Pour le moment, cette situation lui convenait parfaitement.
La porte du bureau voisin à celui du Comte s’ouvrit avec fracas, faisant sursauter Ethelle et le secrétaire qui triait des dossiers sur les étagères voisines. Un homme sortit de la pièce et attrapa fermement la porte, comme si il essayait de la dégonder. « Pas littéralement ! » Rugit une voix féminine et sèche provenant du bureau. « Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes Simon !
– Je ne pense pas que je pourrai en tirer grand chose, déplora ledit Simon en ignorant la femme.
– Laissez cette porte, Simon et fermez la ! » L’homme finit par obéir. Il claqua la porte et alla s’affaler sur un fauteuil situé en face d’Ethelle. Il soupira en passant une mains dans ses cheveux en bataille et posa ses pieds croisés sur la table basse qui les séparait.
La jeune femme l’inspecta machinalement. Ses vêtements, bien que de bonne qualité, étaient un peu poussiéreux et son apparence générale un peu négligée. Elle avait déjà vu des personnes porter ce genre de tenue ; ils s’auto proclamaient explorateurs ou aventuriers et voyageaient de par le monde, d’où ils ramenaient anecdotes et objets mystérieux. Comme si il avait senti qu’il était observé, Simon leva les yeux sur elle. « Vous paraissez un peu déconfit, commenta Ethelle.
– Je le suis, précisa l’homme. Personne ne veut m’écouter et c’est assez frustrant.
– Je vois tout à fait ce que vous voulez dire. » Compatit la jeune femme. Lors de la mort de son père, personne n’avait voulu la croire lorsqu’elle disait qu’il ne fallait pas s’en tenir à la thèse du suicide. Même l’officier de police ne lui avait pas prêté une oreille attentive. Cela, en particulier, l’avait beaucoup découragée. Si même les forces de police ne prenaient pas la peine d’enquêter, comment allait-elle pouvoir laver le nom de Morton ?
« Seriez-vous un explorateur ? s’enquit Ethelle intriguée par cet homme qui ne savait pas se tenir au milieu du Parlement.
– Encore mieux ! S’exclama celui-ci, un grand sourire illuminant son visage. Je suis un archéologue !
– Et vous recherchiez des fonds pour une expédition archéologique ?
– Pas vraiment, non. Je voulais surtout faire part de certaines de mes découvertes qui sont d’une importance capitale pour notre avenir. Mais aucune des personnes que je connais au gouvernement ne veut m’écouter.
– Avez-vous essayé de contacter des journalistes ? suggéra la jeune femme.
– J’y ai pensé, acquiesça Simon. Mais je ne suis pas certain du bien fondé de dévoiler mes hypothèses au monde entier.
– Pourquoi donc ? »
Ethelle avait fini par se trouver intriguée par ce que lui racontait l’archéologue. Il paraissait d’ailleurs enthousiaste d’avoir enfin une oreille attentive et parut réfléchir à la meilleure façon de lui présenter les choses. Après quelques secondes de réflexion, il lui demanda : « Auriez-vous remarqué des choses étranges, dernièrement ?
– Oh, et bien je remarque sans arrêt des choses étranges, répondit la jeune femme.
– Oui, c’est sûr qu’il y a beaucoup de choses étranges dans le monde, convint Simon. Mais je parle là de choses surnaturelles.
– Surnaturelles ? » Ethelle s’apprêtait à railler l’explorateur, mais se souvint brusquement du rat qui riait et de la grosse luciole qui avait eu l’air d’avoir un visage. Etait-ce à ce genre de choses qu’il faisait allusion ? Elle n’osa pas mentionner ce qu’elle avait vu la veille. D’autant qu’elle n’avait pas vraiment vu le rat et elle n’était pas très réveillée quand elle avait vu la luciole.
« Je suis certain que vous avez été témoin d’évènements étranges, persista Simon. Il y en a de plus en plus. Evidemment, les gens n’ont pas envie de voir le surnaturel, ils ont peur de passer pour des fous. Mais moi je sais bien que depuis des années, de nouvelles choses font leur apparition.
– De nouvelles choses ? L’archéologie ne concerne-t-elle pas plutôt l’étude du passé ? Pointa Ethelle d’un ton un peu acide, car elle n’était pas très sûre d’apprécier le discours de son interlocuteur.
– Oh si ! Et justement ! S’exclama l’homme avec véhémence. Tout est lié : ces apparitions étranges sont en rapport direct avec mes dernières découvertes.
– Vraiment ? »
La jeune femme était à la fois gênée des implications de l’apparition de choses surnaturelles qui la mettaient mal à l’aise, et intriguée par les explications de l’archéologue qui rendaient légitime ses observations de la veille. Elle avait brièvement pensé que ses déboires avaient fini par lui faire perdre la tête. Au moment où Simon allait entrer dans des détails, ils furent interrompus par le Comte Clayton qui sortait de son bureau avec le rendez-vous précédent celui qui était prévu avec Ethelle. Ils avaient l’air d’être arrivés à un accord qui leur convenait à tous les deux, si la jeune femme en croyait leur façon de parler très forte agrémentée de gros rires. Le visiteur finit par s’en aller et Thomas Clayton tourna la tête en direction du petit salon où se trouvaient Ethelle et Simon qui discutaient ensemble. « Ah, mademoiselle Morton, vous êtes déjà arrivée, se réjouit le Comte en s’approchant d’elle et lui tendant la main pour l’aider à se lever.
– Je suis toujours à l’heure, l’informa-t-elle en quittant le fauteuil avec une pointe de regret.
– Bien sûr, mademoiselle Morton, je n’en doute pas un instant. » Il jeta un coup d’oeil mi intrigué, mi dégoûté, en direction de Simon. Il ne pouvait clairement pas avoir une bonne opinion d’un homme à la mise aussi négligée. « Venez donc dans mon bureau, nous serons plus à l’aise et plus au calme. » La rouquine acquiesça d’un signe de tête et précéda Clayton dans son bureau. Il ferma soigneusement la porte, invita la jeune femme à s’installer dans un fauteuil similaire à ceux du petit salon d’attente qui faisait face à son bureau et s’assit lui-même derrière.
« Bienvenue mademoiselle Morton, j’espère que votre séjour à l’hôtel Grand Grison se passe bien.
– L’hôtel Grand Grison ? répéta Ethelle un peu perdue.
– Oui, j’ai entendu dire que c’était à cet endroit que vous logiez, ce n’est pas le cas ?
– Oh, si si c’est bien cela. » C’était effectivement dans cet hôtel chic qu’elle avait pris une chambre juste après la saisie des biens de son héritage, jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de ressources financières. Mais ses dernières nuits dans le parc des Deux Ormes étaient encore tellement marquantes et présentes dans son esprit qu’elle en avait presque oublié l’hôtel.
Elle reprit rapidement constance et décida qu’il était mieux que le Comte pense qu’elle logeait encore à l’hôtel au lieu qu’elle soit une sans-abri qui dormait dans un buisson au milieu d’un parc. Cela n’aurait pas été une situation convenable pour un homme respectable tel que Thomas Clayton que de recevoir une simple clocharde dans son bureau du Parlement. D’autant plus que, étant donné le regard de dédain dont il avait gratifié l’archéologue, cette perspective l’aurait très certainement dégoûté, même si il connaissait Ethelle depuis qu’elle était toute petite. Si il pensait qu’elle vivait toujours dans un endroit chic, elle ne comptait pas le détromper, et ça servait plutôt bien ses affaires.
« J’ai été tellement désolé d’apprendre la mort tragique de votre père, compatit le Comte.
– Les morts sont toujours tragiques, commenta la jeune femme avec un petit air pincé.
– En effet, convint Clayton avec un fin sourire. Vous avez toujours autant d’esprit ; c’est un plaisir de constater que vous ne vous êtes pas laissée abattre par la situation.
– Merci, mais je vous avoue que ça n’a pas été tous les jours facile. » La rouquine se souvenait notamment du premier soir où elle avait du dormir dans le parc des Deux Ormes. Ce soir là il y avait eu une averse particulièrement abondante et elle avait cru mourir de froid dans l’humidité ambiante, recroquevillée dans sa pèlerine au sein de sa grotte végétale. Elle avait beaucoup pleuré en grelottant cette nuit là. Mais elle avait survécu et le lendemain il avait fallu trouver à manger, tout en essayant de trouver des contacts qui auraient pu l’aider, au moins en l’hébergeant momentanément.
« Je n’en doute pas, les circonstances de cette disparition étaient vraiment dramatiques, continua le Comte. Mais passons. Alors, que puis-je faire pour vous aujourd’hui ?
– Tout d’abord, je vous remercie de bien avoir voulu me recevoir, commença la jeune femme. Dernièrement, cela a été un peu compliqué de trouver des personnes qui voulaient bien m’accorder du temps.
– Je comprends, beaucoup de gens manquent cruellement de certaines qualités humaines, déplora Clayton. Mais en tant que fille de mon ami d’enfance, vous pouvez compter sur moi mademoiselle.
– Cela me fait chaud au coeur de savoir que je ne suis pas abandonnée de tous, avoua franchement Ethelle. Depuis que tous mes biens ont été saisis, je me sens un peu désemparée, et j’aurais bien besoin d’aide pour remettre le pied à l’étrier.
– J’imagine. » Compatit le Comte d’une voix douce. Il la gratifia d’un regard compréhensif, poussa un profond soupir et se redressa face à son bureau.
Il reprit gravement : « Mademoiselle Morton, il faut que vous ayez bien conscience que le scandale autour de votre père va m’empêcher de vous aider publiquement. Je prends même déjà un risque pour ma notoriété de vous accueillir ici. En revanche, je peux essayer de vous aider par des moyens un peu détournés. » La jeune femme était très angoissée en attendant de savoir si le Comte allait pouvoir effectivement l’aider, ou si il s’agissait encore d’un espoir qui serait déçu. Elle s’efforça de n’en rien laisser paraître et de patienter tandis que Clayton s’étendait sur le fait qu’il n’allait pas pouvoir lui accorder une véritable aide directe. « Je connais un certain jeune homme de bonne famille auquel ses parents ont du mal à lui trouver un parti. Il s’avère qu’il les rejette tous et tout le monde se demande si il trouvera un jour une femme qui lui conviendra. Alors, j’en conviens, il se peut que vous ne l’intéressiez pas non plus.
1678 mots, je n’ai pas encore commencé à rattraper mon retard, mais au moins j’en ai pas plus !