NaNoWriMo 2014 jour 22 : Bård

Passage numéro 1 :
“Maître, le village que l’on nous a indiqué se trouve par là bas ! s’exclama Svart. Par contre…
– Par contre ? s’enquit le maître en question.
– Et bien, il semblerait qu’il ait été attaqué, répondit le corbeau.
– Et une partie est toute brûlée, gloussa Mørk.
– Allons voir.” Lâcha le maître de sa voix profonde. Ainsi que le corbeau le lui avait dit, le village se trouvait en ruines. La moitié des maisons avaient été éventrées par le feu et les malheureux villageois qui les peuplaient avaient été essaimés un peu partout sur la terre battue et en partie recouverts par la neige, morts. Seules subsistaient quelques poules qui avaient été épargnées et erraient à la recherche de quelque chose à picorer. Mais plus aucune espèce plus grosse qu’un chat. Ils s’aventurèrent au milieu des cendres, des cadavres et des squelettes d’habitations.

« Votre source vous a-t-elle expliqué quelle était la maison de Sigurd ?
– Non, avoua Svart un peu penaud.
– Dans ce cas, nous allons chercher. » Conclut le maître qui s’employa dès lors à pousser les portes des chaumières pour en visiter l’intérieur. Il retourna également certains morts mâles mais, malgré la décomposition qui les dévisageait, aucun n’était Sigurd. Ses inspections le menèrent, toujours accompagné des corbeaux, jusqu’au grand hall, la plus vaste habitation du village. Un grand trou béait dans l’un des murs, mais la structure avait été épargnée par les flammes. Il entra. Le spectacle qui s’offrit à lui le fit froncer du nez. Il s’approcha du cadavre cloué au mur. « Tsss. » Lâcha-t-il. L’homme qu’il recherchait était mort. D’une mort grossière selon le maître, puisqu’il se retrouvait cloué au mur comme un vulgaire pantin. Il fouilla la maison toute entière. Aucune trace d’un corps d’enfant nulle part. Le fils de Sigurd avait peut être survécu. Si c’était le cas, ce devait être cet enfant qui se trouvait en possession de ce que Sigurd lui avait volé, car il n’avait pas réussi à mettre la main sur ce précieux objet non plus. Il se redressa et, frustré, heurta le mur de son poing. Les corbeaux n’osèrent pas intervenir.

Leur maître retourna dehors et inspecta le sol. Malheureusement, les dernières chutes de neige avaient recouvert toutes les éventuelles traces qui auraient pu lui indiquer une direction à suivre. Il se sentait impuissant et cela le mettait en colère. Il ne lui restait plus qu’une solution. « Menez moi jusqu’à la personne qui vous a indiqué ce village, ordonna-t-il aux deux corbeaux.
– Mais ce garçon se trouvait loin d’ici et il a du bouger depuis, objecta Svart. Je ne sais pas si nous allons pouvoir le retrouver, le monde est vaste…
– Retrouvez le, j’ai des questions à lui poser. » Le ton était sans appel, et Svart comprit qu’il ne servait à rien de tergiverser. Il donna un coup de bec à Mørk qui s’apprêtait à dire une bêtise – or le maître n’était pas d’humeur – et prit son essor, accompagné de son frère.

Passage 2 :
La lune était pleine, inondant le paysage enneigé d’une douce lueur argentée. D’aucuns diraient blafarde, mais ces gens ne savaient pas de quoi ils parlaient. Seuls les hermétiques à la beauté pouvaient proférer des choses pareilles. C’était ce que Fen disait toujours en tous cas. Elle adorait la lune. Probablement à cause de sa nature de louve. Assis en tailleur sur un rocher solitaire, Siegfried contemplait la grosse boule haute dans le ciel et la vue dégagée qu’il avait de la plaine qui s’étendait à ses pieds. Il entendit des loups hurler au loin. Il sourit. Il leva la tête vers la lune et hurla avec eux. Comme il le faisait jadis en compagnie de Fen. Ils se connaissaient depuis qu’il était aelfon et elle louveteau. Il lui avait appris l’aelfique et elle les manières des loups. La meute avec laquelle il chantait – car les loups considéraient cela comme de la musique – lui répondit avec entrain. Ils avaient souvent hurlé à la lune Fen et lui. En grandissant, ils s’étaient moins fréquentés, ayant chacun leurs affaires de leur côté.
C’était ainsi qu’un beau jour, il s’était rendu compte qu’elle s’était liée d’amitié avec des humains. Un, en l’occurence, qui répondait au nom de Sigurd. D’après ce qu’il avait compris, ils avaient vécu beaucoup d’aventures ensemble, la vane s’abaissant à lui servir occasionnellement de monture. Et comme il se pavanait ce rustaud ! Sans aucun respect pour la nature faerique de la louve qui avait daigné lui offrir son amitié. Sigurd ne lui avait jamais témoigné aucun respect non plus. Les rares fois où il avait eu le malheur de le rencontrer, il lui avait toujours parlé familièrement, comme à l’un de ses semblables. Vraiment, Siegfried ne voyait pas ce que Fen trouvait à cet humain vulgaire. Mais elle semblait lui accorder plus d’intérêt qu’à lui même. Elle lui avait assuré qu’il se faisait des idées mais, selon lui, ses actes prouvaient sans cesse le contraire.

Ce Sigurd, non content de lui voler l’affection de la vane, s’était en premier mis en tête de courtiser sa mère. Bien sûr, l’humain ne savait pas à ce moment là que Doelyn se trouvait être la mère de Siegfried. Mais ce n’était pas une excuse. Il avait chassé le cerf blanc pour elle, mais il n’aurait jamais réussi si Fen ne lui avait pas prêté son aide. C’était d’ailleurs suite à cet épisode qu’ils avaient fait connaissance, l’humain et eux. L’aelfe se souvenait encore du moment où la vane s’était dressée face à lui pour l’empêcher de tuer Sigurd. Il en avait été blessé. Encore plus lorsqu’il avait vu l’humain chevaucher la louve et parader en amenant le cerf blanc à Dame Doelyn. Et, pire que tout, avait été l’annonce de la naissance de Bård le demi humain. Sa mère paraissait aussi faire grand cas de son fils cadet, le bâtard. Elle avait tellement envie de le protéger qu’elle avait tissé un sort autour de lui afin que personne ne remarque la nature semi aelfique du bébé. Heureusement, elle n’avait pas infligé à son aîné la présence du petit et de son père. Il était déjà suffisamment difficile de supporter qu’elle fasse parfois semblant de ne pas être sa mère qu’il n’aurait pas supporté qu’elle accorde de l’attention au bébé.

Siegfried ne savait pas pendant combien de temps les loups et lui avaient loué ainsi la lune, mais il se sentait maintenant beaucoup plus apaisé. Perchés sur la branche basse d’un arbre tout proche, Svart et Mørk se pressaient l’un contre l’autre afin d’échanger un peu de chaleur. Ils avaient sursauté lorsque celui qu’ils appelaient leur maître s’était mis à hurler à la lune avec les loups. Ils sursautèrent de nouveau lorsque l’aelfe leur intima : « Partons. Nous devons trouver Ull.
– Mais quand dormirons nous maître ? se plaignit Mørk.
– Nous aurons tout le temps de dormir lorsque nous serons morts. Pour le moment, nous avons du pain sur la planche. »

Passage 3 début (le passage 3 va être un chapitre à lui tout seul normalement)
La forêt de Ull était plus difficile à trouver d’hiver en hiver. Elle poussait autour de l’ase chasseur à chaque fois que celui ci en décidait ainsi. A force d’emmagasiner les pouvoirs de créatures magiques, celui de l’ase devenait de plus en plus puissant. Les hivers s’allongeaient et sa zone d’influence s’étendait, glaciale, sur de plus en plus de terrain. En revanche, sa forêt d’ifs restait la même. Cela revenait à chercher un oeuf dans un verre d’eau, puis dans une flaque, dans une mare, un étang, jusqu’à la mer. La première année où il était parti à la recherche de Ull, Siegfried l’avait non seulement trouvé, mais aussi affronté. Il grimaça amèrement à ce souvenir. Il n’avait du son salut qu’à l’intervention des deux frères corbeaux qui lui avaient permis de battre en retraite. L’ase ne l’avait pas poursuivi. L’aelfe se promit de prendre sa revanche. Mais il du se rendre à l’évidence : sa mère avait raison, il ne pourrait pas en venir à bout seul. Depuis, il surveillait les déplacements de la forêt magique. En attendant son heure, il contrait du mieux qu’il pouvait l’augmentation de l’influence du Chasseur. « Maître, l’interrompit Svart dans ses réflexions. Nous avons trouvé un autre de ces campements de braconniers.
– Oh oui ! renchérit Mørk. Tout un groupe !
– Ont ils des prisonniers ? s’enquit Siegfried.
– Des tas. » Répondit le corbeau idiot d’un air épanoui, comme si il s’agissait de la meilleure nouvelle du monde. Svart lui infligea un coup de bec moralisateur.

« Ce n’est pas une raison de se réjouir, le morigéna-t-il.
– Pourquoi me frappes tu tout le temps Svart ? s’enquit Mørk d’une voix tremblante qui menaçait de se briser. Je vais finir par croire que tu ne m’aimes plus… » Ignorant la suite de l’échange habituel entre les corbeaux, l’aelfe hocha la tête pour lui même. Comme si il avait besoin d’une raison de plus de détester les humains, nombre de ceux ci s’étaient fait chasseurs de créatures. Suivant l’appât du gain, ils capturaient vanes, aelfes qui s’étaient aventurés en dehors de leurs cités cachées et dvergs qui s’étaient aventurés en dehors de leurs profondes grottes. Ils raflaient au passage toutes les autres créatures de nature plus ou moins magique qu’ils pouvaient trouver. Les sbires de Ull et, notamment, Skadi les rémunéraient grassement. En se remémorant Skadi la géante, Siegfried passa machinalement ses doigts sur la grande balafre dont s’ornait son visage depuis leur rencontre. Elle n’était pas une ase, mais faisait partie de ce peuple de géants. Femme de Ull, elle lui était entièrement dévouée et défendait les alentours de sa forêt d’ifs à l’aide de son long fouet avec lequel elle marquait ses ennemis. Contrairement à son ase de mari, elle n’était pas immortelle et l’aelfe lui avait promis de la vaincre définitivement un jour prochain. Elle avait ri. Il pinça les lèvres à ce souvenir douloureux, tant pour les blessures récoltées que pour son amour propre. Il lui ferait payer l’affront de son visage et celui de sa moquerie.

Une fois que les oiseaux eurent fini de se disputer et de se réconcilier, ils menèrent Siegfried jusqu’au campement qu’ils avaient repéré. Il eut le soulagement de constater que ce groupe de chasseurs ne comportait que des humains. L’aelfe avait pu s rendre compte d’expérience que certaines bandes de braconniers comprenaient des créatures elles mêmes magiques. Il avait notamment eu à faire à un groupe dirigé par un vane renard quelques temps auparavant. Cette fois il avait du s’abstenir d’intervenir. Il venait d’être blessé par Skadi et un vane aussi gros que ce renard était un adversaire trop difficile à mettre à bas, estropié comme il l’était à ce moment là.

NaNoWriMo 2014 jour 1 et 2 : Bård

Bård, fils de Sigurd, se blottit contre le poitrail de l’animal. Fatigué après ses frayeurs et sa fuite, il avait besoin d’un peu de réconfort. La louve pencha sa tête vers l’enfant et lui adressa un coup de langue affectueux. Quelque peu rassénéré, il se pelotonna plus avant contre l’immense bête. Elle était plus grande que le plus grand cheval et aurait pu ne faire de lui qu’une bouchée. Pourtant, lorsque les ennemis de sa famille avaient voulu le tuer, elle l’avait sauvé. Il était dos au mur, face à un adulte armé d’une épée et là, elle avait jailli de nulle part, traversant un rideau de flamme, égorgeant et piétinnant les assaillants. Après avoir éparpillé ses adversaires, elle s’était emparée de lui et l’avait emmené loin de la tourmente. D’abord tétanisé de terreur de se retrouver dans la gueule du loup, il avait hurlé pendant longtemps. En constatant qu’elle ne le dévorait pas, il avait fini par se rassurer. Et puis, il était grand maintenant : à huit ans révolus, il ne devait plus avoir peur.

Il bâilla. Le visage enfoui dans la fourrure de sa protectrice, le garçon chercha désespérément le sommeil. Mais les évènements de la journée se bousculaient dans sa tête, trop nombreux et trop terribles. Il s’agita. La louve lui adressa de tendres poussées de museau. Il eût une soudaine envie de pleurer. Retrouverait-il ses parents le lendemain ? Et qu’est ce qu’un animal, aussi géant soit-il, pouvait comprendre aux tourments humains ?

« Plus que tu ne le crois, petit d’homme, dit la louve. J’ai déjà perdu de mes proches, et ton père était un grand ami à moi.
– Mais tu… tu parles ! s’exclama Bård sidéré d’entendre une voix humaine jaillir de la gueule d’un tel fauve.
– Oui, confirma sa terrible interlocutrice en retroussant les babines dans une forme de sourire. Je suis ce que vous autres, humains, appelez un Vane. Enfin, une Vane en l’occurence. » Le garçon en resta bouche bée. Il se trouvait en présent d’un animal mythique, un esprit protecteur de la nature, et cet animal lui avait sauvé la vie. Comment son père avait-il pu devenir l’ami d’un monstre pareil ?

« Vous connaissiez mon père ? s’enquit Bård.
– Le grand Sigurd oui, répondit la louve. Il m’avait informée de la naissance de son fils, Bård. Son odeur est très présente sur toi. » Elle le renifla, comme pour vérifier ses dires. « Je me nomme Fen, reprit-elle. Tu peux m’appeler ainsi. J’ai l’impression que nous allons passer un petit moment ensemble.
– Combien de temps ? s’inquiéta le garçon qui avait envie de retrouver sa parentèle le plus rapidement possible.
– Je ne sais. » Le regard qu’elle lui lança en disant ses mots était insondable. « Pour le moment tu devrais dormir, tu es en sécurité avec moi.
– Je veux aller voir mon père ! Décréta Bård qui commençait à s’alarmer.
– Nous le verrons demain, lui assura la louve. Je te promets de te ramener à lui, d’accord ? »

L’enfant finit par hocher affirmativement la tête, un peu à contrecoeur. Tant les propos que le regard mystérieux de Fen l’avaient inquiété. Mais il avait donné son accord. Il se réinstalla entre les pattes avant de la louve, le plus confortablement qu’il pouvait. Elle dégagea une de ses pattes pour le serrer contre elle. Epuisé et au chaud blotti dans la généreuse fourrure de la Vane, Bård perdit la lutte contre le sommeil et sombra bientôt dans les ténèbres.

Les timides rayons de soleil qui s’infiltraient dans la petite caverne éveillèrent le petit garçon tard le lendemain. Il ouvrit les yeux, surpris de ne pas sentir les odeurs habituelles de repas du matin. « Père ? » Appela-t-il avant de se souvenir qu’il ne se trouvait pas dans son lit. La petite décharge d’adrénaline qui en suivit le mit tout de suite sur pied, dégageant la patte de la louve qui le tenait au chaud. Bård eût un sursaut de terreur de se retrouver face à face avec l’immense carnassier, avant que son cerveau encore endormi ne l’informe que Fen lui avait sauvé la vie la veille. « Tu as dormi longtemps, commenta celle ci. Tu devais en avoir besoin.
– Euh… Oui. » En convint il.

La Vane se leva à son tour, s’étira longuement et bâilla de tous ses crocs. « Je veux voir mon père. » Recommença Bård. Il avait faim et d’être sorti du chaleureux cocon de fourrure le faisait frissonner de tous ses membres, mais un sentiment d’urgence le pressait. Il devait retrouver sa famille avant toute autre chose. La louve lui adressa un regard scrutateur de ses yeux d’or et hocha la tête. « Soit. » Dit-elle avant de sortir de la caverne. Elle aurait préféré y aller seule, mais elle sentait que le garçon ne lui laisserait pas le choix. Celui ci lui emboîta aussitôt le pas. Dehors, ils constatèrent qu’un peu de givre recouvrait le sol. Il fondait sous le soleil, mais cela annonçait l’arrivée du froid. La Vane inspira profondément l’air des alentours. « Mmmh, ça sent la neige on dirait. Nous ferions mieux de ne pas traîner. Monte sur mon dos, ainsi nous irons plus vite.
– D’accord. »

Fen se coucha pour que son petit protégé puisse grimper car, debout, elle était bien trop haute. Une fois qu’elle se fut assurée qu’il était bien installé et fermement arrimé à la fourrure de son garrot, elle se lança. D’un petit pas d’abord, qu’elle allongea au fur et à mesure qu’elle constatait que l’enfant tenait bon. Il avait peur de tomber, aussi serrait il de toutes ses forces les poils de sa monture, mais il était décidé. Il ne se rendit pas compte de l’allure phénoménale que Fen avait adopté comme vitesse de croisière. De fait, elle courrait plus vite qu’un loup normal et pouvait tenir cette cadence plus longtemps. De tout le trajet, le garçon s’accrocha courageusement et avec opiniâtreté.

« Que se passe-t-il ? S’enquit il lorsqu’il remarqua que la louve avait ralenti le pas.
– Chut, ne fait pas de bruit, lui ordonna-t-elle. Nous sommes proches de chez toi et il reste peut-être des ennemis. Nous allons nous montrer discrets. » L’enfant avait peur mais il avait décidé de se montrer courageux. Et puis, que craignait-il avec une Vane pour compagne ? Il s’efforça de faire le moins de bruit possible, toujours accroché de toutes ses forces à sa monture. A présent, Fen marchait précautionneusement et s’arrêtait à intervalles réguliers pour renifler l’air autour d’elle. Bård se demandait ce qu’elle pouvait bien sentir car, lui, ne percevait que l’odeur du feu qui avait ravagé son village la veille. La fumée masquait en partie le timide soleil de fin d’automne, donnant une atmosphère encore plus macabre. Les oreilles de la louve étaient aussi sans cesse en mouvement. Mais de même, l’enfant n’entendait que les lamentations du vent.

« Surtout, ne descend pas avant que je te le dise. » Chuchota Fen à l’intention de son petit cavalier au moment où ils entraient dans le village ravagé. Elle avait bien fait de le mettre en garde car, à cet instant il n’avait envie que d’une chose, et c’était de se précipiter à terre pour courir jusqu’au hall de son père. D’ailleurs, il serait probablement passé outre l’interdiction de la Vane s’il n’y avait pas tant de corps éparpillés sur la terre battue. Il craignait d’avoir reconnu Rolf le forgeron parmi eux. Mais comme il était face contre terre, l’enfant n’en était pas certain. Quoiqu’il en soit, le probable Rolf était entouré des corps de plusieurs assaillants ; il avait vendu chèrement sa vie. Craignant de reconnaître d’autres personnes qu’il connaissait, l’enfant enfouit son visage dans le cou de sa protectrice. Se morigénant de réagir comme un bébé, il releva bientôt la tête. Il ne pouvait quand même se résoudre à regarder les cadavres, alors il fixa son regard sur son objectif : chez lui.

Aussi silencieuse qu’une ombre, la louve se coula de maison en maison jusqu’à la demeure de son vieil ami Sigurd. Contrairement à certaines habitations du village, le hall qu’elle visait ne brûlait pas. Sans pitié pour l’impatience du garçon qui, pour le moment, faisait des efforts surhumains pour rester coi, elle n’entra pas tout de suite par la porte ouverte. Elle craignait de tomber sur les pillards survivants qui seraient restés passer la nuit aux frais de leurs victimes. Etaient ils vraiment de simples pillards, d’ailleurs, elle n’en était pas certaine. Elle songeait à l’éventualité que son ami ait été agressé à des fins plus personnelles. Bien évidemment, elle ne pouvait pas en être certaine, mais son instinct lui criait qu’elle avait raison. De plus, elle aurait préféré venir faire ses investigations sans le petit, Bård. Mais elle subodorait que si elle l’avait laissé, il aurait tenté de la suivre. Et, seul dans les bois, il se serait probablement perdu ou fait une mauvaise rencontre. Mieux valait qu’elle le garde auprès d’elle.

Elle était contrariée. L’odeur du feu et des cendres envahissait tout et elle n’arrivait pas à déterminer la présence ou non d’humains vivants. Heureusement, les morts n’avaient pas encore commencé à sentir trop fort, mais cela s’avérait une bien piètre consolation face au carnage qui s’offrait à eux. Tant pis. Il allait falloir entrer chez Sigurd malgré le danger potentiel, sinon le petit risquait de se précipiter en courant et en criant le nom de son père partout. Elle avait beau être une Vane, ses instincts de loup étaient très forts et elle devait réprimer son réflexe de gronder. Elle poussa la porte entr’ouverte et s’aventura à l’intérieur. L’inquiétude du petit Bård faisait écho à la sienne : elle sentit ses jambes se crisper sur ses flancs.

Un feu crépitait dans l’immense cheminée de la grande salle. Fen s’immobilisa, son coeur se fendant dans sa poitrine lupine. Sigurd, son vieil ami, était là. Mais mort, ses mains et ses pieds cloués au mur. Au moment où l’idée d’empêcher le fils d’assister à ce spectacle lui effleurait l’esprit, celui ci poussa un grand cri, “Père !” et glissa au sol pour se précipiter vers le cadavre exposé de son géniteur. A son hurlement de désespoir, des formes se mirent à bouger un peu partout dans la pièce. Toute à son effarement, la louve n’avait pas vu les gens qui dormaient dans les ombres de la salle à son entrée. “Le monstre !” s’exclama l’un d’entre eux. Fondant sur Bård, elle l’attrapa par le surcôt afin de l’emmener loin de cette scène et du danger.

Fen renversa une forme indistincte sur son passage. Le vêtement de l’enfant hurlant se déchira et il tomba à terre. Au moment où la Vane s’arrêta, elle sentit l’éraflure d’une lame dans sa cuisse arrière droite. Elle laissa échapper un jappement de surprise et fit volte face pour arracher la tête de son assaillant. « Tuez ce monstre ! » Insista une voix péremptoire. La louve fixa son regard doré sur l’homme qui donnait des ordres. Et ce qu’elle vit ne lui plût pas. Le visage du chef était masqué d’un casque à visière rabattue, il exhalait une odeur mêlant le feu et le sang, mais tout ceci n’était rien à ses yeux. Pire que tout, la cible qu’il désignait n’était pas elle même, mais se situait entre ses pattes. Sigurd l’avait prévenue : des personnes risquaient d’en vouloir à la vie de son fils. Elle avait promis de protéger ce dernier au péril de sa vie si il arrivait quoique ce soit à son ami. Et un loup n’avait qu’une parole.

Protégeant Bård, qui était roulé en boule et sanglotait de manière hystérique, entre ses pattes, elle se mit dos au mur et dévoila ses crocs en grondant. Chacune de ses canines était aussi longue et effilée qu’une dague. Les pillards hésitèrent en voyant un animal de cette taille les menacer. « Vous ne craignez rien, reprit le chef en voyant ses hommes faillir. Cette bête est trop grosse pour se battre dans un endroit aussi bas de plafond ! » Ces propos mirent Fen encore plus en rogne ; à son grand déplaisir, il n’avait pas tort. Il ne serait pas facile pour elle de se dépêtrer de ce guêpier.

« Vient donc leur montrer comme c’est facile de me tuer sans mal, le défia-t-elle.
– Elle parle… » Murmurèrent plusieurs voix avec effarement. Certains reculèrent d’un pas. Ce n’était pas assez d’avoir un fauve géant à combattre : le fait que ce fauve parle les faisait encore plus hésiter. Et elle avait défié leur chef. Ce dernier ne pouvait se dérober sans perdre la face aux yeux de ses guerriers. Il s’avança lentement, en tirant une grande épée bâtarde dont le fourreau pendait dans son dos.
« Avec plaisir, répondit il. Mais nous ne sommes pas obligés de combattre, sais-tu.
– Vraiment ? Ironisa la louve grondante.
– Je t’assure, persista l’homme en continuant de s’approcher. Si tu me laisses l’enfant qui geint entre tes pattes, je te laisse partir sans heurt.
– Oh, voyez vous cela, répartit Fen.
– Je te donne ma parole que je ne te ferai aucun mal et, de plus, je pourrai te laisser faire partie de ma bande.
– Assouvit donc ma curiosité : que comptes tu faire de ce lui ? S’enquit la Vane.
– Le tuer, mais que cela peut il faire ? Qu’est ce que la vie d’un enfant aux yeux d’un puissant esprit tel que toi ? » Balaya le guerrier. Son épée se trouvait à présent à portée de la louve.

Elle bondit. Mais sa mâchoire claqua dans le vide. L’homme était doté de très bons réflexes et sa bâtarde mordit l’épaule de Fen, qui glapit de douleur. « Hey ! Se moqua-t-il. C’est que tu aurais pu me couper en deux. Je suppose donc que tu refuses ma généreuse proposition. Quel dommage… » Il abattit de nouveau sa lame mais la Vane s’y attendait, cette fois et elle esquiva à son tour. Les comparses du guerrier, un peu rassurés, s’approchèrent afin d’encercler l’animal. Elle ne pouvait rester pour combattre, ce serait trop dangereux pour Bård. Elle ne l’entendait plus, il avait du s’évanouir. Il était plus que temps de s’en aller. Elle s’empara d’une table à pleine gueule et la jeta sur les humains. Profitant de la confusion, elle prit délicatement le petit garçon inconscient dans sa gueule et défonça la cloison d’un coup d’épaule pour s’enfuir. Elle aurait bien le temps de s’occuper de venger Sigurd plus tard.

Alors qu’elle bondissait à toute allure dans le froid malgré sa profonde blessure à l’épaule, elle entendit des flèches siffler à ses oreilles. Bientôt suivirent des martèlement de sabots. Ils en voulaient vraiment au petit Bård, se dit elle, qu’ils la poursuivaient alors qu’aucun cheval ne pourrait la rattraper. Ils se lasseraient bien assez vite. Quelque chose d’humide et froid tomba sur sa truffe. Un flocon de neige. Parfait, elle n’aurait pas à masquer sa piste. La neige s’en chargerait pour elle. Quelques enjambées plus tard, elle atteignit le couvert des arbres. Les flèches ne sifflaient plus, ils ne pourraient plus l’atteindre ici. Elle se permit de ralentir un peu et d’adopter une allure qui lui permettrait de voyager pendant plusieurs heures. Car ainsi se déplaçaient les loups. Elle pensait qu’elle devait emmener son protégé le plus loin possible si elle voulait le garder en sécurité.

Assez rapidement, elle n’entendit plus aucun bruit de poursuite et les flocons se frayaient un passage entre les frondaisons des arbres pour commencer à tisser un tapis blanc moelleux sur le sol forestier. Fen continua de courir jusqu’à ce que les élancements de sa blessure la fassent trop souffrir. Elle passa alors à un petit trot puis, trouvant un endroit un peu abrité par une corniche, elle s’y infiltra et se coucha. Ainsi installée, la louve posa son précieux chargement sur ses pattes avant afin de l’isoler du froid du sol, avant de s’employer à inspecter l’endroit où l’épée bâtarde l’avait lacérée. En tant que Vane, elle ne se faisait pas de souci, elle guérirait rapidement. Mais elle saignait encore abondamment alors que sa cicatrisation aurait déjà du s’amorcer. Elle lécha sa blessure avec application, sans oublier le sang autour qui maculait sa fourrure. A chaque coup de langue sur sa chair déchiré, Fen grimaçait, tant de douleur qu’au goût étrange que l’épée du mystérieux guerrier avait laissé. Cette arme devait avoir été recouverte d’une étrange substance qui retardait la guérison.

La louve géante prit quelques minutes pour réfléchir. Cet homme, qui avait tué Sigurd et qui n’avait pas l’air de craindre de combattre un Vane, n’était certes pas un humain ordinaire. Etait il son maître ou prêtait il son épée aux desseins de quelqu’un d’autre ? Comment s’était il procuré cette substance qui permettait de blesser durablement un esprit ? Fen soupira. Son vieil ami s’était attiré des ennemis puissants et hors du commun. Elle devrait se renseigner plus avant sur eux. Son regard tomba sur l’enfant inerte sur ses pattes avant. Enquêter tout en protégeant ce petit s’annonçait difficile. La progéniture des humains mettait très longtemps avant de devenir autonome. Elle s’était même laissée dire que ces petits passaient par tout un tas de phases plus ou moins compliquées durant leur développement. Elle soupira.

La Vane se rendit compte qu’il y avait quelque chose d’étrange avec Bård. Pas qu’il était inconscient. Sa respiration s’était d’ailleurs faite régulière : choqué, il avait sombré dans un profond sommeil. Non, ce n’était rien de tout cela. Elle le renifla. Une odeur de peur flottait encore sur lui. Il sentait le bébé humain, mais pas seulement. Voilà qui était surprenant. D’où provenait cette étrange odeur sous jacente ? Elle essaya de se souvenir de ses conversations qu’elle avait eues avec Sigurd à propos de son fils. Rien de particulier ne lui revint en mémoire. Mais, maintenant qu’elle y songeait, son ami ne lui avait jamais parlé de la mère de Bård. Peut être que la réponse se trouvait là. Que les humains amenaient des complications pour tout… Elle inspecta encore l’enfant. Si il avait quelque chose de bizarre, cela ne se voyait pas selon elle. Même si elle devait avouer qu’elle n’était pas très bonne juge en la matière : pour elle, les humains se ressemblaient tous.

Les élancements de sa blessure s’étant calmés, Fen reprit délicatement le garçon dans sa gueule et se leva. Elle testa la solidité de sa patte blessée. Cela suffirait : à présent que sa cicatrisation avait commencé, elle était capable de reprendre sa course. Et puis, il fallait profiter que la neige tombait encore pour masquer ses traces. Elle reprit courageusement son voyage, adoptant l’allure endurante des loups. Elle avait la ferme intention d’emmener le petit le plus loin possible de ses assassins. Elle courrut. Longuement. D’une démarche souple à peine raidie à cause de son épaule lacérée.

Une heure plus tard, la Vane perçut que son chargement bougait. Elle ralentit et s’arrêta. La neige tombait dru à présent. Elle posa l’enfant entre ses pattes. Il paraissait lutter pour reprendre conscience et la neige glacée lui fit ouvrir brusquement les yeux. “Froid… émit il.
– Je sais, compatit Fen. Il s’est mis à neiger, regarde.” Bård leva la tête et contempla les flocons immaculés qui tombaient du ciel. Ses yeux se fermèrent de nouveau. La louve lui donna de tendres coups de truffe. “Reste éveillé maintenant, lui conseilla-t-elle.
– Pourquoi ?
– Tu as suffisamment dormi et nous avons encore beaucoup de trajet à faire. Si tu t’endors maintenant, tu vas mourir de froid.” Expliqua succinctement la Vane. Elle fixa son minuscule protégé tandis qu’il rassemblait ses lambeaux de conscience.

“Père ? Demanda Bård ainsi que Fen le redoutait. J’ai rêvé que père avait été tué. C’était horrible ! Où est il ?” La louve ne répondit pas. Le garçon plongea ses yeux verts dans le regard doré de la Vane. Il sentit les larmes monter sans pouvoir les refouler. “Ce n’était pas un rêve !” cria-t-il soudain. “Père est mort ! Il est mort et tu ne l’as pas sauvé !” Fen s’ébahit pendant que le fils de Sigurd la bourrait de coups de poings en pleurant de rage. Voilà bien un truc typiquement humain : accuser la première créature qu’ils recontrent d’être la raison de leur affliction. Elle lui donna un coup de patte pas trop fort, mais qui suffit à l’envoyer bouler dans la neige.

“Tu te trompes de cible, petit d’homme, lui dit la louve avec fermeté. Je ne suis pas responsable de la mort de Sigurd. Je ne suis responsable que du fait que tu sois encore en vie.” Elle n’était pas certaine que Bård l’écoutait vraiment. Il restait couché dans la neige, son petit corps secoué de sanglots. “Ah, ces humains !” s’exclama-t-elle avant de s’approcher de son petit protégé en proie à la déréliction la plus profonde. D’une poussée de truffe elle le fit se retourner vers elle et lui donna un tendre coup de langue qui balaya tout le visage de l’enfant. Ce dernier s’aggrippa au museau de l’immense louve et laissa libre cours à ses pleurs.