NaNoWriMo 2016 : Arkhaiologia Jour 1

Elle s’immobilisa, tous ses sens aux aguets. Ses yeux balayèrent rapidement les environs, faiblement éclairés par les lampadaires à gaz de la rue d’à côté, et elle serra instinctivement son butin contre elle. Une fois assurée que l’inquiétude la fourvoyait et que personne ne la menaçait ni ne la surveillait, elle relâcha son souffle. La jeune femme ne s’était même pas rendue compte qu’elle s’était arrêtée de respirer. Elle se morigéna intérieurement ; le parc dans lequel elle avait trouvé refuge était fermé pour la nuit. Il ne devrait pas y avoir âme qui vive jusqu’au lendemain matin, à l’ouverture. Ethelle s’efforça de se détendre. Le parc des Deux Ormes, bien que très étendu pour un parc citadin, n’était pas surveillé pendant sa fermeture nocturne. Elle devrait être tranquille, au moins jusqu’à ce que le soleil se lève. La rouquine sourit inconsciemment à l’idée de se reposer en profitant d’un bon repas volé une heure plus tôt.

« Que fais-tu ici ? » La voix la surprit tellement qu’elle ne put retenir un petit cri en même temps qu’elle sursautait. Elle agrippa plus fort son précieux butin, par réflexe. La jeune femme se tourna pour faire face à son interlocuteur. Ce dernier la dépassait d’une tête qu’il avait surmontée d’une masse de cheveux bruns ajustés comme ceux d’un dandy, ne ressemblait pas le moins du monde à un garde et n’était certainement pas l’un de ces dandys auxquels il essayait de ressembler. Ethelle savait fort bien ce qu’il en était ; elle avait fréquenté son content de godelureaux avant sa chute de statut. Si la coiffure du jeune homme pouvait faire illusion, il n’en était pas de même de sa tenue vestimentaire, qui laissait à désirer pour un œil averti comme le sien.

Inconscient de cette évaluation, l’importun esquissa un petit sourire, plutôt satisfait de son effet. Il se rembrunit presque aussitôt. « Tu ne peux pas rester ici, l’informa-t-il.
– Et pourquoi donc, je te prie ? Ne me dis pas que ce parc t’appartient, je ne te croirai pas, le prévint-elle avec morgue.
– Oh, mais je n’ai pas cette prétention, lui assura le prétendu dandy. Mais tu te trouves sur le territoire des Faucheux : tu risques des ennuis si tu te permets d’outrepasser les limites.
– Vraiment ? Ironisa Ethelle. Ce parc appartient à la ville, il ne fait partie d’aucun territoire. Je suis bien placée pour le savoir : mon père faisait partie du conseil municipal.
– Peut-être, admit le jeune homme. Mais pas la nuit. Pendant la nuit, les règles des conseils municipals n’ont pas cours.
– Municipaux, corrigea machinalement son interlocutrice.
– Si tu veux, concéda-t-il. Je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’avoir une éducation de la haute. Alors tant qu’on se comprend, ça me convient. De toutes façons, tu as l’air mal placée pour donner des leçons, demoiselle Clocharde. »

Ethelle rougit et pinça les lèvres. La phrase avait sérieusement giflé son égo. Cette assertion était techniquement juste : pour le moment, elle se trouvait sans abri. Et, pour être plus libre de ses mouvements, elle avait abandonné les robes à cerceaux et jupons qui étaient la marque des femmes aisées. Elle arborait à présent sa vieille tenue d’équitation, inadaptée pour une soirée mondaine, mais beaucoup plus pour évoluer dans la rue et se cacher dans les ombres. Mais elle se considérait toujours comme la jeune fille de bonne famille qu’elle avait été durant la plus grande partie de sa vie. Se faire rattraper par la dure réalité était toujours douloureux pour elle. « Je suis désolé, s’excusa le jeune homme l’air un peu gêné. C’était un peu indélicat de ma part.
– Ce n’est rien, grommela la rouquine en secouant sa chevelure ondulée.
– Mais tu dois toujours partir, précisa-t-il.
– Je n’ai nulle part ailleurs où aller… Et j’ai laissé mes affaires dans un buisson. »

Un silence embarrassé suivit. Une brise fraîche les fit frissonner, agitant les feuilles des arbres bien entretenus qui les entouraient. Une grosse luciole passa entre eux. Le Faucheux toussota et reprit : « Je peux peut-être m’arranger pour qu’ils ne se rendent pas compte de ta présence, si tu te caches bien. » Ethelle écarquilla des yeux bleus plein d’espoir. « Mais tu devras déménager dès demain ! Précisa rapidement le jeune homme. J’aurai des ennuis, sinon.
– Marché conclu, se réjouit la rouquine rassurée d’avoir un peu de répit. De toutes façons, si ma journée de demain se déroule comme je le souhaite, je n’aurai plus à empiéter sur les territoires de qui que ce soit.
– Tant mieux pour toi, je crois. »

Son interlocuteur n’avait bien sûr pas compris ce à quoi elle faisait allusion. Le lendemain, elle avait rendez-vous avec l’un des plus vieux amis de son père. Elle espérait qu’il l’aiderait à remettre le pied à l’étrier et qu’elle pourrait récupérer, du moins en partie, sa vie d’avant. Ethelle se doutait que ça ne serait certainement pas si simple et qu’elle devrait faire beaucoup d’efforts pour récupérer les avantages et la richesse perdus. Mais la jeune femme était volontaire et elle se sentait prête à tout pour atteindre son objectif. Elle espérait juste que le Comte Thomas Clayton n’avait pas été abusé par les fausses accusations portées à l’encontre de son père. Jusque là, il avait été le seul à bien avoir voulu la gratifier d’un rendez-vous. Ethelle comptait beaucoup sur cette rencontre : il était son dernier recours.

Elle se raccrochait désespérément au fait que Clayton était un ami d’enfance de son père ; il ne pouvait pas se laisser berner par des vilainies. La jeune femme retrouverait bientôt son train de vie. Sa fortune et ses biens, dont elle aurait du hériter, avaient été saisis depuis la mort de son père, qui avait fait suite à un scandale tonitruant qui avait sali le nom des Morton. Beaucoup de gens important avaient, soi-disant, perdu beaucoup d’argent à cause de Charles Morton et tout avait été pris pour les rembourser. Ethelle s’était retrouvée sans ressources du jour au lendemain. Elle avait, pour ainsi dire, tout perdu en même temps. La notoriété de son nom, les richesses paternelles, son père et ses amis. La jeune femme avait pu se rendre compte de la superficialité des relations qu’elle avait avec ses prétendus amis. Aucun n’avait accepté de l’héberger, à cause du scandale Morton dont personne ne voulait être rattaché de près ou de loin, et la plupart d’entre eux avaient même refusé de la voir, lui barrant l’accès à leur maison avec des domestiques zélés.

Très rapidement, elle avait eu l’impression de vivre un cauchemar sans fin. Sa mère étant morte en couche, son père n’ayant pas de famille, ni gardé de contact avec celle de sa femme, Ethelle s’était retrouvée sans-abri presque du jour au lendemain. Même si cela faisait seulement quelques mois qu’elle était officiellement adulte, elle n’avait pas pu bénéficier d’un tuteur pour l’aider à se retourner. Au début, elle avait vendu certaines de ses affaires pour payer une jolie chambre dans un hôtel huppé. A ce moment là, elle pensait encore qu’elle allait pouvoir trouver du soutien. Elle ne s’attendait pas à être ainsi unanimement rejetée. Heureusement pour elle, Ethelle Morton était dotée d’une volonté de fer. Les moments de déréliction et d’abattement passèrent rapidement, remplacés par la rancœur envers ceux qui avaient causé du tort à son père et par une profonde détermination. D’abord elle devait récupérer son héritage et ensuite mettre à bas ceux qui avaient sali son nom. De plus, elle trouvait la mort de son géniteur mystérieuse. Les journaux avaient évoqué un suicide suite au scandale qu’il n’aurait pas supporté. Mais sa fille en doutait. Et elle comptait bien éclaircir cette histoire.

En attendant, Ethelle n’avait plus d’argent pour payer une chambre, même bon marché. Elle ne voulait absolument pas se séparer des quelques possessions qui lui restaient. La jeune femme frissonna : elle avait faim et commençait à avoir froid. Elle était impatiente de se retrouver dans sa cachette du parc des Deux Ormes pour s’emmitoufler dans la dernière pèlerine qui lui restait. Elle avait espéré manger un repas chaud mais, si elle devait se montrer discrète pour ne pas attirer l’attention des Faucheux, elle doutait de pouvoir faire de la cuisine. Dans tous les cas, elle ne savait pas vraiment cuisiner. Ses connaissances en la matière se bornaient à savoir faire réchauffer quelque chose de déjà préparé. C’était d’ailleurs ce qu’elle avait pensé faire, avec ce pot de conserve de canard confit accompagné de pommes de terre, qu’elle serrait toujours aussi fort contre elle et qui était présentement son butin le plus précieux. La sensation de faim était quelque chose de nouveau pour elle et elle avait hâte de retourner à une situation où elle n’aurait plus à ressentir une telle chose.

La rouquine crut entendre un petit rire dans son dos, qui interrompit ses pensées. Elle se retourna brièvement. Mais il n’y avait personne. Le jeune homme face à elle supposa : « Ce devait être un rat, je pense.
– Les rats ne rient pas, se défendit Ethelle.
– Je ne pense pas que c’était un rire, continua le Faucheux. Ca devait être un cri.
– Peut-être.
– Il ne faut pas en avoir peur : les petites bêtes ne mangent pas les grosses, la rassura le jeune homme.
– Je n’ai pas peur, se buta-t-elle. Et elles ne mangent peut-être pas les grosses bêtes, en attendant elles amènent plein de maladies.
– Tu as juste à ne pas les toucher. »

Ethelle fit la grimace à l’idée de toucher ces créatures qui lui évoquaient les égouts et la pauvreté. Son interlocuteur sourit et lui déclara : « Tu devrais aller te cacher maintenant. D’autres Faucheux ne devraient pas tarder à arriver ; on a un meeting ici ce soir.
– Oh, d’accord. » La jeune femme hésita, se mordit la lèvre, et se décida finalement. « Et merci.
– De rien, répondit-il. Au fait, je m’appelle Clay.
– Enchantée, répartit-elle machinalement. Je suis Ethelle.
– Bonne nuit, dans ce cas, Ethelle. » Cette dernière sourit et s’en fut dans les ombres du parc. Sachant qu’elle devait se montrer discrète, elle tenta de faire le moindre bruit possible en marchant dans l’herbe. Mais elle avait l’impression que toutes les feuilles et les brindilles du parc se calaient exprès sous ses pieds pour la contrarier.

 

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