– Je chasse les chasseurs de vanes, répondit elle sur le ton de la conversation.
– Haha, voyez vous cela. » Se gaussa le moustachu. Ses compagnons rirent en écho. « Et que crois tu pouvoir faire contre nous, au juste ?
– Mmmh, et bien je dois pouvoir vous couper en rondelles, fit elle mine de réfléchir en agitant négligeamment l’une de ses lames devant elle.
– Toute seule contre nous tous ? s’étonna l’un des hommes.
– Elle doit être un esprit elle aussi, supposa un autre.
– Nous t’avons entendu hurler comme un loup, reprit celui à la moustache noire. Vas tu déchaîner tout tes pouvoirs de louve géante pour nous combattre ?
– Tous mes pouvoirs ? » Fen partit dans un grand rire. Glacial. « Pas besoin de mes pouvoirs de vane pour tous vous mettre à bas. » Gronda-t-elle. Tandis qu’elle jouait son petit numéro, la louve espérait que Bård avait réussi à mener la renarde à l’écart. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait plus discerner son protégé. Elle se mit en garde, défiant du regard les hommes armés de piques et de filets. Elle devrait peut être se métamorphoser en loup pour s’enfuir ; se faire capturer et mener à Ull ne serait pas très utile à la cause des deux fils de la Dame Doelyn.
« Puisque tu insistes, nous aurons deux vanes à présenter au Seigneur Ull au lieu d’un seul, se réjouit le moustachu.
– Chef ! l’interrompit quelqu’un. Le renard s’enfuit !
– Comment ? Rattrapez le ! Ordonna l’homme. Vous cinq, restez avec moi et attrapons celle là ! » Ils fondirent sur Fen qui, utilisant ses épées comme elle utilisait ses crocs en tant que louve, avait de quoi les recevoir. Tandis qu’elle parait les assauts, elle s’inquiétait. Pourquoi avaient ils été capables de voir la renarde s’enfuir ? Elle aurait du se trouver largement hors de vue avec Bård. Quelque chose ne tournait pas rond. Et elle devait s’en assurer. Devait elle se changer en loup pour éclaircir tout cela le plus rapidement possible ?
Son précieux chargement dans les bras, l’adolescent courait à en perdre haleine. Ignorant le vent glacial qui faisait pleurer ses yeux, les obstacles au sol qu’il ne voyait pas et qui lui écorchaient les jambes, l’air froid qui lacérait ses poumons. Il finit par se rendre compte qu’il n’était plus suivi. « Mince ! lâcha-t-il tout haut.
– Maman dit qu’il ne faut pas dire des grossièretés, intervint un filet de voix encore un peu apeuré qui provenait de ses bras.
– Où est elle d’ailleurs ? demanda une deuxième petite voix.
– Maman ? appela la première voix.
– Chut, taisez vous. » Leur intima Bård. Deux têtes de toutes petites filles émergèrent de chaque côté des bras de l’adolescent pour regarder curieusement derrière lui, l’une de ses yeux bleu ciel et l’autre de ses yeux vert émeraude. Des oreilles veloutées de renard jaillissaient de leurs opulentes chevelures rousses.
« Monsieur l’humain, maman n’est plus là, reprit la petite renarde aux yeux verts. Arrête toi !
– Mamaaan ! chouina la deuxième.
– Fermez vos clapets à la fin ! » S’emporta le garçon. Il s’arrêta néanmoins, essoufflé, tandis que les petites s’agrippaient à lui, tremblantes de s’efforcer de se retenir d’appeler leur mère. « C’est bien, les encouragea-t-il. Continuez de ne pas faire de bruit. » Il jeta des coups d’oeil tout autour de lui afin de chercher un endroit où il pourrait laisser les petites en sécurité pour retourner sur ses pas voir ce qu’il en était. Il jeta son dévolu sur un épineux touffu. Mais, au moment de grimper, il se rendit compte que sans ses bras, cela s’annonçait difficile. « Accrochez vous à mes épaules, leur demanda-t-il. Nous allons nous cacher là haut. » Les fillettes lui obéirent et escaladèrent le dos du garçon jusqu’à ses épaules, leurs queues flamboyantes et touffues se balançant au rythme du déplacement de Bård. Lorsqu’il se fut assuré qu’elles se tenaient solidement à lui, il grimpa lestement de branche en branche. Une fois suffisamment haut pour que qui que ce soit se trouve dissimulé aux regards indiscrets qui regarderait du sol, il déposa son chargement, qui se retransforma en deux petites renardes apeurées. Il les installa dans un creux du tronc et s’apprêta à redescendre. Mais les toutes jeunes vanes se mirent à pousser des gémissements plaintifs. « Je serai vite de retour, leur promit il pour les consoler. Je vais juste voir ce qu’il se passe derrière.
– Mais il fait froid ici, monsieur l’humain, se plaignit celle aux yeux bleus.
– Froid ? » L’adolescent récupéra l’une de ses fourrures et les enveloppa à l’intérieur. « Voilà, vous êtes au chaud et en sécurité. Maintenant plus un bruit, je reviens vite. »
Il se laissa chuter de branche en branche jusqu’en bas et rebroussa chemin. Où se trouvait donc cette renarde ? Elle le talonnait à peine quelques instants auparavant. Il finit par repérer l’endroit où leurs traces s’étaient séparées. D’ailleurs, les poursuivants étaient tellement stupides qu’ils n’avaient même pas suivi sa série de traces à lui. Ils s’étaient visiblement concentrés sur la proie la plus grosse : la vane. Tout en restant attentif aux bruits alentours, ils les suivit à son tour. Il entendit une clameur dans la direction des traces. Il pressa le pas et déboucha sur une falaise surplombant un fjord. Il se laissa tomber par terre car, sur ce terrain découvert, une dizaine d’hommes acculaient de nouveau la vane renarde. Elle était près de tomber dans le vide, mais ses chasseurs ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils avaient jeté plusieurs filets sur elle et s’efforçaient de la hâler. Mais elle tenait bon. Soudain, son regard croisa celui de Bård. « Tient ta promesse ! » Lui lança-t-elle par dessus le brouhaha. Sur ces mots, elle prononça des paroles étranges, et une brume orangée enveloppa ses assaillants, les hébétant. « Venez avec moi. » Leur enjoignit elle d’une voix charmeuse avec un petit rire de gorge. Puis elle les entraîna tous dans le vide. L’adolescent cria et se précipita. Mais il était trop tard. Ils s’écrasèrent tous plusieurs dizaines de mètres plus bas. « Non… » gémit il. En pensant aux petites renardes, les larmes lui montèrent aux yeux et il percuta le sol de son poing le plus fort possible. Il s’arracha bientôt au spectacle macabre qui s’offrait en contrebas et fit demi tour. Il avait des petites filles à réconforter. Il aurait grand besoin de Fen pour l’aider. Elle aurait d’ailleurs déjà du le rejoindre. Que pouvait elle donc bien faire ?
Encerclée, Fen ne pensait pas qu’elle pourrait tenir longtemps le rythme. Elle avait déjà blessé au moins deux des chasseurs et, pour le moment du moins, aucun n’était parvenu à la toucher elle. Elle n’avait pas trop de deux épées. La vane commençait à caresser sérieusement l’idée de se métamorphoser pour s’enfuir, mais aussi pour retrouver Bård et la renarde qui avaient écopé de beaucoup trop de poursuivants. Elle s’inquiétait. Une estafilade lui rappela douloureusement qu’elle n’avait pas le temps de s’inquiéter pour autrui. Elle perdait trop de temps : elle devait se changer en loup. Au moment où elle allait entamer sa métamorphose, deux masses noires s’abattirent sur deux des assaillants, les aveuglant et un troisième se retrouva avec une corne de narval plaquée d’acier qui jaillissait de son cou. Fen profita de l’occasion pour se défaire des deux restants, tandis que Siegfried mettait à mort ceux qui se débattaient avec Svart et Mørk. « Voilà bien une chose qui m’avait manquée, déclara l’aelfe en guise de salutations.
– De quoi, les massacres ? s’enquit fraîchement la vane.
– Non, de faire des activités avec toi.
– Il y a plus ludique, comme activité, nota Fen qui était agréablement surprise de voir Siegfried et de ses propos. Mais que t’est il arrivé ? » Le visage auparavant parfait de l’aelfe s’ornait à présent d’une grande balafre qui courait depuis sa tempe jusqu’à son menton.
« Une mauvaise rencontre, éluda-t-il en grimaçant. Et pour toi ?
– Oh, ça, dit elle en soulevant son bras bandé avec soin par Bård. Une morsure. Mais lui est mort.
– Qui ? Bård ?
– Non, celui qui m’a mordue, précisa Fen. Tu penses bien que je n’aurais pas laissé mourir quelqu’un sous ma protection. En parlant de Bård, je suis surprise de t’entendre l’appeler par son prénom. » Siegfried ne répondit pas et son visage afficha l’impassibilité. La louve supposa que malgré ces sept années, il n’avait toujours pas digéré l’existence de son demi frère. Quel aelfe têtu. « Je dois le retrouver, s’inquiéta-t-elle. Aurai je le plaisir de te voir m’accompagner ?
– Oh oui je pense qu’il t’accompagnera, s’exclama Mørk avec toute la candeur du monde. Le maître se demandait ce que devenait ce petit humain effronté que sa mère lui avait donné comme frère. C’est bien comme cela qu’il l’a dit, n’est ce pas Svart ?
– Tais toi, soupira sempiternellement le deuxième corbeau.
– Je viendrai avec toi, déclara Siegfried. Mais seulement parce qu’il y a bien trop longtemps que nous n’avons pas pu passer un moment ensemble. Les humains te prennent beaucoup trop de temps. »
Fen sourit et se mit à courir dans la direction qu’elle supposait que Bård avait prise. Les corbeaux s’envolèrent à sa suite et l’aelfe se mit à sa hauteur. « N’irais tu pas plus vite en tant que loup ? lui demanda Siegfried.
– J’ai accepté de ne pas le faire, expliqua la louve. Ton frère craignait que ma blessure guérisse mal si je changeais sans cesse de forme.
– Et tu te plies à sa volonté ?
– Il avait raison, sous ma forme à deux pattes ça utilise moins de bandages. C’est lui qui m’a soignée, sais tu ? » Ils s’arrêtèrent à l’endroit où deux séries de traces dans la neige se séparaient. Fen huma l’air. Bård pouvait se trouver aussi bien dans une direction que dans l’autre. Siegfried se pencha alors sur le sol pour étudier les marques de plus près.
« Il a fait plusieurs allers et retours, estima l’aelfe. Mais les traces les plus récentes montrent cette direction. » Il désignait la direction que l’adolescent avait prise avant qu’il ne décide de choisir un arbre pour cacher son précieux chargement. Siegfried et Fen coururent le long des marques, puis s’arrêtèrent. Bård venait à leur rencontre. Il avait l’air abattu et portait un paquet de fourrures. Les corbeaux voletèrent autour de lui en guise de salutations, puis se perchèrent sur des branches proches. L’adolescent esquissa un faible sourire en voyant sa protectrice, mais hésita en voyant son demi frère. Celui ci revêtit son masque d’impassibilité tandis que la vane s’approchait pour vérifier si le garçon était blessé.
« Tu n’as rien, constata-t-elle avec satisfaction. Où est la renarde que nous avions décidé de sauver ?
– Et bien… » Bård chercha ses mots. Il ne savait pas comment annoncer la triste nouvelle. « Elle s’est jetée dans le vide avec ses ennemis.
– Oh… s’attrista la louve. « Que transportes tu ?
– Un trésor qu’elle m’a dit de garder. » Répondit l’adolescent en dévoilant le contenu de son paquet de fourrures. Les petites renardes étaient enroulées l’une autour de l’autre et dormaient comme seuls les bébés savent le faire. « Quand je suis retourné les chercher après… bref, reprit difficilement Bård. Quand je suis retourné les chercher, elles s’étaient endormies. Qu’allons nous faire d’elles ? Elles sont trop petites pour rester toutes seules… » Fen se doutait que la situation des toutes jeunes vanes lui rappelait la sienne propre, ce fameux jour où elle l’avait pris sous son aile. L’adolescent referma délicatement les fourrures pour qu’elles ne souffrent pas du froid et jeta à la louve un regard suppliant.
« T’attendrais tu à ce que j’ai une solution ? s’enquit curieusement la vane. Que penses tu que nous devrions faire, toi ?