NaNoWriMo 2014 jour 24 et 25 : Bård

Fin du chapitre surnuméraire :

Les nuits, Siegfried chantait souvent avec les loups. Plus il se sentait préoccupé, plus il répondait à leurs appels. C’était ce qu’il avait l’intention de faire pour fuir les questions dérangeantes de Riulf. Peut être parce qu’il avait la tête ailleurs, l’aelfe ne perçut pas le danger, lui d’habitude si attentif, jusqu’à ce qu’un filet lui tombe dessus. Il sortit instantanément sa lame en corne de narval pour en trancher les mailles, mais des cordes vinrent rapidement en renforts au filet et de bouger l’entortillait plus que cela ne le délivrait. En quelques secondes à peine, il se retrouva totalement immobilisé et encerclé de chasseurs goguenards, fiers de leur prise. Les aelfes étaient difficile à capturer. Ils commençaient déjà à se taper dans le dos et à rire de satisfaction.
Siegfried maudit son inconscience. Que ne s’était il pas été montré plus prudent ? A quoi servirait le sacrifice de sa mère si il se faisait attraper par Ull sans avoir pu mettre fin à son horrible moisson ? Ecumant, il fut emmené sans autre forme de procès, comme une bête de somme, sa précieuse lame confisquée. Ses ravisseurs n’eurent pas le temps de se réjouir de leur capture que des voix se mirent à retentir dans les bois. « Hoho qu’avons nous là ? claironna une première voix.
– De petits êtres qui s’aventurent dans nos bois sans vergogne, ajouta la deuxième voix sur un ton moralisateur.
– Ceux qui entrent sans autorisation s’exposent à notre colère, tonna une troisième voix beaucoup plus grave et caverneuse que les deux premières.
– Et que leur fait on à ceux qui s’exposent à notre colère, hein ? Que leur fait on ? reprit la première voix avec des accents hystériques. Hein ? Qu’allons nous leur faire ? Ha ha ha ha haaa ! » La voix continua de rire encore et encore, d’un rire fou apparemment sans fin. Les braconniers ne paraissaient pas très courageux tout d’un coup. Des voix dont ils ne pouvaient déterminer l’origine avaient de quoi les inquiéter. Surtout l’hystérique. Les petits humains se pelotonnaient les uns contre les autres, inquiets. Ses geôliers se montraient bien pitoyables, l’aelfe serra les dents. Néanmoins ils ne se débandaient pas, malgré les efforts de Svart, Mørk et Riulf pour les effrayer.
Constatant que malgré les menaces il ne se passait pas grand chose, les chasseurs commencèrent à reprendre contenance. Siegfried jura intérieurement. En se rendant compte que leur stratagème ne fonctionnait pas, l’ours et les corbeaux allaient passer à l’attaque et l’aelfe n’aimait pas cette idée. Ils allaient devoir beaucoup trop s’exposer et cela l’inquiétait. Mørk continuait inlassablement de faire retentir les bois de son rire de forcené. Tous s’arrêtèrent de nouveau lorsque Riulf lança d’une voix tonitruante : “Vous allez tous périr !” Une énorme masse brune fit irruption et bouscula les humains comme de vulgaires fétus de paille. Mais ceux ci étaient nombreux et paraissaient très expérimentés. Les chasseurs restés debout s’attaquèrent immédiatement à l’ours. “Va-t-en ! C’est dangereux !” cria l’aelfe au vane. Ce dernier l’ignora, enragé qu’il était par le combat. Alors qu’il s’apprêtait à aller aider son ami malgré ses mains liées dans le dos, Siegfried sentit des griffes se planter dans ses mains. Svart – ou peut être Mørk – s’employait à cisailler la corde à grand renfort de coups de bec.
Le temps que l’oiseau parvienne à délivrer son maître, Riulf avait déjà écopé de plusieurs blessures. Les chasseurs apeurés avaient plus l’intention de sauver leurs vies que de capturer le fauve qui les attaquait. L’aelfe sentit ses liens se distendre. Il ne perdit pas un instant et se mit à l’oeuvre, avec ses poings puisqu’il ne disposait plus de sa lame. Siegfried avait subi un entrainement de guerrier et, même désarmé, il se montrait un adversaire redoutable. Il libéra rapidement le vane ours de ses assaillants. Le sang du jeune Riulf gouttait d’innombrables blessures, mais il tenait bon. Face à l’aelfe et à l’ours, sachant que Mørk continuait à rire de manière hystérique pour déconcerter les braconniers, ces derniers commencèrent à battre en retraite. Un seul ne parvint pas à disparaitre dans les bois ; Riulf le maintenait de ses puissantes pattes. Alors que l’homme criait de peur, l’ours approcha sa gueule sanglante et lui arracha la corne de narval recouverte d’acier qu’il tenait de ses deux mains. Il laissa s’enfuir le chasseur effrayé et tendit la précieuse lame à Siegfried. « Merci mon ami, déclara chaleureusement l’aelfe. Partons d’ici et trouvons un endroit calme où je pourrai m’occuper de tes blessures. »
Ainsi firent ils. Certaines des plaies de Riulf parurent profondes à Siegfried. Il le soigna comme il le put, mais le jeune ours avait besoin de repos pour sa cicatrisation. « Riulf, lui dit alors l’aelfe. Tu ne peux pas continuer de me suivre avec ces blessures.
– Bien sûr que si, elles ne me dérangent pas pour marcher, argumenta l’ours.
– Je le sais bien, repartit Siegfried. Ce n’est pas de cela que je m’inquiète. Mais j’ai besoin d’un puissant guerrier à mes côtés. Ce que tu seras sans conteste une fois guéri. » Le vane ne répondit pas, mais l’aelfe sentit que ses mots avaient fait mouche. Ce jeune là avait envie de se rendre utile et il avait aussi grandement apprécié le compliment. L’aelfe reprit : « Une fois que je serai prêt à repartir en guerre contre Ull, je ferai appel à toi. En attendant, va reprendre des forces.
– Et vous, qu’allez vous faire ? s’enquit l’ours.
– Je vais aller me mesurer une fois de plus à Ull, répondit Siegfried. Et puis, j’irai retrouvai Fen.
– Fen ? Qui est ce ? demanda Riulf.
– C’est la nounou de son petit frère Bård, gloussa Mørk.
– Oh. » Le vane avait compris que Siegfried rechignait toujours à parler de son frère, mais qu’il comptait néanmoins faire appel à lui. Il trouvait cela réjouissant. Il hocha solennellement sa grosse tête brune.
Ils firent leurs adieux. Mørk se répandit en pleurs et reniflement. Svart le consola en lui promettant qu’ils retrouveraient très bientôt leur ami Riulf. Leurs chemins se séparèrent. « Maître, l’interpella Svart alors qu’ils se dirigeaient vers le bois d’ifs de l’ase Chasseur.
– Qu’y a-t-il ?
– Comptez vous réellement faire appel à Riulf lors de votre prochain combat contre Ull ?
– Bien sûr que non Svart, répondit Siegfried. Ses blessures étaient l’opportunité rêvée pour l’envoyer au loin en sécurité.
– Il risque d’être vexé, nota le corbeau.
– Sa sécurité m’importe plus que son amour propre, balaya l’aelfe.
– Ce n’est pas gentil gentil gentil ! Oh non, pas gentil gentil gentil ! » chantonna Mørk en voletant joyeusement d’arbre en arbre. Siegfried l’ignora.
Une fois sortis des bois, ils arrivèrent rapidement en vue de la forêt d’ifs qui changeait de place selon les caprices de Ull. Ils se postèrent en vue de la lisière, attentifs à la présence de Skadi, la géante qui protégeait l’accès au bois d’ifs. Ils restèrent en surveillance pendant de longues heures, jusqu’à ce qu’enfin un convoi de braconniers viennent rendre compte à la géante au fouet de leur butin pour Ull. Siegfried saisit cette occasion de pénétrer dans la forêt magique de l’ase, en compagnie des deux corbeaux. Une fois entre les ifs, il savait que d’autres dangers l’attendaient. Il envoya les oiseaux en éclaireur et glissa comme une ombre au milieu des arbres. A cause des meutes du Chasseur qui vagabondaient de partout, l’aelfe dut emprunter plusieurs chemins détournés. Attentif au moindre bruit suspect, il progressait avec circonspection. Au bout d’un très long moment, Siegfried arriva enfin dans la clairière centrale de la forêt d’ifs, où Ull rêvassait, une main soutenant sa tête et sa chevelure noire flottait dans la brise. Ce dernier se redressa immédiatement lorsque l’aelfe fit irruption dans son sanctuaire. « Que le jour te soit bon, fils de Doelyn, le salua-t-il de sa voix charmeuse. As tu enfin décidé de te soumettre comme le fit ta mère ?
– Elle ne s’est jamais soumise, s’énerva Siegfried. Ne prononce plus jamais son nom devant moi, tu le souilles et je ne le tolère pas.
– Bon, l’apaisa Ull. Que viens tu faire ici alors, si ce n’est pour me prêter ta force ?
– Je viens de nouveau mesurer ma force contre toi, répondit l’aelfe d’un ton dur.
– Tu sais que tu ne peux pas lutter contre moi, lui dit l’ase de sa voix toujours charmeuse. Je vais te vaincre et absorber ta force. Pourquoi cherches tu à compliquer les choses ?
– Tu ne comprendrais pas. »
L’aelfe se mit en garde face à Ull, qui lui sourit gentiment. Irrité de ne pas être pris au sérieux, Siegfried attaqua le premier. L’ase l’esquiva sans peine, comme si il s’agissait d’un jeu. Ils échangèrent quelques passes d’arme en guise d’échauffement. Puis Ull fit accélérer le mouvement. Petit à petit d’abord, puis de plus en plus rapidement. L’aelfe étant un guerrier agile – même pour ceux de sa race – il parvint à suivre la cadence pendant un bon moment. Mais l’ase restait un ase et personne ne pouvait surpasser un ase. Siegfried commençait à se fatiguer. Svart et Mørk, perchés sur une branche voisine, s’apprêtaient à intervenir. L’aelfe trébucha et les corbeaux se jetèrent à la rescousse. Mais Ull les balaya. « Pensiez vous vraiment que vous arriveriez à vous en sortir de la même façon que la dernière fois ? » L’ase paraissait sincèrement étonné. Les oiseaux, qui avaient été projetés contre des troncs, reprenaient difficilement conscience. Ull hocha la tête d’un air navré et tourna de nouveau son attention sur Siegfried. « Prépare toi, enfant de Doelyn. » L’ase brandit son couteau de chasse.
Une masse brune et poilue posa sa grosse patte devant l’aelfe, en signe de protection. Ull hésita à peine et planta sa lame dans le cuir de l’ours. « Mais, que… ? balbutia Siegfried.
– Part, souffla Riulf. Tu ne peux plus rien pour moi. » Il fallut un simple coup d’oeil à l’aelfe pour se rendre compte que le vane avait raison. L’ase avait tranché une artère vitale et l’ours perdait rapidement de ses forces, en même temps que son sang qui se répandait au sol, sous le regard de convoitise de Ull. Il n’eût qu’une seconde d’hésitation avant de faire volte face et de courir, attrapant les corbeaux sonnés au passage, avant de disparaître dans la forêt. Il jeta un bref regard en arrière. Riulf avait repris sa forme humanoïde, un genou en terre. Ce fut la dernière image qu’il emporta du jeune vane ours. Pourquoi ne l’avait il pas écouté et n’était il pas allé passer sa convalescence dans un endroit en sécurité ? Pourquoi était il venu se mettre sous la lame de Ull ? Siegfried jura, alors que la culpabilité montait dans son coeur. Pourquoi ne l’avait il pas directement rabroué lorsqu’il l’avait sauvé de ces braconniers humains ? Le sentiment que cet ours dévoué était mort par sa faute commençait déjà à ronger l’aelfe. Son orgueil lui jouerait des tours, lui avait un jour dit Fen. Il avait la prétention qu’il pouvait lutter seul contre Ull et il avait eu tort. Il n’en courut que plus rapidement, animé par l’énergie de la rage.

Et puis un bébé prologue est sorti subrepticement de son oeuf sans que je m’en rende compte :

« Il est dit qu’un jour, l’hiver verra son temps tripler et qu’il sera sans lumière. Qu’une immense bataille aura lieu. Que les ases eux mêmes y participeront et mourront sur ce champ de mort qui les attend. Que le monde sera submergé par les flots et transformé en cendres par les flammes.
“Cette fin du monde tel que nous le connaissons, tout le monde lui donne le nom de Ragnarök. Tout sera sans dessus dessous. Les frères et soeurs se battront entre eux jusqu’à la mort. Tous attendront en vain le printemps. Ce sera un temps où l’acier règnera, par les haches et les épées, mais aucun bouclier ne parviendra à protéger quiconque de la mort. Tous seront pris dans la tourmente, les tempêtes et les hurlements des loups. Personne ne sera épargné, tous auront à souffrir du Ragnarök. La plupart en mourront et n’assisteront pas au monde nouveau qui suivra la fin de l’ancien monde. »
Doelyn l’aelfe soupira.
« Et pourtant, un ase rebelle refuse ce destin sombre et tout tracé qui s’offre à lui et aux autres. Il se propose de nous sauver tous. Il veut éviter Ragnarök. Pour cela, il a besoin de puissance. De beaucoup de puissance. »

NaNoWriMo 2014 jour 23 : Bård

Suite du chapitre supplémentaire :

Il repoussa ses pensées. Ce dont il avait le plus besoin à présent, c’était de concentration. Il étudia la configuration du camp. La plupart des humains dormaient. Seuls trois d’entre eux montaient mollement la garde. Siegfried en soupçonnait même un de dormir aussi profondément que ceux dont il était sensé garantir la sécurité. L’aelfe avait deux objectifs : délivrer le jeune vane ours qui grondait dans sa cage et saupoudrer la nourriture humaine avec une poudre de sa composition, ce qui les rendrait aveugles pour les semaines à venir, en espérant que cela leur servirait de leçon. Bien évidemment, tout en délivrant la créature prisonnière, il en profiterait pour faire fuir les chevaux qui tiraient la charrette sur laquelle était montée la cage. Pour le moment ces animaux somnolaient paisiblement. Il signifia aux corbeaux de ne pas bouger ni faire le moindre bruit. Il avait l’habitude de leur faire prendre le moins de risque possible, ce qui impliquait souvent d’agir seul.

Aussi silencieux qu’une ombre, il se glissa subrepticement jusqu’à la réserve de nourriture. Il saupoudra rapidement sa poudre qui s’éparpilla de partout. Sans s’attarder, il s’approcha de la cage de l’ours. Ce dernier releva la tête en le sentant arriver. Ils échangèrent un regard de connivence. Le vane lui fit signe de s’arrêter. L’aelfe obtempéra, se dissimulant prestement dans les ombres. Ainsi à l’abri des regards, il put voir l’ours diminuer de taille et prendre une forme humanoïde. Même sous cette forme et malgré qu’il soit à peine adulte, il restait imposant et terriblement poilu. « Hey ! » Appela doucement l’ours. Les deux hommes éveillés tournèrent la tête dans sa direction. Siegfried était trop loin pour distinguer ce que leur dit le vane ensuite, mais il vit les deux gardes s’approcher de la cage. Une fois qu’ils se trouvèrent assez près de lui, l’ours se redressa. Il sortit vivement ses bras poilus et musculeux de sa prison et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, attrapa leurs deux têtes et les heurta l’une contre l’autre, les assomant efficacement. L’aelfe resta immobile le temps de déterminer que le bruit n’avait alerté personne. Puis il s’approcha de la cage à son tour et en crocheta l’ouverture pour laisser sortir le vane. Ce dernier, qui avait recouvré sa forme de fauve, s’enfuit à pattes de velour à peine la porte ouverte. Siegfried, lui, tissa une illusion pour faire croire qu’un ours dormait dans la cage. Puis il s’approcha des chevaux pour les entrainer au loin avant de leur rendre leur liberté. Ceci fait, il rejoignit toujours aussi silencieusement les frères corbeaux, qui se trouvaient à présent accompagnés du jeune vane. Tous les quatre se fondirent dans la forêt.

« Merci de m’avoir sorti de ce mauvais pas, déclara l’ancien prisonnier. C’est bien aimable à vous d’être intervenus.
– Avec nous tu peux dormir sur tes deux oreilles p’tit, lança Mørk au hasard.
– C’était un plaisir, répondit l’aelfe en ignorant l’oiseau. Dorénavant tient toi loin des humains et des sbires de Ull.
– J’essaierai. » Assura le vane. Il avait la taille adulte d’un ours normal, ce qui trahissait sa jeunesse. En tant que vane, il allait devenir encore bien plus gros. En attendant, il montrait encore certaines attitudes pataudes de l’enfance. « J’ai cru que personne ne viendrait à ma rescousse, ajouta-t-il.
– N’as tu pas de famille qui serait venue te secourir ? s’enquit poliment Svart.
– Si si j’ai de la famille. Mais… mais vous savez les vanes hésitent à marcher contre les ases depuis la grande guerre où les ases sont sortis vainqueurs. » Svart hocha la tête d’un air entendu.

“Tu peux rentrer chez toi retrouver ta famille, indiqua Siegfried.
– Ah… euh… oui et bien…
– Et bien quoi ? s’enquit l’aelfe.
– Et bien… hésita timidement la grosse bête. J’aimerais bien rester avec vous.
– Avec nous. » Siegfried se trouvait surpris de la requête, mais n’en montrait rien. « C’est trop dangereux, tu devrais aller te mettre en sécurité.
– Je peux me montrer utile, argumenta l’ours. Je sais me montrer silencieux, je peux faire peur et je sais aussi me battre. » Svart se posa sur l’épaule de l’aelfe et lui chuchota à l’oreille :
« Maître, je pense qu’il va nous suivre de toutes façons. Et cette situation s’avèrerait plus dangereuse à la fois pour lui, mais aussi pour nous. » Comme souvent, ce corbeau faisait preuve de sagesse. Heureusement d’ailleurs, songeait Siegfried, que l’un des deux se montrait futé. Mørk, totalement étranger à la situation, fredonnait quant à lui une chanson à propos d’ours et de miel en gloussant tout seul. Après tout, un compagnon tel que ce vane ours pouvait s’avérer une aubaine. L’aelfe fixa ses yeux violets dans ceux, bruns, de l’ours. « Soit. Tu peux venir avec nous. Je veux juste savoir comment tu te nommes.
– Riulf ! Je m’appelle Riulf. » S’épanouit le gros vane. Dans son enthousiasme, il adressa un coup de langue affectueux au guerrier qui venait de l’accepter dans ses rangs. Siegfried ignora cet affront fait à sa dignité et repartit, suivi par ses compagnons oiseaux et ursidé.

Riulf se montra par la suite un compagnon hors pair et hautement dévoué. Plus d’une fois, lors des raids visant à sauver des créatures magiques de braconniers, il se montra plus un atout qu’un handicap. Il n’avait pas menti lorsqu’il avait affirmé qu’il savait aussi bien se battre que se montrer silencieux et intimidant. Dès lors, Siegfried n’attendit qu’une chose, c’était de tomber de nouveau sur le groupe mené par le vane renard. Grâce à Riulf, il pourrait venir à bout de cette bande de chasseurs. De plus, l’ours n’avait pas son pareil pour dénicher gibier et baies avec lesquels il régalait ses compagnons. Néanmoins, malgré toutes leurs exactions à l’encontre des gens de Ull, l’aelfe se rendait bien compte que tant qu’il ne s’attaquerait pas à la source, ses efforts resteraient vains. Bien sûr, il avait déjà sauvé moult personnes de l’ase, mais cela restait une larme dans l’océan : le pouvoir de Ull continuait de grandir de jour en jour. Et, au fond de lui, il savait qu’il finirait par avoir besoin de son demi frère Bård pour en venir à bout. Mais ce vermisseau était encore bien trop jeune pour une telle entreprise. Le fait que Siegfried ne se sentait pas d’aller quérir son aide n’entrait pas en ligne de compte, bien évidemment.

Le vane s’était montré enchanté lorsque Mørk lui avait étourdiment expliqué que leur maître possédait un jeune frère, un peu comme Svart l’avait lui même en guise de fratrie. “J’ai eu un frère mort né durant l’hiver de ma naissance, raconta Riulf. Depuis je me suis toujours demandé ce que cela faisait d’avoir un frère. Que faisiez vous avec votre frère ?
– Je ne l’ai jamais considéré comme mon frère, balaya rapidement Siegfried irrité à chaque fois que quelque chose lui faisait penser à Bård.
– C’est un sujet sensible, intervint Svart en voyant que l’ours ne se satisferait pas de cette réponse.
– Je ne vois pas pourquoi, protesta un Riulf rendu curieux. Toi par exemple, tu t’entends plutôt bien avec ton frère malgré tes remontrances à son égard. Je le sens que c’est pour son bien que tu lui fais la morale.
– C’est vrai ça Svart, c’est pour mon bien que tu fais ça ?” s’enquit Mørk avant de se mettre à sangloter bruyamment sur l’épaule de son frère. Ce dernier adressa un regard noir à l’ours avant de s’employer à calmer Mørk. L’aelfe en avait profité pour disparaître, au grand dam du vane qui ne s’avoua pas vaincu pour autant.

NaNoWriMo 2014 jour 22 : Bård

Passage numéro 1 :
“Maître, le village que l’on nous a indiqué se trouve par là bas ! s’exclama Svart. Par contre…
– Par contre ? s’enquit le maître en question.
– Et bien, il semblerait qu’il ait été attaqué, répondit le corbeau.
– Et une partie est toute brûlée, gloussa Mørk.
– Allons voir.” Lâcha le maître de sa voix profonde. Ainsi que le corbeau le lui avait dit, le village se trouvait en ruines. La moitié des maisons avaient été éventrées par le feu et les malheureux villageois qui les peuplaient avaient été essaimés un peu partout sur la terre battue et en partie recouverts par la neige, morts. Seules subsistaient quelques poules qui avaient été épargnées et erraient à la recherche de quelque chose à picorer. Mais plus aucune espèce plus grosse qu’un chat. Ils s’aventurèrent au milieu des cendres, des cadavres et des squelettes d’habitations.

« Votre source vous a-t-elle expliqué quelle était la maison de Sigurd ?
– Non, avoua Svart un peu penaud.
– Dans ce cas, nous allons chercher. » Conclut le maître qui s’employa dès lors à pousser les portes des chaumières pour en visiter l’intérieur. Il retourna également certains morts mâles mais, malgré la décomposition qui les dévisageait, aucun n’était Sigurd. Ses inspections le menèrent, toujours accompagné des corbeaux, jusqu’au grand hall, la plus vaste habitation du village. Un grand trou béait dans l’un des murs, mais la structure avait été épargnée par les flammes. Il entra. Le spectacle qui s’offrit à lui le fit froncer du nez. Il s’approcha du cadavre cloué au mur. « Tsss. » Lâcha-t-il. L’homme qu’il recherchait était mort. D’une mort grossière selon le maître, puisqu’il se retrouvait cloué au mur comme un vulgaire pantin. Il fouilla la maison toute entière. Aucune trace d’un corps d’enfant nulle part. Le fils de Sigurd avait peut être survécu. Si c’était le cas, ce devait être cet enfant qui se trouvait en possession de ce que Sigurd lui avait volé, car il n’avait pas réussi à mettre la main sur ce précieux objet non plus. Il se redressa et, frustré, heurta le mur de son poing. Les corbeaux n’osèrent pas intervenir.

Leur maître retourna dehors et inspecta le sol. Malheureusement, les dernières chutes de neige avaient recouvert toutes les éventuelles traces qui auraient pu lui indiquer une direction à suivre. Il se sentait impuissant et cela le mettait en colère. Il ne lui restait plus qu’une solution. « Menez moi jusqu’à la personne qui vous a indiqué ce village, ordonna-t-il aux deux corbeaux.
– Mais ce garçon se trouvait loin d’ici et il a du bouger depuis, objecta Svart. Je ne sais pas si nous allons pouvoir le retrouver, le monde est vaste…
– Retrouvez le, j’ai des questions à lui poser. » Le ton était sans appel, et Svart comprit qu’il ne servait à rien de tergiverser. Il donna un coup de bec à Mørk qui s’apprêtait à dire une bêtise – or le maître n’était pas d’humeur – et prit son essor, accompagné de son frère.

Passage 2 :
La lune était pleine, inondant le paysage enneigé d’une douce lueur argentée. D’aucuns diraient blafarde, mais ces gens ne savaient pas de quoi ils parlaient. Seuls les hermétiques à la beauté pouvaient proférer des choses pareilles. C’était ce que Fen disait toujours en tous cas. Elle adorait la lune. Probablement à cause de sa nature de louve. Assis en tailleur sur un rocher solitaire, Siegfried contemplait la grosse boule haute dans le ciel et la vue dégagée qu’il avait de la plaine qui s’étendait à ses pieds. Il entendit des loups hurler au loin. Il sourit. Il leva la tête vers la lune et hurla avec eux. Comme il le faisait jadis en compagnie de Fen. Ils se connaissaient depuis qu’il était aelfon et elle louveteau. Il lui avait appris l’aelfique et elle les manières des loups. La meute avec laquelle il chantait – car les loups considéraient cela comme de la musique – lui répondit avec entrain. Ils avaient souvent hurlé à la lune Fen et lui. En grandissant, ils s’étaient moins fréquentés, ayant chacun leurs affaires de leur côté.
C’était ainsi qu’un beau jour, il s’était rendu compte qu’elle s’était liée d’amitié avec des humains. Un, en l’occurence, qui répondait au nom de Sigurd. D’après ce qu’il avait compris, ils avaient vécu beaucoup d’aventures ensemble, la vane s’abaissant à lui servir occasionnellement de monture. Et comme il se pavanait ce rustaud ! Sans aucun respect pour la nature faerique de la louve qui avait daigné lui offrir son amitié. Sigurd ne lui avait jamais témoigné aucun respect non plus. Les rares fois où il avait eu le malheur de le rencontrer, il lui avait toujours parlé familièrement, comme à l’un de ses semblables. Vraiment, Siegfried ne voyait pas ce que Fen trouvait à cet humain vulgaire. Mais elle semblait lui accorder plus d’intérêt qu’à lui même. Elle lui avait assuré qu’il se faisait des idées mais, selon lui, ses actes prouvaient sans cesse le contraire.

Ce Sigurd, non content de lui voler l’affection de la vane, s’était en premier mis en tête de courtiser sa mère. Bien sûr, l’humain ne savait pas à ce moment là que Doelyn se trouvait être la mère de Siegfried. Mais ce n’était pas une excuse. Il avait chassé le cerf blanc pour elle, mais il n’aurait jamais réussi si Fen ne lui avait pas prêté son aide. C’était d’ailleurs suite à cet épisode qu’ils avaient fait connaissance, l’humain et eux. L’aelfe se souvenait encore du moment où la vane s’était dressée face à lui pour l’empêcher de tuer Sigurd. Il en avait été blessé. Encore plus lorsqu’il avait vu l’humain chevaucher la louve et parader en amenant le cerf blanc à Dame Doelyn. Et, pire que tout, avait été l’annonce de la naissance de Bård le demi humain. Sa mère paraissait aussi faire grand cas de son fils cadet, le bâtard. Elle avait tellement envie de le protéger qu’elle avait tissé un sort autour de lui afin que personne ne remarque la nature semi aelfique du bébé. Heureusement, elle n’avait pas infligé à son aîné la présence du petit et de son père. Il était déjà suffisamment difficile de supporter qu’elle fasse parfois semblant de ne pas être sa mère qu’il n’aurait pas supporté qu’elle accorde de l’attention au bébé.

Siegfried ne savait pas pendant combien de temps les loups et lui avaient loué ainsi la lune, mais il se sentait maintenant beaucoup plus apaisé. Perchés sur la branche basse d’un arbre tout proche, Svart et Mørk se pressaient l’un contre l’autre afin d’échanger un peu de chaleur. Ils avaient sursauté lorsque celui qu’ils appelaient leur maître s’était mis à hurler à la lune avec les loups. Ils sursautèrent de nouveau lorsque l’aelfe leur intima : « Partons. Nous devons trouver Ull.
– Mais quand dormirons nous maître ? se plaignit Mørk.
– Nous aurons tout le temps de dormir lorsque nous serons morts. Pour le moment, nous avons du pain sur la planche. »

Passage 3 début (le passage 3 va être un chapitre à lui tout seul normalement)
La forêt de Ull était plus difficile à trouver d’hiver en hiver. Elle poussait autour de l’ase chasseur à chaque fois que celui ci en décidait ainsi. A force d’emmagasiner les pouvoirs de créatures magiques, celui de l’ase devenait de plus en plus puissant. Les hivers s’allongeaient et sa zone d’influence s’étendait, glaciale, sur de plus en plus de terrain. En revanche, sa forêt d’ifs restait la même. Cela revenait à chercher un oeuf dans un verre d’eau, puis dans une flaque, dans une mare, un étang, jusqu’à la mer. La première année où il était parti à la recherche de Ull, Siegfried l’avait non seulement trouvé, mais aussi affronté. Il grimaça amèrement à ce souvenir. Il n’avait du son salut qu’à l’intervention des deux frères corbeaux qui lui avaient permis de battre en retraite. L’ase ne l’avait pas poursuivi. L’aelfe se promit de prendre sa revanche. Mais il du se rendre à l’évidence : sa mère avait raison, il ne pourrait pas en venir à bout seul. Depuis, il surveillait les déplacements de la forêt magique. En attendant son heure, il contrait du mieux qu’il pouvait l’augmentation de l’influence du Chasseur. « Maître, l’interrompit Svart dans ses réflexions. Nous avons trouvé un autre de ces campements de braconniers.
– Oh oui ! renchérit Mørk. Tout un groupe !
– Ont ils des prisonniers ? s’enquit Siegfried.
– Des tas. » Répondit le corbeau idiot d’un air épanoui, comme si il s’agissait de la meilleure nouvelle du monde. Svart lui infligea un coup de bec moralisateur.

« Ce n’est pas une raison de se réjouir, le morigéna-t-il.
– Pourquoi me frappes tu tout le temps Svart ? s’enquit Mørk d’une voix tremblante qui menaçait de se briser. Je vais finir par croire que tu ne m’aimes plus… » Ignorant la suite de l’échange habituel entre les corbeaux, l’aelfe hocha la tête pour lui même. Comme si il avait besoin d’une raison de plus de détester les humains, nombre de ceux ci s’étaient fait chasseurs de créatures. Suivant l’appât du gain, ils capturaient vanes, aelfes qui s’étaient aventurés en dehors de leurs cités cachées et dvergs qui s’étaient aventurés en dehors de leurs profondes grottes. Ils raflaient au passage toutes les autres créatures de nature plus ou moins magique qu’ils pouvaient trouver. Les sbires de Ull et, notamment, Skadi les rémunéraient grassement. En se remémorant Skadi la géante, Siegfried passa machinalement ses doigts sur la grande balafre dont s’ornait son visage depuis leur rencontre. Elle n’était pas une ase, mais faisait partie de ce peuple de géants. Femme de Ull, elle lui était entièrement dévouée et défendait les alentours de sa forêt d’ifs à l’aide de son long fouet avec lequel elle marquait ses ennemis. Contrairement à son ase de mari, elle n’était pas immortelle et l’aelfe lui avait promis de la vaincre définitivement un jour prochain. Elle avait ri. Il pinça les lèvres à ce souvenir douloureux, tant pour les blessures récoltées que pour son amour propre. Il lui ferait payer l’affront de son visage et celui de sa moquerie.

Une fois que les oiseaux eurent fini de se disputer et de se réconcilier, ils menèrent Siegfried jusqu’au campement qu’ils avaient repéré. Il eut le soulagement de constater que ce groupe de chasseurs ne comportait que des humains. L’aelfe avait pu s rendre compte d’expérience que certaines bandes de braconniers comprenaient des créatures elles mêmes magiques. Il avait notamment eu à faire à un groupe dirigé par un vane renard quelques temps auparavant. Cette fois il avait du s’abstenir d’intervenir. Il venait d’être blessé par Skadi et un vane aussi gros que ce renard était un adversaire trop difficile à mettre à bas, estropié comme il l’était à ce moment là.

NaNoWriMo 2014 jour 20 et 21 : Bård

« Fen Fen ! s’écria Bård en se précipitant à son chevet.
– Doucement, lui reprocha vertement Siegfried. Ne va pas la fatiguer. » Ignorant complètement les propos de son frère, l’adolescent se jeta au cou de la vane qui cessa dès lors d’essayer de se redresser. Elle passa affectueusement un bras autour de son louveteau de substitution. Ce faisant, elle grimaça : qu’est ce qu’elle se trouvait affaiblie ! L’aelfe s’approcha également et lui caressa tendrement la joue du bout des doigts. Il lui conseilla ensuite, d’une voix douce : « Repose toi mon amie, je veille sur ta convalescence.
– Moi aussi je veille sur toi. » Renchérit son demi frère qui ne voulait pas se trouver en reste. Il se redressa et fixa les yeux d’or de la louve qui venait de se rendre compte qu’elle se trouvait dans la maison du forgeron des étoiles. Ils échangèrent un regard complice et sourirent, heureux de se retrouver.

« Merci, coâssa la vane en se rendant compte qu’il lui faudrait apprivoiser sa voix de nouveau. Merci à tous les deux.
– Je suis bien content de te voir de retour, se réjouit Bård.
– Moi aussi, souffla Fen.
– Je vais t’aider à te redresser, tient toi bien. » Avant que Siegfried ne réagisse, l’adolescent avait aidé la vane à se tenir droite et lui installait des coussins derrière le dos afin de la soutenir confortablement. « Voilà, cela va-t-il mieux ?
– C’est très bien, lui assura Fen en souriant.
– Veux tu un verre d’eau ? Ou manger quelque chose ? s’inquiéta l’adolescent.
– Non non, répondit elle en toussotant.
– Oh j’allais oublier ! s’exclama-t-il. J’ai quelque chose pour toi, regarde ! » Le garçon lui amena un énorme bouquet de fleurs des champs. Après tout le temps qu’avait duré cet interminable hiver, il semblait à la vane que cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas vu de fleurs.

« Je ne suis pas une chèvre, le taquina Fen. Mais elles sont bien jolies.” Le garçon émit un rire cristallin. La louve sourit de nouveau. Elle trouvait toujours cela réjouissant de l’entendre rire. « Où sont Nurri et Beyla ? Et les corbeaux ? s’enquit elle. Oh, et les petites renardes ?
– Nous sommes là ! s’exclamèrent Sylveig et Skade en grimpant sur le lit de Fen qui les gratouilla derrière les oreilles.
– Les corbeaux sont partis se promener en forêt, rapporta Bård. Nurri travaille dans sa forge et Beyla est allée s’occuper de ses moutons. Elle ne va pas tarder je pense ; elle vient te voir régulièrement. » Siegfried, lui, restait silencieux et fixait ses yeux violets d’un air désintéressé en direction d’une fenêtre ouverte. Une douce brise parfumée entrait dans la maisonnette de l’extérieur, accompagnée d’une apaisante luminosité dorée. Quelque chose semblait préoccuper l’aelfe. Fen se sentait épuisée malgré son long sommeil, mais sa curiosité était plus grande encore. Elle se força à garder les yeux ouverts et à parler de manière intelligible.

« Comment me suis je retrouvée ici ? demanda-t-elle.
– C’est Siegfried qui t’a portée jusqu’ici, expliqua l’adolescent.
– Arrête de prononcer mon nom, grinça l’aelfe. Il sonne mal dans ta bouche d’humain.
– Je ne suis pas humain ! protesta le plus jeune.
– Fenrir ? Ull ? précisa faiblement Fen qui n’avait pas la force de les rabrouer.
– Nous avons vaincu Ull ! l’informa joyeusement Bård. Ensemble. » Ajouta-t-il avec un coup d’oeil en coin en direction de son frère. « Nous avons envoyé son coeur dans un endroit très froid. Puisqu’il aime la neige.
– Oh, vous avez séparé son coeur de son corps, comprit elle. Voilà qui est très ingénieux, je me demandais comment vous aviez réussi à vous débarrasser d’un immortel sans le tuer.
– Mère savait que nous y arriverions, rappella l’adolescent.
– Et je n’en doutais pas non plus. Je ne savais seulement pas comment vous comptiez vous y prendre.
– En fait, c’était l’idée de Siegfried, avoua le garçon comme à contrecoeur. Mais nous l’avons mise en oeuvre tous les deux. Maintenant il ne reste plus de sa forêt que les troncs des ifs dépouillés, l’étang perpétuellement gelé au milieu et son corps immobile dans la neige.
– Et Fenrir ? s’inquiéta Fen qui trouvait peu attrayante l’idée que le cruel loup noir se trouve de nouveau en liberté.
– Ne t’angoisse pas pour Fenrir mon amie, la rassura l’aelfe. Ull n’est pas mort, juste endormi. La bête est toujours prisonnière de ses chaînes de soie et ne peut toujours pas quitter l’enceinte du bois d’ifs de l’ase.
– Tant mieux, soupira la louve. Tant mieux, me voilà soulagée. » Elle ferma ses yeux dorés quelques secondes. « Et comment se fait il que je me trouve ici alors que je devrais avoir été dévorée par Fenrir ? demanda-t-elle en soulevant de nouveau ses paupières avec difficulté.
– Je… hésita Siegfried. Je suis arrivé au bon moment dirons nous. Je l’ai pris par surprise et j’ai pu m’enfuir en t’emmenant.
– Svart nous a dit qu’il avait combattu Fenrir tellement vaillamment que le gros loup est devenu berserk, précisa Sylveig.
– Il a aussi vaincu Skadi, intervint Bård. Il est arrivé à chaque fois au bon moment. »

L’aelfe détourna modestement la tête et se mit de nouveau à feindre l’indifférence. Il devait être gêné, songea la louve. Etait ce un soupçon de rouge qui colorait ses joues ? Elle n’en était pas sûre. « Vous avez toutes mes félicitations, leur déclara la vane impressionnée par leurs exploits. Ce que vous avez fait… Bien peu de gens auraient pu l’accomplir.
– Nous avons pu y parvenir grâce aux présents de mère, fit sobrement remarquer Siegfried.
– Et aussi parce que tu m’a appris à me battre et que le forgeron des étoiles m’a donné une épée magique, ajouta le garçon avec enthousiasme. Et que Sylveig et Skade m’ont empêché de tomber sous le pouvoir de Ull. » Il réfléchit un moment. « En fait, tout le monde a participé, conclut il. Et moi qui croyait que j’étais devenu un héros. » Il soupira d’un air déconfit. Fen rit.

« Ah ! Voilà que la louve est réveillée ! se réjouit Beyla en entrant. Mais que faites vous tous donc à l’étouffer ainsi ? Zou ! Laissez lui de l’air ! Allez jouer dehors tiens. » En sautillant, Bård et les renardes sortirent profiter du printemps qui touchait déjà à sa fin. L’aelfe, en revanche, ne bougea pas d’un pouce. La dverg le considéra un moment, puis décida de ne pas faire de commentaire. Elle s’approcha à son tour de Fen et l’examina. « Il ne faut pas trop forcer, conseilla Beyla. Il va encore falloir beaucoup de repos. Beaucoup beaucoup. Vous avez frôlé la mort de très près.
– Oui, grimaça la vane. J’ai voulu garder l’attention de Fenrir pour que Bård puisse s’enfuir.
– Tu t’es sacrifiée pour lui, traduisit Siegfried. Pourquoi ?
– Tu me demandes encore pourquoi, soupira Fen. Tu lui as bien sauvé la mise toi aussi pourtant…
– Ce petit est un jeune garçon remarquable, intervint Beyla. J’ai eu peur un moment que ses deuils traumatisants n’en fassent un monstre, mais il a une forte volonté et nous l’avons entouré d’attention comme nous avons pu. Le résultat me parait plutôt bon. Pourquoi êtes vous aussi dur avec lui ? » L’aelfe ne répondit pas. « Il faut cesser de lui en vouloir pour des choses dont il n’est pas responsable, le morigéna la dverg. Et cesser également de reprocher à Fen de s’occuper de lui. Ce n’est pas parce qu’elle lui voue une profonde affection qu’elle vous laisse de côté. Vous n’êtes qu’un petit aelfe jaloux et…
– Sans compter que tu n’aurais jamais pu venir à bout de Ull si j’avais laissé mourir ta clef, coupa rapidement la vane d’une voix douce afin d’éviter que ne se braque le grand frère de Bård.
– Cela, au moins, est vrai. » Concéda platement Siegfried tandis que la femme du forgeron des étoiles levait les yeux au ciel.

« Il faudrait la laisser se reposer, conseilla Beyla à l’aelfe d’un ton quelque peu péremptoire. Elle doit récupérer ses forces.
– Pas tout de suite, lâcha Siegfried un peu brusquement. J’ai encore des choses à lui dire.
– Mmmh » La petite dverg le considéra de nouveau pensivement. Cette fois, l’aelfe la fixait droit dans les yeux. « Bon, acquiesça-t-elle finalement. Je vais vous laisser ensemble. Mais ne l’embête pas trop ! » Sur cette recommandation, elle rassembla une pile de linge qu’elle avait l’intention de laver. Après un dernier regard aux deux créatures qui restaient chez elle, elle s’en fut, non sans appeler les jeunes turbulents pour leur enjoindre de l’aider dans ses tâches ménagères. Visiblement soulagé de retrouver un semblant d’intimité, Siegfried s’assit délicatement sur le lit, auprès de la vane. Comme il restait silencieux, Fen prit la parole :

« Il va bien falloir que tu finisses par accepter ton petit frère, lui dit elle.
– Je n’y arrive pas, confessa l’aelfe qui avait laissé sa superbe de côté.
– J’ai l’impression qu’il t’admire, lui fit remarquer la louve. Il a envie d’attirer ton attention, c’est pour cela qu’il t’embête sans cesse.
– Il ne m’embête pas.
– Mon cher Siegfried, soupira Fen, tu es un homme plein de contradictions. Enfin. Est ce Bård qui te préoccupe ?
– Beaucoup de choses me préoccupent, déclara-t-il. Je sais que nous ne pouvions pas tuer Ull, mais le fait de le savoir toujours vivant me chagrine.
– Au moins, cela permet de garder Fenrir emprisonné.
– Oui, il est vrai que c’est un avantage non négligeable, approuva l’aelfe. Néanmoins, je ne pense pas que tous les autres ases vont vouloir le laisser dans cet état sans rien faire.
– Penses tu que quelqu’un va lui rendre son coeur ? s’enquit la louve.
– Il se pourrait.
– Je pense, moi, que tu t’inquiètes trop, lui dit elle. Ton pessimisme et tes rancoeurs t’empêchent de profiter de ta vie. Regarde, tu n’arrives même pas à profiter de ta victoire… Vous avez vaincu Ull ! Cela devrait donner lieu à une fête.
– Peut être, lui accorda Siegfried. Mais il faut bien que je prévoie quelque chose au cas où mes pressentiments se confirment, n’est ce pas ?
– Tu penses trop. » Balaya Fen. C’était une phrase qu’elle lui répétait depuis qu’ils étaient tous jeunes. Ils échangèrent un sourire complice. L’aelfe effleura le front de la vane de ses lèvres.

« Fen ! appela Bård avec entrain.
– Laisse la dormir un peu, voyons p’tit, le gourmanda Nurri qui était remonté de son atelier.
– Tout va bien, je suis réveillée à présent, apaisa la louve en se redressant.
– Où est Siegfried ? s’enquit l’adolescent.
– Il est parti pendant que tu lavais le linge avec Beyla, lui répondit la vane.
– Pourquoi ? demanda le garçon.
– Il est inquiet, alors il va vérifier si ses pressentiments sont fondés.
– Il est beaucoup trop sérieux, asséna Bård. Ca va le rendre malade à force. Et puis, il aurait pu me demander de venir avec lui ! Je suis tout à fait capable de l’aider !
– Je n’en doute pas, acquiesça la louve. Mais je te rappelle que tu as deux petites renardes à t’occuper. Pour le moment concentre toi sur cette tâche.
– Mais je peux faire des choses beaucoup plus compliquées que cela ! s’exclama-t-il.
– Parce que tu crois que c’est simple de s’occuper d’enfants ? Essaie donc, et tu verras bien. » Le ton de la louve était ironique. Elle subodorait que les mignonnes Sylveig et Skade allaient lui en faire voir de toutes les couleurs. A lui maintenant, de s’occuper d’orphelins.

Donc voilà, en gros ça c’est la fin, mais il me reste encore 7000 mots environ à écrire. Du coup je vais rajouter des passages. Voici le nouveau d’aujourd’hui :

Très rapidement, il aperçurent des fumées qui s’élevaient dans le ciel gris, qui menaçait de lâcher très bientôt une nouvelle rasade de neige. « Un village ? suggéra Bård.
– Il semblerait, confirma Fen.
– Y allons nous ? En leur posant des questions, nous pourrons peut être déterminer où se trouve Ull.
– Pourquoi pas. » La louve ne pensait pas qu’ils avaient vraiment besoin d’aller se renseigner auprès de ces gens. Elle songea que l’adolescent faisait une telle proposition car il ressentait le besoin de voir de nouveau de ses semblables, du moins des humains qui ne se montreraient pas hostiles. Il se dirigèrent donc dans la direction du petit village, dont les habitants devaient bien souffrir du froid avec Ull si proche. Lorsqu’ils s’approchèrent des petites maisons blotties les unes contre les autres dans la neige, ils consatèrent que seules quelques personne s’activaient au dehors, déblayant les monceaux de matière blanche devant leurs portes. La théorie de Fen selon laquelle Bård avait besoin de voir des gens parut se confirmer, car c’est lui qui prit les devant et aborda le premier homme emmitouflé qui se battait avec la neige.

« Bonjour ! lança-t-il avec enthousiasme.
– Un jour bon à toi aussi, répondit l’homme d’un ton un peu bourru. Et bien décidément, il semblerait que ce soit un jour à voyageur aujourd’hui !
– Ah bon, d’autres personnes sont elles passées par ici ? s’enquit curieusement le garçon.
– Pour ça oui, répondit l’homme avec véhémence en secouant ses boucle blond gris. Tout un groupe. Des chasseurs je dirais.
– Des chasseurs ? fit il mine d’être étonné. Leur prise a-t-elle été bonne ? Nous n’avons pas vu l’ombre d’un petit gibier…
– Je n’ai pas vu de viande mais si vous voulez mon avis, ils chassaient du plus gros, leur révéla l’homme emmitouflé sur le ton de la confidence.
– Je n’ai pas vu de gros gibier non plus, précisa l’adolescent.
– Oh, mais je parle de quelque chose d’encore plus gros, pouffa le villageois. En ce moment c’est la période de l’engouement à la capture des créatures magiques. Des gens paient cher pour ça.
– Voilà qui est intéressant, commenta Bård en ouvrant de grands yeux étonnés. Et où pourrions nous trouver ces chasseurs ?
– Vous voulez vous lancer dans la chasse aux vanes ? » S’enquit l’homme en jetant un regard en coin aux yeux dorés de Fen. Cette dernière resta stoïque et silencieuse. Elle avait décidé de laisser son petit d’homme gérer la situation. Elle n’interviendrait que si les choses tournaient mal, ce qui ne semblait pas devoir arriver. Ils ne se trouvaient qu’en présence de simples villageois.

« Oh oui, ça m’intéresserait tellement de rencontrer ces chasseurs ! s’exclama Bård avec toute la candeur du monde.
– Et bien, si telle est votre envie, ils ont pris la direction du nord, indiqua l’homme. Là où il fait le plus froid. Vous devriez les rattraper assez vite, ils ne sont pas passés il y a très longtemps.
– Merci beaucoup ! se réjouit l’adolescent. Vient tatie, nous allons rejoindre ces chasseurs, peut être ferons nous fortune ! » La vane hocha la tête. Le villageois loucha sur les deux épées à la ceinture de Fen. Ces deux voyageurs éveillaient sa curiosité. Malheureusement pour son côté commère, il n’eût pas le temps de s’enquérir plus avant sur eux, car le garçon était déjà parti en bondissant joyeusement, suivi par sa tante aux yeux dorés. Cette conversation ne s’était pas avérée très utile selon la louve, elle savait déjà où il fallait se diriger pour retrouver Ull, même si elle ne savait pas exactement où il se tenait. Mais cette histoire de chasseurs de créatures paraissait avoir intrigué le louveteau. Elle soupira. Elle sentait qu’il allait de nouveau vouloir se précipiter au devant de nouveaux ennuis.

Voilà. A partir de maintenant je vais juste poster des passages comme ça, sachant que je vais également rajouter des petites touches par ci par là, mais que je ne pourrai pas poster.

NaNoWriMo 2014 jour 19 : Bård

Bård n’avait pas attendu. Lorsque l’ase s’était emparé de son arc, il s’était empressé de placer l’encoche de son anneau sur la rune du bouleau. Quand la flèche fusa dans sa direction, son épée était devenue un bouclier de bois dans lequel elle se ficha. « Ta magie ne fait que retarder l’inévitable, l’informa Ull de sa voix de velour.
– C’est ce que tu crois ! » Fanfaronna l’adolescent. Toujours armé de son bouclier de bouleau, il fondit sur l’ase pour le trancher avec son couteau. Ull l’esquiva sans mal. Ils continuèrent ainsi leur ballet, évitant les coups l’un de l’autre avec plus ou moins de bonheur. L’ase ne paraissait faire aucun effort, contrairement à son jeune adversaire. « Tu ne t’en sortiras pas aussi facilement, lança Bård d’un ton bravache bien qu’haletant.
– Je n’ai pas besoin de me sortir de quoique ce soit, répondit chaleureusement le chasseur. Et je doute fort que tu puisses m’infliger une quelconque éraflure, malgré tes jolies babioles magiques.
– Tu es trop sûr de toi. » Sur cette assertion l’adolescent, qui avait repris son souffle, se lança de nouveau à l’attaque.

Le combat s’éternisait beaucoup trop, le garçon en avait conscience. Il ne pourrait jamais tenir la cadence aussi longtemps que son adversaire. Surtout qu’il lui semblait que Ull jouait avec lui comme un adulte bienveillant joue avec un enfant. Un jeu dangereux néanmoins, car si l’adolescent n’y prenait pas garde, il risquait de mourir. L’ase s’arrêta soudainement. « Nous devrions arrêter là nos simagrées. Rend toi à présent.
– Jamais ! Cracha Bård avec toute la témérité aveugle que lui conférait sa jeunesse.
– Puisque c’est vraiment ce que tu veux. » Ull soupira. Il tira une nouvelle flèche sur le garçon qu’il para avec son bouclier de bouleau. Sylveig cria. La flèche était en réalité un leurre car, lorsque Bård jeta un nouveau coup d’oeil au dessus de son bouclier, l’ase était déjà sur lui, brandissant son long couteau de chasse. Les yeux du garçon eurent à peine le temps de s’écarquiller qu’une masse bouscula Ull et roula par terre avec lui.
Les deux belligérants se retrouvèrent presque instantanément sur leurs pieds. L’adolescent se trouva presque heureux de constater que son frère venait d’apparaître. Il arrivait au bon moment ; Bård avait clairement vu sa fin arriver. Il se rendit compte qu’il n’était pas le seul lorsque la renarde aux yeux verts vint se coller à sa jambe. Il ne put s’empêcher de songer, avec une pointe de jalousie, que l’aelfe avait un léger côté poseur. La fine brise qui agitait ses cheveux, juste comme il fallait, en rajoutait à ce sentiment. Le flottement dura à peine une seconde. Les deux combattants se jetèrent derechef l’un à l’encontre de l’autre. La corne de narval et le couteau de chasse s’entrechoquèrent en une série de coups rapides.

Bård n’arrivait pas à repousser l’admiration qu’il éprouvait pour son frère en ce moment. Siegfried parvenait à tenir tête à un ase. Ull ne se permettait pas de jouer avec lui comme il jouait précédemment avec le garçon. Néanmoins il parait ou esquivait les attaques de l’aelfe avec toujours beaucoup d’aisance. Beaucoup trop de son point de vue. « Tu devrais peut être l’aider. » L’intervention de Sylveig le sortit de sa passivité. Elle avait raison. Il était tellement occupé à admirer son frère et l’ase qu’il en oubliait son implication. Il récupéra la forme flambante de son épée. Puis profita d’un bref instant où Ull ouvrait sa garde en écartant la corne de narval pour se glisser et le blesser. En réalité, il avait juste entaillé sa tunique. Mais il l’avait touché ! Emporté dans son élan il continua d’attaquer avec une ardeur décuplée. L’ase, irrité comme on le serait d’un moustique, tourna soudainement ses coups sur l’adolescent. Ce dernier vit une nouvelle fois la mort arriver sur lui, avant que Siegfried ne s’interpose une nouvelle fois, en le repoussant. En revanche, en sauvant une nouvelle fois son demi frère, il écopa d’une sérieuse blessure à son bras. Pas sa main d’épée heureusement.

« Ne reste pas dans le chemin, le rabroua-t-il avec irritation avant de repartir dans une passe d’armes avec Ull.
– Je n’étais pas dans le chemin, j’essayais de t’aider ! lança Bård.
– Et bien tes efforts sont vains, rétorqua l’aelfe en esquivant le couteau de chasse.
– Mère a dit que nous devions oeuvrer ensemble, insista désespérément le garçon.
– Oeuvre mieux, balaya Siegfried sur un ton définitif.
– Tout seul, tu n’arriveras pas à le tuer ! Persista-t-il avec entêtement.
– Me tuer ? » S’étonna Ull. Il bondit en arrière afin de pouvoir rire hors de portée de la corne de narval recouverte d’acier. « Vous comptez donc me tuer ? Mais voyons les enfants, je suis immortel…
– Les enfants, s’étrangla Siegfried. Tu viens de me traiter d’enfant ?!
– Mon intention n’était pas de te vexer, mais il faut te rendre à l’évidence : à mon échelle tu es très jeune et encore bien inexpérimenté. » L’aelfe n’avait pas l’intention de supporter un tel affront. L’ase avait trop tiré sur la corde.

« Bård, dit Siegfried. Il a raison : nous ne pourrons pas le tuer.
– Comment allons nous faire, alors ? s’enquit l’adolescent tandis que Ull les étudiait avec curiosité.
– Te rappelles tu ce que mère nous a fabriqué et comment cela fonctionne ?
– Evidemment ! s’exclama le garçon encore étonné que son frère lui parle sans aménité.
– Tient toi prêt à t’en servir.
– Pouvons nous reprendre ? s’enquit doucereusement l’ase.
– A l’instant. » Répondit sèchement Siegfried en fondant de nouveau sur lui. Bård réfléchit le plus rapidement possible. Son frère avait l’intention de se servir de la serrure et de la clef. Mais comment ? Il comptait visiblement que l’adolescent le sache. Celui ci tourna nerveusement son anneau sans savoir quelle destination choisir. Cela aurait il une influence ?

L’aelfe combattait furieusement. Il n’aimait pas être moqué. Essayant de ne pas s’appesantir sur cet affront, il restait fermement concentré sur son adversaire. Il ne pensait pas avoir plus d’une chance d’offrir une ouverture à son demi frère. Voilà l’ouverture. Siegfried prit la corne de métal à deux mains et l’enfonça le plus profondément qu’il put dans le torse de Ull. « Maintenant ! » Cria-t-il à Bård. Ce dernier bondit, glissa la clef couteau dans la serrure corne et déverrouilla la porte que son frère ouvrit brutalement. L’ase, paralysé par la porte qui s’ouvrait en lui, roulait des yeux surpris. L’adolescent se demanda comment il pouvait continuer à vivre. Sur les côtés du chambranle se voyaient les organes de Ull. Siegfried s’empara de l’épée de son demi frère, découpa le coeur de l’ase, puis le jeta dans le monde qu’ils avaient ouvert. Un monde vide et encore plus neigeux que chez eux, où les blizzards semblaient maîtres et où le ciel était en permanence noir de nuages. Ayant accompli son oeuvre, l’aelfe referma la porte. Bård la verrouilla et récupéra son couteau, en même temps que son épée que Siegfried lui tendait. Ce dernier récupéra sa corne de narval, refermant le corps de Ull. L’ase resta un instant debout, puis chuta, face contre terre.

« Je croyais qu’il ne pouvait pas mourir, dit l’adolescent en câlinant les deux renardes qui venaient lui mendier un peu de tendresse après tant d’émotions.
– Il n’est pas mort, lui assura son frère. Mais sans son coeur, il est paralysé dans un état bien proche de la mort. Maintenant, son influence va décroître. » Comme en réponse aux propos de Siegfried, les ifs autour d’eux se mirent à perdre leurs épines. Mais, comme leur maître, ils ne mourrurent pas totalement, les troncs restant droits et bien vivants. La neige en revanche, se mit à fondre, laissant enfin place au printemps qui avait été tellement repoussé. « Si nous lui rendions son coeur, sa vie lui reviendrait elle ? s’enquit Bård qui avait décidé de profiter du fait que son frère acceptait de lui parler.
– Oui, confirma platement l’aelfe. As tu l’intention d’ouvrir de nouveau la porte pour lui rendre son coeur ?
– Non, répondit le garçon. Je n’ai pas envie qu’il recommence à tuer des gens pour s’approprier leurs pouvoirs.
– Moi non plus, convint son frère.
– Dans ce cas là, tout va bien ! » s’enthousiasma Bård, heureux de constater que tout n’était pas affrontement entre Siegfried et lui. Il avait du mal à réaliser qu’il avait atteint cet objectif pour lequel il s’entraînait depuis six ans. Il n’arrivait pas à se dire que tout était terminé, que Ull avait bien été mis hors d’état de nuire. Au dessus de la cime des ifs dépouillés, il pouvait voir Svart et Mørk dessiner des cercles dans le ciel. Les petites vanes renardes s’étaient blotties dans ses bras. Même Skade, qui avait été prête de répondre à l’appel de l’ase chasseur. Il ferma les yeux et leva la tête vers les rayons de soleil printaniers, pour laisser son visage s’en imprégner. « Bon ! s’exclama soudain l’adolescent. Où se trouve Fen ? »

Les ténèbres lui donnaient un fort sentiment d’isolement. Mais l’isolement ne lui faisait pas peur. Elle avait l’habitude d’être un loup solitaire. Elle flottait donc là, indifférente à son isolement. Etait ce donc à cela que ressemblait la mort ? Allait elle errer ainsi sans but pour toute l’éternité ? Elle était un peu déçue. Elle aurait espéré ou ne plus penser, ou passer à quelque chose de plus intéressant. Pas forcément de grandiose, comme participer aux festins du Valhalla, mais de moins terne en tous cas. De plus, elle éprouvait un peu de froid dans cette immensité sombre. Elle n’aurait plus rien du ressentir pourtant, si ? Quel ennui. Etre condamnée à ne faire que penser dans les ténèbres tout en ayant froid. Vraiment, cette perspective ne l’enchantait pas du tout. Elle dressa l’oreille. Du moins, métaphysiquement. Elle avait cru percevoir un bruit, dans cet environnement vide. Elle cessa donc de penser, attentive. Pendant un long moment, qu’elle ne put quantifier mais qui lui parut long, elle attendit en vain. Peu importe, se disait elle, puisqu’elle avait tout le temps d’attendre. Ce n’était pas comme si elle avait quelque chose de plus intéressant à faire, n’est ce pas ? De nouveau, elle perçut quelque chose. Elle avait bel et bien entendu un bruit. Mais son origine était difficile à déterminer.

Elle l’entendit de nouveau. C’était plus clair, cette fois. Fen crut reconnaitre une voix. Qui pouvait donc parler tout haut dans cette immensité sombre et vide ? N’était elle donc pas seule ? Elle tourna toute son attention dans l’attente d’un potentiel nouveau bruit. « Snob ! » s’exclama la voix. Voilà qui était surprenant. Fen décida d’essayer de diriger son esprit en direction de la voix. Allait elle parler de nouveau ? « Minable. » Entendit elle à sa grande satisfaction. Mais il ne s’agissait pas de la même voix. Elle était plus grave et plus posée que la première. « Espèce de poseur ! » Répartit la première voix. Elle semblait plus jeune. Fen hésita. Il lui semblait qu’elle connaissait cette voix. « Avorton. » Répartit la deuxième voix. Elle se rendit compte qu’elle la connaissait aussi, cette deuxième voix. En même temps qu’elle entendait ces voix de plus en plus distinctement, elle prit conscience de son corps. Elle possédait toujours son corps. Peut être avait elle survécu à Fenrir finalement. Elle se concentra et réussit à faire l’effort d’ouvrir les paupières.

Le nouvel environnement qui s’offrit à son regard était flou mais, au moins, il n’était plus enveloppé de ténèbres infinies. A présent elle entendait clairement les deux personnes qui se disputaient et posa instantanément des noms sur elles. Bård et Siegfried se trouvaient non loin d’elle et se chamaillaient. « Tu n’es qu’un arrogant ! » persistait l’adolescent. « Je n’ai pas besoin d’argumenter avec un sale gosse de ton espèce. » rétorquait l’aelfe. Les lèvres de Fen s’étirèrent en un sourire. Elle voulut se redresser, mais l’effort lui arracha un gémissement. Les deux frères cessèrent aussitôt de se disputer.

NaNoWriMo 2014 jour 18 : Bård

Siegfried se mouvait à une vitesse ahurissante, comme une ombre entre les arbres. Il savait enfin où il devait se rendre. En quittant Fen et les corbeaux, il avait dégainé la corne de narval que lui avait légué sa mère. Il savait que le manche du couteau de Bård était composé de la base de la même corne. En tant qu’aelfe, il avait quelques tours dans son sac. C’était d’ailleurs bien pour cette raison que Ull recherchait à dévorer son pouvoir. Siegfried avait ordonné à sa lame annelée de retrouver la part qui lui manquait. Et, docilement, sa corne recouverte d’acier le dirigeait dans la direction du petit couteau. Un mauvais pressentiment le pressait et l’aelfe courait en réponse. Tout à sa hâte, l’aelfe trébucha presque sur l’une des nombreuses meutes du maître de ce bois d’if. « Je n’ai pas le temps. » Déclara-t-il tout haut en se mettant à bondir de chien en chien, comme si c’était naturel. Lorsqu’il arriva à la hauteur des archers à cheval, sans qu’ils aient eu le temps de réagir dans l’intervalle, il trancha de deux coups précis les cordes des arcs ennemis et reprit sa course comme si de rien n’était. Toute la meute se mit à le poursuivre, mais il allait beaucoup trop vite. Il disparut bientôt à leurs yeux et à leurs truffes.

« Et je suis enchanté de te rencontrer Bård, fils de l’aelfe Doelyn. » La voix de Ull était profonde et veloutée. Il se montrait tellement enchanteur que l’adolescent oublia un instant qu’il était venu le punir de la mort de ses parents. Les deux renardes se firent toutes petites derrière son dos. « Je t’ai fait chercher pendant longtemps, reprit l’ase. Toi, mais aussi ton frère. » Il leva distraitement la tête, comme si il entendait un bruit. Il sourit. « Il est en chemin. Pour te retrouver je suppose. Ou me tuer. Ou les deux. Cet aelfe est plein de colère. » Ull soupira. « Mais je le tuerai avant qu’il ne me tue. Il a assassiné ma tendre Skadi… Elle devait être l’ultime sacrifice pour mon avènement en tant que sauveur de l’univers et, à présent, elle n’est plus. Quelle tristesse. » Une larme glissa sur le visage parfait de l’ase. « Il a aussi rendu Fenrir complètement fou. Mais de cela je ne peux pas lui tenir rigueur. Je ne sais, moi même, pas comment me débarrasser de ce monstre, c’est pourquoi j’ai été contraint de l’enchaîner dans ma forêt. Il se calmera bien. Toutefois, rares sont ceux qui réussissent à le mettre dans une telle rage. » L’ase planta son regard bleu acier dans celui de l’adolescent et lui tendit la main. « Vient à moi, mon garçon, vient participer à la plus grande oeuvre de ta vie. »

Hypnotisé, Bård commença à s’avancer vers la main tendue. Paniquée, Sylveig le mordit fermement à l’épaule. L’adolescent s’arrêta aussitôt en secouant la tête. « Qu’est ce… commença-t-il en regardant autour de lui d’un air hébété.
– Oh, mais voilà une jeune vane très vilaine, la gourmanda Ull. Cela ne se fait pas de se mordre entre sacrifices. » Le charme qui maintenait Bård était rompu grâce à la petite renarde. Il dégaina son épée magique fabriquée par le réputé forgeron des étoiles et son couteau à la lame effilée fabriquée par sa mère. « Venez à moi tous les trois, reprit l’ase. Je vous offre l’opportunité de participer à quelque chose de grand et de magnifique qui vous dépasse.
– Non, posa l’adolescent.
– Non ! Renchérirent les petites soeurs renardes.
– Non ? s’étonna Ull dont le regard s’attardait désormais sur les jeunes vanes. Comment pouvez vous vous allier au meurtrier de votre père ?
– Vous racontez n’importe quoi ! Repartit Sylveig.
– Oui, n’importe quoi ! Appuya Skade.
– Tiens, vous ne me croyez pas, sussurra l’ase chasseur. Dans ce cas là, contemplez et voyez si je vous mens. » De son couteau de chasse, il découpa un cercle de glace de l’étange gelé. Il s’en empara et le tint devant lui comme si il leur présentait un miroir. Alors qu’ils allaient tous les trois intervenir, des images se formèrent à la surface de la glace. Ils purent y voir Bård tirer des flèches en direction du vane renard qui avait essayé de les capturer quelques temps auparavant. Puis la sanglante mise à mort du vane par Fen.

« Tu es vraiment cruel de montrer cela à des petites filles, fulmina le garçon.
– Ce n’est pas moi qui suis cruel, corrigea Ull. C’est la vérité qui l’est. Je ne fais que la dévoiler. Insinuerais tu que tu préfèrerais cacher cette vérité à ces deux charmantes enfants ? Ne méritent elles pas de savoir ?
– Ce n’est pas ce que j’ai dit ! » S’emporta Bård. Depuis que le charme était rompu, cet ase commençait sérieusement à l’énerver. Les renardes avaient glissé par terre. Il devait absolument les convaincre. Il cria à Ull : « Tu détournes la vérité ! Tu avais envoyé ce vane nous capturer Fen et moi. Nous ne faisions que nous défendre, sans même savoir qu’il s’agissait de leur père. » Le regard ironique de l’ase l’insupportait. Il s’écria : « Sylveig ! Skade ! Il essaie de vous tromper ! C’est de sa faute si votre père aussi est mort ! » Un silence pesant accueillit sa déclaration. Il n’osait pas se retourner pour regarder la réaction de ses deux cadettes, de peur de rater un mouvement du chasseur. Il restait en garde, menaçant l’ase. Afin de paraître encore plus dangereux, il fit flamboyer l’épée du forgeron des étoiles. Une soudaine morsure au niveau de sa cheville lui fit pousser un petit cri de surprise. Il baissa les yeux. La renarde aux yeux bleus s’agrippait à sa prise en grondant. « Lâche moi Skade ! s’exclama Bård.
– Lâche le ! » renchérit Sylveig horrifiée. Elle se jeta sur sa soeur afin de lui faire lâcher prise. La renarde aux yeux bleus finit par laisser la cheville de l’adolescent. Il grimaça. Les dents étaient petites mais pointues ; il souffrait atrocement.

« Viens, viens à moi, enjoignit plaisamment Ull à Skade. Je t’accueillerai avec les autres créatures qui font à présent partie de moi. Nous ne ferons qu’un et nous nous vengerons de ce meurtrier qui a tué ton père. » Ces propos résonnèrent profondément en Bård. Meurtrier il l’était, oui. Il avait tué des gens et ces gens étaient venus le hanter dans son sommeil. Il perdit un instant de sa superbe. Il ne pouvait pas en vouloir à Skade de sa réaction : lui même avait tué l’assassin de son propre père. Il se demanda ce qui lui avait pris d’emmener deux fillettes innocentes avec lui. Bien que c’était Fen qui avait mis le vane renard à mort, il ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable. De même, il n’avait pas pu sauver leur mère. C’était en réalité plutôt elle qui l’avait sauvé en emmenant tous ses assaillants avec elle. Il ressentit soudain un profond dégoût pour lui même. D’un oeil torve, il contempla Skade aux yeux bleus se diriger lentement, avec timidité, vers Ull. A côté de lui, Sylveig geignait, ne sachant ce qu’elle devait faire. Il pensa de nouveau à cette scène où il s’était pareillemment trouvé impuissant : lorsque la vane renarde s’était laissée tomber de l’à pic. Avant, elle lui avait souri. Elle lui avait confié ses petites. C’était d’ailleurs pour aller les chercher dans le terrier qu’ils s’étaient attardés avant de prendre la fuite et que leur mère avait décidé de mener les chasseurs sur une autre piste, pour lui permettre de se cacher avec Sylveig et Skade.

Il secoua la tête. Il ne pouvait pas laisser la petite renarde se faire absorber par Ull. « Skade, appela-t-il faiblement. Skade, je te demande pardon de ne pas t’avoir dit que Fen et moi avions tué un vane renard. » La fillette sous forme canine s’arrêta d’avancer. « Je suis vraiment désolé d’avoir fait une chose pareille, reprit il. Je sais que je ne mérite pas ton pardon. Mes parents aussi ont été massacrés, tu sais. Alors, je sais exactement ce que tu ressents en ce moment précis. » La renarde baissa la tête. « J’ai tué le meurtrier de mon père. Je ne crois pas que cela m’ait rendu meilleur, si tu veux tout savoir. Mais je comprends ton besoin de sang. C’est pourquoi… » Il se laissa tomber à genoux, bras écartés. « C’est pourquoi je te laisserai prendre ma vie, si c’est vraiment ce que tu souhaites. » Un silence accueillit sa déclaration. Ull lui même se taisait, surpris. Skade se retourna, les yeux remplis de larmes. Bård lui sourit et leva la tête, lui offrant ainsi sa gorge sans défense. « Ne laisse personne se venger pour toi. Si tu dois tuer quelqu’un, fait le toi même. » Conclut il. A ces mots, la renarde se précipita sur l’adolescent, tous crocs dehors. Elle bondit. Mais au lieu de l’attraper à la jugulaire, elle lui mordit l’épaule en pleurant. Le garçon l’étreignit affectueusement d’un bras. Elle le lâcha et retomba à terre. Il lui caressa la tête avec tendresse tandis que sa soeur bondissait sur elle à grands renforts de câlins.

Bård se releva. Il époussetta soigneusement la neige sur ses genoux. Puis il leva les yeux sur l’ase qui assistait à la scène avec ennui, tout en se remettant en garde. « Tes artifices resteront vains contre nous, asséna-t-il.
– Vous préférez donc subir la méthode la moins douce, soupira Ull. Décidément, peu sont ceux qui comprennent qu’en me laissant absorber leurs pouvoirs, je pourrai sauver des millions de vies en évitant le Ragnarök. Vous êtes tous tellement égoïstes à ne penser qu’à vos petites personnes… Méprisable. Vous êtes tous méprisables. » Il fondit sur les petites renardes qui se consolaient l’une l’autre. Mais Bård veillait. Malgré une morsure à la cheville et une autre à l’épaule, il interposa sa lame flamboyante juste à temps sur le chemin de l’ase, qui dut changer de trajectoire si il ne voulait pas voir ses bras tranchés. Comprenant qu’il devait d’abord venir à bout du fils de Doelyn si il voulait s’emparer des petites vanes, Ull concentra sa puissance sur lui. Il s’empara de son grand arc en if qui lui barrait le dos et le banda.

NaNoWriMo 2014 jour 17 : Bård

– Ah oui, c’est vrai. » Tout à sa concentration pour se débarrasser de la meute de chiens, il en avait oublié le principal : sa blessure était la cause de leur poursuite. Estimant qu’il se trouvait suffisamment loin pour que le cavaliers ne risquent pas de lui tomber dessus à l’improviste, il redescendit au sol. Il s’agenouilla dans la neige et en prit de grandes poignées pour s’occuper de nettoyer son éraflure causée par la flèche de l’archer. Sylveig voulut lécher le sang qui coulait de la plaie, mais Bård la repoussa sans ménagement. « C’est pour aider à te soigner, argument la petite renarde aux yeux verts.
– Oui, cela nettoie bien, renchérit Skade.
– Cela se peut, mais ce qui donne une odeur si forte à ma blessure est peut être du poison, leur opposa l’adolescent. Et ce n’est pas le moment de s’empoisonner.
– Moi je pense que si c’était du poison, tu serais déjà mort, rétorqua Sylveig.
– Je suis peut être en train de mourir, répartit le garçon.
– Non, moi je pense que ces personnes là préfèrent poursuivre leur proie, intervint la renarde aux yeux bleus.
– Peu importe. » Conclut Bård.

Les deux soeurs durent se ranger à l’avis de leur aîné et se contentèrent dès lors de le fixer sagement tandis qu’il bandait sa blessure dûement nettoyée à la neige. Ceci fait, il testa la fixation du bandage. Satisfait, il confectionna plusieurs boules de neige souillées qu’il jeta dans plusieurs directions au hasard. Puis il se lava se nouveau les mains dans de la neige propre et commenta : « J’espère que ça sera suffisant. » Les petites renardes acquiescèrent. Elles s’installèrent de nouveau sur leur monture qui se remit en route. Encore une fois, l’adolesccent n’avait aucune idée de la direction à suivre qui le mènerait jusqu’à Ull. L’idée de se rendre aux archers l’avait effleuré. Si il s’était laissé capturer, ils l’auraient très certainement emmené devant leur maître. Mais il craignait de ne plus se trouver en mesure de tuer Ull si il était mené devant lui en tant que prisonnier. Il aurait probablement été désarmé, voire attaché. Sans compter que cette situation aurait potentiellement pu s’avérer très dangereuse pour Sylveig et Skade les petites vanes. Tant pis. Puisque Fen avait l’air de penser que Ull se tenait au centre de son propre bois d’ifs, Bård s’efforça de s’enfoncer du côté le plus touffu de la forêt.

« Il est vraiment difficile de discerner quoique ce soit, maître, déplora Svart.
– Peu m’importe, balaya Siegfried. Continuez de chercher Fen et cet imbécile de Bård.
– Bien maître. » Se plia le corbeau qui reprit son essort et retourna explorer la forêt d’ifs en compagnie de Mørk. L’aelfe progressait d’un bon pas entre les arbres. Contrairement à son frère, il ne se préoccupait pas de la piste qu’il pourrait laisser puisque les gens de sa race ne laissaient aucune trace en marchant, y compris dans la neige moelleuse ou la terre meuble. Sur le qui vive, il éprouvait une grande inquiétude. Il avait pu constater, lors de sa précédente visite, que plusieurs entités plus ou moins dangereuses parcouraient ces bois. Il espérait que le petit groupe mené par Fen n’avait pas fait de mauvaise rencontre. Il avait éliminé la géante Skadi, cela faisait un risque potentiel en moins. Sa conscience profita de ce moment pour lui souffler qu’il n’aurait jamais réussi à vaincre la femme au fouet si Bård ne l’avait pas handicapée avec son épée magique. Il refoula bien vite sa conscience avec une question d’un tout autre ordre : d’où tirait il, d’ailleurs, une si belle ouvrage ? Tant mieux pour lui si cela lui permettait de survivre à la cour des grands. Mais que n’avait il pu se tenir, ce petit arrogant… Cette revanche contre Skadi c’était à lui seul, Siegfried, de s’en charger. Cette tête brûlée avait bien failli en périr. Attirer ainsi sur lui l’attention d’une adversaire aussi dangereuse, fallait il être vraiment idiot. Comment Fen avait elle pu s’embarrasser d’un tel poids ? Cela le dépassait. La loyauté ne pouvait pas tout expliquer. Franchement.

« Maître ! l’interrompit Mørk dans ses réflexions. Venez vite ! » Siegfried réagit instantanément et se précipita derrière l’oiseau. Le spectacle que lui firent découvrir les corbeaux était macabre. L’aelfe ne voyait pas de mot plus juste. A part, peut être, morbide. Du sang maculait la neige et les troncs des ifs de partout, accompagné de poils arrachés et parfois même de lambeaux de peau. Une véritable mise à mort s’était tenue là. Malgré sa répugnance face à une telle boucherie, Siegfried s’accroupit à côté d’un corps à priori humanoïde et écarta la chevelure qui lui en dissimulait le visage. Il écarquilla les yeux. Cette personne, qui qu’elle fut, était le portrait craché de Ull. Voici donc ce qu’étaient les mystérieux archers qui menaient les nombreuses meutes de chiens de l’ase : des reproductions de lui même. L’aelfe se releva, balayant du regard l’étendue de cadavres des canins et des deux cavaliers qui les accompagnaient. Qui, ou quoi, avait bien pu commettre une chose pareille ? Certains des cadavres étaient partiellement démembrés et dévorés, ce qui excluait la possibilité que ce soit l’oeuvre de Fen. Elle ne se serait pas attardée après s’être débarrassée de ses ennemis. Et, surtout, le chien ne faisait pas partie de ses habitudes alimentaires. Quelque chose de très dangereux parcourait ces bois.

« Il y a une grosse empreinte, maître. » L’informa Svart. Siegfried s’approcha. L’empreinte était grosse, en effet. Et maculée de rouge. Apparemment, le responsable du massacre de la meute avait pataugé dans le sang de ses victimes. En l’étudiant rapidement, il en conclut qu’elle ressemblait à une empreinte de patte de loup. Mais d’un loup formidable. Encore plus grand que Fen. « Suivrons nous ces empreintes ? s’enquit le corbeau tandis que son frère Mørk becquetait des morceaux de viande du cadavre de l’un des chiens.
– Oui, acquiesça l’aelfe. Suivons les, mais prudemment. Je souhaite éviter une confrontation avec un monstre pareil. » Il espérait de tout son coeur que la vane et ses protégés se trouvaient loin de cette bestiole carnassière. « Mørk, nous y allons, insista-t-il en constatant que le deuxième corbeau ne semblait pas prêt à laisser un tel festin.
– Mais, toute cette viande… protesta l’oiseau charognard.
– Nous y allons. » Le ton de l’aelfe ne laissait pas de place au compromis. En ronchonnant, Mørk rejoignit son frère.

Les empreintes ensanglantées les conduisirent jusqu’à une clairière. En débouchant dans l’espace libre, Siegfried s’empara instantanément de sa corne de narval plaquée d’acier et bondit sur l’énorme bête qui venait de mettre Fen à terre. Fenrir rugit, furieux, et accorda toute son attention à cet aelfe importun qui l’empêchait de dévorer le pouvoir de cette vane qu’il venait de vaincre. « Ne sur estime pas ta force, petit être. » Gronda le grand loup noir en faisant claquer sa mâchoire. Mais Siegfried avait esquivé. Etant donné la taille de la bête qui l’empêchait d’être aussi vive que lui, il pouvait éviter facilement n’importe laquelle de ses morsures. En revanche, le tuer était une autre affaire. Il avait beau percer le cuir de l’animal encore et encore, cela ne semblait jamais être suffisant. Il décida de viser des endroits encore plus sensibles. En quelques bonds agiles, toujours poursuivi par des claquements de la mâchoire qui essayait de l’attraper au vol, il se trouva assez haut dans un arbre pour se laisser tomber sur l’horrible tête et lui planter sa lame torsadée dans l’oeil. Fenrir poussa un glapissement retentissant. Siegfried esquiva prestement une nouvelle tentative de morsure. La douleur paraissait avoir fait entrer le grand loup dans une fureur aussi noire que son pelage qui paraissait absorber la lumière. Le regard fou de son oeil valide cherchait l’aelfe en tous sens et de la bave commençait à bouillonner dans sa gueule. « Attention maître ! Cria Svart. Il devient berserk ! »

A présent totalement enragé, Fenrir se mit à tout détruire sur son passage. Siegfried estima qu’il était temps de s’en aller. Il glissa jusqu’à Fen, qui s’était toute recroquevillée en position humanoïde. Il ne savait même pas si elle vivait encore. La prenant dans ses bras, il esquiva un coup de patte furieux du loup noir, et s’en fut se réfugier dans le couvert de la forêt d’ifs. Tout en fuyant, il se demandait si le monstre était capable de détruire tous les arbres. Il espéra que ce serait le cas car, ainsi, il serait plus facile de mettre la main sur Ull. Mais aussi sur Bård. Si Fen était ici, où pouvait bien se trouver cet idiot ?

Avant toute chose, il devait se réfugier dans un endroit suffisamment isolé pour s’occuper de la vane. D’endroits isolés il n’y avait pas foison. Siegfried se contenta dès lors de s’arrêter lorsqu’il n’entendit plus les hurlements de rages de Fenrir. Il posa un genou à terre et se servit de ses jambes comme de support pour poser le corps inerte. « Montez la garde et restez vigilants. » Ordonna-t-il aux corbeaux qui obéirent aussitôt. Sans plus s’occuper d’eux, il tourna toute son attention sur Fen. Elle avait été grièvement blessée. Elle saignait de partout et respirait à peine. Mais, au moins, elle respirait. L’aelfe ne put retenir un souffle de soulagement. En revanche il devait la soigner rapidement, sinon elle risquait de mourir bientôt. Il jura. Normalement il n’avait pas le temps pour ça. Et Bård qui risquait de faire des bêtises plus grosses que lui tant qu’il ne l’aurait pas retrouvé… Son regard erra sur le visage de Fen. Il n’avait pas de temps à perdre et ne voulait pas la laisser mourir. Il cessa de réfléchir et se mit à l’oeuvre. En quelques minutes, il eût nettoyé et bandé les plus grosses blessures de la vane. Ceci fait, il balaya un carré de la neige, déposa une fourrure sur le sol ainsi libéré et coucha la blessée le plus confortablement qu’il le put. Il la couvrit d’une autre fourrure. Maintenant qu’il avait commencé à la soigner, il serait ironique qu’elle meure de froid. Il ne devait pas perdre une minute de plus. « Svart, appela-t-il.
– Oui maître ?
– Assure toi qu’il ne lui arrive rien pendant mon absence. » Le corbeau n’eût pas le temps de répondre que l’aelfe avait déjà disparu.

« Comment compte-t-il que j’accomplisse une chose pareille dans ce bois mal fréquenté ? » Ronchonna Svart.

Bård en avait assez de chercher Ull. Il en avait assez des ifs. Il en avait assez que Fen ne soit pas avec eux. Il en avait assez de fuir les meutes de chiens qu’il entendait de temps à autre. Il en avait assez que son frère le traite comme un moins que rien. Il ne savait pas depuis combien de temps il se trouvait dans cette forêt. Il avait juste envie de se retrouver chez le forgeron des étoiles et de manger un plat chaud de Beyla. Que lui dirait la louve si elle se trouvait avec lui, se demanda-t-il. Elle lui dirait probablement quelque chose de l’ordre de : si il ne venait pas à bout de Ull, il ne pourrait pas profiter de nouveau de passer un moment chaleureux dans la demeure des deux dvergs. De toutes façons, si ses deux parents étaient morts, c’était du fait de cet Ull. Il avait vu les sbires qui avaient tué son père et sa mère lui avait dit que l’ase l’avait assassinée. Et cela, il ne pouvait pas le laisser passer. Ull devait payer.

Le coeur plein de sombres pensées, il trébucha. Doté de bons réflexes, il attrapa une branche de justesse qui lui permit de tomber sur ses pieds. Il prit alors conscience qu’il se trouvait au bord d’un petit étang gelé et qu’il n’était pas seul. Un homme aux longs cheveux aussi noirs que sa moustache contemplait rêveusement la glace. Il était revêtu d’une tunique verte et d’une cape de fourrure au capuchon repoussé en arrière. Comme Skadi la géante, il possédait un grand couteau de chasse et un arc en if lui barrait le dos. En revanche, il ne possédait pas de fouet. A la place, une épée pendait à sa ceinture. Toute sa personne dégageait un pouvoir immense. Bård en resta bouche bée. Constatant qu’il n’était plus seul dans sa clairière à l’étang, l’homme tourna sa tête vers les trois jeunes intrus et leur adressa un sourire avenant. « Soyez les bienvenus chez moi. » Les accueillit le doux rêveur d’une voix chaleureuse. Il exsudait la bienveillance par tous les pores de sa peau. Du moins était ce là l’impression qu’il donnait à l’adolescent, qui se trouvait à deux doigts de se jeter dans ses bras. « Je me nomme Ull. »

NaNoWriMo 2014 jour 15 : Bård

Les petites renardes ressemblaient à des fillettes de six ou sept ans, mais en version miniatures, d’environ la taille de poupées. Pour lui laisser les mains libres, elles finirent par s’accrocher à ses épaules.

« Pourquoi courrez vous moins vite que tout à l’heure, maître ? s’enquit Mørk d’un air idiot qui le rendait goguenard.
– Arrête de poser des questions stupides et vole. » Lui intima son frère en constatant que Siegfried ne daignait pas répondre. Fen, quant à elle, imputait la baisse de régime à deux raisons : la première parce que l’aelfe savait que son petit frère à moitié humain ne pourrait pas tenir un rythme plus soutenu. La seconde parce qu’il redoutait ce qui les attendait. Ce n’étaient que des suppositions tant le visage balafré restait fermé. Il les fit ainsi voyager pendant deux heures, avant que Bård ne montre des signes de fatigue. La louve initia alors une pause afin qu’il puisse souffler un moment. Siegfried toisa l’adolescent et lâcha d’un ton dédaigneux : « Les humains sont vraiment un fardeau.
– Je ne suis pas un hu main ! répartit le garçon essoufflé en détachant bien toutes les syllabes.
– Hey le grand aelfe ! interpella alors Sylveig. Ne soit pas vilain avec notre humain !
– Pas vilain ! renchérit Skade.
– Tout le monde se calme, gronda Fen. Nous entrons dans des territoires dangereux, alors silence. »

Les fillettes se turent, mais adressèrent dorénavant des séries de tirages de langue et de grimaces à Siegfried. Celui ci leva les yeux au ciel et battit en retraite. La petite renarde aux yeux verts déposa alors un baiser sur la joue de Bård. « Ne t’inquiète pas, lui murmura-t-elle.
– Ca se voit bien qu’il est bête, ajouta la petite aux yeux bleus en chuchotant. Il est vraiment très beau, mais complètement idiot.
– Nous, nous t’aimons. » Conclut Sylveig. Les deux fillettes se blottirent contre l’adolescent, qui ne savait pas comment réagir à autant de démonstrations d’affection.

Ils repartirent bientôt. Siegfried les menait en direction d’une grande étendue forestière. En s’approchant, les autres membres de son groupe s’aperçurent bientôt que tous les arbres de la forêt paraissaient être des ifs. « Est ce là que se trouve Ull ? haleta Bård.
– Oui, lui répondit Svart qui volaient à sa hauteur. Il réside dans cet endroit.
– Pourquoi étions nous pressés alors ? Une forêt ne s’envole pas, s’enquit l’adolescent.
– Celle là si, expliqua le corbeau. Elle suit Ull dans ses déplacements.
– Cela ne doit pas être pratique d’avoir une forêt qui nous suit, renifla Sylveig.
– Il ne doit jamais savoir où il va et trébucher sur des racines sans arrêt, renchérit Skade.
– Les arbres s’installent selon sa volonté, précisa l’oiseau. Je ne pense pas qu’il subit les problèmes que vous décrivez.
– Je suis sûre que si. » Persista Skade en remuant ses oreilles de renard. L’aelfe ralentit à l’approche de la forêt. Le froid se faisait plus intense, ici. Personne ne parlait plus. D’ailleurs, aucun son hormis celui du vent ne troublait l’atmosphère.

Quelque chose de menaçant les épiait, Fen en était certaine. L’odeur de cette chose était difficile à discerner. Elle sentait la neige, en plus métallique. Et une légère fragrance de sang l’entourait. Bård, Siegfried et la louve avaient instinctivement dégainé leurs armes. Ils continuèrent de s’approcher de l’orée de la forêt d’ifs avec prudence. Les deux corbeaux avaient pris de l’altitude pour détecter l’origine du danger. Un fouet claqua soudainement devant eux, traçant une ligne dans la neige, comme une barrière qui les empêcherait de passer. « Te voilà de nouveau, petit aelfe, salua une femme qui rejeta en arrière sa cape de neige qui la dissimulait.
– Skadi… » gronda Siegfried. Son petit frère écarquilla les yeux en contemplant la femme qui leur barrait le passage, tandis que les renardes se réfugiaient derrière lui. Elle était immense et dépassait l’aelfe et Fen d’une bonne tête. L’adolescent avait du mal à détacher son regard de cette beauté glaciale armée d’un fouet. Un arc lui barrait également le dos et un couteau de chasse pendait à sa ceinture. Pour le reste, elle portait une tenue d’été, visiblement insensible au froid environnant.

« Tu portes toujours cette arme ridicule, pouffa la grande Skadi à l’intention de Siegfried.
– Elle n’est pas ridicule ! protesta Bård avec véhémence.
– Ah, mais qui est donc ce petit demi aelfe ? se demanda la géante. Ne serait ce pas ton petit frère ?
– Tu vas regretter d’avoir prononcé ces mots devant moi. » Sur cette menace, l’aelfe fondit sur Skadi, esquiva le fouet qui venait le cueillir, et asséna un coup vif de sa corne d’acier. Mais elle ne rencontra qu’une gerbe de neige soulevée par la cape de la femme. Laissant les petites renardes derrière lui, Bård se précipita pour prêter main forte à son frère. Concentrée qu’elle était sur l’aelfe, l’adolescent en profita pour la blesser au flanc avec son épée magique à qui il faisait cracher un feu solaire. Skadi poussa un cri de douleur et envoya bouler son petit assaillant d’un monumental coup de poing. Sortant son couteau de chasse, elle s’apprêta à l’achever, mais sa lame fut interceptée par les deux de Fen, qui la repoussa. Siegfried se posta devant eux, faisant rempart. « Ne reste pas dans mes pattes, avorton, gronda l’aelfe.
– Mais… commença Bård.
– Ne reste pas dans mes pattes t’ai je dit ! l’interrompit son frère. C’est trop dangereux pour un misérable humain tel que toi. Fen, emmène le. Je vous rejoindrai. »

Skadi partit dans un grand rire. « J’ai rarement vu quelque chose d’aussi comique, s’esclaffa-t-elle. Tu demandes au seul d’entre vous qui a réussi à me blesser de s’en aller ?
– C’était un coup de chance, déclara dédaigneusement Siegfried.
– Tu crois vraiment que vous avez une chance, alors ? s’enquit la femme au fouet en riant toujours. Tu as déjà battu en retraite une fois face à moi, suite à cette magnifique balafre. Qu’est ce qui a changé depuis ? Je suis sûre que tu leur dis de partir pour qu’il ne te voient pas fuir une deuxième fois, la queue entre les jambes. En as tu une, d’ailleurs ? Je me le demande. » Elle rit de nouveau et se jeta sur Siegfried qui bouillait intérieurement.

Le fouet claqua en même temps qu’un rire glacial. L’aelfe avait prestement esquivé, ne laissant pas les railleries le déconcentrer. Pendant ce temps, Fen commençait à entraîner le garçon à l’écart, mais il l’arrêta en entendant de petits cris plaintifs. Il rebroussa aussitôt chemin pour récupérer les petites renardes terrifiées qui s’aggripèrent à lui et, après seulement, rejoignit la louve. Durant sa course, le fouet faillit l’atteindre, mais Siegfried s’interposa une nouvelle fois, découpant au passage un morceau de la cinglante lanière de cuir. A ce moment là, les corbeaux s’abattirent sur Skadi.

Bård et les vanes s’arrêtèrent bien après l’orée de la forêt d’ifs. « Pourquoi n’a-t-il pas voulu que je reste ? s’enquit l’adolescent avec fureur.
– C’était trop dangereux, laissa tomber Fen.
– J’ai pourtant réussi à la blesser ! insista-t-il.
– Oui, et grâce à toi, il va probablement pouvoir en venir à bout, dit la vane pour l’apaiser. Tu lui as offert une sacrée opportunité.
– Et c’est ainsi qu’il me remercie… Il ne m’aime toujours pas, déplora le garçon en caressant les têtes des petites renardes tremblantes afin de les rassurer.
– Je n’en serai pas aussi sûre, déclara Fen. Skadi est très dangereuse. Tu as certes réussi à la blesser, mais en faisant cela, tu devenais sa cible favorite. Je pense qu’il t’a repoussé pour te sauver la vie.
– Il a juste fait cela parce que je suis qu’un simple humain, déplora amèrement Bård. Il était juste jaloux que j’ai réussi à la blesser et pas lui.
– Tu deviens beaucoup trop pessimiste, lui fit remarquer la louve.
– Peut être, en convint il. Mais dans tous les cas, je ne suis pas un simple humain et je possède une épée magique. Il ne faut pas me sous estimer !
– Personne ne te sous estime. » Lui assura sa protectrice qui ne savait plus vraiment quoi dire pour calmer sa colère.

Elle n’eût pas besoin de chercher très loin. Les fillettes sous forme de renardes s’étaient mise à donner des coups de langue affectueux sur tout le visage du garçon avec application. Après un tel traitement, il ne parvint pas à rester fâché très longtemps. La louve sourit par devers elle. « Allez, cessons de traîner, nous devons trouver Ull. » Lorsqu’elle prononça ce nom, toute la forêt émit un frémissement. « Bien, je n’en parlerai plus. » Ajouta-t-elle une fois que tout fut redevenu calme. Elle renifla les alentours, mais la fragrance des ifs lui masquait toute autre odeur. Cela la fit grimacer. Perdre l’utilité de son odorat était pour elle comme perdre la vue. Elle se sentait terriblement amoindrie. Mais rien ne servant de tergiverser, elle s’enfonça plus avant dans la forêt, suivie par les trois jeunes. Elle espérait que Siegfried parviendrait à les rejoindre à temps si ils tombaient sur Ull. Ses deux fils devaient agir ensemble avait dit Dame Doelyn. Fen ne savait pas dans quelle mesure savoir ouvrir des portes les aiderait à combattre l’influence de l’ase, mais elle leur faisait confiance. Elle même n’était là que pour protéger Bård, ainsi qu’elle l’avait promis à Sigurd et à l’adolescent lui même.

La forêt se fit de plus en plus touffue et, bientôt, même la louve ne savait plus dans quelles directions ils allaient, ni si ils ne tournaient pas en rond. Il n’y avait pour ainsi dire pas d’indication dans cette forêt. Tous les arbres étaient des ifs et tout le sol était recouvert de neige. Il y avait bien un rocher çà et là, mais rien qui ne leur permette de prendre de vrais repères. Et, toujours, ce silence oppressant et quasi surnaturel. « Il fait vraiment froid, dans cette forêt, souffla Bård.
– Oui, confirma Fen. Mais c’est normal puisque nous nous aventurons dans la demeure du roi de l’hiver. » Elle ne se risquerait pas une nouvelle fois à invoquer le nom de Ull dans cet étrange bois composé uniquement d’ifs. Ils débouchèrent finalement sur un espace vide. La louve crut un moment qu’ils étaient ressorti de la forêt mais se rendit rapidement compte qu’il ne s’agissait que d’une clairière. Voilà qui semblait étrange. Qu’est ce que Ull ferait d’un trou dans sa forêt ?

« Et si nous nous arrêtions là un instant ? proposa l’adolescent. Nous pourrions faire un feu et nous reposer un peu…
– Oh oui, reposons nous, renchérirent les petites renardes.
– Mmmh, je ne sais. » Fen était réticente. « Inspectons un peu cet endroit avant de nous installer. » Les trois plus jeunes soupirèrent de lassitude, mais obéirent néanmoins. La louve devait savoir de quoi elle parlait et Bård savait d’expérience qu’il valait mieux l’écouter, même si elle disait parfois des choses un peu bizarres. Ils explorèrent la clairière avec minutie et, ne trouvant rien de visiblement dangereux, s’assirent avec délectation. Le garçon avait sorti son épée et l’avait enflammée, ce qui réjouissait Skade et Sylveig au plus haut point. Fen, en revanche, restait sur ses gardes. Le fait de ne pas parvenir à utiliser son odorat l’inquiétait. Se reposer ne paraissait pas une mauvaise idée en soi, même si elle n’en avait pas besoin. Et puis, cela laisserait du temps à Siegfried pour les retrouver. Malgré tous ces bons arguments, la présence de cette clairière ne laissait pas de la questionner. Elle s’efforça de se détendre et tourna son attention sur les trois jeunes blottis ensemble, qui contemplaient avec admiration les flammes qui jaillissaient de l’épée magique reliée à l’anneau.

Un sinistre craquement retentit, interrompant leur repos. Tous se retrouvèrent instantanément sur leurs pieds. Un monstre fit irruption dans la clairière. Il s’agissait d’un loup, mais il était gigantesque ; au moins deux fois plus imposant que Fen lorsqu’elle se trouvait sous forme lupine. Mais surtout, son pelage était plus noir que la nuit. Tellement noir qu’il absorbait la lumière. « Bienvenue chez moi, leur dit il d’une voix caverneuse et grondante. Prenez donc vos aises. » Son haleine était d’un froid intense, bien plus que l’air glacial qui les environnait. D’étranges rubans lui enserraient le cou et leur origine se perdait au loin dans la forêt. Bård et les petites renardes restaient tétanisés par l’apparition. Fen se posta devant eux. « Tu es aussi une louve, remarqua le loup noir. Tu comprendras donc mon désarrois.
– Qui es tu ? s’enquit la vane d’un ton suspicieux.
– Celui qui demande doit se présenter le premier, repartit le fauve au souffle glacé.
– Je me nomme Fen, indiqua celle ci en preuve de bonne foi.
– Oh, voici une étrange coïncidence, se réjouit le loup. Mon nom est Fenrir ; il fait écho au tien. Douce Fen, voudrais tu s’il te plait ôter ces chaînes qui m’empêchent de sortir de ces bois ?
– Il ne s’agit que d’un ruban, s’étonna la louve. Il te suffit de le mordre pour t’en débarrasser.
– J’aimerais, soupira l’immense animal noir. Mais il est magique, m’empêchant de l’enlever. L’hôte de ces bois me retient prisonnier. »

Fen hésitait.

NaNoWriMo 2014 jour 14 : Bård

– Je… hésita l’adolescent. Nous ne pouvons pas les emmener avec nous, ce serait beaucoup trop dangereux pour elles.
– Si tu les laissais toutes seules, elles seraient tout aussi condamnées à périr, fit remarquer la vane.
– Fen, quelle est la solution ? se désespéra Bård.
– La solution… Il y a plusieurs solutions, lui dit doctement la louve. Ou nous les laissons toutes seules, auquel cas elles risquent effectivement de mourir. Ou nous les emmenons avec nous, auquel cas Ull risquerait de les tuer. Ou nous les emmenons chez Beyla et Nurri, auquel cas nous risquerions de perdre la trace de Ull, car Siegfried sait où il se trouve en ce moment. Et nous riquerions de mettre plusieurs mois avant de le retrouver et Ull continuerait ainsi ses ravages. Pour le moment, je ne vois que ces trois solutions. Il n’y en a aucune de bonne. Il te faut choisir.
– Fen, murmura l’aelfe. Tu peux parfois te montrer tellement cruelle… » Inflexible, la vane ne répondit pas. Selon elle, il ne lui appartenait pas de prendre ce genre de décision. Devant Ull, le petit frère aurait peut être des choix encore plus difficiles à faire ; autant qu’il commence à prendre l’habitude dès maintenant. Il y avait eu trop peu de décisions compliquées à prendre lorsqu’ils vivaient dans le havre de paix du forgeron des étoiles et de sa petite femme. Ce qui faisait que dès qu’une situation à l’apparence inextricable se présentait, Bård se reposait entièrement sur elle.
Ce dernier resta un moment silencieux. Il souleva de nouveau un pan de fourrure pour contempler les deux renardes qui dormaient dans ses bras. « Crois tu que ça se mange, ça, Svart ? s’enquit Mørk.
– Non, cela t’empoisonnerait l’estomac, comme lorsque tu as voulu manger ces baies que je t’avais interdit de manger. » Lui répondit son frère avec aigreur. Dérangées par la voix stridente du corbeau idiot, les petites vanes bougèrent et ouvrirent de grands yeux étonnés.

« Tu es revenu monsieur l’humain ! se réjouit la plus intrépide de deux, celle qui possédait les yeux verts.
– Arrête de m’appeller ainsi, soupira Bård.
– Où est maman ? s’enquit la deuxième en remuant ses oreilles de velour. Tu avais dit que tu reviendrais avec elle.
– Je… Je suis désolé, bafouilla l’adolescent. Je suis arrivé trop tard.
– Trop… tard ? » Répéta la renarde, tandis que les grands yeux de sa soeur et les siens s’écarquillaient d’horreur. « Tu l’as laissée mourir ! » l’accusa-t-elle en découvrant ses petits crocs blancs. Le garçon, lui, accusait le coup. Il avait dit la même chose à Fen à propos de son père. Il lui jeta un regard contrit, mais aucune émotion ne transparaissait sur le visage humanoïde de la louve. L’autre renarde, celle aux yeux verts, le fixait d’un oeil pénétrant.

« Laisse le tranquille Skade, finit elle par dire pour calmer sa soeur. Ce n’est pas de sa faute. » Malgré le courage dont elle voulait faire preuve, sa voix tremblait. « Laisse, Skade, répéta-t-elle.
– Mais, Sylveig ! protesta la renarde aux yeux bleus.
– Ta soeur a raison, intervint Fen en s’approchant et dardant sur elles sont regard doré. Pour le moment, la question demeure : qu’allons nous faire de vous ?
– Les manger ! suggéra joyeusement Mørk avant de subir un coup de bec de Svart.
– Es tu une louve ? s’enquit Skade en reniflant tandis que Sylveig jetait un regard méfiant au corbeau qui voulait les manger.
– Cela ne se voit il pas ? » ironisa Fen. La présence d’un autre canin, même un canin qui ressemblait actuellement à un deux pattes, parut rassurer les petites soeurs. « Mais cela ne répond pas à ma question, persista-t-elle.
– Emmenez nous avec vous, demanda Sylveig aux yeux verts.
– Nous ne voulons pas rester toutes seules, renchérit Skade aux yeux bleus.
– Nous allons dans un endroit beaucoup trop dangereux pour les enfants, intervint Siegfried.
– Monsieur l’humain s’il vous plait, supplia Sylveig, nous n’avons plus de maman et papa a disparu, laissez nous venir avec vous. »

En voyant les bouilles suppliantes des jeunes renardes, Bård sentit son coeur chavirer. Constatant qu’elles avaient en lui un allié potentiel, elles prirent soudainement leur forme humanoïde, tout en gardant leurs oreilles et leur queue de renard, et s’agrippèrent désespérément à lui. « S’il te plait monsieur l’humain ! » persistèrent elles en choeur tout en se collant à lui et frottant leurs petites têtes rousses contre son torse. « Ne nous abandonne pas ! » Fen se mordit la lèvre inférieure pour s’empêcher de rire. Son protégé n’avait aucune chance face à de tels arguments. Elle jeta un coup d’oeil à Siegfried et lui adressa un signe de tête. Il inclina la sienne et, sans mot dire, se mit en route. La louve le suivit et les corbeaux s’envolèrent dans leur sillage. « Si je vous laisse venir avec moi, vous me promettez de faire tout ce que je vous dis et d’être sages ? leur signifia-t-il à leur grand soulagement.
– Oh oui ! » roucoulèrent elles. Bård soupira. Il serait toujours temps de les dissimuler dans un coin si la confrontation avec Ull se faisait trop imminente. Les mini fillettes toujours dans ses bras, il se dépêcha de rejoindre Fen.

NaNoWriMo 2014 jour 13 : Bård

Disposant à présent de toute leur attention, elle descendit à leur rencontre. « Nous essayons de faire entendre raison à ce renard. » Répondit l’un des hommes. Il arborait une moustache noire touffue et une grande quantité d’anneaux d’or ornaient ses doigts. « Pourrions nous savoir ce qu’une voyageuse fabrique par ici toute seule ?
– Je chasse les chasseurs de vanes, répondit elle sur le ton de la conversation.
– Haha, voyez vous cela. » Se gaussa le moustachu. Ses compagnons rirent en écho. « Et que crois tu pouvoir faire contre nous, au juste ?
– Mmmh, et bien je dois pouvoir vous couper en rondelles, fit elle mine de réfléchir en agitant négligeamment l’une de ses lames devant elle.
– Toute seule contre nous tous ? s’étonna l’un des hommes.
– Elle doit être un esprit elle aussi, supposa un autre.
– Nous t’avons entendu hurler comme un loup, reprit celui à la moustache noire. Vas tu déchaîner tout tes pouvoirs de louve géante pour nous combattre ?
– Tous mes pouvoirs ? » Fen partit dans un grand rire. Glacial. « Pas besoin de mes pouvoirs de vane pour tous vous mettre à bas. » Gronda-t-elle. Tandis qu’elle jouait son petit numéro, la louve espérait que Bård avait réussi à mener la renarde à l’écart. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait plus discerner son protégé. Elle se mit en garde, défiant du regard les hommes armés de piques et de filets. Elle devrait peut être se métamorphoser en loup pour s’enfuir ; se faire capturer et mener à Ull ne serait pas très utile à la cause des deux fils de la Dame Doelyn.

« Puisque tu insistes, nous aurons deux vanes à présenter au Seigneur Ull au lieu d’un seul, se réjouit le moustachu.
– Chef ! l’interrompit quelqu’un. Le renard s’enfuit !
– Comment ? Rattrapez le ! Ordonna l’homme. Vous cinq, restez avec moi et attrapons celle là ! » Ils fondirent sur Fen qui, utilisant ses épées comme elle utilisait ses crocs en tant que louve, avait de quoi les recevoir. Tandis qu’elle parait les assauts, elle s’inquiétait. Pourquoi avaient ils été capables de voir la renarde s’enfuir ? Elle aurait du se trouver largement hors de vue avec Bård. Quelque chose ne tournait pas rond. Et elle devait s’en assurer. Devait elle se changer en loup pour éclaircir tout cela le plus rapidement possible ?

Son précieux chargement dans les bras, l’adolescent courait à en perdre haleine. Ignorant le vent glacial qui faisait pleurer ses yeux, les obstacles au sol qu’il ne voyait pas et qui lui écorchaient les jambes, l’air froid qui lacérait ses poumons. Il finit par se rendre compte qu’il n’était plus suivi. « Mince ! lâcha-t-il tout haut.
– Maman dit qu’il ne faut pas dire des grossièretés, intervint un filet de voix encore un peu apeuré qui provenait de ses bras.
– Où est elle d’ailleurs ? demanda une deuxième petite voix.
– Maman ? appela la première voix.
– Chut, taisez vous. » Leur intima Bård. Deux têtes de toutes petites filles émergèrent de chaque côté des bras de l’adolescent pour regarder curieusement derrière lui, l’une de ses yeux bleu ciel et l’autre de ses yeux vert émeraude. Des oreilles veloutées de renard jaillissaient de leurs opulentes chevelures rousses.

« Monsieur l’humain, maman n’est plus là, reprit la petite renarde aux yeux verts. Arrête toi !
– Mamaaan ! chouina la deuxième.
– Fermez vos clapets à la fin ! » S’emporta le garçon. Il s’arrêta néanmoins, essoufflé, tandis que les petites s’agrippaient à lui, tremblantes de s’efforcer de se retenir d’appeler leur mère. « C’est bien, les encouragea-t-il. Continuez de ne pas faire de bruit. » Il jeta des coups d’oeil tout autour de lui afin de chercher un endroit où il pourrait laisser les petites en sécurité pour retourner sur ses pas voir ce qu’il en était. Il jeta son dévolu sur un épineux touffu. Mais, au moment de grimper, il se rendit compte que sans ses bras, cela s’annonçait difficile. « Accrochez vous à mes épaules, leur demanda-t-il. Nous allons nous cacher là haut. » Les fillettes lui obéirent et escaladèrent le dos du garçon jusqu’à ses épaules, leurs queues flamboyantes et touffues se balançant au rythme du déplacement de Bård. Lorsqu’il se fut assuré qu’elles se tenaient solidement à lui, il grimpa lestement de branche en branche. Une fois suffisamment haut pour que qui que ce soit se trouve dissimulé aux regards indiscrets qui regarderait du sol, il déposa son chargement, qui se retransforma en deux petites renardes apeurées. Il les installa dans un creux du tronc et s’apprêta à redescendre. Mais les toutes jeunes vanes se mirent à pousser des gémissements plaintifs. « Je serai vite de retour, leur promit il pour les consoler. Je vais juste voir ce qu’il se passe derrière.
– Mais il fait froid ici, monsieur l’humain, se plaignit celle aux yeux bleus.
– Froid ? » L’adolescent récupéra l’une de ses fourrures et les enveloppa à l’intérieur. « Voilà, vous êtes au chaud et en sécurité. Maintenant plus un bruit, je reviens vite. »

Il se laissa chuter de branche en branche jusqu’en bas et rebroussa chemin. Où se trouvait donc cette renarde ? Elle le talonnait à peine quelques instants auparavant. Il finit par repérer l’endroit où leurs traces s’étaient séparées. D’ailleurs, les poursuivants étaient tellement stupides qu’ils n’avaient même pas suivi sa série de traces à lui. Ils s’étaient visiblement concentrés sur la proie la plus grosse : la vane. Tout en restant attentif aux bruits alentours, ils les suivit à son tour. Il entendit une clameur dans la direction des traces. Il pressa le pas et déboucha sur une falaise surplombant un fjord. Il se laissa tomber par terre car, sur ce terrain découvert, une dizaine d’hommes acculaient de nouveau la vane renarde. Elle était près de tomber dans le vide, mais ses chasseurs ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils avaient jeté plusieurs filets sur elle et s’efforçaient de la hâler. Mais elle tenait bon. Soudain, son regard croisa celui de Bård. « Tient ta promesse ! » Lui lança-t-elle par dessus le brouhaha. Sur ces mots, elle prononça des paroles étranges, et une brume orangée enveloppa ses assaillants, les hébétant. « Venez avec moi. » Leur enjoignit elle d’une voix charmeuse avec un petit rire de gorge. Puis elle les entraîna tous dans le vide. L’adolescent cria et se précipita. Mais il était trop tard. Ils s’écrasèrent tous plusieurs dizaines de mètres plus bas. « Non… » gémit il. En pensant aux petites renardes, les larmes lui montèrent aux yeux et il percuta le sol de son poing le plus fort possible. Il s’arracha bientôt au spectacle macabre qui s’offrait en contrebas et fit demi tour. Il avait des petites filles à réconforter. Il aurait grand besoin de Fen pour l’aider. Elle aurait d’ailleurs déjà du le rejoindre. Que pouvait elle donc bien faire ?

Encerclée, Fen ne pensait pas qu’elle pourrait tenir longtemps le rythme. Elle avait déjà blessé au moins deux des chasseurs et, pour le moment du moins, aucun n’était parvenu à la toucher elle. Elle n’avait pas trop de deux épées. La vane commençait à caresser sérieusement l’idée de se métamorphoser pour s’enfuir, mais aussi pour retrouver Bård et la renarde qui avaient écopé de beaucoup trop de poursuivants. Elle s’inquiétait. Une estafilade lui rappela douloureusement qu’elle n’avait pas le temps de s’inquiéter pour autrui. Elle perdait trop de temps : elle devait se changer en loup. Au moment où elle allait entamer sa métamorphose, deux masses noires s’abattirent sur deux des assaillants, les aveuglant et un troisième se retrouva avec une corne de narval plaquée d’acier qui jaillissait de son cou. Fen profita de l’occasion pour se défaire des deux restants, tandis que Siegfried mettait à mort ceux qui se débattaient avec Svart et Mørk. « Voilà bien une chose qui m’avait manquée, déclara l’aelfe en guise de salutations.
– De quoi, les massacres ? s’enquit fraîchement la vane.
– Non, de faire des activités avec toi.
– Il y a plus ludique, comme activité, nota Fen qui était agréablement surprise de voir Siegfried et de ses propos. Mais que t’est il arrivé ? » Le visage auparavant parfait de l’aelfe s’ornait à présent d’une grande balafre qui courait depuis sa tempe jusqu’à son menton.

« Une mauvaise rencontre, éluda-t-il en grimaçant. Et pour toi ?
– Oh, ça, dit elle en soulevant son bras bandé avec soin par Bård. Une morsure. Mais lui est mort.
– Qui ? Bård ?
– Non, celui qui m’a mordue, précisa Fen. Tu penses bien que je n’aurais pas laissé mourir quelqu’un sous ma protection. En parlant de Bård, je suis surprise de t’entendre l’appeler par son prénom. » Siegfried ne répondit pas et son visage afficha l’impassibilité. La louve supposa que malgré ces sept années, il n’avait toujours pas digéré l’existence de son demi frère. Quel aelfe têtu. « Je dois le retrouver, s’inquiéta-t-elle. Aurai je le plaisir de te voir m’accompagner ?
– Oh oui je pense qu’il t’accompagnera, s’exclama Mørk avec toute la candeur du monde. Le maître se demandait ce que devenait ce petit humain effronté que sa mère lui avait donné comme frère. C’est bien comme cela qu’il l’a dit, n’est ce pas Svart ?
– Tais toi, soupira sempiternellement le deuxième corbeau.
– Je viendrai avec toi, déclara Siegfried. Mais seulement parce qu’il y a bien trop longtemps que nous n’avons pas pu passer un moment ensemble. Les humains te prennent beaucoup trop de temps. »

Fen sourit et se mit à courir dans la direction qu’elle supposait que Bård avait prise. Les corbeaux s’envolèrent à sa suite et l’aelfe se mit à sa hauteur. « N’irais tu pas plus vite en tant que loup ? lui demanda Siegfried.
– J’ai accepté de ne pas le faire, expliqua la louve. Ton frère craignait que ma blessure guérisse mal si je changeais sans cesse de forme.
– Et tu te plies à sa volonté ?
– Il avait raison, sous ma forme à deux pattes ça utilise moins de bandages. C’est lui qui m’a soignée, sais tu ? » Ils s’arrêtèrent à l’endroit où deux séries de traces dans la neige se séparaient. Fen huma l’air. Bård pouvait se trouver aussi bien dans une direction que dans l’autre. Siegfried se pencha alors sur le sol pour étudier les marques de plus près.

« Il a fait plusieurs allers et retours, estima l’aelfe. Mais les traces les plus récentes montrent cette direction. » Il désignait la direction que l’adolescent avait prise avant qu’il ne décide de choisir un arbre pour cacher son précieux chargement. Siegfried et Fen coururent le long des marques, puis s’arrêtèrent. Bård venait à leur rencontre. Il avait l’air abattu et portait un paquet de fourrures. Les corbeaux voletèrent autour de lui en guise de salutations, puis se perchèrent sur des branches proches. L’adolescent esquissa un faible sourire en voyant sa protectrice, mais hésita en voyant son demi frère. Celui ci revêtit son masque d’impassibilité tandis que la vane s’approchait pour vérifier si le garçon était blessé.

« Tu n’as rien, constata-t-elle avec satisfaction. Où est la renarde que nous avions décidé de sauver ?
– Et bien… » Bård chercha ses mots. Il ne savait pas comment annoncer la triste nouvelle. « Elle s’est jetée dans le vide avec ses ennemis.
– Oh… s’attrista la louve. « Que transportes tu ?
– Un trésor qu’elle m’a dit de garder. » Répondit l’adolescent en dévoilant le contenu de son paquet de fourrures. Les petites renardes étaient enroulées l’une autour de l’autre et dormaient comme seuls les bébés savent le faire. « Quand je suis retourné les chercher après… bref, reprit difficilement Bård. Quand je suis retourné les chercher, elles s’étaient endormies. Qu’allons nous faire d’elles ? Elles sont trop petites pour rester toutes seules… » Fen se doutait que la situation des toutes jeunes vanes lui rappelait la sienne propre, ce fameux jour où elle l’avait pris sous son aile. L’adolescent referma délicatement les fourrures pour qu’elles ne souffrent pas du froid et jeta à la louve un regard suppliant.

« T’attendrais tu à ce que j’ai une solution ? s’enquit curieusement la vane. Que penses tu que nous devrions faire, toi ?