– Si tu les laissais toutes seules, elles seraient tout aussi condamnées à périr, fit remarquer la vane.
– Fen, quelle est la solution ? se désespéra Bård.
– La solution… Il y a plusieurs solutions, lui dit doctement la louve. Ou nous les laissons toutes seules, auquel cas elles risquent effectivement de mourir. Ou nous les emmenons avec nous, auquel cas Ull risquerait de les tuer. Ou nous les emmenons chez Beyla et Nurri, auquel cas nous risquerions de perdre la trace de Ull, car Siegfried sait où il se trouve en ce moment. Et nous riquerions de mettre plusieurs mois avant de le retrouver et Ull continuerait ainsi ses ravages. Pour le moment, je ne vois que ces trois solutions. Il n’y en a aucune de bonne. Il te faut choisir.
– Fen, murmura l’aelfe. Tu peux parfois te montrer tellement cruelle… » Inflexible, la vane ne répondit pas. Selon elle, il ne lui appartenait pas de prendre ce genre de décision. Devant Ull, le petit frère aurait peut être des choix encore plus difficiles à faire ; autant qu’il commence à prendre l’habitude dès maintenant. Il y avait eu trop peu de décisions compliquées à prendre lorsqu’ils vivaient dans le havre de paix du forgeron des étoiles et de sa petite femme. Ce qui faisait que dès qu’une situation à l’apparence inextricable se présentait, Bård se reposait entièrement sur elle.
Ce dernier resta un moment silencieux. Il souleva de nouveau un pan de fourrure pour contempler les deux renardes qui dormaient dans ses bras. « Crois tu que ça se mange, ça, Svart ? s’enquit Mørk.
– Non, cela t’empoisonnerait l’estomac, comme lorsque tu as voulu manger ces baies que je t’avais interdit de manger. » Lui répondit son frère avec aigreur. Dérangées par la voix stridente du corbeau idiot, les petites vanes bougèrent et ouvrirent de grands yeux étonnés.
« Tu es revenu monsieur l’humain ! se réjouit la plus intrépide de deux, celle qui possédait les yeux verts.
– Arrête de m’appeller ainsi, soupira Bård.
– Où est maman ? s’enquit la deuxième en remuant ses oreilles de velour. Tu avais dit que tu reviendrais avec elle.
– Je… Je suis désolé, bafouilla l’adolescent. Je suis arrivé trop tard.
– Trop… tard ? » Répéta la renarde, tandis que les grands yeux de sa soeur et les siens s’écarquillaient d’horreur. « Tu l’as laissée mourir ! » l’accusa-t-elle en découvrant ses petits crocs blancs. Le garçon, lui, accusait le coup. Il avait dit la même chose à Fen à propos de son père. Il lui jeta un regard contrit, mais aucune émotion ne transparaissait sur le visage humanoïde de la louve. L’autre renarde, celle aux yeux verts, le fixait d’un oeil pénétrant.
« Laisse le tranquille Skade, finit elle par dire pour calmer sa soeur. Ce n’est pas de sa faute. » Malgré le courage dont elle voulait faire preuve, sa voix tremblait. « Laisse, Skade, répéta-t-elle.
– Mais, Sylveig ! protesta la renarde aux yeux bleus.
– Ta soeur a raison, intervint Fen en s’approchant et dardant sur elles sont regard doré. Pour le moment, la question demeure : qu’allons nous faire de vous ?
– Les manger ! suggéra joyeusement Mørk avant de subir un coup de bec de Svart.
– Es tu une louve ? s’enquit Skade en reniflant tandis que Sylveig jetait un regard méfiant au corbeau qui voulait les manger.
– Cela ne se voit il pas ? » ironisa Fen. La présence d’un autre canin, même un canin qui ressemblait actuellement à un deux pattes, parut rassurer les petites soeurs. « Mais cela ne répond pas à ma question, persista-t-elle.
– Emmenez nous avec vous, demanda Sylveig aux yeux verts.
– Nous ne voulons pas rester toutes seules, renchérit Skade aux yeux bleus.
– Nous allons dans un endroit beaucoup trop dangereux pour les enfants, intervint Siegfried.
– Monsieur l’humain s’il vous plait, supplia Sylveig, nous n’avons plus de maman et papa a disparu, laissez nous venir avec vous. »
En voyant les bouilles suppliantes des jeunes renardes, Bård sentit son coeur chavirer. Constatant qu’elles avaient en lui un allié potentiel, elles prirent soudainement leur forme humanoïde, tout en gardant leurs oreilles et leur queue de renard, et s’agrippèrent désespérément à lui. « S’il te plait monsieur l’humain ! » persistèrent elles en choeur tout en se collant à lui et frottant leurs petites têtes rousses contre son torse. « Ne nous abandonne pas ! » Fen se mordit la lèvre inférieure pour s’empêcher de rire. Son protégé n’avait aucune chance face à de tels arguments. Elle jeta un coup d’oeil à Siegfried et lui adressa un signe de tête. Il inclina la sienne et, sans mot dire, se mit en route. La louve le suivit et les corbeaux s’envolèrent dans leur sillage. « Si je vous laisse venir avec moi, vous me promettez de faire tout ce que je vous dis et d’être sages ? leur signifia-t-il à leur grand soulagement.
– Oh oui ! » roucoulèrent elles. Bård soupira. Il serait toujours temps de les dissimuler dans un coin si la confrontation avec Ull se faisait trop imminente. Les mini fillettes toujours dans ses bras, il se dépêcha de rejoindre Fen.