La rouquine s’enveloppa avec délectation dans sa pèlerine de velours doublée. Pour le moment le vêtement était encore froid, mais il allait très rapidement lui procurer une douce chaleur. Elle posa son pot en verre de confit de canard devant l’entrée, afin de pouvoir l’admirer à la lueur du lampadaire à gaz, et se frotta les mains gantées de mitaines pour les réchauffer. La jeune femme avait un peu honte d’avoir découpé ses coûteux gants de cuir. Elle n’avait pas eu le choix : en restant dehors, et ce malgré que ce soit seulement le début de l’automne, elle avait été obligée de garder ses gants en permanence sous peine de voir ses mains engourdies. Sauf qu’elle avait eu besoin des capacités motrices fines de ses doigts. Avec regret, elle s’était résolue à faire comme les femmes de basses extraction qui portaient des mitaines, de laine quant à elles. Cette matière devait maintenir la chaleur plus efficacement, supposait Ethelle. Heureusement, elle n’aurait pas à vérifier cela par elle-même.
Tout en s’asseyant en tailleur face au confit de canard en pot, elle sortit une brosse de son sac de voyage et commença à démêler son opulente chevelure rousse. Ce faisant, elle laissa ses pensées vagabonder. La première chose qu’elle ferait une fois qu’elle aurait retrouvé un environnement décent, serait de prendre un bain. Chaud. Et mousseux. Elle ne dégageait pas encore d’odeur corporelle notable, mais elle ne s’en sentait pas moins crasseuse. Même si elle savait qu’elle aurait du mal à continuer ainsi pendant longtemps, Ethelle faisait tout pour se débarbouiller au mieux pour être présentable. Elle comptait utiliser toutes ses dernières ressources d’artifices de propreté et de beauté pour son rendez-vous.
A la base, elle avait aussi prévu de prendre un bon repas pour paraître au mieux de sa forme. Son visage lui avait fait peur la dernière fois qu’elle avait eu l’occasion de se regarder dans un miroir. Malheureusement, si elle voulait tenir sa promesse à Clay de rester discrète, elle n’allait pas pouvoir faire chauffer ce fameux confit de canard. Il lui faisait très envie, mais les effluves qu’il allait exhaler pendant la cuisson allait forcément attirer l’attention. La jeune femme n’appréciait pas trop ce dilemme. Elle interrompit brièvement le brossage de ses cheveux pour ranger la conserve tentatrice dans son sac de voyage, en compagnie de ses autres possessions. Ceci fait, elle s’assit de nouveau et reprit la brosse pour continuer de démêler machinalement ses mèches. Cette activité anodine et répétitive lui permettait de se détendre. Parfois aussi de réfléchir. Pour le moment, elle se contentait de passer longuement la brosse dans ses cheveux, en comptant à rebours à partir de cent.
Une luciole, aussi grosse que la précédente qui avait fait irruption pendant sa discussion avec le dénommé Clay, s’invita dans la grotte végétale, l’illuminant d’une douce lumière verte. Ethelle la suivit du regard, sans arrêter le mouvement. L’insecte voleta de part et d’autre des parois, comme si il visitait l’endroit. Après avoir fait le tour du propriétaire, la luciole s’approcha de la jeune femme qui suspendit son geste. Bouche bée, elle cligna plusieurs fois des yeux pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas. Elle avait cru voir un visage humanoïde au lieu de la tête insectoïde qu’elle s’était attendue à trouver. Malheureusement, le vol erratique de la petite bête l’empêchait de l’étudier de plus près. Laissant tomber sa brosse, Ethelle tenta d’attraper la luciole. Après quelques minutes de chasse, l’insecte s’échappa par l’entrée, se mettant hors de portée de la jeune femme en voletant en direction de la cime des arbres.
Sa poursuivante ne sortit pas de son refuge, se bornant à contempler la lumière verte de la luciole disparaître au loin, entre les feuilles. Un peu déçue, Ethelle haussa les épaules et ramassa sa brosse. Ne sachant plus où elle en était dans son compte, elle rangea l’objet dans son sac et commença à préparer sa couche pour la nuit. Comme le reste des rares conforts de sa vie dans la rue, son lit était rudimentaire, comportant une couverture sur le sol, une couverture sur elle et son sac de voyage en guise d’oreiller. La jeune femme ne parvenait pas à s’habituer à dormir ainsi. Son sommeil était perpétuellement agité et des cernes ajoutaient à sa mauvaise mine générale. Il lui paraissait bien loin le temps où elle dormait dans un vrai lit au matelas moelleux et aux oreillers de plumes ! Elle enleva ensuite sa douce pèlerine, pour la placer en guise de couverture supplémentaire et se glissa dans sa couche de fortune. Elle se blottit du mieux qu’elle put dans ses couvertures et chercha avidement le sommeil.
Le soleil la réveilla tôt le lendemain matin. La jeune femme s’étira longuement. Encore une fois, elle avait mal dormi, mais l’expectative de la journée lui donna une bonne dose de motivation. Elle se leva d’un coup, manquant de se heurter la tête contre la voûte de branchages. Se souvenant juste à temps qu’elle se trouvait dans un lieu bas de plafond, Ethelle évita la bosse qui aurait résulté de cette rencontre malencontreuse entre sa tête et une branche. Son ventre gargouilla soudainement, la rappelant à des considérations encore plus primaires. La jeune femme n’avait pas dîné la veille et elle n’avait rien pour le petit-déjeuner. En soupirant, elle se résigna à devoir se rendre à son rendez-vous l’estomac vide.
Pour ne plus penser à la faim qui la tenaillait, elle se mit au travail. Elle commença par sortir de son sac de voyage sa dernière robe présentable et la posa sur les couvertures étalées au sol, pour ne pas la salir. Ethelle laissa échapper une petite grimace en constatant que le vêtement était un peu froissé malgré ses soins. Elle devrait faire avec, n’ayant aucun moyen de faire du repassage. En souriant de le retrouver, elle récupéra son chapeau préféré, puis quelques bijoux sans lesquels elle ne paraîtrait pas à sa place lors de sa rencontre avec le Comte Thomas Clayton. Ceci fait, elle entreprit de se changer. Puis de coiffer son opulente chevelure rousse, à grand renfort d’épingles à cheveux, pour la rendre présentable. Sans aide ni miroir, l’opération était délicate et elle espérait que le résultat n’était pas grotesque. Une fois prête, elle rangea ses dernières affaires dans son sac de voyage, prit une grande inspiration, et sortit de son refuge. Comme elle était debout, la jeune femme lissa sa jupe, vérifia qu’aucune feuille ou brindille n’était restée collée, ajusta son petit chapeau et, son sac de voyage en main, elle entreprit de sortir du parc.
Bien évidemment, si elle se rendait dès à présent à son rendez-vous, elle serait beaucoup trop en avance. Elle en profita pour faire un petit tour en ville, profitant de ce moment agréable où tout le monde se réveille, malgré le supplice des appétissantes odeurs émanant des boulangeries.
1300 mots, et voilà, à peine le deuxième jour et je suis déjà en retard 😛