NaNoWriMo 2014 jour 24 et 25 : Bård

Fin du chapitre surnuméraire :

Les nuits, Siegfried chantait souvent avec les loups. Plus il se sentait préoccupé, plus il répondait à leurs appels. C’était ce qu’il avait l’intention de faire pour fuir les questions dérangeantes de Riulf. Peut être parce qu’il avait la tête ailleurs, l’aelfe ne perçut pas le danger, lui d’habitude si attentif, jusqu’à ce qu’un filet lui tombe dessus. Il sortit instantanément sa lame en corne de narval pour en trancher les mailles, mais des cordes vinrent rapidement en renforts au filet et de bouger l’entortillait plus que cela ne le délivrait. En quelques secondes à peine, il se retrouva totalement immobilisé et encerclé de chasseurs goguenards, fiers de leur prise. Les aelfes étaient difficile à capturer. Ils commençaient déjà à se taper dans le dos et à rire de satisfaction.
Siegfried maudit son inconscience. Que ne s’était il pas été montré plus prudent ? A quoi servirait le sacrifice de sa mère si il se faisait attraper par Ull sans avoir pu mettre fin à son horrible moisson ? Ecumant, il fut emmené sans autre forme de procès, comme une bête de somme, sa précieuse lame confisquée. Ses ravisseurs n’eurent pas le temps de se réjouir de leur capture que des voix se mirent à retentir dans les bois. « Hoho qu’avons nous là ? claironna une première voix.
– De petits êtres qui s’aventurent dans nos bois sans vergogne, ajouta la deuxième voix sur un ton moralisateur.
– Ceux qui entrent sans autorisation s’exposent à notre colère, tonna une troisième voix beaucoup plus grave et caverneuse que les deux premières.
– Et que leur fait on à ceux qui s’exposent à notre colère, hein ? Que leur fait on ? reprit la première voix avec des accents hystériques. Hein ? Qu’allons nous leur faire ? Ha ha ha ha haaa ! » La voix continua de rire encore et encore, d’un rire fou apparemment sans fin. Les braconniers ne paraissaient pas très courageux tout d’un coup. Des voix dont ils ne pouvaient déterminer l’origine avaient de quoi les inquiéter. Surtout l’hystérique. Les petits humains se pelotonnaient les uns contre les autres, inquiets. Ses geôliers se montraient bien pitoyables, l’aelfe serra les dents. Néanmoins ils ne se débandaient pas, malgré les efforts de Svart, Mørk et Riulf pour les effrayer.
Constatant que malgré les menaces il ne se passait pas grand chose, les chasseurs commencèrent à reprendre contenance. Siegfried jura intérieurement. En se rendant compte que leur stratagème ne fonctionnait pas, l’ours et les corbeaux allaient passer à l’attaque et l’aelfe n’aimait pas cette idée. Ils allaient devoir beaucoup trop s’exposer et cela l’inquiétait. Mørk continuait inlassablement de faire retentir les bois de son rire de forcené. Tous s’arrêtèrent de nouveau lorsque Riulf lança d’une voix tonitruante : “Vous allez tous périr !” Une énorme masse brune fit irruption et bouscula les humains comme de vulgaires fétus de paille. Mais ceux ci étaient nombreux et paraissaient très expérimentés. Les chasseurs restés debout s’attaquèrent immédiatement à l’ours. “Va-t-en ! C’est dangereux !” cria l’aelfe au vane. Ce dernier l’ignora, enragé qu’il était par le combat. Alors qu’il s’apprêtait à aller aider son ami malgré ses mains liées dans le dos, Siegfried sentit des griffes se planter dans ses mains. Svart – ou peut être Mørk – s’employait à cisailler la corde à grand renfort de coups de bec.
Le temps que l’oiseau parvienne à délivrer son maître, Riulf avait déjà écopé de plusieurs blessures. Les chasseurs apeurés avaient plus l’intention de sauver leurs vies que de capturer le fauve qui les attaquait. L’aelfe sentit ses liens se distendre. Il ne perdit pas un instant et se mit à l’oeuvre, avec ses poings puisqu’il ne disposait plus de sa lame. Siegfried avait subi un entrainement de guerrier et, même désarmé, il se montrait un adversaire redoutable. Il libéra rapidement le vane ours de ses assaillants. Le sang du jeune Riulf gouttait d’innombrables blessures, mais il tenait bon. Face à l’aelfe et à l’ours, sachant que Mørk continuait à rire de manière hystérique pour déconcerter les braconniers, ces derniers commencèrent à battre en retraite. Un seul ne parvint pas à disparaitre dans les bois ; Riulf le maintenait de ses puissantes pattes. Alors que l’homme criait de peur, l’ours approcha sa gueule sanglante et lui arracha la corne de narval recouverte d’acier qu’il tenait de ses deux mains. Il laissa s’enfuir le chasseur effrayé et tendit la précieuse lame à Siegfried. « Merci mon ami, déclara chaleureusement l’aelfe. Partons d’ici et trouvons un endroit calme où je pourrai m’occuper de tes blessures. »
Ainsi firent ils. Certaines des plaies de Riulf parurent profondes à Siegfried. Il le soigna comme il le put, mais le jeune ours avait besoin de repos pour sa cicatrisation. « Riulf, lui dit alors l’aelfe. Tu ne peux pas continuer de me suivre avec ces blessures.
– Bien sûr que si, elles ne me dérangent pas pour marcher, argumenta l’ours.
– Je le sais bien, repartit Siegfried. Ce n’est pas de cela que je m’inquiète. Mais j’ai besoin d’un puissant guerrier à mes côtés. Ce que tu seras sans conteste une fois guéri. » Le vane ne répondit pas, mais l’aelfe sentit que ses mots avaient fait mouche. Ce jeune là avait envie de se rendre utile et il avait aussi grandement apprécié le compliment. L’aelfe reprit : « Une fois que je serai prêt à repartir en guerre contre Ull, je ferai appel à toi. En attendant, va reprendre des forces.
– Et vous, qu’allez vous faire ? s’enquit l’ours.
– Je vais aller me mesurer une fois de plus à Ull, répondit Siegfried. Et puis, j’irai retrouvai Fen.
– Fen ? Qui est ce ? demanda Riulf.
– C’est la nounou de son petit frère Bård, gloussa Mørk.
– Oh. » Le vane avait compris que Siegfried rechignait toujours à parler de son frère, mais qu’il comptait néanmoins faire appel à lui. Il trouvait cela réjouissant. Il hocha solennellement sa grosse tête brune.
Ils firent leurs adieux. Mørk se répandit en pleurs et reniflement. Svart le consola en lui promettant qu’ils retrouveraient très bientôt leur ami Riulf. Leurs chemins se séparèrent. « Maître, l’interpella Svart alors qu’ils se dirigeaient vers le bois d’ifs de l’ase Chasseur.
– Qu’y a-t-il ?
– Comptez vous réellement faire appel à Riulf lors de votre prochain combat contre Ull ?
– Bien sûr que non Svart, répondit Siegfried. Ses blessures étaient l’opportunité rêvée pour l’envoyer au loin en sécurité.
– Il risque d’être vexé, nota le corbeau.
– Sa sécurité m’importe plus que son amour propre, balaya l’aelfe.
– Ce n’est pas gentil gentil gentil ! Oh non, pas gentil gentil gentil ! » chantonna Mørk en voletant joyeusement d’arbre en arbre. Siegfried l’ignora.
Une fois sortis des bois, ils arrivèrent rapidement en vue de la forêt d’ifs qui changeait de place selon les caprices de Ull. Ils se postèrent en vue de la lisière, attentifs à la présence de Skadi, la géante qui protégeait l’accès au bois d’ifs. Ils restèrent en surveillance pendant de longues heures, jusqu’à ce qu’enfin un convoi de braconniers viennent rendre compte à la géante au fouet de leur butin pour Ull. Siegfried saisit cette occasion de pénétrer dans la forêt magique de l’ase, en compagnie des deux corbeaux. Une fois entre les ifs, il savait que d’autres dangers l’attendaient. Il envoya les oiseaux en éclaireur et glissa comme une ombre au milieu des arbres. A cause des meutes du Chasseur qui vagabondaient de partout, l’aelfe dut emprunter plusieurs chemins détournés. Attentif au moindre bruit suspect, il progressait avec circonspection. Au bout d’un très long moment, Siegfried arriva enfin dans la clairière centrale de la forêt d’ifs, où Ull rêvassait, une main soutenant sa tête et sa chevelure noire flottait dans la brise. Ce dernier se redressa immédiatement lorsque l’aelfe fit irruption dans son sanctuaire. « Que le jour te soit bon, fils de Doelyn, le salua-t-il de sa voix charmeuse. As tu enfin décidé de te soumettre comme le fit ta mère ?
– Elle ne s’est jamais soumise, s’énerva Siegfried. Ne prononce plus jamais son nom devant moi, tu le souilles et je ne le tolère pas.
– Bon, l’apaisa Ull. Que viens tu faire ici alors, si ce n’est pour me prêter ta force ?
– Je viens de nouveau mesurer ma force contre toi, répondit l’aelfe d’un ton dur.
– Tu sais que tu ne peux pas lutter contre moi, lui dit l’ase de sa voix toujours charmeuse. Je vais te vaincre et absorber ta force. Pourquoi cherches tu à compliquer les choses ?
– Tu ne comprendrais pas. »
L’aelfe se mit en garde face à Ull, qui lui sourit gentiment. Irrité de ne pas être pris au sérieux, Siegfried attaqua le premier. L’ase l’esquiva sans peine, comme si il s’agissait d’un jeu. Ils échangèrent quelques passes d’arme en guise d’échauffement. Puis Ull fit accélérer le mouvement. Petit à petit d’abord, puis de plus en plus rapidement. L’aelfe étant un guerrier agile – même pour ceux de sa race – il parvint à suivre la cadence pendant un bon moment. Mais l’ase restait un ase et personne ne pouvait surpasser un ase. Siegfried commençait à se fatiguer. Svart et Mørk, perchés sur une branche voisine, s’apprêtaient à intervenir. L’aelfe trébucha et les corbeaux se jetèrent à la rescousse. Mais Ull les balaya. « Pensiez vous vraiment que vous arriveriez à vous en sortir de la même façon que la dernière fois ? » L’ase paraissait sincèrement étonné. Les oiseaux, qui avaient été projetés contre des troncs, reprenaient difficilement conscience. Ull hocha la tête d’un air navré et tourna de nouveau son attention sur Siegfried. « Prépare toi, enfant de Doelyn. » L’ase brandit son couteau de chasse.
Une masse brune et poilue posa sa grosse patte devant l’aelfe, en signe de protection. Ull hésita à peine et planta sa lame dans le cuir de l’ours. « Mais, que… ? balbutia Siegfried.
– Part, souffla Riulf. Tu ne peux plus rien pour moi. » Il fallut un simple coup d’oeil à l’aelfe pour se rendre compte que le vane avait raison. L’ase avait tranché une artère vitale et l’ours perdait rapidement de ses forces, en même temps que son sang qui se répandait au sol, sous le regard de convoitise de Ull. Il n’eût qu’une seconde d’hésitation avant de faire volte face et de courir, attrapant les corbeaux sonnés au passage, avant de disparaître dans la forêt. Il jeta un bref regard en arrière. Riulf avait repris sa forme humanoïde, un genou en terre. Ce fut la dernière image qu’il emporta du jeune vane ours. Pourquoi ne l’avait il pas écouté et n’était il pas allé passer sa convalescence dans un endroit en sécurité ? Pourquoi était il venu se mettre sous la lame de Ull ? Siegfried jura, alors que la culpabilité montait dans son coeur. Pourquoi ne l’avait il pas directement rabroué lorsqu’il l’avait sauvé de ces braconniers humains ? Le sentiment que cet ours dévoué était mort par sa faute commençait déjà à ronger l’aelfe. Son orgueil lui jouerait des tours, lui avait un jour dit Fen. Il avait la prétention qu’il pouvait lutter seul contre Ull et il avait eu tort. Il n’en courut que plus rapidement, animé par l’énergie de la rage.

Et puis un bébé prologue est sorti subrepticement de son oeuf sans que je m’en rende compte :

« Il est dit qu’un jour, l’hiver verra son temps tripler et qu’il sera sans lumière. Qu’une immense bataille aura lieu. Que les ases eux mêmes y participeront et mourront sur ce champ de mort qui les attend. Que le monde sera submergé par les flots et transformé en cendres par les flammes.
“Cette fin du monde tel que nous le connaissons, tout le monde lui donne le nom de Ragnarök. Tout sera sans dessus dessous. Les frères et soeurs se battront entre eux jusqu’à la mort. Tous attendront en vain le printemps. Ce sera un temps où l’acier règnera, par les haches et les épées, mais aucun bouclier ne parviendra à protéger quiconque de la mort. Tous seront pris dans la tourmente, les tempêtes et les hurlements des loups. Personne ne sera épargné, tous auront à souffrir du Ragnarök. La plupart en mourront et n’assisteront pas au monde nouveau qui suivra la fin de l’ancien monde. »
Doelyn l’aelfe soupira.
« Et pourtant, un ase rebelle refuse ce destin sombre et tout tracé qui s’offre à lui et aux autres. Il se propose de nous sauver tous. Il veut éviter Ragnarök. Pour cela, il a besoin de puissance. De beaucoup de puissance. »

NaNoWriMo 2014 jour 23 : Bård

Suite du chapitre supplémentaire :

Il repoussa ses pensées. Ce dont il avait le plus besoin à présent, c’était de concentration. Il étudia la configuration du camp. La plupart des humains dormaient. Seuls trois d’entre eux montaient mollement la garde. Siegfried en soupçonnait même un de dormir aussi profondément que ceux dont il était sensé garantir la sécurité. L’aelfe avait deux objectifs : délivrer le jeune vane ours qui grondait dans sa cage et saupoudrer la nourriture humaine avec une poudre de sa composition, ce qui les rendrait aveugles pour les semaines à venir, en espérant que cela leur servirait de leçon. Bien évidemment, tout en délivrant la créature prisonnière, il en profiterait pour faire fuir les chevaux qui tiraient la charrette sur laquelle était montée la cage. Pour le moment ces animaux somnolaient paisiblement. Il signifia aux corbeaux de ne pas bouger ni faire le moindre bruit. Il avait l’habitude de leur faire prendre le moins de risque possible, ce qui impliquait souvent d’agir seul.

Aussi silencieux qu’une ombre, il se glissa subrepticement jusqu’à la réserve de nourriture. Il saupoudra rapidement sa poudre qui s’éparpilla de partout. Sans s’attarder, il s’approcha de la cage de l’ours. Ce dernier releva la tête en le sentant arriver. Ils échangèrent un regard de connivence. Le vane lui fit signe de s’arrêter. L’aelfe obtempéra, se dissimulant prestement dans les ombres. Ainsi à l’abri des regards, il put voir l’ours diminuer de taille et prendre une forme humanoïde. Même sous cette forme et malgré qu’il soit à peine adulte, il restait imposant et terriblement poilu. « Hey ! » Appela doucement l’ours. Les deux hommes éveillés tournèrent la tête dans sa direction. Siegfried était trop loin pour distinguer ce que leur dit le vane ensuite, mais il vit les deux gardes s’approcher de la cage. Une fois qu’ils se trouvèrent assez près de lui, l’ours se redressa. Il sortit vivement ses bras poilus et musculeux de sa prison et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, attrapa leurs deux têtes et les heurta l’une contre l’autre, les assomant efficacement. L’aelfe resta immobile le temps de déterminer que le bruit n’avait alerté personne. Puis il s’approcha de la cage à son tour et en crocheta l’ouverture pour laisser sortir le vane. Ce dernier, qui avait recouvré sa forme de fauve, s’enfuit à pattes de velour à peine la porte ouverte. Siegfried, lui, tissa une illusion pour faire croire qu’un ours dormait dans la cage. Puis il s’approcha des chevaux pour les entrainer au loin avant de leur rendre leur liberté. Ceci fait, il rejoignit toujours aussi silencieusement les frères corbeaux, qui se trouvaient à présent accompagnés du jeune vane. Tous les quatre se fondirent dans la forêt.

« Merci de m’avoir sorti de ce mauvais pas, déclara l’ancien prisonnier. C’est bien aimable à vous d’être intervenus.
– Avec nous tu peux dormir sur tes deux oreilles p’tit, lança Mørk au hasard.
– C’était un plaisir, répondit l’aelfe en ignorant l’oiseau. Dorénavant tient toi loin des humains et des sbires de Ull.
– J’essaierai. » Assura le vane. Il avait la taille adulte d’un ours normal, ce qui trahissait sa jeunesse. En tant que vane, il allait devenir encore bien plus gros. En attendant, il montrait encore certaines attitudes pataudes de l’enfance. « J’ai cru que personne ne viendrait à ma rescousse, ajouta-t-il.
– N’as tu pas de famille qui serait venue te secourir ? s’enquit poliment Svart.
– Si si j’ai de la famille. Mais… mais vous savez les vanes hésitent à marcher contre les ases depuis la grande guerre où les ases sont sortis vainqueurs. » Svart hocha la tête d’un air entendu.

“Tu peux rentrer chez toi retrouver ta famille, indiqua Siegfried.
– Ah… euh… oui et bien…
– Et bien quoi ? s’enquit l’aelfe.
– Et bien… hésita timidement la grosse bête. J’aimerais bien rester avec vous.
– Avec nous. » Siegfried se trouvait surpris de la requête, mais n’en montrait rien. « C’est trop dangereux, tu devrais aller te mettre en sécurité.
– Je peux me montrer utile, argumenta l’ours. Je sais me montrer silencieux, je peux faire peur et je sais aussi me battre. » Svart se posa sur l’épaule de l’aelfe et lui chuchota à l’oreille :
« Maître, je pense qu’il va nous suivre de toutes façons. Et cette situation s’avèrerait plus dangereuse à la fois pour lui, mais aussi pour nous. » Comme souvent, ce corbeau faisait preuve de sagesse. Heureusement d’ailleurs, songeait Siegfried, que l’un des deux se montrait futé. Mørk, totalement étranger à la situation, fredonnait quant à lui une chanson à propos d’ours et de miel en gloussant tout seul. Après tout, un compagnon tel que ce vane ours pouvait s’avérer une aubaine. L’aelfe fixa ses yeux violets dans ceux, bruns, de l’ours. « Soit. Tu peux venir avec nous. Je veux juste savoir comment tu te nommes.
– Riulf ! Je m’appelle Riulf. » S’épanouit le gros vane. Dans son enthousiasme, il adressa un coup de langue affectueux au guerrier qui venait de l’accepter dans ses rangs. Siegfried ignora cet affront fait à sa dignité et repartit, suivi par ses compagnons oiseaux et ursidé.

Riulf se montra par la suite un compagnon hors pair et hautement dévoué. Plus d’une fois, lors des raids visant à sauver des créatures magiques de braconniers, il se montra plus un atout qu’un handicap. Il n’avait pas menti lorsqu’il avait affirmé qu’il savait aussi bien se battre que se montrer silencieux et intimidant. Dès lors, Siegfried n’attendit qu’une chose, c’était de tomber de nouveau sur le groupe mené par le vane renard. Grâce à Riulf, il pourrait venir à bout de cette bande de chasseurs. De plus, l’ours n’avait pas son pareil pour dénicher gibier et baies avec lesquels il régalait ses compagnons. Néanmoins, malgré toutes leurs exactions à l’encontre des gens de Ull, l’aelfe se rendait bien compte que tant qu’il ne s’attaquerait pas à la source, ses efforts resteraient vains. Bien sûr, il avait déjà sauvé moult personnes de l’ase, mais cela restait une larme dans l’océan : le pouvoir de Ull continuait de grandir de jour en jour. Et, au fond de lui, il savait qu’il finirait par avoir besoin de son demi frère Bård pour en venir à bout. Mais ce vermisseau était encore bien trop jeune pour une telle entreprise. Le fait que Siegfried ne se sentait pas d’aller quérir son aide n’entrait pas en ligne de compte, bien évidemment.

Le vane s’était montré enchanté lorsque Mørk lui avait étourdiment expliqué que leur maître possédait un jeune frère, un peu comme Svart l’avait lui même en guise de fratrie. “J’ai eu un frère mort né durant l’hiver de ma naissance, raconta Riulf. Depuis je me suis toujours demandé ce que cela faisait d’avoir un frère. Que faisiez vous avec votre frère ?
– Je ne l’ai jamais considéré comme mon frère, balaya rapidement Siegfried irrité à chaque fois que quelque chose lui faisait penser à Bård.
– C’est un sujet sensible, intervint Svart en voyant que l’ours ne se satisferait pas de cette réponse.
– Je ne vois pas pourquoi, protesta un Riulf rendu curieux. Toi par exemple, tu t’entends plutôt bien avec ton frère malgré tes remontrances à son égard. Je le sens que c’est pour son bien que tu lui fais la morale.
– C’est vrai ça Svart, c’est pour mon bien que tu fais ça ?” s’enquit Mørk avant de se mettre à sangloter bruyamment sur l’épaule de son frère. Ce dernier adressa un regard noir à l’ours avant de s’employer à calmer Mørk. L’aelfe en avait profité pour disparaître, au grand dam du vane qui ne s’avoua pas vaincu pour autant.

NaNoWriMo 2014 jour 22 : Bård

Passage numéro 1 :
“Maître, le village que l’on nous a indiqué se trouve par là bas ! s’exclama Svart. Par contre…
– Par contre ? s’enquit le maître en question.
– Et bien, il semblerait qu’il ait été attaqué, répondit le corbeau.
– Et une partie est toute brûlée, gloussa Mørk.
– Allons voir.” Lâcha le maître de sa voix profonde. Ainsi que le corbeau le lui avait dit, le village se trouvait en ruines. La moitié des maisons avaient été éventrées par le feu et les malheureux villageois qui les peuplaient avaient été essaimés un peu partout sur la terre battue et en partie recouverts par la neige, morts. Seules subsistaient quelques poules qui avaient été épargnées et erraient à la recherche de quelque chose à picorer. Mais plus aucune espèce plus grosse qu’un chat. Ils s’aventurèrent au milieu des cendres, des cadavres et des squelettes d’habitations.

« Votre source vous a-t-elle expliqué quelle était la maison de Sigurd ?
– Non, avoua Svart un peu penaud.
– Dans ce cas, nous allons chercher. » Conclut le maître qui s’employa dès lors à pousser les portes des chaumières pour en visiter l’intérieur. Il retourna également certains morts mâles mais, malgré la décomposition qui les dévisageait, aucun n’était Sigurd. Ses inspections le menèrent, toujours accompagné des corbeaux, jusqu’au grand hall, la plus vaste habitation du village. Un grand trou béait dans l’un des murs, mais la structure avait été épargnée par les flammes. Il entra. Le spectacle qui s’offrit à lui le fit froncer du nez. Il s’approcha du cadavre cloué au mur. « Tsss. » Lâcha-t-il. L’homme qu’il recherchait était mort. D’une mort grossière selon le maître, puisqu’il se retrouvait cloué au mur comme un vulgaire pantin. Il fouilla la maison toute entière. Aucune trace d’un corps d’enfant nulle part. Le fils de Sigurd avait peut être survécu. Si c’était le cas, ce devait être cet enfant qui se trouvait en possession de ce que Sigurd lui avait volé, car il n’avait pas réussi à mettre la main sur ce précieux objet non plus. Il se redressa et, frustré, heurta le mur de son poing. Les corbeaux n’osèrent pas intervenir.

Leur maître retourna dehors et inspecta le sol. Malheureusement, les dernières chutes de neige avaient recouvert toutes les éventuelles traces qui auraient pu lui indiquer une direction à suivre. Il se sentait impuissant et cela le mettait en colère. Il ne lui restait plus qu’une solution. « Menez moi jusqu’à la personne qui vous a indiqué ce village, ordonna-t-il aux deux corbeaux.
– Mais ce garçon se trouvait loin d’ici et il a du bouger depuis, objecta Svart. Je ne sais pas si nous allons pouvoir le retrouver, le monde est vaste…
– Retrouvez le, j’ai des questions à lui poser. » Le ton était sans appel, et Svart comprit qu’il ne servait à rien de tergiverser. Il donna un coup de bec à Mørk qui s’apprêtait à dire une bêtise – or le maître n’était pas d’humeur – et prit son essor, accompagné de son frère.

Passage 2 :
La lune était pleine, inondant le paysage enneigé d’une douce lueur argentée. D’aucuns diraient blafarde, mais ces gens ne savaient pas de quoi ils parlaient. Seuls les hermétiques à la beauté pouvaient proférer des choses pareilles. C’était ce que Fen disait toujours en tous cas. Elle adorait la lune. Probablement à cause de sa nature de louve. Assis en tailleur sur un rocher solitaire, Siegfried contemplait la grosse boule haute dans le ciel et la vue dégagée qu’il avait de la plaine qui s’étendait à ses pieds. Il entendit des loups hurler au loin. Il sourit. Il leva la tête vers la lune et hurla avec eux. Comme il le faisait jadis en compagnie de Fen. Ils se connaissaient depuis qu’il était aelfon et elle louveteau. Il lui avait appris l’aelfique et elle les manières des loups. La meute avec laquelle il chantait – car les loups considéraient cela comme de la musique – lui répondit avec entrain. Ils avaient souvent hurlé à la lune Fen et lui. En grandissant, ils s’étaient moins fréquentés, ayant chacun leurs affaires de leur côté.
C’était ainsi qu’un beau jour, il s’était rendu compte qu’elle s’était liée d’amitié avec des humains. Un, en l’occurence, qui répondait au nom de Sigurd. D’après ce qu’il avait compris, ils avaient vécu beaucoup d’aventures ensemble, la vane s’abaissant à lui servir occasionnellement de monture. Et comme il se pavanait ce rustaud ! Sans aucun respect pour la nature faerique de la louve qui avait daigné lui offrir son amitié. Sigurd ne lui avait jamais témoigné aucun respect non plus. Les rares fois où il avait eu le malheur de le rencontrer, il lui avait toujours parlé familièrement, comme à l’un de ses semblables. Vraiment, Siegfried ne voyait pas ce que Fen trouvait à cet humain vulgaire. Mais elle semblait lui accorder plus d’intérêt qu’à lui même. Elle lui avait assuré qu’il se faisait des idées mais, selon lui, ses actes prouvaient sans cesse le contraire.

Ce Sigurd, non content de lui voler l’affection de la vane, s’était en premier mis en tête de courtiser sa mère. Bien sûr, l’humain ne savait pas à ce moment là que Doelyn se trouvait être la mère de Siegfried. Mais ce n’était pas une excuse. Il avait chassé le cerf blanc pour elle, mais il n’aurait jamais réussi si Fen ne lui avait pas prêté son aide. C’était d’ailleurs suite à cet épisode qu’ils avaient fait connaissance, l’humain et eux. L’aelfe se souvenait encore du moment où la vane s’était dressée face à lui pour l’empêcher de tuer Sigurd. Il en avait été blessé. Encore plus lorsqu’il avait vu l’humain chevaucher la louve et parader en amenant le cerf blanc à Dame Doelyn. Et, pire que tout, avait été l’annonce de la naissance de Bård le demi humain. Sa mère paraissait aussi faire grand cas de son fils cadet, le bâtard. Elle avait tellement envie de le protéger qu’elle avait tissé un sort autour de lui afin que personne ne remarque la nature semi aelfique du bébé. Heureusement, elle n’avait pas infligé à son aîné la présence du petit et de son père. Il était déjà suffisamment difficile de supporter qu’elle fasse parfois semblant de ne pas être sa mère qu’il n’aurait pas supporté qu’elle accorde de l’attention au bébé.

Siegfried ne savait pas pendant combien de temps les loups et lui avaient loué ainsi la lune, mais il se sentait maintenant beaucoup plus apaisé. Perchés sur la branche basse d’un arbre tout proche, Svart et Mørk se pressaient l’un contre l’autre afin d’échanger un peu de chaleur. Ils avaient sursauté lorsque celui qu’ils appelaient leur maître s’était mis à hurler à la lune avec les loups. Ils sursautèrent de nouveau lorsque l’aelfe leur intima : « Partons. Nous devons trouver Ull.
– Mais quand dormirons nous maître ? se plaignit Mørk.
– Nous aurons tout le temps de dormir lorsque nous serons morts. Pour le moment, nous avons du pain sur la planche. »

Passage 3 début (le passage 3 va être un chapitre à lui tout seul normalement)
La forêt de Ull était plus difficile à trouver d’hiver en hiver. Elle poussait autour de l’ase chasseur à chaque fois que celui ci en décidait ainsi. A force d’emmagasiner les pouvoirs de créatures magiques, celui de l’ase devenait de plus en plus puissant. Les hivers s’allongeaient et sa zone d’influence s’étendait, glaciale, sur de plus en plus de terrain. En revanche, sa forêt d’ifs restait la même. Cela revenait à chercher un oeuf dans un verre d’eau, puis dans une flaque, dans une mare, un étang, jusqu’à la mer. La première année où il était parti à la recherche de Ull, Siegfried l’avait non seulement trouvé, mais aussi affronté. Il grimaça amèrement à ce souvenir. Il n’avait du son salut qu’à l’intervention des deux frères corbeaux qui lui avaient permis de battre en retraite. L’ase ne l’avait pas poursuivi. L’aelfe se promit de prendre sa revanche. Mais il du se rendre à l’évidence : sa mère avait raison, il ne pourrait pas en venir à bout seul. Depuis, il surveillait les déplacements de la forêt magique. En attendant son heure, il contrait du mieux qu’il pouvait l’augmentation de l’influence du Chasseur. « Maître, l’interrompit Svart dans ses réflexions. Nous avons trouvé un autre de ces campements de braconniers.
– Oh oui ! renchérit Mørk. Tout un groupe !
– Ont ils des prisonniers ? s’enquit Siegfried.
– Des tas. » Répondit le corbeau idiot d’un air épanoui, comme si il s’agissait de la meilleure nouvelle du monde. Svart lui infligea un coup de bec moralisateur.

« Ce n’est pas une raison de se réjouir, le morigéna-t-il.
– Pourquoi me frappes tu tout le temps Svart ? s’enquit Mørk d’une voix tremblante qui menaçait de se briser. Je vais finir par croire que tu ne m’aimes plus… » Ignorant la suite de l’échange habituel entre les corbeaux, l’aelfe hocha la tête pour lui même. Comme si il avait besoin d’une raison de plus de détester les humains, nombre de ceux ci s’étaient fait chasseurs de créatures. Suivant l’appât du gain, ils capturaient vanes, aelfes qui s’étaient aventurés en dehors de leurs cités cachées et dvergs qui s’étaient aventurés en dehors de leurs profondes grottes. Ils raflaient au passage toutes les autres créatures de nature plus ou moins magique qu’ils pouvaient trouver. Les sbires de Ull et, notamment, Skadi les rémunéraient grassement. En se remémorant Skadi la géante, Siegfried passa machinalement ses doigts sur la grande balafre dont s’ornait son visage depuis leur rencontre. Elle n’était pas une ase, mais faisait partie de ce peuple de géants. Femme de Ull, elle lui était entièrement dévouée et défendait les alentours de sa forêt d’ifs à l’aide de son long fouet avec lequel elle marquait ses ennemis. Contrairement à son ase de mari, elle n’était pas immortelle et l’aelfe lui avait promis de la vaincre définitivement un jour prochain. Elle avait ri. Il pinça les lèvres à ce souvenir douloureux, tant pour les blessures récoltées que pour son amour propre. Il lui ferait payer l’affront de son visage et celui de sa moquerie.

Une fois que les oiseaux eurent fini de se disputer et de se réconcilier, ils menèrent Siegfried jusqu’au campement qu’ils avaient repéré. Il eut le soulagement de constater que ce groupe de chasseurs ne comportait que des humains. L’aelfe avait pu s rendre compte d’expérience que certaines bandes de braconniers comprenaient des créatures elles mêmes magiques. Il avait notamment eu à faire à un groupe dirigé par un vane renard quelques temps auparavant. Cette fois il avait du s’abstenir d’intervenir. Il venait d’être blessé par Skadi et un vane aussi gros que ce renard était un adversaire trop difficile à mettre à bas, estropié comme il l’était à ce moment là.

NaNoWriMo 2014 jour 20 et 21 : Bård

« Fen Fen ! s’écria Bård en se précipitant à son chevet.
– Doucement, lui reprocha vertement Siegfried. Ne va pas la fatiguer. » Ignorant complètement les propos de son frère, l’adolescent se jeta au cou de la vane qui cessa dès lors d’essayer de se redresser. Elle passa affectueusement un bras autour de son louveteau de substitution. Ce faisant, elle grimaça : qu’est ce qu’elle se trouvait affaiblie ! L’aelfe s’approcha également et lui caressa tendrement la joue du bout des doigts. Il lui conseilla ensuite, d’une voix douce : « Repose toi mon amie, je veille sur ta convalescence.
– Moi aussi je veille sur toi. » Renchérit son demi frère qui ne voulait pas se trouver en reste. Il se redressa et fixa les yeux d’or de la louve qui venait de se rendre compte qu’elle se trouvait dans la maison du forgeron des étoiles. Ils échangèrent un regard complice et sourirent, heureux de se retrouver.

« Merci, coâssa la vane en se rendant compte qu’il lui faudrait apprivoiser sa voix de nouveau. Merci à tous les deux.
– Je suis bien content de te voir de retour, se réjouit Bård.
– Moi aussi, souffla Fen.
– Je vais t’aider à te redresser, tient toi bien. » Avant que Siegfried ne réagisse, l’adolescent avait aidé la vane à se tenir droite et lui installait des coussins derrière le dos afin de la soutenir confortablement. « Voilà, cela va-t-il mieux ?
– C’est très bien, lui assura Fen en souriant.
– Veux tu un verre d’eau ? Ou manger quelque chose ? s’inquiéta l’adolescent.
– Non non, répondit elle en toussotant.
– Oh j’allais oublier ! s’exclama-t-il. J’ai quelque chose pour toi, regarde ! » Le garçon lui amena un énorme bouquet de fleurs des champs. Après tout le temps qu’avait duré cet interminable hiver, il semblait à la vane que cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas vu de fleurs.

« Je ne suis pas une chèvre, le taquina Fen. Mais elles sont bien jolies.” Le garçon émit un rire cristallin. La louve sourit de nouveau. Elle trouvait toujours cela réjouissant de l’entendre rire. « Où sont Nurri et Beyla ? Et les corbeaux ? s’enquit elle. Oh, et les petites renardes ?
– Nous sommes là ! s’exclamèrent Sylveig et Skade en grimpant sur le lit de Fen qui les gratouilla derrière les oreilles.
– Les corbeaux sont partis se promener en forêt, rapporta Bård. Nurri travaille dans sa forge et Beyla est allée s’occuper de ses moutons. Elle ne va pas tarder je pense ; elle vient te voir régulièrement. » Siegfried, lui, restait silencieux et fixait ses yeux violets d’un air désintéressé en direction d’une fenêtre ouverte. Une douce brise parfumée entrait dans la maisonnette de l’extérieur, accompagnée d’une apaisante luminosité dorée. Quelque chose semblait préoccuper l’aelfe. Fen se sentait épuisée malgré son long sommeil, mais sa curiosité était plus grande encore. Elle se força à garder les yeux ouverts et à parler de manière intelligible.

« Comment me suis je retrouvée ici ? demanda-t-elle.
– C’est Siegfried qui t’a portée jusqu’ici, expliqua l’adolescent.
– Arrête de prononcer mon nom, grinça l’aelfe. Il sonne mal dans ta bouche d’humain.
– Je ne suis pas humain ! protesta le plus jeune.
– Fenrir ? Ull ? précisa faiblement Fen qui n’avait pas la force de les rabrouer.
– Nous avons vaincu Ull ! l’informa joyeusement Bård. Ensemble. » Ajouta-t-il avec un coup d’oeil en coin en direction de son frère. « Nous avons envoyé son coeur dans un endroit très froid. Puisqu’il aime la neige.
– Oh, vous avez séparé son coeur de son corps, comprit elle. Voilà qui est très ingénieux, je me demandais comment vous aviez réussi à vous débarrasser d’un immortel sans le tuer.
– Mère savait que nous y arriverions, rappella l’adolescent.
– Et je n’en doutais pas non plus. Je ne savais seulement pas comment vous comptiez vous y prendre.
– En fait, c’était l’idée de Siegfried, avoua le garçon comme à contrecoeur. Mais nous l’avons mise en oeuvre tous les deux. Maintenant il ne reste plus de sa forêt que les troncs des ifs dépouillés, l’étang perpétuellement gelé au milieu et son corps immobile dans la neige.
– Et Fenrir ? s’inquiéta Fen qui trouvait peu attrayante l’idée que le cruel loup noir se trouve de nouveau en liberté.
– Ne t’angoisse pas pour Fenrir mon amie, la rassura l’aelfe. Ull n’est pas mort, juste endormi. La bête est toujours prisonnière de ses chaînes de soie et ne peut toujours pas quitter l’enceinte du bois d’ifs de l’ase.
– Tant mieux, soupira la louve. Tant mieux, me voilà soulagée. » Elle ferma ses yeux dorés quelques secondes. « Et comment se fait il que je me trouve ici alors que je devrais avoir été dévorée par Fenrir ? demanda-t-elle en soulevant de nouveau ses paupières avec difficulté.
– Je… hésita Siegfried. Je suis arrivé au bon moment dirons nous. Je l’ai pris par surprise et j’ai pu m’enfuir en t’emmenant.
– Svart nous a dit qu’il avait combattu Fenrir tellement vaillamment que le gros loup est devenu berserk, précisa Sylveig.
– Il a aussi vaincu Skadi, intervint Bård. Il est arrivé à chaque fois au bon moment. »

L’aelfe détourna modestement la tête et se mit de nouveau à feindre l’indifférence. Il devait être gêné, songea la louve. Etait ce un soupçon de rouge qui colorait ses joues ? Elle n’en était pas sûre. « Vous avez toutes mes félicitations, leur déclara la vane impressionnée par leurs exploits. Ce que vous avez fait… Bien peu de gens auraient pu l’accomplir.
– Nous avons pu y parvenir grâce aux présents de mère, fit sobrement remarquer Siegfried.
– Et aussi parce que tu m’a appris à me battre et que le forgeron des étoiles m’a donné une épée magique, ajouta le garçon avec enthousiasme. Et que Sylveig et Skade m’ont empêché de tomber sous le pouvoir de Ull. » Il réfléchit un moment. « En fait, tout le monde a participé, conclut il. Et moi qui croyait que j’étais devenu un héros. » Il soupira d’un air déconfit. Fen rit.

« Ah ! Voilà que la louve est réveillée ! se réjouit Beyla en entrant. Mais que faites vous tous donc à l’étouffer ainsi ? Zou ! Laissez lui de l’air ! Allez jouer dehors tiens. » En sautillant, Bård et les renardes sortirent profiter du printemps qui touchait déjà à sa fin. L’aelfe, en revanche, ne bougea pas d’un pouce. La dverg le considéra un moment, puis décida de ne pas faire de commentaire. Elle s’approcha à son tour de Fen et l’examina. « Il ne faut pas trop forcer, conseilla Beyla. Il va encore falloir beaucoup de repos. Beaucoup beaucoup. Vous avez frôlé la mort de très près.
– Oui, grimaça la vane. J’ai voulu garder l’attention de Fenrir pour que Bård puisse s’enfuir.
– Tu t’es sacrifiée pour lui, traduisit Siegfried. Pourquoi ?
– Tu me demandes encore pourquoi, soupira Fen. Tu lui as bien sauvé la mise toi aussi pourtant…
– Ce petit est un jeune garçon remarquable, intervint Beyla. J’ai eu peur un moment que ses deuils traumatisants n’en fassent un monstre, mais il a une forte volonté et nous l’avons entouré d’attention comme nous avons pu. Le résultat me parait plutôt bon. Pourquoi êtes vous aussi dur avec lui ? » L’aelfe ne répondit pas. « Il faut cesser de lui en vouloir pour des choses dont il n’est pas responsable, le morigéna la dverg. Et cesser également de reprocher à Fen de s’occuper de lui. Ce n’est pas parce qu’elle lui voue une profonde affection qu’elle vous laisse de côté. Vous n’êtes qu’un petit aelfe jaloux et…
– Sans compter que tu n’aurais jamais pu venir à bout de Ull si j’avais laissé mourir ta clef, coupa rapidement la vane d’une voix douce afin d’éviter que ne se braque le grand frère de Bård.
– Cela, au moins, est vrai. » Concéda platement Siegfried tandis que la femme du forgeron des étoiles levait les yeux au ciel.

« Il faudrait la laisser se reposer, conseilla Beyla à l’aelfe d’un ton quelque peu péremptoire. Elle doit récupérer ses forces.
– Pas tout de suite, lâcha Siegfried un peu brusquement. J’ai encore des choses à lui dire.
– Mmmh » La petite dverg le considéra de nouveau pensivement. Cette fois, l’aelfe la fixait droit dans les yeux. « Bon, acquiesça-t-elle finalement. Je vais vous laisser ensemble. Mais ne l’embête pas trop ! » Sur cette recommandation, elle rassembla une pile de linge qu’elle avait l’intention de laver. Après un dernier regard aux deux créatures qui restaient chez elle, elle s’en fut, non sans appeler les jeunes turbulents pour leur enjoindre de l’aider dans ses tâches ménagères. Visiblement soulagé de retrouver un semblant d’intimité, Siegfried s’assit délicatement sur le lit, auprès de la vane. Comme il restait silencieux, Fen prit la parole :

« Il va bien falloir que tu finisses par accepter ton petit frère, lui dit elle.
– Je n’y arrive pas, confessa l’aelfe qui avait laissé sa superbe de côté.
– J’ai l’impression qu’il t’admire, lui fit remarquer la louve. Il a envie d’attirer ton attention, c’est pour cela qu’il t’embête sans cesse.
– Il ne m’embête pas.
– Mon cher Siegfried, soupira Fen, tu es un homme plein de contradictions. Enfin. Est ce Bård qui te préoccupe ?
– Beaucoup de choses me préoccupent, déclara-t-il. Je sais que nous ne pouvions pas tuer Ull, mais le fait de le savoir toujours vivant me chagrine.
– Au moins, cela permet de garder Fenrir emprisonné.
– Oui, il est vrai que c’est un avantage non négligeable, approuva l’aelfe. Néanmoins, je ne pense pas que tous les autres ases vont vouloir le laisser dans cet état sans rien faire.
– Penses tu que quelqu’un va lui rendre son coeur ? s’enquit la louve.
– Il se pourrait.
– Je pense, moi, que tu t’inquiètes trop, lui dit elle. Ton pessimisme et tes rancoeurs t’empêchent de profiter de ta vie. Regarde, tu n’arrives même pas à profiter de ta victoire… Vous avez vaincu Ull ! Cela devrait donner lieu à une fête.
– Peut être, lui accorda Siegfried. Mais il faut bien que je prévoie quelque chose au cas où mes pressentiments se confirment, n’est ce pas ?
– Tu penses trop. » Balaya Fen. C’était une phrase qu’elle lui répétait depuis qu’ils étaient tous jeunes. Ils échangèrent un sourire complice. L’aelfe effleura le front de la vane de ses lèvres.

« Fen ! appela Bård avec entrain.
– Laisse la dormir un peu, voyons p’tit, le gourmanda Nurri qui était remonté de son atelier.
– Tout va bien, je suis réveillée à présent, apaisa la louve en se redressant.
– Où est Siegfried ? s’enquit l’adolescent.
– Il est parti pendant que tu lavais le linge avec Beyla, lui répondit la vane.
– Pourquoi ? demanda le garçon.
– Il est inquiet, alors il va vérifier si ses pressentiments sont fondés.
– Il est beaucoup trop sérieux, asséna Bård. Ca va le rendre malade à force. Et puis, il aurait pu me demander de venir avec lui ! Je suis tout à fait capable de l’aider !
– Je n’en doute pas, acquiesça la louve. Mais je te rappelle que tu as deux petites renardes à t’occuper. Pour le moment concentre toi sur cette tâche.
– Mais je peux faire des choses beaucoup plus compliquées que cela ! s’exclama-t-il.
– Parce que tu crois que c’est simple de s’occuper d’enfants ? Essaie donc, et tu verras bien. » Le ton de la louve était ironique. Elle subodorait que les mignonnes Sylveig et Skade allaient lui en faire voir de toutes les couleurs. A lui maintenant, de s’occuper d’orphelins.

Donc voilà, en gros ça c’est la fin, mais il me reste encore 7000 mots environ à écrire. Du coup je vais rajouter des passages. Voici le nouveau d’aujourd’hui :

Très rapidement, il aperçurent des fumées qui s’élevaient dans le ciel gris, qui menaçait de lâcher très bientôt une nouvelle rasade de neige. « Un village ? suggéra Bård.
– Il semblerait, confirma Fen.
– Y allons nous ? En leur posant des questions, nous pourrons peut être déterminer où se trouve Ull.
– Pourquoi pas. » La louve ne pensait pas qu’ils avaient vraiment besoin d’aller se renseigner auprès de ces gens. Elle songea que l’adolescent faisait une telle proposition car il ressentait le besoin de voir de nouveau de ses semblables, du moins des humains qui ne se montreraient pas hostiles. Il se dirigèrent donc dans la direction du petit village, dont les habitants devaient bien souffrir du froid avec Ull si proche. Lorsqu’ils s’approchèrent des petites maisons blotties les unes contre les autres dans la neige, ils consatèrent que seules quelques personne s’activaient au dehors, déblayant les monceaux de matière blanche devant leurs portes. La théorie de Fen selon laquelle Bård avait besoin de voir des gens parut se confirmer, car c’est lui qui prit les devant et aborda le premier homme emmitouflé qui se battait avec la neige.

« Bonjour ! lança-t-il avec enthousiasme.
– Un jour bon à toi aussi, répondit l’homme d’un ton un peu bourru. Et bien décidément, il semblerait que ce soit un jour à voyageur aujourd’hui !
– Ah bon, d’autres personnes sont elles passées par ici ? s’enquit curieusement le garçon.
– Pour ça oui, répondit l’homme avec véhémence en secouant ses boucle blond gris. Tout un groupe. Des chasseurs je dirais.
– Des chasseurs ? fit il mine d’être étonné. Leur prise a-t-elle été bonne ? Nous n’avons pas vu l’ombre d’un petit gibier…
– Je n’ai pas vu de viande mais si vous voulez mon avis, ils chassaient du plus gros, leur révéla l’homme emmitouflé sur le ton de la confidence.
– Je n’ai pas vu de gros gibier non plus, précisa l’adolescent.
– Oh, mais je parle de quelque chose d’encore plus gros, pouffa le villageois. En ce moment c’est la période de l’engouement à la capture des créatures magiques. Des gens paient cher pour ça.
– Voilà qui est intéressant, commenta Bård en ouvrant de grands yeux étonnés. Et où pourrions nous trouver ces chasseurs ?
– Vous voulez vous lancer dans la chasse aux vanes ? » S’enquit l’homme en jetant un regard en coin aux yeux dorés de Fen. Cette dernière resta stoïque et silencieuse. Elle avait décidé de laisser son petit d’homme gérer la situation. Elle n’interviendrait que si les choses tournaient mal, ce qui ne semblait pas devoir arriver. Ils ne se trouvaient qu’en présence de simples villageois.

« Oh oui, ça m’intéresserait tellement de rencontrer ces chasseurs ! s’exclama Bård avec toute la candeur du monde.
– Et bien, si telle est votre envie, ils ont pris la direction du nord, indiqua l’homme. Là où il fait le plus froid. Vous devriez les rattraper assez vite, ils ne sont pas passés il y a très longtemps.
– Merci beaucoup ! se réjouit l’adolescent. Vient tatie, nous allons rejoindre ces chasseurs, peut être ferons nous fortune ! » La vane hocha la tête. Le villageois loucha sur les deux épées à la ceinture de Fen. Ces deux voyageurs éveillaient sa curiosité. Malheureusement pour son côté commère, il n’eût pas le temps de s’enquérir plus avant sur eux, car le garçon était déjà parti en bondissant joyeusement, suivi par sa tante aux yeux dorés. Cette conversation ne s’était pas avérée très utile selon la louve, elle savait déjà où il fallait se diriger pour retrouver Ull, même si elle ne savait pas exactement où il se tenait. Mais cette histoire de chasseurs de créatures paraissait avoir intrigué le louveteau. Elle soupira. Elle sentait qu’il allait de nouveau vouloir se précipiter au devant de nouveaux ennuis.

Voilà. A partir de maintenant je vais juste poster des passages comme ça, sachant que je vais également rajouter des petites touches par ci par là, mais que je ne pourrai pas poster.

NaNoWriMo 2014 jour 17 : Bård

– Ah oui, c’est vrai. » Tout à sa concentration pour se débarrasser de la meute de chiens, il en avait oublié le principal : sa blessure était la cause de leur poursuite. Estimant qu’il se trouvait suffisamment loin pour que le cavaliers ne risquent pas de lui tomber dessus à l’improviste, il redescendit au sol. Il s’agenouilla dans la neige et en prit de grandes poignées pour s’occuper de nettoyer son éraflure causée par la flèche de l’archer. Sylveig voulut lécher le sang qui coulait de la plaie, mais Bård la repoussa sans ménagement. « C’est pour aider à te soigner, argument la petite renarde aux yeux verts.
– Oui, cela nettoie bien, renchérit Skade.
– Cela se peut, mais ce qui donne une odeur si forte à ma blessure est peut être du poison, leur opposa l’adolescent. Et ce n’est pas le moment de s’empoisonner.
– Moi je pense que si c’était du poison, tu serais déjà mort, rétorqua Sylveig.
– Je suis peut être en train de mourir, répartit le garçon.
– Non, moi je pense que ces personnes là préfèrent poursuivre leur proie, intervint la renarde aux yeux bleus.
– Peu importe. » Conclut Bård.

Les deux soeurs durent se ranger à l’avis de leur aîné et se contentèrent dès lors de le fixer sagement tandis qu’il bandait sa blessure dûement nettoyée à la neige. Ceci fait, il testa la fixation du bandage. Satisfait, il confectionna plusieurs boules de neige souillées qu’il jeta dans plusieurs directions au hasard. Puis il se lava se nouveau les mains dans de la neige propre et commenta : « J’espère que ça sera suffisant. » Les petites renardes acquiescèrent. Elles s’installèrent de nouveau sur leur monture qui se remit en route. Encore une fois, l’adolesccent n’avait aucune idée de la direction à suivre qui le mènerait jusqu’à Ull. L’idée de se rendre aux archers l’avait effleuré. Si il s’était laissé capturer, ils l’auraient très certainement emmené devant leur maître. Mais il craignait de ne plus se trouver en mesure de tuer Ull si il était mené devant lui en tant que prisonnier. Il aurait probablement été désarmé, voire attaché. Sans compter que cette situation aurait potentiellement pu s’avérer très dangereuse pour Sylveig et Skade les petites vanes. Tant pis. Puisque Fen avait l’air de penser que Ull se tenait au centre de son propre bois d’ifs, Bård s’efforça de s’enfoncer du côté le plus touffu de la forêt.

« Il est vraiment difficile de discerner quoique ce soit, maître, déplora Svart.
– Peu m’importe, balaya Siegfried. Continuez de chercher Fen et cet imbécile de Bård.
– Bien maître. » Se plia le corbeau qui reprit son essort et retourna explorer la forêt d’ifs en compagnie de Mørk. L’aelfe progressait d’un bon pas entre les arbres. Contrairement à son frère, il ne se préoccupait pas de la piste qu’il pourrait laisser puisque les gens de sa race ne laissaient aucune trace en marchant, y compris dans la neige moelleuse ou la terre meuble. Sur le qui vive, il éprouvait une grande inquiétude. Il avait pu constater, lors de sa précédente visite, que plusieurs entités plus ou moins dangereuses parcouraient ces bois. Il espérait que le petit groupe mené par Fen n’avait pas fait de mauvaise rencontre. Il avait éliminé la géante Skadi, cela faisait un risque potentiel en moins. Sa conscience profita de ce moment pour lui souffler qu’il n’aurait jamais réussi à vaincre la femme au fouet si Bård ne l’avait pas handicapée avec son épée magique. Il refoula bien vite sa conscience avec une question d’un tout autre ordre : d’où tirait il, d’ailleurs, une si belle ouvrage ? Tant mieux pour lui si cela lui permettait de survivre à la cour des grands. Mais que n’avait il pu se tenir, ce petit arrogant… Cette revanche contre Skadi c’était à lui seul, Siegfried, de s’en charger. Cette tête brûlée avait bien failli en périr. Attirer ainsi sur lui l’attention d’une adversaire aussi dangereuse, fallait il être vraiment idiot. Comment Fen avait elle pu s’embarrasser d’un tel poids ? Cela le dépassait. La loyauté ne pouvait pas tout expliquer. Franchement.

« Maître ! l’interrompit Mørk dans ses réflexions. Venez vite ! » Siegfried réagit instantanément et se précipita derrière l’oiseau. Le spectacle que lui firent découvrir les corbeaux était macabre. L’aelfe ne voyait pas de mot plus juste. A part, peut être, morbide. Du sang maculait la neige et les troncs des ifs de partout, accompagné de poils arrachés et parfois même de lambeaux de peau. Une véritable mise à mort s’était tenue là. Malgré sa répugnance face à une telle boucherie, Siegfried s’accroupit à côté d’un corps à priori humanoïde et écarta la chevelure qui lui en dissimulait le visage. Il écarquilla les yeux. Cette personne, qui qu’elle fut, était le portrait craché de Ull. Voici donc ce qu’étaient les mystérieux archers qui menaient les nombreuses meutes de chiens de l’ase : des reproductions de lui même. L’aelfe se releva, balayant du regard l’étendue de cadavres des canins et des deux cavaliers qui les accompagnaient. Qui, ou quoi, avait bien pu commettre une chose pareille ? Certains des cadavres étaient partiellement démembrés et dévorés, ce qui excluait la possibilité que ce soit l’oeuvre de Fen. Elle ne se serait pas attardée après s’être débarrassée de ses ennemis. Et, surtout, le chien ne faisait pas partie de ses habitudes alimentaires. Quelque chose de très dangereux parcourait ces bois.

« Il y a une grosse empreinte, maître. » L’informa Svart. Siegfried s’approcha. L’empreinte était grosse, en effet. Et maculée de rouge. Apparemment, le responsable du massacre de la meute avait pataugé dans le sang de ses victimes. En l’étudiant rapidement, il en conclut qu’elle ressemblait à une empreinte de patte de loup. Mais d’un loup formidable. Encore plus grand que Fen. « Suivrons nous ces empreintes ? s’enquit le corbeau tandis que son frère Mørk becquetait des morceaux de viande du cadavre de l’un des chiens.
– Oui, acquiesça l’aelfe. Suivons les, mais prudemment. Je souhaite éviter une confrontation avec un monstre pareil. » Il espérait de tout son coeur que la vane et ses protégés se trouvaient loin de cette bestiole carnassière. « Mørk, nous y allons, insista-t-il en constatant que le deuxième corbeau ne semblait pas prêt à laisser un tel festin.
– Mais, toute cette viande… protesta l’oiseau charognard.
– Nous y allons. » Le ton de l’aelfe ne laissait pas de place au compromis. En ronchonnant, Mørk rejoignit son frère.

Les empreintes ensanglantées les conduisirent jusqu’à une clairière. En débouchant dans l’espace libre, Siegfried s’empara instantanément de sa corne de narval plaquée d’acier et bondit sur l’énorme bête qui venait de mettre Fen à terre. Fenrir rugit, furieux, et accorda toute son attention à cet aelfe importun qui l’empêchait de dévorer le pouvoir de cette vane qu’il venait de vaincre. « Ne sur estime pas ta force, petit être. » Gronda le grand loup noir en faisant claquer sa mâchoire. Mais Siegfried avait esquivé. Etant donné la taille de la bête qui l’empêchait d’être aussi vive que lui, il pouvait éviter facilement n’importe laquelle de ses morsures. En revanche, le tuer était une autre affaire. Il avait beau percer le cuir de l’animal encore et encore, cela ne semblait jamais être suffisant. Il décida de viser des endroits encore plus sensibles. En quelques bonds agiles, toujours poursuivi par des claquements de la mâchoire qui essayait de l’attraper au vol, il se trouva assez haut dans un arbre pour se laisser tomber sur l’horrible tête et lui planter sa lame torsadée dans l’oeil. Fenrir poussa un glapissement retentissant. Siegfried esquiva prestement une nouvelle tentative de morsure. La douleur paraissait avoir fait entrer le grand loup dans une fureur aussi noire que son pelage qui paraissait absorber la lumière. Le regard fou de son oeil valide cherchait l’aelfe en tous sens et de la bave commençait à bouillonner dans sa gueule. « Attention maître ! Cria Svart. Il devient berserk ! »

A présent totalement enragé, Fenrir se mit à tout détruire sur son passage. Siegfried estima qu’il était temps de s’en aller. Il glissa jusqu’à Fen, qui s’était toute recroquevillée en position humanoïde. Il ne savait même pas si elle vivait encore. La prenant dans ses bras, il esquiva un coup de patte furieux du loup noir, et s’en fut se réfugier dans le couvert de la forêt d’ifs. Tout en fuyant, il se demandait si le monstre était capable de détruire tous les arbres. Il espéra que ce serait le cas car, ainsi, il serait plus facile de mettre la main sur Ull. Mais aussi sur Bård. Si Fen était ici, où pouvait bien se trouver cet idiot ?

Avant toute chose, il devait se réfugier dans un endroit suffisamment isolé pour s’occuper de la vane. D’endroits isolés il n’y avait pas foison. Siegfried se contenta dès lors de s’arrêter lorsqu’il n’entendit plus les hurlements de rages de Fenrir. Il posa un genou à terre et se servit de ses jambes comme de support pour poser le corps inerte. « Montez la garde et restez vigilants. » Ordonna-t-il aux corbeaux qui obéirent aussitôt. Sans plus s’occuper d’eux, il tourna toute son attention sur Fen. Elle avait été grièvement blessée. Elle saignait de partout et respirait à peine. Mais, au moins, elle respirait. L’aelfe ne put retenir un souffle de soulagement. En revanche il devait la soigner rapidement, sinon elle risquait de mourir bientôt. Il jura. Normalement il n’avait pas le temps pour ça. Et Bård qui risquait de faire des bêtises plus grosses que lui tant qu’il ne l’aurait pas retrouvé… Son regard erra sur le visage de Fen. Il n’avait pas de temps à perdre et ne voulait pas la laisser mourir. Il cessa de réfléchir et se mit à l’oeuvre. En quelques minutes, il eût nettoyé et bandé les plus grosses blessures de la vane. Ceci fait, il balaya un carré de la neige, déposa une fourrure sur le sol ainsi libéré et coucha la blessée le plus confortablement qu’il le put. Il la couvrit d’une autre fourrure. Maintenant qu’il avait commencé à la soigner, il serait ironique qu’elle meure de froid. Il ne devait pas perdre une minute de plus. « Svart, appela-t-il.
– Oui maître ?
– Assure toi qu’il ne lui arrive rien pendant mon absence. » Le corbeau n’eût pas le temps de répondre que l’aelfe avait déjà disparu.

« Comment compte-t-il que j’accomplisse une chose pareille dans ce bois mal fréquenté ? » Ronchonna Svart.

Bård en avait assez de chercher Ull. Il en avait assez des ifs. Il en avait assez que Fen ne soit pas avec eux. Il en avait assez de fuir les meutes de chiens qu’il entendait de temps à autre. Il en avait assez que son frère le traite comme un moins que rien. Il ne savait pas depuis combien de temps il se trouvait dans cette forêt. Il avait juste envie de se retrouver chez le forgeron des étoiles et de manger un plat chaud de Beyla. Que lui dirait la louve si elle se trouvait avec lui, se demanda-t-il. Elle lui dirait probablement quelque chose de l’ordre de : si il ne venait pas à bout de Ull, il ne pourrait pas profiter de nouveau de passer un moment chaleureux dans la demeure des deux dvergs. De toutes façons, si ses deux parents étaient morts, c’était du fait de cet Ull. Il avait vu les sbires qui avaient tué son père et sa mère lui avait dit que l’ase l’avait assassinée. Et cela, il ne pouvait pas le laisser passer. Ull devait payer.

Le coeur plein de sombres pensées, il trébucha. Doté de bons réflexes, il attrapa une branche de justesse qui lui permit de tomber sur ses pieds. Il prit alors conscience qu’il se trouvait au bord d’un petit étang gelé et qu’il n’était pas seul. Un homme aux longs cheveux aussi noirs que sa moustache contemplait rêveusement la glace. Il était revêtu d’une tunique verte et d’une cape de fourrure au capuchon repoussé en arrière. Comme Skadi la géante, il possédait un grand couteau de chasse et un arc en if lui barrait le dos. En revanche, il ne possédait pas de fouet. A la place, une épée pendait à sa ceinture. Toute sa personne dégageait un pouvoir immense. Bård en resta bouche bée. Constatant qu’il n’était plus seul dans sa clairière à l’étang, l’homme tourna sa tête vers les trois jeunes intrus et leur adressa un sourire avenant. « Soyez les bienvenus chez moi. » Les accueillit le doux rêveur d’une voix chaleureuse. Il exsudait la bienveillance par tous les pores de sa peau. Du moins était ce là l’impression qu’il donnait à l’adolescent, qui se trouvait à deux doigts de se jeter dans ses bras. « Je me nomme Ull. »

NaNoWriMo 2014 jour 15 : Bård

Les petites renardes ressemblaient à des fillettes de six ou sept ans, mais en version miniatures, d’environ la taille de poupées. Pour lui laisser les mains libres, elles finirent par s’accrocher à ses épaules.

« Pourquoi courrez vous moins vite que tout à l’heure, maître ? s’enquit Mørk d’un air idiot qui le rendait goguenard.
– Arrête de poser des questions stupides et vole. » Lui intima son frère en constatant que Siegfried ne daignait pas répondre. Fen, quant à elle, imputait la baisse de régime à deux raisons : la première parce que l’aelfe savait que son petit frère à moitié humain ne pourrait pas tenir un rythme plus soutenu. La seconde parce qu’il redoutait ce qui les attendait. Ce n’étaient que des suppositions tant le visage balafré restait fermé. Il les fit ainsi voyager pendant deux heures, avant que Bård ne montre des signes de fatigue. La louve initia alors une pause afin qu’il puisse souffler un moment. Siegfried toisa l’adolescent et lâcha d’un ton dédaigneux : « Les humains sont vraiment un fardeau.
– Je ne suis pas un hu main ! répartit le garçon essoufflé en détachant bien toutes les syllabes.
– Hey le grand aelfe ! interpella alors Sylveig. Ne soit pas vilain avec notre humain !
– Pas vilain ! renchérit Skade.
– Tout le monde se calme, gronda Fen. Nous entrons dans des territoires dangereux, alors silence. »

Les fillettes se turent, mais adressèrent dorénavant des séries de tirages de langue et de grimaces à Siegfried. Celui ci leva les yeux au ciel et battit en retraite. La petite renarde aux yeux verts déposa alors un baiser sur la joue de Bård. « Ne t’inquiète pas, lui murmura-t-elle.
– Ca se voit bien qu’il est bête, ajouta la petite aux yeux bleus en chuchotant. Il est vraiment très beau, mais complètement idiot.
– Nous, nous t’aimons. » Conclut Sylveig. Les deux fillettes se blottirent contre l’adolescent, qui ne savait pas comment réagir à autant de démonstrations d’affection.

Ils repartirent bientôt. Siegfried les menait en direction d’une grande étendue forestière. En s’approchant, les autres membres de son groupe s’aperçurent bientôt que tous les arbres de la forêt paraissaient être des ifs. « Est ce là que se trouve Ull ? haleta Bård.
– Oui, lui répondit Svart qui volaient à sa hauteur. Il réside dans cet endroit.
– Pourquoi étions nous pressés alors ? Une forêt ne s’envole pas, s’enquit l’adolescent.
– Celle là si, expliqua le corbeau. Elle suit Ull dans ses déplacements.
– Cela ne doit pas être pratique d’avoir une forêt qui nous suit, renifla Sylveig.
– Il ne doit jamais savoir où il va et trébucher sur des racines sans arrêt, renchérit Skade.
– Les arbres s’installent selon sa volonté, précisa l’oiseau. Je ne pense pas qu’il subit les problèmes que vous décrivez.
– Je suis sûre que si. » Persista Skade en remuant ses oreilles de renard. L’aelfe ralentit à l’approche de la forêt. Le froid se faisait plus intense, ici. Personne ne parlait plus. D’ailleurs, aucun son hormis celui du vent ne troublait l’atmosphère.

Quelque chose de menaçant les épiait, Fen en était certaine. L’odeur de cette chose était difficile à discerner. Elle sentait la neige, en plus métallique. Et une légère fragrance de sang l’entourait. Bård, Siegfried et la louve avaient instinctivement dégainé leurs armes. Ils continuèrent de s’approcher de l’orée de la forêt d’ifs avec prudence. Les deux corbeaux avaient pris de l’altitude pour détecter l’origine du danger. Un fouet claqua soudainement devant eux, traçant une ligne dans la neige, comme une barrière qui les empêcherait de passer. « Te voilà de nouveau, petit aelfe, salua une femme qui rejeta en arrière sa cape de neige qui la dissimulait.
– Skadi… » gronda Siegfried. Son petit frère écarquilla les yeux en contemplant la femme qui leur barrait le passage, tandis que les renardes se réfugiaient derrière lui. Elle était immense et dépassait l’aelfe et Fen d’une bonne tête. L’adolescent avait du mal à détacher son regard de cette beauté glaciale armée d’un fouet. Un arc lui barrait également le dos et un couteau de chasse pendait à sa ceinture. Pour le reste, elle portait une tenue d’été, visiblement insensible au froid environnant.

« Tu portes toujours cette arme ridicule, pouffa la grande Skadi à l’intention de Siegfried.
– Elle n’est pas ridicule ! protesta Bård avec véhémence.
– Ah, mais qui est donc ce petit demi aelfe ? se demanda la géante. Ne serait ce pas ton petit frère ?
– Tu vas regretter d’avoir prononcé ces mots devant moi. » Sur cette menace, l’aelfe fondit sur Skadi, esquiva le fouet qui venait le cueillir, et asséna un coup vif de sa corne d’acier. Mais elle ne rencontra qu’une gerbe de neige soulevée par la cape de la femme. Laissant les petites renardes derrière lui, Bård se précipita pour prêter main forte à son frère. Concentrée qu’elle était sur l’aelfe, l’adolescent en profita pour la blesser au flanc avec son épée magique à qui il faisait cracher un feu solaire. Skadi poussa un cri de douleur et envoya bouler son petit assaillant d’un monumental coup de poing. Sortant son couteau de chasse, elle s’apprêta à l’achever, mais sa lame fut interceptée par les deux de Fen, qui la repoussa. Siegfried se posta devant eux, faisant rempart. « Ne reste pas dans mes pattes, avorton, gronda l’aelfe.
– Mais… commença Bård.
– Ne reste pas dans mes pattes t’ai je dit ! l’interrompit son frère. C’est trop dangereux pour un misérable humain tel que toi. Fen, emmène le. Je vous rejoindrai. »

Skadi partit dans un grand rire. « J’ai rarement vu quelque chose d’aussi comique, s’esclaffa-t-elle. Tu demandes au seul d’entre vous qui a réussi à me blesser de s’en aller ?
– C’était un coup de chance, déclara dédaigneusement Siegfried.
– Tu crois vraiment que vous avez une chance, alors ? s’enquit la femme au fouet en riant toujours. Tu as déjà battu en retraite une fois face à moi, suite à cette magnifique balafre. Qu’est ce qui a changé depuis ? Je suis sûre que tu leur dis de partir pour qu’il ne te voient pas fuir une deuxième fois, la queue entre les jambes. En as tu une, d’ailleurs ? Je me le demande. » Elle rit de nouveau et se jeta sur Siegfried qui bouillait intérieurement.

Le fouet claqua en même temps qu’un rire glacial. L’aelfe avait prestement esquivé, ne laissant pas les railleries le déconcentrer. Pendant ce temps, Fen commençait à entraîner le garçon à l’écart, mais il l’arrêta en entendant de petits cris plaintifs. Il rebroussa aussitôt chemin pour récupérer les petites renardes terrifiées qui s’aggripèrent à lui et, après seulement, rejoignit la louve. Durant sa course, le fouet faillit l’atteindre, mais Siegfried s’interposa une nouvelle fois, découpant au passage un morceau de la cinglante lanière de cuir. A ce moment là, les corbeaux s’abattirent sur Skadi.

Bård et les vanes s’arrêtèrent bien après l’orée de la forêt d’ifs. « Pourquoi n’a-t-il pas voulu que je reste ? s’enquit l’adolescent avec fureur.
– C’était trop dangereux, laissa tomber Fen.
– J’ai pourtant réussi à la blesser ! insista-t-il.
– Oui, et grâce à toi, il va probablement pouvoir en venir à bout, dit la vane pour l’apaiser. Tu lui as offert une sacrée opportunité.
– Et c’est ainsi qu’il me remercie… Il ne m’aime toujours pas, déplora le garçon en caressant les têtes des petites renardes tremblantes afin de les rassurer.
– Je n’en serai pas aussi sûre, déclara Fen. Skadi est très dangereuse. Tu as certes réussi à la blesser, mais en faisant cela, tu devenais sa cible favorite. Je pense qu’il t’a repoussé pour te sauver la vie.
– Il a juste fait cela parce que je suis qu’un simple humain, déplora amèrement Bård. Il était juste jaloux que j’ai réussi à la blesser et pas lui.
– Tu deviens beaucoup trop pessimiste, lui fit remarquer la louve.
– Peut être, en convint il. Mais dans tous les cas, je ne suis pas un simple humain et je possède une épée magique. Il ne faut pas me sous estimer !
– Personne ne te sous estime. » Lui assura sa protectrice qui ne savait plus vraiment quoi dire pour calmer sa colère.

Elle n’eût pas besoin de chercher très loin. Les fillettes sous forme de renardes s’étaient mise à donner des coups de langue affectueux sur tout le visage du garçon avec application. Après un tel traitement, il ne parvint pas à rester fâché très longtemps. La louve sourit par devers elle. « Allez, cessons de traîner, nous devons trouver Ull. » Lorsqu’elle prononça ce nom, toute la forêt émit un frémissement. « Bien, je n’en parlerai plus. » Ajouta-t-elle une fois que tout fut redevenu calme. Elle renifla les alentours, mais la fragrance des ifs lui masquait toute autre odeur. Cela la fit grimacer. Perdre l’utilité de son odorat était pour elle comme perdre la vue. Elle se sentait terriblement amoindrie. Mais rien ne servant de tergiverser, elle s’enfonça plus avant dans la forêt, suivie par les trois jeunes. Elle espérait que Siegfried parviendrait à les rejoindre à temps si ils tombaient sur Ull. Ses deux fils devaient agir ensemble avait dit Dame Doelyn. Fen ne savait pas dans quelle mesure savoir ouvrir des portes les aiderait à combattre l’influence de l’ase, mais elle leur faisait confiance. Elle même n’était là que pour protéger Bård, ainsi qu’elle l’avait promis à Sigurd et à l’adolescent lui même.

La forêt se fit de plus en plus touffue et, bientôt, même la louve ne savait plus dans quelles directions ils allaient, ni si ils ne tournaient pas en rond. Il n’y avait pour ainsi dire pas d’indication dans cette forêt. Tous les arbres étaient des ifs et tout le sol était recouvert de neige. Il y avait bien un rocher çà et là, mais rien qui ne leur permette de prendre de vrais repères. Et, toujours, ce silence oppressant et quasi surnaturel. « Il fait vraiment froid, dans cette forêt, souffla Bård.
– Oui, confirma Fen. Mais c’est normal puisque nous nous aventurons dans la demeure du roi de l’hiver. » Elle ne se risquerait pas une nouvelle fois à invoquer le nom de Ull dans cet étrange bois composé uniquement d’ifs. Ils débouchèrent finalement sur un espace vide. La louve crut un moment qu’ils étaient ressorti de la forêt mais se rendit rapidement compte qu’il ne s’agissait que d’une clairière. Voilà qui semblait étrange. Qu’est ce que Ull ferait d’un trou dans sa forêt ?

« Et si nous nous arrêtions là un instant ? proposa l’adolescent. Nous pourrions faire un feu et nous reposer un peu…
– Oh oui, reposons nous, renchérirent les petites renardes.
– Mmmh, je ne sais. » Fen était réticente. « Inspectons un peu cet endroit avant de nous installer. » Les trois plus jeunes soupirèrent de lassitude, mais obéirent néanmoins. La louve devait savoir de quoi elle parlait et Bård savait d’expérience qu’il valait mieux l’écouter, même si elle disait parfois des choses un peu bizarres. Ils explorèrent la clairière avec minutie et, ne trouvant rien de visiblement dangereux, s’assirent avec délectation. Le garçon avait sorti son épée et l’avait enflammée, ce qui réjouissait Skade et Sylveig au plus haut point. Fen, en revanche, restait sur ses gardes. Le fait de ne pas parvenir à utiliser son odorat l’inquiétait. Se reposer ne paraissait pas une mauvaise idée en soi, même si elle n’en avait pas besoin. Et puis, cela laisserait du temps à Siegfried pour les retrouver. Malgré tous ces bons arguments, la présence de cette clairière ne laissait pas de la questionner. Elle s’efforça de se détendre et tourna son attention sur les trois jeunes blottis ensemble, qui contemplaient avec admiration les flammes qui jaillissaient de l’épée magique reliée à l’anneau.

Un sinistre craquement retentit, interrompant leur repos. Tous se retrouvèrent instantanément sur leurs pieds. Un monstre fit irruption dans la clairière. Il s’agissait d’un loup, mais il était gigantesque ; au moins deux fois plus imposant que Fen lorsqu’elle se trouvait sous forme lupine. Mais surtout, son pelage était plus noir que la nuit. Tellement noir qu’il absorbait la lumière. « Bienvenue chez moi, leur dit il d’une voix caverneuse et grondante. Prenez donc vos aises. » Son haleine était d’un froid intense, bien plus que l’air glacial qui les environnait. D’étranges rubans lui enserraient le cou et leur origine se perdait au loin dans la forêt. Bård et les petites renardes restaient tétanisés par l’apparition. Fen se posta devant eux. « Tu es aussi une louve, remarqua le loup noir. Tu comprendras donc mon désarrois.
– Qui es tu ? s’enquit la vane d’un ton suspicieux.
– Celui qui demande doit se présenter le premier, repartit le fauve au souffle glacé.
– Je me nomme Fen, indiqua celle ci en preuve de bonne foi.
– Oh, voici une étrange coïncidence, se réjouit le loup. Mon nom est Fenrir ; il fait écho au tien. Douce Fen, voudrais tu s’il te plait ôter ces chaînes qui m’empêchent de sortir de ces bois ?
– Il ne s’agit que d’un ruban, s’étonna la louve. Il te suffit de le mordre pour t’en débarrasser.
– J’aimerais, soupira l’immense animal noir. Mais il est magique, m’empêchant de l’enlever. L’hôte de ces bois me retient prisonnier. »

Fen hésitait.

NaNoWriMo 2014 jour 14 : Bård

– Je… hésita l’adolescent. Nous ne pouvons pas les emmener avec nous, ce serait beaucoup trop dangereux pour elles.
– Si tu les laissais toutes seules, elles seraient tout aussi condamnées à périr, fit remarquer la vane.
– Fen, quelle est la solution ? se désespéra Bård.
– La solution… Il y a plusieurs solutions, lui dit doctement la louve. Ou nous les laissons toutes seules, auquel cas elles risquent effectivement de mourir. Ou nous les emmenons avec nous, auquel cas Ull risquerait de les tuer. Ou nous les emmenons chez Beyla et Nurri, auquel cas nous risquerions de perdre la trace de Ull, car Siegfried sait où il se trouve en ce moment. Et nous riquerions de mettre plusieurs mois avant de le retrouver et Ull continuerait ainsi ses ravages. Pour le moment, je ne vois que ces trois solutions. Il n’y en a aucune de bonne. Il te faut choisir.
– Fen, murmura l’aelfe. Tu peux parfois te montrer tellement cruelle… » Inflexible, la vane ne répondit pas. Selon elle, il ne lui appartenait pas de prendre ce genre de décision. Devant Ull, le petit frère aurait peut être des choix encore plus difficiles à faire ; autant qu’il commence à prendre l’habitude dès maintenant. Il y avait eu trop peu de décisions compliquées à prendre lorsqu’ils vivaient dans le havre de paix du forgeron des étoiles et de sa petite femme. Ce qui faisait que dès qu’une situation à l’apparence inextricable se présentait, Bård se reposait entièrement sur elle.
Ce dernier resta un moment silencieux. Il souleva de nouveau un pan de fourrure pour contempler les deux renardes qui dormaient dans ses bras. « Crois tu que ça se mange, ça, Svart ? s’enquit Mørk.
– Non, cela t’empoisonnerait l’estomac, comme lorsque tu as voulu manger ces baies que je t’avais interdit de manger. » Lui répondit son frère avec aigreur. Dérangées par la voix stridente du corbeau idiot, les petites vanes bougèrent et ouvrirent de grands yeux étonnés.

« Tu es revenu monsieur l’humain ! se réjouit la plus intrépide de deux, celle qui possédait les yeux verts.
– Arrête de m’appeller ainsi, soupira Bård.
– Où est maman ? s’enquit la deuxième en remuant ses oreilles de velour. Tu avais dit que tu reviendrais avec elle.
– Je… Je suis désolé, bafouilla l’adolescent. Je suis arrivé trop tard.
– Trop… tard ? » Répéta la renarde, tandis que les grands yeux de sa soeur et les siens s’écarquillaient d’horreur. « Tu l’as laissée mourir ! » l’accusa-t-elle en découvrant ses petits crocs blancs. Le garçon, lui, accusait le coup. Il avait dit la même chose à Fen à propos de son père. Il lui jeta un regard contrit, mais aucune émotion ne transparaissait sur le visage humanoïde de la louve. L’autre renarde, celle aux yeux verts, le fixait d’un oeil pénétrant.

« Laisse le tranquille Skade, finit elle par dire pour calmer sa soeur. Ce n’est pas de sa faute. » Malgré le courage dont elle voulait faire preuve, sa voix tremblait. « Laisse, Skade, répéta-t-elle.
– Mais, Sylveig ! protesta la renarde aux yeux bleus.
– Ta soeur a raison, intervint Fen en s’approchant et dardant sur elles sont regard doré. Pour le moment, la question demeure : qu’allons nous faire de vous ?
– Les manger ! suggéra joyeusement Mørk avant de subir un coup de bec de Svart.
– Es tu une louve ? s’enquit Skade en reniflant tandis que Sylveig jetait un regard méfiant au corbeau qui voulait les manger.
– Cela ne se voit il pas ? » ironisa Fen. La présence d’un autre canin, même un canin qui ressemblait actuellement à un deux pattes, parut rassurer les petites soeurs. « Mais cela ne répond pas à ma question, persista-t-elle.
– Emmenez nous avec vous, demanda Sylveig aux yeux verts.
– Nous ne voulons pas rester toutes seules, renchérit Skade aux yeux bleus.
– Nous allons dans un endroit beaucoup trop dangereux pour les enfants, intervint Siegfried.
– Monsieur l’humain s’il vous plait, supplia Sylveig, nous n’avons plus de maman et papa a disparu, laissez nous venir avec vous. »

En voyant les bouilles suppliantes des jeunes renardes, Bård sentit son coeur chavirer. Constatant qu’elles avaient en lui un allié potentiel, elles prirent soudainement leur forme humanoïde, tout en gardant leurs oreilles et leur queue de renard, et s’agrippèrent désespérément à lui. « S’il te plait monsieur l’humain ! » persistèrent elles en choeur tout en se collant à lui et frottant leurs petites têtes rousses contre son torse. « Ne nous abandonne pas ! » Fen se mordit la lèvre inférieure pour s’empêcher de rire. Son protégé n’avait aucune chance face à de tels arguments. Elle jeta un coup d’oeil à Siegfried et lui adressa un signe de tête. Il inclina la sienne et, sans mot dire, se mit en route. La louve le suivit et les corbeaux s’envolèrent dans leur sillage. « Si je vous laisse venir avec moi, vous me promettez de faire tout ce que je vous dis et d’être sages ? leur signifia-t-il à leur grand soulagement.
– Oh oui ! » roucoulèrent elles. Bård soupira. Il serait toujours temps de les dissimuler dans un coin si la confrontation avec Ull se faisait trop imminente. Les mini fillettes toujours dans ses bras, il se dépêcha de rejoindre Fen.

NaNoWriMo 2014 jour 13 : Bård

Disposant à présent de toute leur attention, elle descendit à leur rencontre. « Nous essayons de faire entendre raison à ce renard. » Répondit l’un des hommes. Il arborait une moustache noire touffue et une grande quantité d’anneaux d’or ornaient ses doigts. « Pourrions nous savoir ce qu’une voyageuse fabrique par ici toute seule ?
– Je chasse les chasseurs de vanes, répondit elle sur le ton de la conversation.
– Haha, voyez vous cela. » Se gaussa le moustachu. Ses compagnons rirent en écho. « Et que crois tu pouvoir faire contre nous, au juste ?
– Mmmh, et bien je dois pouvoir vous couper en rondelles, fit elle mine de réfléchir en agitant négligeamment l’une de ses lames devant elle.
– Toute seule contre nous tous ? s’étonna l’un des hommes.
– Elle doit être un esprit elle aussi, supposa un autre.
– Nous t’avons entendu hurler comme un loup, reprit celui à la moustache noire. Vas tu déchaîner tout tes pouvoirs de louve géante pour nous combattre ?
– Tous mes pouvoirs ? » Fen partit dans un grand rire. Glacial. « Pas besoin de mes pouvoirs de vane pour tous vous mettre à bas. » Gronda-t-elle. Tandis qu’elle jouait son petit numéro, la louve espérait que Bård avait réussi à mener la renarde à l’écart. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait plus discerner son protégé. Elle se mit en garde, défiant du regard les hommes armés de piques et de filets. Elle devrait peut être se métamorphoser en loup pour s’enfuir ; se faire capturer et mener à Ull ne serait pas très utile à la cause des deux fils de la Dame Doelyn.

« Puisque tu insistes, nous aurons deux vanes à présenter au Seigneur Ull au lieu d’un seul, se réjouit le moustachu.
– Chef ! l’interrompit quelqu’un. Le renard s’enfuit !
– Comment ? Rattrapez le ! Ordonna l’homme. Vous cinq, restez avec moi et attrapons celle là ! » Ils fondirent sur Fen qui, utilisant ses épées comme elle utilisait ses crocs en tant que louve, avait de quoi les recevoir. Tandis qu’elle parait les assauts, elle s’inquiétait. Pourquoi avaient ils été capables de voir la renarde s’enfuir ? Elle aurait du se trouver largement hors de vue avec Bård. Quelque chose ne tournait pas rond. Et elle devait s’en assurer. Devait elle se changer en loup pour éclaircir tout cela le plus rapidement possible ?

Son précieux chargement dans les bras, l’adolescent courait à en perdre haleine. Ignorant le vent glacial qui faisait pleurer ses yeux, les obstacles au sol qu’il ne voyait pas et qui lui écorchaient les jambes, l’air froid qui lacérait ses poumons. Il finit par se rendre compte qu’il n’était plus suivi. « Mince ! lâcha-t-il tout haut.
– Maman dit qu’il ne faut pas dire des grossièretés, intervint un filet de voix encore un peu apeuré qui provenait de ses bras.
– Où est elle d’ailleurs ? demanda une deuxième petite voix.
– Maman ? appela la première voix.
– Chut, taisez vous. » Leur intima Bård. Deux têtes de toutes petites filles émergèrent de chaque côté des bras de l’adolescent pour regarder curieusement derrière lui, l’une de ses yeux bleu ciel et l’autre de ses yeux vert émeraude. Des oreilles veloutées de renard jaillissaient de leurs opulentes chevelures rousses.

« Monsieur l’humain, maman n’est plus là, reprit la petite renarde aux yeux verts. Arrête toi !
– Mamaaan ! chouina la deuxième.
– Fermez vos clapets à la fin ! » S’emporta le garçon. Il s’arrêta néanmoins, essoufflé, tandis que les petites s’agrippaient à lui, tremblantes de s’efforcer de se retenir d’appeler leur mère. « C’est bien, les encouragea-t-il. Continuez de ne pas faire de bruit. » Il jeta des coups d’oeil tout autour de lui afin de chercher un endroit où il pourrait laisser les petites en sécurité pour retourner sur ses pas voir ce qu’il en était. Il jeta son dévolu sur un épineux touffu. Mais, au moment de grimper, il se rendit compte que sans ses bras, cela s’annonçait difficile. « Accrochez vous à mes épaules, leur demanda-t-il. Nous allons nous cacher là haut. » Les fillettes lui obéirent et escaladèrent le dos du garçon jusqu’à ses épaules, leurs queues flamboyantes et touffues se balançant au rythme du déplacement de Bård. Lorsqu’il se fut assuré qu’elles se tenaient solidement à lui, il grimpa lestement de branche en branche. Une fois suffisamment haut pour que qui que ce soit se trouve dissimulé aux regards indiscrets qui regarderait du sol, il déposa son chargement, qui se retransforma en deux petites renardes apeurées. Il les installa dans un creux du tronc et s’apprêta à redescendre. Mais les toutes jeunes vanes se mirent à pousser des gémissements plaintifs. « Je serai vite de retour, leur promit il pour les consoler. Je vais juste voir ce qu’il se passe derrière.
– Mais il fait froid ici, monsieur l’humain, se plaignit celle aux yeux bleus.
– Froid ? » L’adolescent récupéra l’une de ses fourrures et les enveloppa à l’intérieur. « Voilà, vous êtes au chaud et en sécurité. Maintenant plus un bruit, je reviens vite. »

Il se laissa chuter de branche en branche jusqu’en bas et rebroussa chemin. Où se trouvait donc cette renarde ? Elle le talonnait à peine quelques instants auparavant. Il finit par repérer l’endroit où leurs traces s’étaient séparées. D’ailleurs, les poursuivants étaient tellement stupides qu’ils n’avaient même pas suivi sa série de traces à lui. Ils s’étaient visiblement concentrés sur la proie la plus grosse : la vane. Tout en restant attentif aux bruits alentours, ils les suivit à son tour. Il entendit une clameur dans la direction des traces. Il pressa le pas et déboucha sur une falaise surplombant un fjord. Il se laissa tomber par terre car, sur ce terrain découvert, une dizaine d’hommes acculaient de nouveau la vane renarde. Elle était près de tomber dans le vide, mais ses chasseurs ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils avaient jeté plusieurs filets sur elle et s’efforçaient de la hâler. Mais elle tenait bon. Soudain, son regard croisa celui de Bård. « Tient ta promesse ! » Lui lança-t-elle par dessus le brouhaha. Sur ces mots, elle prononça des paroles étranges, et une brume orangée enveloppa ses assaillants, les hébétant. « Venez avec moi. » Leur enjoignit elle d’une voix charmeuse avec un petit rire de gorge. Puis elle les entraîna tous dans le vide. L’adolescent cria et se précipita. Mais il était trop tard. Ils s’écrasèrent tous plusieurs dizaines de mètres plus bas. « Non… » gémit il. En pensant aux petites renardes, les larmes lui montèrent aux yeux et il percuta le sol de son poing le plus fort possible. Il s’arracha bientôt au spectacle macabre qui s’offrait en contrebas et fit demi tour. Il avait des petites filles à réconforter. Il aurait grand besoin de Fen pour l’aider. Elle aurait d’ailleurs déjà du le rejoindre. Que pouvait elle donc bien faire ?

Encerclée, Fen ne pensait pas qu’elle pourrait tenir longtemps le rythme. Elle avait déjà blessé au moins deux des chasseurs et, pour le moment du moins, aucun n’était parvenu à la toucher elle. Elle n’avait pas trop de deux épées. La vane commençait à caresser sérieusement l’idée de se métamorphoser pour s’enfuir, mais aussi pour retrouver Bård et la renarde qui avaient écopé de beaucoup trop de poursuivants. Elle s’inquiétait. Une estafilade lui rappela douloureusement qu’elle n’avait pas le temps de s’inquiéter pour autrui. Elle perdait trop de temps : elle devait se changer en loup. Au moment où elle allait entamer sa métamorphose, deux masses noires s’abattirent sur deux des assaillants, les aveuglant et un troisième se retrouva avec une corne de narval plaquée d’acier qui jaillissait de son cou. Fen profita de l’occasion pour se défaire des deux restants, tandis que Siegfried mettait à mort ceux qui se débattaient avec Svart et Mørk. « Voilà bien une chose qui m’avait manquée, déclara l’aelfe en guise de salutations.
– De quoi, les massacres ? s’enquit fraîchement la vane.
– Non, de faire des activités avec toi.
– Il y a plus ludique, comme activité, nota Fen qui était agréablement surprise de voir Siegfried et de ses propos. Mais que t’est il arrivé ? » Le visage auparavant parfait de l’aelfe s’ornait à présent d’une grande balafre qui courait depuis sa tempe jusqu’à son menton.

« Une mauvaise rencontre, éluda-t-il en grimaçant. Et pour toi ?
– Oh, ça, dit elle en soulevant son bras bandé avec soin par Bård. Une morsure. Mais lui est mort.
– Qui ? Bård ?
– Non, celui qui m’a mordue, précisa Fen. Tu penses bien que je n’aurais pas laissé mourir quelqu’un sous ma protection. En parlant de Bård, je suis surprise de t’entendre l’appeler par son prénom. » Siegfried ne répondit pas et son visage afficha l’impassibilité. La louve supposa que malgré ces sept années, il n’avait toujours pas digéré l’existence de son demi frère. Quel aelfe têtu. « Je dois le retrouver, s’inquiéta-t-elle. Aurai je le plaisir de te voir m’accompagner ?
– Oh oui je pense qu’il t’accompagnera, s’exclama Mørk avec toute la candeur du monde. Le maître se demandait ce que devenait ce petit humain effronté que sa mère lui avait donné comme frère. C’est bien comme cela qu’il l’a dit, n’est ce pas Svart ?
– Tais toi, soupira sempiternellement le deuxième corbeau.
– Je viendrai avec toi, déclara Siegfried. Mais seulement parce qu’il y a bien trop longtemps que nous n’avons pas pu passer un moment ensemble. Les humains te prennent beaucoup trop de temps. »

Fen sourit et se mit à courir dans la direction qu’elle supposait que Bård avait prise. Les corbeaux s’envolèrent à sa suite et l’aelfe se mit à sa hauteur. « N’irais tu pas plus vite en tant que loup ? lui demanda Siegfried.
– J’ai accepté de ne pas le faire, expliqua la louve. Ton frère craignait que ma blessure guérisse mal si je changeais sans cesse de forme.
– Et tu te plies à sa volonté ?
– Il avait raison, sous ma forme à deux pattes ça utilise moins de bandages. C’est lui qui m’a soignée, sais tu ? » Ils s’arrêtèrent à l’endroit où deux séries de traces dans la neige se séparaient. Fen huma l’air. Bård pouvait se trouver aussi bien dans une direction que dans l’autre. Siegfried se pencha alors sur le sol pour étudier les marques de plus près.

« Il a fait plusieurs allers et retours, estima l’aelfe. Mais les traces les plus récentes montrent cette direction. » Il désignait la direction que l’adolescent avait prise avant qu’il ne décide de choisir un arbre pour cacher son précieux chargement. Siegfried et Fen coururent le long des marques, puis s’arrêtèrent. Bård venait à leur rencontre. Il avait l’air abattu et portait un paquet de fourrures. Les corbeaux voletèrent autour de lui en guise de salutations, puis se perchèrent sur des branches proches. L’adolescent esquissa un faible sourire en voyant sa protectrice, mais hésita en voyant son demi frère. Celui ci revêtit son masque d’impassibilité tandis que la vane s’approchait pour vérifier si le garçon était blessé.

« Tu n’as rien, constata-t-elle avec satisfaction. Où est la renarde que nous avions décidé de sauver ?
– Et bien… » Bård chercha ses mots. Il ne savait pas comment annoncer la triste nouvelle. « Elle s’est jetée dans le vide avec ses ennemis.
– Oh… s’attrista la louve. « Que transportes tu ?
– Un trésor qu’elle m’a dit de garder. » Répondit l’adolescent en dévoilant le contenu de son paquet de fourrures. Les petites renardes étaient enroulées l’une autour de l’autre et dormaient comme seuls les bébés savent le faire. « Quand je suis retourné les chercher après… bref, reprit difficilement Bård. Quand je suis retourné les chercher, elles s’étaient endormies. Qu’allons nous faire d’elles ? Elles sont trop petites pour rester toutes seules… » Fen se doutait que la situation des toutes jeunes vanes lui rappelait la sienne propre, ce fameux jour où elle l’avait pris sous son aile. L’adolescent referma délicatement les fourrures pour qu’elles ne souffrent pas du froid et jeta à la louve un regard suppliant.

« T’attendrais tu à ce que j’ai une solution ? s’enquit curieusement la vane. Que penses tu que nous devrions faire, toi ?

NaNoWriMo 2014 jour 9 : Bård

La femme de Nurri suivit le petit groupe dehors et, intriguée, elle s’enquit auprès de son mari : « Que se passe-t-il ?
– Ces deux idiots veulent se battre pour récupérer le droit d’utiliser tout l’héritage de Dame Doelyn, expliqua le dverg.
– Je croyais que ce n’était pas possible, dit Beyla.
– Cela ne l’est pas et si tu veux mon avis, ronchonna le forgeron des étoiles, l’esprit de chacun de ces deux là est aussi éclairé qu’une lanterne sans huile…
– Oh Svart, il va y avoir un combat on dirait, se réjouit Mørk. Crois tu qu’il ira jusqu’au premier sang ? Ou alors peut être que ce sera un combat à mort ?
– Tait toi Mørk. » Soupira le premier corbeau excédé.

Fen gardait à présent le silence, de même que les deux frères non corbeaux. Ces derniers se mettaient solennellement en place l’un en face de l’autre, tandis que la vane, en reprenant sa grande forme lupine songeait que son petit protégé était encore à des centaines d’années d’entraînement avant de pouvoir rivaliser avec un aelfe. Il allait se faire manger tout cru. Restait à savoir si Siegfried comptait l’épargner. Rien n’était moins sûr. Pour lui les humains n’étaient que fourmis et, bien que Bård soit à moitié aelfe, son grand frère n’était pas prêt à le considérer comme tel. La louve soupira intérieurement, de son point de vue il n’y avait qu’une solution pour mettre fin à cette farce stupide. Il devait probablement exister des solutions plus intelligentes et moins douloureuses que celle qu’elle avait en tête, mais elle n’allait pas avoir le temps de réfléchir plus avant. Elle se tint prête.

« Tient toi prêt, humain, à mon signal. » Prévint l’aelfe. Mais Bård n’avait pas l’intention de se laisser dicter sa conduite et, tandis qu’il se ruait sans attendre sur son grand frère en hurlant, Fen eût l’impression de voir Sigurd. Elle se rendit compte que Siegfried s’apprêtait à le cueillir de sa corne de narval effilée et glissa pour s’interposer juste à temps entre les deux belligérants. Elle glapit de douleur alors que la lame du petit couteau s’enfonça dans son flanc gauche et que la corne recouverte d’acier perça profondément son épaule droite. Ces deux lames avaient été forgées par une aelfe sous la direction d’un grand forgeron dverg ; elles étaient donc tout ce qu’il y a de plus capables de blesser un vane.
« Fen ! s’écrièrent d’une même voix les deux frères.
– Tiens, en v’là une autre avec l’esprit aussi éclairé qu’une lanterne sans huile… » Commenta Nurri atterré. Sans répondre sa femme se précipita dans leur maisonnette. Bård était dévasté d’avoir blessé sa protectrice. En réalité, la lame de son couteau n’était pas très longue et le cuir de la louve épais, il ne lui avait donc causé qu’une estafilade qui saignait à peine. Mais cela lui suffit pour paniquer, il rangea vite son arme, mit de la neige sur la blessure et courut devant la louve pour se blottir contre son poitrail en pleurant des excuses. Elle s’efforça de consoler son petit protégé à grand renfort de caresses et s’aperçut que l’aelfe paraissait tout aussi ébranlé. Hébété, il contemplait alternativement et avec horreur sa lame de laquelle gouttait le sang de la vane et la blessure de cette dernière. Il adressa à la louve un regard hanté. « Fen… » murmura-t-il d’une voix rauque qui avait perdu de sa superbe. « Idiote… »

Quoiqu’il allait dire ensuite, il fut interrompu par le retour de Beyla qui apportait des linges propres. La femme de Nurri poussa sans ménagement Siegfried afin de nettoyer la blessure de la vane à grand renfort de neige et de la bander soigneusement. Le forgeron des étoiles, quant à lui, s’était mis à bourrer une pipe comme s’il ne s’était rien passé et l’alluma. Il soupira d’aise. « Bien ! s’exclama-t-il. Maintenant que vous avez fini de jouer aux imbéciles, tous autant que vous êtes, peut être daignerez vous écouter mes explications sur l’utilisation de la serrure et de sa clef. Après tout, j’ai seulement participé à leur confection alors que vous pas du tout, du coup je ne sais pas si il est très important de m’écouter. » Si l’aelfe se sentit piqué par la moquerie, Bård la sentit bien méritée.

Aucun des deux frères ne répondit et le forgeron des étoiles prit ce silence unanime pour un accord. Il s’avança alors vers Siegfried et lui prit la corne de narval des mains. Il nettoya soigneusement la lame du sang dans la neige et l’essuya délicatement sur sa tunique. Puis il rendit l’arme à l’aelfe en lui déclarant : « Maintenant que vous avez tous les deux revêtu vos anneaux, je vais vous expliquer comment tout cela fonctionne. Comme je le disais précédemment, l’aîné possède la serrure qui peut aussi lui servir d’arme et son anneau décide de la taille de la porte. » Siegfried jeta un coup d’oeil curieux à son anneau. « Quant au second, continuait Nurri, possède la clef et son anneau décide de la destination. » Toujours collé à Fen qui restait couchée dans la neige, Bård contemplait le sien. « Vous devriez essayer. » Les enjoignit le dverg.

L’aelfe murmura : « Une serrure… » Il fit miroiter la lumière du soleil couchant sur l’acier qui recouvrait la corne, puis la brandit et, avec un cri, l’enfonça profondément dans l’un des arbres noueux qui encadraient la maison du forgeron des étoiles. Autour de la corne, qui s’était mise à briller le long des annelures, se dessinèrent les contours d’une porte éthérée. Le dverg s’approcha alors du second fils. « Tu avais remarqué les runes sur ton anneau, lui dit il. Dame Doelyn m’avait spécifié que pour votre premier essai, tu devrais pointer ton anneau sur la rune du Don.
– Laquelle est ce ? » s’enquit le garçon qui ne savait pas lire les runes. Nurri lui indiqua un symbole qui faisait un grand X. L’enfant tourna l’anneau mobile jusqu’à ce que l’encoche indique la rune en question. Le manche de son couteau se mit à briller en réponse. Il s’approcha de son frère et constata que la base de sa corne de narval possédait un creux. Une fente juste de la taille de son couteau. Après un regard méfiant du côté de l’aelfe, il inséra sa clef dans la serrure et déverrouilla la porte éthérée. Il prit ensuite une inspiration et tira la porte.

Celle ci ouvrit l’arbre sur un jardin verdoyant. Bård en eût le souffle coupé. Il reconnaissait le petit parc de son rêve, là où il avait rencontré sa mère. L’aelfe tenait de garder un semblant d’impassibilité, mais lui aussi était ébranlé par cette vision. Après une hésitation, il passa la porte pour entrer dans le jardin. Son petit frère lui emboita le pas. En passant le pas de la porte, il constata que l’arbre était devenu tout entier ladite porte et qu’il en voyait l’interieur en la traversant. Une fois dans le jardin, le garçon soupira d’aise. Il avait quitté l’ambiance froide et métallique de l’hiver pour se retrouver dans la douce chaleur printanière qui régnait dans ce petit écrin de paradis. Il ferma les yeux et inspira profondément les riches odeurs de fleurs et de fruits. Il perçut alors, au milieu des autres senteurs, le parfum caractéristique de la pêche. Il se souvint du banc sous le pêcher où il avait discuté avec sa mère. Il rouvrit les yeux et chercha rapidement le banc en question du regard. Son frère se tenait déjà devant, à contempler les pêches qui dansaient dans la légère brise. Bård s’approcha timidement. Il n’oubliait pas que Siegfried avait voulu le tuer à peine quelques instants auparavant. Il jeta alors un coup d’oeil en arrière et puisa un peu de courage en constatant que Fen les surveillait de l’autre côté de la porte.

« As tu aussi discuté avec elle lors de ses derniers instants ? » S’enquit il avec circonspection. L’aelfe hocha affirmativement la tête. Le garçon trouva ce semblant de réponse encourageant et chercha à toute allure quelque chose d’autre à dire. A ce moment là il repéra une feuille de papier fixée au banc. « Regarde, dit il à son frère, elle nous a certainement laissé un message.
– Elle m’a laissé un message, corrigea Siegfried avec un peu de sa morgue retrouvée.
– Que dit il ? s’enquit Bård qui refusait de se laisser démonter mais qui ne savait pas lire les mots aelfiques.
– Cela ne te regarde pas. » Lâcha l’aîné. Sur ces mots il tourna les talons et se dirigea vers la porte. L’enfant s’empara du papier, en se disant qu’il trouverait bien quelqu’un qui accepterait de le lui lire, et courut après son frère. « Je veux récupérer ma corne. » Déclara l’aelfe une fois qu’ils furent tous deux sortis du jardin. Comme il ne voyait pas d’intérêt à laisser la porte ouverte, même pour faire enrager son grand frère dédaigneux, il la reverrouilla et récupéra son couteau clef, libérant ainsi la serrure de Siegfried. Ce dernier récupéra son bien et, sans un mot, commença à s’en aller.

« Maître maître ! l’appella Mørk en volant derrière lui. Ne deviez vous pas le tuer ?
– Je n’ai aucune gloire à tirer de la mort d’un humain, répondit l’aelfe en crachant le dernier mot comme s’il s’agissait d’une insulte.
– Vous allez le laisser vivre alors ? Vous êtes vraiment généreux maître ! » gloussa le corbeau. Svart leva les yeux au ciel avant de prendre son envol pour suivre ses deux compagnons.

Lorsque l’aelfe et les corbeaux se furent engloutis dans les bois, de l’autre côté du lac gelé qui entourait la maisonnette du forgeron des étoiles, Bård demanda à sa grande protectrice : « Pourquoi ne me déteste-t-il autant ?
– Parce qu’il est un peu idiot parfois, répondit la louve en découvrant ses crocs dans un sourire moqueur.
– Je ne lui ai rien fait, insista le garçon qui voulait comprendre et, surtout, qui se sentait blessé par ce rejet.
– Il s’est mis dans la tête qu’il haïssait les humains, expliqua la vane plus sérieusement.
– Oui, j’avais bien compris ça, continua l’enfant. Mais je n’y suis pour rien si je suis humain. Et en plus je suis à moitié comme lui.
– Je le sais bien, soupira Fen. Mais tu as un frère têtu. Il lui faudra longtemps pour accepter ton existence.
– Si tant est qu’il l’accepte un jour, précisa Nurri qui faisait des ronds de fumée.
– Ne dit pas des choses aussi horribles ! le gronda Beyla. Propose leur plutôt de venir se réchauffer à la maison pour se remettre de toutes ces émotions. » Sur ces propos, elle suivit son propre conseil et partit se réfugier dans son foyer.

« Vous l’avez entendue, ronchonna le dverg. Voulez vous venir vous réfugier un moment chez nous ? J’imagine que vous pourriez peut être même y passer la nuit plutôt que de rester dehors dans le froid.
– Ce serait avec plaisir. » Accepta Fen à la grande joie de son protégé. Elle se leva et se métamorphosa de nouveau dans sa forme humanoïde pour pouvoir entrer dans la maisonnette. Ce faisant, elle perdit le bandage qu’avait confectionné la femme de Nurri pour sa forme lupine. Elle le ramassa en grimaçant, alors que sa blessure à l’épaule se remettait à saigner.

« Ca va aller Fen ? s’inquiéta Bård.
– Oui, tout va bien, ne t’en fait pas » Le rassura-t-elle en franchissant le pas de la porte. Une fois à l’intérieur, elle se dirigea vers Beyla et lui tendit le linge maculé de rouge qui avait servi de bandage. « Merci beaucoup de cette attention, et désolée pour le sang, dit elle à la petite dverg.
– Mais de rien c’est tout naturel, balaya la femme du forgeron. Voyons, regardez vous, vous recommencez à saigner ! Cette blessure est très profonde, il ne faut pas la négliger ! Allez, tenez, installez vous là, que je vous soigne de nouveau. » La vane obéit et s’assit docilement sur la chaise que lui désignait la dverg. Ceci fait, cette dernière découvrit son épaule et entreprit de nettoyer la plaie de nouveau avant de la bander une deuxième fois. « Vous devriez éviter de trop changer de forme dans les jours qui viennent. » Conseilla Beyla. Fen fit une grimacce en grommelant. « Je suis sérieuse, insista la soigneuse. Il faut que le bandage reste en place un moment pour que ça soit utile.
– Elle a raison, appuya le garçon. Il faut te ménager un peu.
– D’accord, d’accord. » soupira la louve.

Si même le petit d’homme qu’elle était sensé protéger s’y mettait, elle ne pouvait que capituler. Elle lui ébouriffa les cheveux de son bras valide. Prenant ce signe d’affection pour une invitation, Bård se glissa sur les genoux de la vane. Celle ci, d’abord surprise puisque c’était la première fois qu’une telle chose arrivait, se fendit d’un léger baiser sur la tête de l’enfant. En réponse, celui ci se blottit. Puis il lui présenta le papier qu’avait laissé sa mère sur le banc du jardin. « Pourrais tu me lire ceci ? » lui demanda-t-il. Elle jeta un rapide coup d’oeil au message et acquiesça. Elle s’éclaircit la voix et se mit à lire :

« Mes chers enfants,

tout d’abord je vous présente mes sincères excuses. Mes actions vont vous causer de l’embarras, si ce n’est pas déjà fait. Je n’ai malheureusement pas le temps d’entrer dans les détails, mais pour en venir au fait, je me suis attirée les foudres de l’ase Ull.

“En fait, comme les vanes, les ases peuvent absorber le pouvoir des créatures qu’ils tuent. Et, dans sa vanité, Ull a décidé de s’élever en héros, demandant à tous de lui délivrer des créatures puissantes dont il pourra absorber le pouvoir. Il espère ainsi être le vainqueur du Ragnarök, la fin du monde, avant même le commencement du Ragnarök et il pense qu’ainsi, le monde ne finira pas. Grâce à lui.

“Dans sa quête de puissance, il courtise les femelles de chaque espèce, leur promettant de leur laisser la vie sauve si elles lui donnent leurs nouveaux nés afin qu’il puisse s’en abreuver. Etant acculée, je n’ai pu qu’accepter sa proposition lorsqu’il est venu à moi. J’étais alors enceinte de Siegfried. Je me suis dit que je trouverai un moyen de protéger mon nourrisson à venir.

“A sa naissance, je l’ai confié à son père et je me suis rendue au devant de Ull pour lui annoncer que, malheureusement, j’avais fait fausse couche. J’ai fait de même ensuite avec Bård : je l’ai confié à son père. Mais cette fois, Ull ne m’a pas crue et il s’en est fallut de peu que j’en réchappe. J’ai passé les années suivantes à fuir et à continuer d’acquérir les connaissances de Nurri, que je surnomme le forgeron des étoiles. Il a accepté de me cacher et de m’enseigner ce qu’il savait.

“Depuis que j’ai été enceinte de Bård, j’ai utilisé tout mon art, mêlant mes connaissances aelfiques et mes connaissances dvergars pour vous confectionner des cadeaux. Si vous lisez ce message, c’est que vous les avez trouvés et je m’en réjouis. De même, cela signifie que vous avez trouvé de quoi vous entendre et il n’en faut pas plus pour combler mon coeur de mère.

“En tous cas, je vous mets en garde : Ull va vous traquer. Il va vouloir récupérer la puissance dont je l’ai privé en lui dissimulant vos naissances. C’est pourquoi je vous ai confectionné cette serrure et cette clef. Elles ouvrent des portes vers d’autres mondes, et chacun de ces mondes correspond à une rune. Si vous oeuvrez ensemble, vous serez à même de vous débarrasser de l’influence néfaste de Ull. Car, quoique lui fasse miroiter sa vanité, Ragnarök arrivera et il se passera ce qui doit se passer sans qu’il n’y puisse rien changer.

“Bon courage pour vos épreuves futures, mon coeur saigne de savoir que je ne serai plus là pour vous protéger, bon courage à vous deux mes chéris, je vous aime.

“Doelyn votre maman. »

Lorsqu’elle s’arrêta de parler, Fen se rendit compte que son protégé ne parvenait pas à retenir ses larmes. « Il m’a menti, sanglota-t-il. Siegfried m’a menti.
– Comment cela ? s’enquit la vane.
– Il m’a dit que le message ne concernait que lui, expliqua l’enfant d’une voix entrecoupée de pleurs. Alors qu’elle me parlait à moi aussi et j’ai failli ne pas récupérer la lettre. Dans ce cas là je n’aurai jamais su ce que mère voulait me dire ! » La louve serra contre elle le garçon de son bras valide et le berça pour l’apaiser. « En plus maintenant il est parti, alors qu’elle nous dit bien que nous devons rester ensemble. N’est ce pas ? Elle a dit que nous devions oeuvrer ensemble pour nous défaire de l’influence de Ull. Mais maintenant qu’il est parti, comment vais je faire ? Je ne suis encore qu’un petit garçon et…
– Chut, l’interrompit Fen. Chuuut, calme toi. Tout se passera bien, même si ton frère a décidé de s’en aller pour le moment. Et puis regarde, je suis toujours là, moi. Nous trouverons des solutions ensemble, ne t’inquiète pas, petit d’homme.
– Oui tout à fait ! Appuya Beyla qui avait terminé de panser la vane. Ce qu’il vous faut à tous les deux pour le moment, c’est un bon dîner ! »

L’entrain de la dverg était si communicatif que Bård esquissa un sourire. Nurri, quant à lui, semblait d’humeur maussade. La lecture de la lettre de Doelyn paraissait avoir sabré son moral. Heureusement, pour lui comme pour les autres, le dîner de Beyla lui rendit un semblant de bonne humeur. Elle leur servit un ragoût de fèves et de mouton, dont la chaleur courut de leurs bouches à leurs estomacs en les laissant dans une bienheureuse félicité. En hôte attentionnée, la femme du forgeron des étoiles avait même donné à Fen non pas de son ragoût, mais un gigot de mouton cru tout entier. Reconnaissante, la vane fit l’effort d’utiliser des couverts pour engloutir sa viande.

NaNoWriMo 2014 jour 8 : Bård

« Comment avez vous pu obtenir une telle chaleur ? demanda Fen qui suffoquait presque.
– Un bon forgeron a besoin de la chaleur la plus intense possible pour pouvoir fondre n’importe quel minerai, expliqua Nurri.
– On dirait que vous avez réussi, dit le garçon.
– Certes, et je n’en suis pas peu fier, se rengorgea le dverg. J’avais déjà parlé de ma trouvaille avec d’autres forgerons, tous plus réputés les uns que les autres, mais aucun n’a paru séduit par mon idée.
– Votre idée ? s’enquit la vane qui sentait que le forgeron des étoiles mourrait d’envie de se pavaner en parlant de son travail.
– Oui oui ! Connaissez vous les volcans ? » Leur demanda Nurri. Face aux dénégations de Bård et au visage inexpressif de Fen, il expliqua : « Les volcans sont des montagnes qui crachent du feu. Mais attention, pas n’importe quel feu, un feu liquide beaucoup plus chaud que le feu dont on a l’habitude. Et moi, Nurri Orrisson, j’ai réussi à dompter cette puissance. Elle court actuellement sous nos pieds et alimente mes forges. » Il se tourna vers l’enfant visiblement impressionné. « Dame Doelyn disait qu’il s’agissait du même feu qui fait briller les étoiles, c’est pourquoi elle m’a surnommé Nurri le forgeron des étoiles. » Il soupira à ce souvenir.

« Et donc, le leg de dame Doelyn pour le jeune Bård ? rappella la vane dans le but de faire un petit peu avancer les choses afin de rester le moins de temps possible dans cette chaleur infernale.
– Ah, oui, l’héritage de Dame Doelyn. Suivez moi. » Il les mena jusqu’à un coin de la pièce qui se trouvait être un atelier complet à lui tout seul. « C’est ici qu’elle travaillait, leur glissa-t-il en aparté tandis qu’il fourrageait dans les mécanismes d’un grand coffre. Ah ! Ca y est ! » Se réjouit il en trouvant enfin la bonne combinaison qui ouvrit ledit coffre dans un grincement de métal. Le garçon se demandait ce que pouvait bien receler un contenant aussi énorme.

Lorsqu’il jeta un coup d’oeil à l’intérieur cependant, il ne vit que deux petits coussins de velour bordeaux, sur chacun desquels était soigneusement posé un anneau finement ciselé. Nurri s’empara délicatement de l’un des anneaux et le tendit solennellement à Bård. Ce dernier tendit la paume et le dverg y déposa délicatement le bijou. Le garçon l’inspecta et constata qu’il était en fait constitué de deux anneaux : l’un fixe avec différentes runes gravées et l’autre qui pouvait tourner autour du premier. Celui ci possédait une petite encoche qui pointait en direction de l’une des runes gravées sur le premier anneau fixe. « A quoi servent ces marques ? s’enquit le fils de Doelyn en désignant les runes.
– A désigner des endroits, répondit le forgeron des étoiles. Met le ! »

L’enfant enfila l’anneau qui, comme par magie, s’adapta à la taille de son doigt. « Regarde. » Souffla Fen en désignant la ceinture de son protégé. Les runes gravées sur le manche en corne de narval du petit couteau s’étaient mises à briller, de même que la rune qu’indiquait l’anneau. « A quoi cela sert il ? demanda la vane impressionnée.
– A ouvrir des portes, expliqua Nurri. Bård dispose de la clef et son frère héritera de la serrure. » Le garçon fit tourner son anneau jusqu’au seul endroit où n’était gravé aucune rune. Son couteau cessa de briller. « Cet anneau n’obéira qu’à toi, ajouta le dverg. De même que l’autre n’obéira qu’à ton frère. Je n’ai jamais connu une créature plus douce que Dame Doelyn. C’est la raison pour laquelle j’ai consenti à lui enseigner les secrets de la confection de tels objets.
– Pourquoi ? Peuvent ils être dangereux ? s’enquit la vane.
– Plus que ça ! s’écria Nurri. Laissez n’importe qui apprendre à forger des anneaux de pouvoir et vous n’avez pas le temps de dire ouf que le chaos s’étend sur le monde entier avec un mégalomane qui veut le diriger ! Ce sont des connaissances bien dangereuses et je suis fort aise que le pouvoir de ces anneaux là soit séparé en deux, et qu’ils soient chacun assigné à une personne différente. »

Tandis que les deux adultes devisaient, l’enfant se demandait dans quel but sa mère lui avait légué cette clef qu’elle avait fabriquée de ses propres mains. « Nurri ? » La voix de Beyla retentit soudainement dans la salle. L’interpellé se dirigea vers un cylindre métallique dont le tuyau courait sur le mur en direction du plafond. « Oui ma douce ? s’enquit il.
– Rikk est rentré, l’informa sa femme. Je me suis dit que tu aimerais être au courant.
– Ah ! Enfin ! se réjouit le forgeron des étoiles. Cela signifie que le premier fils de Dame Doelyn est en route et qu’il ne va pas tarder.
– Je vais enfin pouvoir rencontrer mon frère. » Se réjouit Bård. De savoir qu’il lui restait une famille, quelque part, lui donnait chaud au coeur.
Fen, quant à elle, ne se montrait pas aussi heureuse de cette éventualité. Car, avant de savoir que son protégé était le second fils de Dame Doelyn, elle connaissait son premier né depuis bien longtemps. Il s’agissait de l’aelfe Siegfried et la louve redoutait de nouvelles retrouvailles avec ce dernier. Elles doutait qu’elles seraient chaleureuses. Siegfried avait une telle aversion pour les humains… En réfléchissant, elle réalisa que l’aelfe devait avoir compris que Bård était son demi frère lors de leur rencontre. Il avait été outré de constater que le garçon possédait le petit couteau au manche en corne de narval. « Bård, commença-t-elle. Je ne suis pas sûre que rencontrer ton demi frère soit une bonne idée…
– Pourquoi ? demanda le garçon surpris.
– Nurri ? » La voix de Beyla retentit de nouveau, empêchant la vane de répondre. « On frappe à la porte.
– Ce doit être l’aîné de Doelyn, supposa le forgeron des étoiles. Ouvre lui, je viens le chercher. »

Joignant le geste à la parole, il se dirigea vers l’escalier. « Vous pouvez rester ici en attendant, dit il à ses deux invités. Mais ne touchez à rien !
– Pourquoi ne veux tu pas que je rencontre mon frère ? s’enquit de nouveau l’enfant une fois que Nurri eût disparu au loin dans les escaliers.
– Je… » La louve sous forme humanoïde hésita et son visage exprima une gêne mêlée de compassion. Devait elle révéler tout de suite à son protégé que son demi frère voudrait probablement le tuer dès qu’il le verrait ? Devait elle le laisser découvrir la vérité tout seul ? Qu’est ce qui serait le moins perturbant pour un petit d’homme ?

« Et bien ? insista Bård. Dis le moi, Fen !
– Ecoute, capitula-t-elle, peut être ai je tort. Tâchons de nous dissimuler pour voir à quoi ressemble ton frère. Ainsi nous pourrons aviser de si nous faisons sa connaissance ou pas, cela te convient il ?
– Mmmh… D’accord. » Son protégé accepta le compromis, bien qu’un peu à contre coeur. Il avait vraiment hâte de voir son frère et il y tenait vraiment. Il imaginait de fraternelles retrouvailles avec de franches bourrades et des anecdotes sur leur mère qu’il avait à peine pu rencontrer. Mais Fen avait vraiment l’air inquiète. Elle avait tellement fait pour lui durant ces derniers jours, qu’il pouvait bien accepter de lui faire plaisir, même si cela lui coûtait un peu. Il la suivit donc se cacher derrière une immense pile de bric à brac. Il y avait tellement de choses accumulées ici qu’il ne leur fut pas difficile de trouver un endroit pratique d’où voir sans être vus.

Le temps que le forgeron des étoiles mit pour revenir avec l’aîné de Dame Doelyn parût infini au garçon impatient. Mais, enfin, le dverg finit par réapparaître à l’autre bout de la pièce, suivi par un aelfe élancé qui avançait d’une démarche régalienne, bien que légère. La vane étudia soigneusement le visage de l’enfant tandis qu’il reconnaissait lentement l’aelfe en question. Elle crut reconnaitre la stupeur, puis la déception et la peur. Puis, elle le vit serrer les dents en regardant fixement son demi frère prendre, à son tour, possession de son leg. Lorsqu’il passa le bijou à son doigt, un fil lumineux parcourut sa corne de narval plaquée d’acier le long des annelures. « Je constate qu’il n’y a qu’un anneau, déclarait Siegfried à ce moment là.
– Tout à fait, votre frère a déjà récupéré le sien. » Raconta Nurri qui regardait partout autour de lui, sans doute à la recherche de ses deux autres invités. Il espérait qu’ils ne touchaient rien de fragile ou n’étaient pas tombés malencontreusement dans la lave qui courait sous sa forge.

« Ce n’est pas mon frère, lâcha l’aelfe d’un ton dédaigneux. Ce n’est qu’un bâtard.
– Il n’en est pas moins lié à vous par le sang de votre mère, le gourmanda le dverg.
– Puisque vous étiez le maître respecté de ma mère, je ferai comme si vous n’aviez rien dit, grinça le demi frère de Bård en jetant au forgeron des étoiles un regard terrifiant. D’ailleurs, comment avez vous pu laisser un tel trésor à une vermine pareille ?
– Parce qu’il lui appartenait… commença Nurri.
– Je ne veux pas le savoir, coupa Siegfried. Dites moi au moins quelle direction il a prise en partant et j’irai chercher la fin de mon héritage moi même.
– Si Sa Grandeur daignait m’accorder son oreille, ne serait ce qu’un court instant que je lui explique pourquoi cela ne lui servirait à rien de recouvrer la part de son petit frère, je me ferai une joie de le lui exposer, ironisa le dverg sur un ton humoristique sous lequel perçait une menace sous jacente.
– Faites donc, acquiesça l’aelfe de mauvaise grâce.
– Ces objets, exposa alors Nurri, ont été forgés par votre mère, comme je vous l’ai dit, et elle y a placé tout l’amour qu’elle éprouvait pour vous deux. Pas d’interruption ! » Prévint il l’aîné en constatant qu’il voulait intervenir. « Ce faisant, elle a ensuite destiné chacun de ces anneaux à un seul d’entre vous et quiconque d’autre voudrait l’utiliser ne le pourrait pas. Y compris vous : vous ne pouvez pas utiliser l’anneau dévolu à votre frère.
– Les sorts ou les enchantements peuvent toujours se défaire, argua Siegfried. Dites moi où se trouve ce petit humain et, une fois que j’aurai récupéré ce qui me revient, j’en ferai mon affaire.
– Je suis ici. »

Avant que Fen ait pu le retenir, Bård était sorti de sa cachette et se dirigeait vers son demi frère avec résolution. Elle se dépêcha d’aller le flanquer en jetant un regard désapprobateur à l’aelfe. Le garçon tenait son bâton d’entrainement d’une main, son petit couteau de l’autre, adressant à son grand frère un air de défi. La scène resta ainsi figée quelques instants avant que le forgeron des étoiles ne brise le lourd silence : « Je vous préviens mes lascards, il est hors de question que vous vous combattiez ici ! C’est beaucoup trop dangereux !
– Allons dehors, dans ce cas, déclara l’enfant. Là haut nous pourrons nous battre autant que nous voudrons.
– Tu oses me défier ? » Le ton de l’aelfe était moqueur, bien que teinté de surprise. « Je dois reconnaître que tu n’as pas froid aux yeux. Soit, si c’est la mort que tu recherches, je te la délivrerai promptement, n’aie crainte.
– Je n’ai pas peur, lui assura calmement Bård.
– Mais vous ne devez pas vous battre ! s’emporta Nurri. Vous avez des legs complémentaires tous les deux ! L’un de vous détient la clef et l’autre la serrure ! Vous devez oeuvrer ensemble et non pas l’un contre l’autre ! »

Mais, peine perdue, les deux frères se dirigeaient déjà en direction de l’escalier d’un pas résolu. « Les sages paroles du forgeron des étoiles sont tombées dans l’oreille d’un sourd, commenta Fen en soupirant. Enfin, de deux sourds. J’ai l’impression que ces deux frères là sont aussi butés l’un que l’autre. » Ceci dit, elle leur emboîta le pas, espérant éviter le pire, et le dverg la suivit avec empressement. En montant les marches de l’escalier qui devait les mener vers leur duel, la vane tenta de les raisonner : « Bård, disait elle, tu ne vas tout de même pas combattre ton propre frère et toi, Siegfried, tu ne vas tout de même pas t’abaisser à combattre un enfant. Quelle gloire retireras tu de cela ? » Mais l’un comme l’autre lui opposait un silence borné. Elle essaya ensuite la provocation : « Décidément, s’écria-t-elle, vous êtes bien frères tous les deux ! Aussi têtu l’un que l’autre ! » La seule réaction qu’elle obtint provint de l’aelfe qui émit un bruit de bouche dédaigneux. Ou vexé. C’était souvent difficile à dire avec lui.

Au fur et à mesure qu’ils se dirigeaient vers la surface, la température se fit plus fraîche par contraste avec la chaleur presque invivable du sous sol. Dans la maisonnette de Nurri et Beyla régnait toujours une chaleur agréable, mais ils n’en profitèrent pas, sortant aussitôt dans le froid glacial de la fin d’après midi. Dehors, ils furent accueillis par Mørk et Svart, les deux corbeaux qui accompagnaient inlassablement Siegfried.