NaNoWriMo 2014 jour 19 : Bård

Bård n’avait pas attendu. Lorsque l’ase s’était emparé de son arc, il s’était empressé de placer l’encoche de son anneau sur la rune du bouleau. Quand la flèche fusa dans sa direction, son épée était devenue un bouclier de bois dans lequel elle se ficha. « Ta magie ne fait que retarder l’inévitable, l’informa Ull de sa voix de velour.
– C’est ce que tu crois ! » Fanfaronna l’adolescent. Toujours armé de son bouclier de bouleau, il fondit sur l’ase pour le trancher avec son couteau. Ull l’esquiva sans mal. Ils continuèrent ainsi leur ballet, évitant les coups l’un de l’autre avec plus ou moins de bonheur. L’ase ne paraissait faire aucun effort, contrairement à son jeune adversaire. « Tu ne t’en sortiras pas aussi facilement, lança Bård d’un ton bravache bien qu’haletant.
– Je n’ai pas besoin de me sortir de quoique ce soit, répondit chaleureusement le chasseur. Et je doute fort que tu puisses m’infliger une quelconque éraflure, malgré tes jolies babioles magiques.
– Tu es trop sûr de toi. » Sur cette assertion l’adolescent, qui avait repris son souffle, se lança de nouveau à l’attaque.

Le combat s’éternisait beaucoup trop, le garçon en avait conscience. Il ne pourrait jamais tenir la cadence aussi longtemps que son adversaire. Surtout qu’il lui semblait que Ull jouait avec lui comme un adulte bienveillant joue avec un enfant. Un jeu dangereux néanmoins, car si l’adolescent n’y prenait pas garde, il risquait de mourir. L’ase s’arrêta soudainement. « Nous devrions arrêter là nos simagrées. Rend toi à présent.
– Jamais ! Cracha Bård avec toute la témérité aveugle que lui conférait sa jeunesse.
– Puisque c’est vraiment ce que tu veux. » Ull soupira. Il tira une nouvelle flèche sur le garçon qu’il para avec son bouclier de bouleau. Sylveig cria. La flèche était en réalité un leurre car, lorsque Bård jeta un nouveau coup d’oeil au dessus de son bouclier, l’ase était déjà sur lui, brandissant son long couteau de chasse. Les yeux du garçon eurent à peine le temps de s’écarquiller qu’une masse bouscula Ull et roula par terre avec lui.
Les deux belligérants se retrouvèrent presque instantanément sur leurs pieds. L’adolescent se trouva presque heureux de constater que son frère venait d’apparaître. Il arrivait au bon moment ; Bård avait clairement vu sa fin arriver. Il se rendit compte qu’il n’était pas le seul lorsque la renarde aux yeux verts vint se coller à sa jambe. Il ne put s’empêcher de songer, avec une pointe de jalousie, que l’aelfe avait un léger côté poseur. La fine brise qui agitait ses cheveux, juste comme il fallait, en rajoutait à ce sentiment. Le flottement dura à peine une seconde. Les deux combattants se jetèrent derechef l’un à l’encontre de l’autre. La corne de narval et le couteau de chasse s’entrechoquèrent en une série de coups rapides.

Bård n’arrivait pas à repousser l’admiration qu’il éprouvait pour son frère en ce moment. Siegfried parvenait à tenir tête à un ase. Ull ne se permettait pas de jouer avec lui comme il jouait précédemment avec le garçon. Néanmoins il parait ou esquivait les attaques de l’aelfe avec toujours beaucoup d’aisance. Beaucoup trop de son point de vue. « Tu devrais peut être l’aider. » L’intervention de Sylveig le sortit de sa passivité. Elle avait raison. Il était tellement occupé à admirer son frère et l’ase qu’il en oubliait son implication. Il récupéra la forme flambante de son épée. Puis profita d’un bref instant où Ull ouvrait sa garde en écartant la corne de narval pour se glisser et le blesser. En réalité, il avait juste entaillé sa tunique. Mais il l’avait touché ! Emporté dans son élan il continua d’attaquer avec une ardeur décuplée. L’ase, irrité comme on le serait d’un moustique, tourna soudainement ses coups sur l’adolescent. Ce dernier vit une nouvelle fois la mort arriver sur lui, avant que Siegfried ne s’interpose une nouvelle fois, en le repoussant. En revanche, en sauvant une nouvelle fois son demi frère, il écopa d’une sérieuse blessure à son bras. Pas sa main d’épée heureusement.

« Ne reste pas dans le chemin, le rabroua-t-il avec irritation avant de repartir dans une passe d’armes avec Ull.
– Je n’étais pas dans le chemin, j’essayais de t’aider ! lança Bård.
– Et bien tes efforts sont vains, rétorqua l’aelfe en esquivant le couteau de chasse.
– Mère a dit que nous devions oeuvrer ensemble, insista désespérément le garçon.
– Oeuvre mieux, balaya Siegfried sur un ton définitif.
– Tout seul, tu n’arriveras pas à le tuer ! Persista-t-il avec entêtement.
– Me tuer ? » S’étonna Ull. Il bondit en arrière afin de pouvoir rire hors de portée de la corne de narval recouverte d’acier. « Vous comptez donc me tuer ? Mais voyons les enfants, je suis immortel…
– Les enfants, s’étrangla Siegfried. Tu viens de me traiter d’enfant ?!
– Mon intention n’était pas de te vexer, mais il faut te rendre à l’évidence : à mon échelle tu es très jeune et encore bien inexpérimenté. » L’aelfe n’avait pas l’intention de supporter un tel affront. L’ase avait trop tiré sur la corde.

« Bård, dit Siegfried. Il a raison : nous ne pourrons pas le tuer.
– Comment allons nous faire, alors ? s’enquit l’adolescent tandis que Ull les étudiait avec curiosité.
– Te rappelles tu ce que mère nous a fabriqué et comment cela fonctionne ?
– Evidemment ! s’exclama le garçon encore étonné que son frère lui parle sans aménité.
– Tient toi prêt à t’en servir.
– Pouvons nous reprendre ? s’enquit doucereusement l’ase.
– A l’instant. » Répondit sèchement Siegfried en fondant de nouveau sur lui. Bård réfléchit le plus rapidement possible. Son frère avait l’intention de se servir de la serrure et de la clef. Mais comment ? Il comptait visiblement que l’adolescent le sache. Celui ci tourna nerveusement son anneau sans savoir quelle destination choisir. Cela aurait il une influence ?

L’aelfe combattait furieusement. Il n’aimait pas être moqué. Essayant de ne pas s’appesantir sur cet affront, il restait fermement concentré sur son adversaire. Il ne pensait pas avoir plus d’une chance d’offrir une ouverture à son demi frère. Voilà l’ouverture. Siegfried prit la corne de métal à deux mains et l’enfonça le plus profondément qu’il put dans le torse de Ull. « Maintenant ! » Cria-t-il à Bård. Ce dernier bondit, glissa la clef couteau dans la serrure corne et déverrouilla la porte que son frère ouvrit brutalement. L’ase, paralysé par la porte qui s’ouvrait en lui, roulait des yeux surpris. L’adolescent se demanda comment il pouvait continuer à vivre. Sur les côtés du chambranle se voyaient les organes de Ull. Siegfried s’empara de l’épée de son demi frère, découpa le coeur de l’ase, puis le jeta dans le monde qu’ils avaient ouvert. Un monde vide et encore plus neigeux que chez eux, où les blizzards semblaient maîtres et où le ciel était en permanence noir de nuages. Ayant accompli son oeuvre, l’aelfe referma la porte. Bård la verrouilla et récupéra son couteau, en même temps que son épée que Siegfried lui tendait. Ce dernier récupéra sa corne de narval, refermant le corps de Ull. L’ase resta un instant debout, puis chuta, face contre terre.

« Je croyais qu’il ne pouvait pas mourir, dit l’adolescent en câlinant les deux renardes qui venaient lui mendier un peu de tendresse après tant d’émotions.
– Il n’est pas mort, lui assura son frère. Mais sans son coeur, il est paralysé dans un état bien proche de la mort. Maintenant, son influence va décroître. » Comme en réponse aux propos de Siegfried, les ifs autour d’eux se mirent à perdre leurs épines. Mais, comme leur maître, ils ne mourrurent pas totalement, les troncs restant droits et bien vivants. La neige en revanche, se mit à fondre, laissant enfin place au printemps qui avait été tellement repoussé. « Si nous lui rendions son coeur, sa vie lui reviendrait elle ? s’enquit Bård qui avait décidé de profiter du fait que son frère acceptait de lui parler.
– Oui, confirma platement l’aelfe. As tu l’intention d’ouvrir de nouveau la porte pour lui rendre son coeur ?
– Non, répondit le garçon. Je n’ai pas envie qu’il recommence à tuer des gens pour s’approprier leurs pouvoirs.
– Moi non plus, convint son frère.
– Dans ce cas là, tout va bien ! » s’enthousiasma Bård, heureux de constater que tout n’était pas affrontement entre Siegfried et lui. Il avait du mal à réaliser qu’il avait atteint cet objectif pour lequel il s’entraînait depuis six ans. Il n’arrivait pas à se dire que tout était terminé, que Ull avait bien été mis hors d’état de nuire. Au dessus de la cime des ifs dépouillés, il pouvait voir Svart et Mørk dessiner des cercles dans le ciel. Les petites vanes renardes s’étaient blotties dans ses bras. Même Skade, qui avait été prête de répondre à l’appel de l’ase chasseur. Il ferma les yeux et leva la tête vers les rayons de soleil printaniers, pour laisser son visage s’en imprégner. « Bon ! s’exclama soudain l’adolescent. Où se trouve Fen ? »

Les ténèbres lui donnaient un fort sentiment d’isolement. Mais l’isolement ne lui faisait pas peur. Elle avait l’habitude d’être un loup solitaire. Elle flottait donc là, indifférente à son isolement. Etait ce donc à cela que ressemblait la mort ? Allait elle errer ainsi sans but pour toute l’éternité ? Elle était un peu déçue. Elle aurait espéré ou ne plus penser, ou passer à quelque chose de plus intéressant. Pas forcément de grandiose, comme participer aux festins du Valhalla, mais de moins terne en tous cas. De plus, elle éprouvait un peu de froid dans cette immensité sombre. Elle n’aurait plus rien du ressentir pourtant, si ? Quel ennui. Etre condamnée à ne faire que penser dans les ténèbres tout en ayant froid. Vraiment, cette perspective ne l’enchantait pas du tout. Elle dressa l’oreille. Du moins, métaphysiquement. Elle avait cru percevoir un bruit, dans cet environnement vide. Elle cessa donc de penser, attentive. Pendant un long moment, qu’elle ne put quantifier mais qui lui parut long, elle attendit en vain. Peu importe, se disait elle, puisqu’elle avait tout le temps d’attendre. Ce n’était pas comme si elle avait quelque chose de plus intéressant à faire, n’est ce pas ? De nouveau, elle perçut quelque chose. Elle avait bel et bien entendu un bruit. Mais son origine était difficile à déterminer.

Elle l’entendit de nouveau. C’était plus clair, cette fois. Fen crut reconnaitre une voix. Qui pouvait donc parler tout haut dans cette immensité sombre et vide ? N’était elle donc pas seule ? Elle tourna toute son attention dans l’attente d’un potentiel nouveau bruit. « Snob ! » s’exclama la voix. Voilà qui était surprenant. Fen décida d’essayer de diriger son esprit en direction de la voix. Allait elle parler de nouveau ? « Minable. » Entendit elle à sa grande satisfaction. Mais il ne s’agissait pas de la même voix. Elle était plus grave et plus posée que la première. « Espèce de poseur ! » Répartit la première voix. Elle semblait plus jeune. Fen hésita. Il lui semblait qu’elle connaissait cette voix. « Avorton. » Répartit la deuxième voix. Elle se rendit compte qu’elle la connaissait aussi, cette deuxième voix. En même temps qu’elle entendait ces voix de plus en plus distinctement, elle prit conscience de son corps. Elle possédait toujours son corps. Peut être avait elle survécu à Fenrir finalement. Elle se concentra et réussit à faire l’effort d’ouvrir les paupières.

Le nouvel environnement qui s’offrit à son regard était flou mais, au moins, il n’était plus enveloppé de ténèbres infinies. A présent elle entendait clairement les deux personnes qui se disputaient et posa instantanément des noms sur elles. Bård et Siegfried se trouvaient non loin d’elle et se chamaillaient. « Tu n’es qu’un arrogant ! » persistait l’adolescent. « Je n’ai pas besoin d’argumenter avec un sale gosse de ton espèce. » rétorquait l’aelfe. Les lèvres de Fen s’étirèrent en un sourire. Elle voulut se redresser, mais l’effort lui arracha un gémissement. Les deux frères cessèrent aussitôt de se disputer.

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