chiens. Tandis que Bård s’efforçait de rester immobile, à moitié dissimulé par les branches, la meute commença à chercher une proie éventuelle tout autour de son arbre. De même, les cavaliers cherchaient l’origine du bruit qu’ils avaient entendu de tous les côtés. « Là ! » S’écria soudain l’un des deux en désignant l’adolescent du doigt. Le garçon jura et tourna le dos pour s’enfuir. Il entendit les galopades et les aboiements le suivre, puis les premières flèches commencèrent à siffler à ses oreilles. Il s’efforça de mettre le plus de troncs et de branches possible entre les flèches et lui même. Une douleur ne lui en déchira pas moins le bras gauche. Heureusement, le projectile n’avait fait que lui entamer le bras sans se ficher dedans. Il n’en avait pas moins écopé d’une profonde estafilade. A peine fut il blessé que les chiens aboyèrent de plus belle. Les flèches ne sifflaient plus, mais il ne paraissait pas réussir à semer les chiens. « Bård, l’interpella Sylveig, tu dégages une forte odeur.
– Oui, une odeur facile à suivre. » Renchérit Skade. Cette dernière se pencha sur le bras blessé et reprit : « Cela devait venir de la flèche, les chiens suivent ta blessure.
– Quelle plaie ! » S’exclama l’adolescent.

A présent tout était limpide : il devait absolument se débarrasser de la meute. Il força encore son allure autant que possible, même si il risquait de s’en rompre le cou, afin de prendre un peu d’avance. « Que vas tu faire ? » S’enquit Sylveig. Bård ne répondit pas et continua de courir et de bondir de plus belle. Lorsque enfin il aperçut un gros rocher jaillir du sol de la forêt, il sauta légèrement dessus et se tourna pour faire face aux chiens. Faisant pivoter son anneau sur la rune de l’eau, il pointa son épée sur le rocher et tourna la tête de loup du pommeau. Un puissant jet d’eau survint qui créa une étendue d’eau tout autour de lui en seulement quelques secondes. Au moment où tous les chiens hurlant et aboyant furent entrés dans l’onde, il fit tourner l’encoche de son anneau devant la rune de glace, gelant l’eau jaillissante. Il poussa un soupir de soulagement en même temps que les membres de la meute se mirent à glapir et à geindre. Son stratagème avait fonctionné : il avait emprisonné les pattes des chiens dans la glace. L’adolescent ne s’attarda pas : il n’avait aucune envie de se trouver de nouveau confronté aux deux cavaliers mystérieux. Il grimpa de nouveau dans un arbre, et s’en fut mettre le plus de distance entre lui et eux. Suivre la meute pour retrouver Ull ne s’était finalement pas avéré une si bonne idée que cela. « L’odeur de ta blessure est toujours très forte. » L’informa Skade.

NaNoWriMo 2014 jour 9 : Bård

La femme de Nurri suivit le petit groupe dehors et, intriguée, elle s’enquit auprès de son mari : « Que se passe-t-il ?
– Ces deux idiots veulent se battre pour récupérer le droit d’utiliser tout l’héritage de Dame Doelyn, expliqua le dverg.
– Je croyais que ce n’était pas possible, dit Beyla.
– Cela ne l’est pas et si tu veux mon avis, ronchonna le forgeron des étoiles, l’esprit de chacun de ces deux là est aussi éclairé qu’une lanterne sans huile…
– Oh Svart, il va y avoir un combat on dirait, se réjouit Mørk. Crois tu qu’il ira jusqu’au premier sang ? Ou alors peut être que ce sera un combat à mort ?
– Tait toi Mørk. » Soupira le premier corbeau excédé.

Fen gardait à présent le silence, de même que les deux frères non corbeaux. Ces derniers se mettaient solennellement en place l’un en face de l’autre, tandis que la vane, en reprenant sa grande forme lupine songeait que son petit protégé était encore à des centaines d’années d’entraînement avant de pouvoir rivaliser avec un aelfe. Il allait se faire manger tout cru. Restait à savoir si Siegfried comptait l’épargner. Rien n’était moins sûr. Pour lui les humains n’étaient que fourmis et, bien que Bård soit à moitié aelfe, son grand frère n’était pas prêt à le considérer comme tel. La louve soupira intérieurement, de son point de vue il n’y avait qu’une solution pour mettre fin à cette farce stupide. Il devait probablement exister des solutions plus intelligentes et moins douloureuses que celle qu’elle avait en tête, mais elle n’allait pas avoir le temps de réfléchir plus avant. Elle se tint prête.

« Tient toi prêt, humain, à mon signal. » Prévint l’aelfe. Mais Bård n’avait pas l’intention de se laisser dicter sa conduite et, tandis qu’il se ruait sans attendre sur son grand frère en hurlant, Fen eût l’impression de voir Sigurd. Elle se rendit compte que Siegfried s’apprêtait à le cueillir de sa corne de narval effilée et glissa pour s’interposer juste à temps entre les deux belligérants. Elle glapit de douleur alors que la lame du petit couteau s’enfonça dans son flanc gauche et que la corne recouverte d’acier perça profondément son épaule droite. Ces deux lames avaient été forgées par une aelfe sous la direction d’un grand forgeron dverg ; elles étaient donc tout ce qu’il y a de plus capables de blesser un vane.
« Fen ! s’écrièrent d’une même voix les deux frères.
– Tiens, en v’là une autre avec l’esprit aussi éclairé qu’une lanterne sans huile… » Commenta Nurri atterré. Sans répondre sa femme se précipita dans leur maisonnette. Bård était dévasté d’avoir blessé sa protectrice. En réalité, la lame de son couteau n’était pas très longue et le cuir de la louve épais, il ne lui avait donc causé qu’une estafilade qui saignait à peine. Mais cela lui suffit pour paniquer, il rangea vite son arme, mit de la neige sur la blessure et courut devant la louve pour se blottir contre son poitrail en pleurant des excuses. Elle s’efforça de consoler son petit protégé à grand renfort de caresses et s’aperçut que l’aelfe paraissait tout aussi ébranlé. Hébété, il contemplait alternativement et avec horreur sa lame de laquelle gouttait le sang de la vane et la blessure de cette dernière. Il adressa à la louve un regard hanté. « Fen… » murmura-t-il d’une voix rauque qui avait perdu de sa superbe. « Idiote… »

Quoiqu’il allait dire ensuite, il fut interrompu par le retour de Beyla qui apportait des linges propres. La femme de Nurri poussa sans ménagement Siegfried afin de nettoyer la blessure de la vane à grand renfort de neige et de la bander soigneusement. Le forgeron des étoiles, quant à lui, s’était mis à bourrer une pipe comme s’il ne s’était rien passé et l’alluma. Il soupira d’aise. « Bien ! s’exclama-t-il. Maintenant que vous avez fini de jouer aux imbéciles, tous autant que vous êtes, peut être daignerez vous écouter mes explications sur l’utilisation de la serrure et de sa clef. Après tout, j’ai seulement participé à leur confection alors que vous pas du tout, du coup je ne sais pas si il est très important de m’écouter. » Si l’aelfe se sentit piqué par la moquerie, Bård la sentit bien méritée.

Aucun des deux frères ne répondit et le forgeron des étoiles prit ce silence unanime pour un accord. Il s’avança alors vers Siegfried et lui prit la corne de narval des mains. Il nettoya soigneusement la lame du sang dans la neige et l’essuya délicatement sur sa tunique. Puis il rendit l’arme à l’aelfe en lui déclarant : « Maintenant que vous avez tous les deux revêtu vos anneaux, je vais vous expliquer comment tout cela fonctionne. Comme je le disais précédemment, l’aîné possède la serrure qui peut aussi lui servir d’arme et son anneau décide de la taille de la porte. » Siegfried jeta un coup d’oeil curieux à son anneau. « Quant au second, continuait Nurri, possède la clef et son anneau décide de la destination. » Toujours collé à Fen qui restait couchée dans la neige, Bård contemplait le sien. « Vous devriez essayer. » Les enjoignit le dverg.

L’aelfe murmura : « Une serrure… » Il fit miroiter la lumière du soleil couchant sur l’acier qui recouvrait la corne, puis la brandit et, avec un cri, l’enfonça profondément dans l’un des arbres noueux qui encadraient la maison du forgeron des étoiles. Autour de la corne, qui s’était mise à briller le long des annelures, se dessinèrent les contours d’une porte éthérée. Le dverg s’approcha alors du second fils. « Tu avais remarqué les runes sur ton anneau, lui dit il. Dame Doelyn m’avait spécifié que pour votre premier essai, tu devrais pointer ton anneau sur la rune du Don.
– Laquelle est ce ? » s’enquit le garçon qui ne savait pas lire les runes. Nurri lui indiqua un symbole qui faisait un grand X. L’enfant tourna l’anneau mobile jusqu’à ce que l’encoche indique la rune en question. Le manche de son couteau se mit à briller en réponse. Il s’approcha de son frère et constata que la base de sa corne de narval possédait un creux. Une fente juste de la taille de son couteau. Après un regard méfiant du côté de l’aelfe, il inséra sa clef dans la serrure et déverrouilla la porte éthérée. Il prit ensuite une inspiration et tira la porte.

Celle ci ouvrit l’arbre sur un jardin verdoyant. Bård en eût le souffle coupé. Il reconnaissait le petit parc de son rêve, là où il avait rencontré sa mère. L’aelfe tenait de garder un semblant d’impassibilité, mais lui aussi était ébranlé par cette vision. Après une hésitation, il passa la porte pour entrer dans le jardin. Son petit frère lui emboita le pas. En passant le pas de la porte, il constata que l’arbre était devenu tout entier ladite porte et qu’il en voyait l’interieur en la traversant. Une fois dans le jardin, le garçon soupira d’aise. Il avait quitté l’ambiance froide et métallique de l’hiver pour se retrouver dans la douce chaleur printanière qui régnait dans ce petit écrin de paradis. Il ferma les yeux et inspira profondément les riches odeurs de fleurs et de fruits. Il perçut alors, au milieu des autres senteurs, le parfum caractéristique de la pêche. Il se souvint du banc sous le pêcher où il avait discuté avec sa mère. Il rouvrit les yeux et chercha rapidement le banc en question du regard. Son frère se tenait déjà devant, à contempler les pêches qui dansaient dans la légère brise. Bård s’approcha timidement. Il n’oubliait pas que Siegfried avait voulu le tuer à peine quelques instants auparavant. Il jeta alors un coup d’oeil en arrière et puisa un peu de courage en constatant que Fen les surveillait de l’autre côté de la porte.

« As tu aussi discuté avec elle lors de ses derniers instants ? » S’enquit il avec circonspection. L’aelfe hocha affirmativement la tête. Le garçon trouva ce semblant de réponse encourageant et chercha à toute allure quelque chose d’autre à dire. A ce moment là il repéra une feuille de papier fixée au banc. « Regarde, dit il à son frère, elle nous a certainement laissé un message.
– Elle m’a laissé un message, corrigea Siegfried avec un peu de sa morgue retrouvée.
– Que dit il ? s’enquit Bård qui refusait de se laisser démonter mais qui ne savait pas lire les mots aelfiques.
– Cela ne te regarde pas. » Lâcha l’aîné. Sur ces mots il tourna les talons et se dirigea vers la porte. L’enfant s’empara du papier, en se disant qu’il trouverait bien quelqu’un qui accepterait de le lui lire, et courut après son frère. « Je veux récupérer ma corne. » Déclara l’aelfe une fois qu’ils furent tous deux sortis du jardin. Comme il ne voyait pas d’intérêt à laisser la porte ouverte, même pour faire enrager son grand frère dédaigneux, il la reverrouilla et récupéra son couteau clef, libérant ainsi la serrure de Siegfried. Ce dernier récupéra son bien et, sans un mot, commença à s’en aller.

« Maître maître ! l’appella Mørk en volant derrière lui. Ne deviez vous pas le tuer ?
– Je n’ai aucune gloire à tirer de la mort d’un humain, répondit l’aelfe en crachant le dernier mot comme s’il s’agissait d’une insulte.
– Vous allez le laisser vivre alors ? Vous êtes vraiment généreux maître ! » gloussa le corbeau. Svart leva les yeux au ciel avant de prendre son envol pour suivre ses deux compagnons.

Lorsque l’aelfe et les corbeaux se furent engloutis dans les bois, de l’autre côté du lac gelé qui entourait la maisonnette du forgeron des étoiles, Bård demanda à sa grande protectrice : « Pourquoi ne me déteste-t-il autant ?
– Parce qu’il est un peu idiot parfois, répondit la louve en découvrant ses crocs dans un sourire moqueur.
– Je ne lui ai rien fait, insista le garçon qui voulait comprendre et, surtout, qui se sentait blessé par ce rejet.
– Il s’est mis dans la tête qu’il haïssait les humains, expliqua la vane plus sérieusement.
– Oui, j’avais bien compris ça, continua l’enfant. Mais je n’y suis pour rien si je suis humain. Et en plus je suis à moitié comme lui.
– Je le sais bien, soupira Fen. Mais tu as un frère têtu. Il lui faudra longtemps pour accepter ton existence.
– Si tant est qu’il l’accepte un jour, précisa Nurri qui faisait des ronds de fumée.
– Ne dit pas des choses aussi horribles ! le gronda Beyla. Propose leur plutôt de venir se réchauffer à la maison pour se remettre de toutes ces émotions. » Sur ces propos, elle suivit son propre conseil et partit se réfugier dans son foyer.

« Vous l’avez entendue, ronchonna le dverg. Voulez vous venir vous réfugier un moment chez nous ? J’imagine que vous pourriez peut être même y passer la nuit plutôt que de rester dehors dans le froid.
– Ce serait avec plaisir. » Accepta Fen à la grande joie de son protégé. Elle se leva et se métamorphosa de nouveau dans sa forme humanoïde pour pouvoir entrer dans la maisonnette. Ce faisant, elle perdit le bandage qu’avait confectionné la femme de Nurri pour sa forme lupine. Elle le ramassa en grimaçant, alors que sa blessure à l’épaule se remettait à saigner.

« Ca va aller Fen ? s’inquiéta Bård.
– Oui, tout va bien, ne t’en fait pas » Le rassura-t-elle en franchissant le pas de la porte. Une fois à l’intérieur, elle se dirigea vers Beyla et lui tendit le linge maculé de rouge qui avait servi de bandage. « Merci beaucoup de cette attention, et désolée pour le sang, dit elle à la petite dverg.
– Mais de rien c’est tout naturel, balaya la femme du forgeron. Voyons, regardez vous, vous recommencez à saigner ! Cette blessure est très profonde, il ne faut pas la négliger ! Allez, tenez, installez vous là, que je vous soigne de nouveau. » La vane obéit et s’assit docilement sur la chaise que lui désignait la dverg. Ceci fait, cette dernière découvrit son épaule et entreprit de nettoyer la plaie de nouveau avant de la bander une deuxième fois. « Vous devriez éviter de trop changer de forme dans les jours qui viennent. » Conseilla Beyla. Fen fit une grimacce en grommelant. « Je suis sérieuse, insista la soigneuse. Il faut que le bandage reste en place un moment pour que ça soit utile.
– Elle a raison, appuya le garçon. Il faut te ménager un peu.
– D’accord, d’accord. » soupira la louve.

Si même le petit d’homme qu’elle était sensé protéger s’y mettait, elle ne pouvait que capituler. Elle lui ébouriffa les cheveux de son bras valide. Prenant ce signe d’affection pour une invitation, Bård se glissa sur les genoux de la vane. Celle ci, d’abord surprise puisque c’était la première fois qu’une telle chose arrivait, se fendit d’un léger baiser sur la tête de l’enfant. En réponse, celui ci se blottit. Puis il lui présenta le papier qu’avait laissé sa mère sur le banc du jardin. « Pourrais tu me lire ceci ? » lui demanda-t-il. Elle jeta un rapide coup d’oeil au message et acquiesça. Elle s’éclaircit la voix et se mit à lire :

« Mes chers enfants,

tout d’abord je vous présente mes sincères excuses. Mes actions vont vous causer de l’embarras, si ce n’est pas déjà fait. Je n’ai malheureusement pas le temps d’entrer dans les détails, mais pour en venir au fait, je me suis attirée les foudres de l’ase Ull.

“En fait, comme les vanes, les ases peuvent absorber le pouvoir des créatures qu’ils tuent. Et, dans sa vanité, Ull a décidé de s’élever en héros, demandant à tous de lui délivrer des créatures puissantes dont il pourra absorber le pouvoir. Il espère ainsi être le vainqueur du Ragnarök, la fin du monde, avant même le commencement du Ragnarök et il pense qu’ainsi, le monde ne finira pas. Grâce à lui.

“Dans sa quête de puissance, il courtise les femelles de chaque espèce, leur promettant de leur laisser la vie sauve si elles lui donnent leurs nouveaux nés afin qu’il puisse s’en abreuver. Etant acculée, je n’ai pu qu’accepter sa proposition lorsqu’il est venu à moi. J’étais alors enceinte de Siegfried. Je me suis dit que je trouverai un moyen de protéger mon nourrisson à venir.

“A sa naissance, je l’ai confié à son père et je me suis rendue au devant de Ull pour lui annoncer que, malheureusement, j’avais fait fausse couche. J’ai fait de même ensuite avec Bård : je l’ai confié à son père. Mais cette fois, Ull ne m’a pas crue et il s’en est fallut de peu que j’en réchappe. J’ai passé les années suivantes à fuir et à continuer d’acquérir les connaissances de Nurri, que je surnomme le forgeron des étoiles. Il a accepté de me cacher et de m’enseigner ce qu’il savait.

“Depuis que j’ai été enceinte de Bård, j’ai utilisé tout mon art, mêlant mes connaissances aelfiques et mes connaissances dvergars pour vous confectionner des cadeaux. Si vous lisez ce message, c’est que vous les avez trouvés et je m’en réjouis. De même, cela signifie que vous avez trouvé de quoi vous entendre et il n’en faut pas plus pour combler mon coeur de mère.

“En tous cas, je vous mets en garde : Ull va vous traquer. Il va vouloir récupérer la puissance dont je l’ai privé en lui dissimulant vos naissances. C’est pourquoi je vous ai confectionné cette serrure et cette clef. Elles ouvrent des portes vers d’autres mondes, et chacun de ces mondes correspond à une rune. Si vous oeuvrez ensemble, vous serez à même de vous débarrasser de l’influence néfaste de Ull. Car, quoique lui fasse miroiter sa vanité, Ragnarök arrivera et il se passera ce qui doit se passer sans qu’il n’y puisse rien changer.

“Bon courage pour vos épreuves futures, mon coeur saigne de savoir que je ne serai plus là pour vous protéger, bon courage à vous deux mes chéris, je vous aime.

“Doelyn votre maman. »

Lorsqu’elle s’arrêta de parler, Fen se rendit compte que son protégé ne parvenait pas à retenir ses larmes. « Il m’a menti, sanglota-t-il. Siegfried m’a menti.
– Comment cela ? s’enquit la vane.
– Il m’a dit que le message ne concernait que lui, expliqua l’enfant d’une voix entrecoupée de pleurs. Alors qu’elle me parlait à moi aussi et j’ai failli ne pas récupérer la lettre. Dans ce cas là je n’aurai jamais su ce que mère voulait me dire ! » La louve serra contre elle le garçon de son bras valide et le berça pour l’apaiser. « En plus maintenant il est parti, alors qu’elle nous dit bien que nous devons rester ensemble. N’est ce pas ? Elle a dit que nous devions oeuvrer ensemble pour nous défaire de l’influence de Ull. Mais maintenant qu’il est parti, comment vais je faire ? Je ne suis encore qu’un petit garçon et…
– Chut, l’interrompit Fen. Chuuut, calme toi. Tout se passera bien, même si ton frère a décidé de s’en aller pour le moment. Et puis regarde, je suis toujours là, moi. Nous trouverons des solutions ensemble, ne t’inquiète pas, petit d’homme.
– Oui tout à fait ! Appuya Beyla qui avait terminé de panser la vane. Ce qu’il vous faut à tous les deux pour le moment, c’est un bon dîner ! »

L’entrain de la dverg était si communicatif que Bård esquissa un sourire. Nurri, quant à lui, semblait d’humeur maussade. La lecture de la lettre de Doelyn paraissait avoir sabré son moral. Heureusement, pour lui comme pour les autres, le dîner de Beyla lui rendit un semblant de bonne humeur. Elle leur servit un ragoût de fèves et de mouton, dont la chaleur courut de leurs bouches à leurs estomacs en les laissant dans une bienheureuse félicité. En hôte attentionnée, la femme du forgeron des étoiles avait même donné à Fen non pas de son ragoût, mais un gigot de mouton cru tout entier. Reconnaissante, la vane fit l’effort d’utiliser des couverts pour engloutir sa viande.