NaNoWriMo 2016 : Arkhaiologia Jour 6

Mais cela ne vous coûtera rien d’essayer. Sa famille est suffisamment aisée pour que vous soyez à l’abri du besoin. Bien sûr, avant le scandale Morton, vous auriez pu prétendre à bien mieux, mais la situation a malheureusement changé. Je le déplore autant que vous, soyez-en certaine. Ce n’est pas l’idéal, mais je pense que c’est le mieux auquel vous pouvez prétendre pour le moment. Et puis, soyons réalistes, vous n’allez pas pouvoir éternellement rester dans votre hôtel, n’est ce pas ? »

Le Comte Thomas Clayton se tut, attendant la réponse de la fille de feu son vieil ami. Il était visiblement très fier de son idée, qui soulagerait sa conscience en aidant Ethelle, tout en restant loin des éclaboussures du scandale autour de Morton qui, étant à présent décédé, ne pouvait plus se défendre contre ces accusations que sa fille jugeait fallacieuses. Cette dernière ne s’était pas attendue à une aide de ce type. Elle était sous le choc et utilisait la plupart de ses ressources pour garder un masque impassible. Un mariage, c’était tout ce que le meilleur ami de son père pouvait proposer. Avec un parti à l’air un peu douteux, qui plus est.

Elle fixa ses yeux bleus dans ceux du Comte. « Une union n’est pas une chose à prendre à la légère, parvint-elle à formuler. Il faut que je réfléchisse à cette éventualité que je n’avais pas du tout prévue.
– Je comprends, acquiesça Clayton. Mais ne perdez pas trop de temps. Je suppose que vos ressources financières qui vous permettent de payer Grand Grison ne sont pas extensibles. Et le jeune homme en question peut toujours changer d’avis sur l’une ou l’autre prétendante pendant que vous réfléchissez à la question.
– Je ne tarderai pas trop, lui promit Ethelle avec le plus d’assurance possible.
– Tant mieux, se réjouit le Comte. Pour vous aider, j’ai pris la liberté de vous prévoir un rendez-vous avec votre potentiel futur mari.
– Oh, merci, déclara machinalement la rouquine.
– Ne me remerciez pas, voyons, balaya Thomas Clayton avec magnanimité. C’est la moindre des choses d’essayer de vous sortir de cette situation compliquée ! Je ne vois pas comment vous pourriez y arriver toute seule.
– Bien sûr. »

Son égo n’avait pas vraiment apprécié la dernière phrase du vieil ami de son père. Ethelle ne pouvait pas s’empêcher de se sentir piquée par cette phrase beaucoup trop condescendante. Elle avait déjà remarqué ce trait de caractère irritant du Comte lorsqu’il s’adressait à son propre fils. Pour sa part, la jeune femme n’avait pas encore eu l’occasion de le subir, et elle aurait préféré rester dans l’ignorance. Thomas Clayton lui apparut soudainement plus détestable que secourable. Elle n’aimait pas trop cette idée de mariage et encore moins le fait qu’il lui propose un parti obscur au lieu de l’un de ses fils, neveux ou enfants d’amis, par exemple. Ses pensées furent interrompues par le Comte qui, enchanté de l’impression d’assentiment que lui avait donné la rouquine, reprenait :

« Bien, je suis ravi que nous ayons trouvé un terrain d’entente, en tous cas. Je vais devoir vous laisser prendre congé : j’ai beaucoup d’affaires importantes à traiter aujourd’hui. Je vous laisserai vous adresser à mon secrétaire, c’est lui qui dispose des détails de votre rendez-vous. Je vous souhaite toute la réussite du monde dans votre entreprise ! Vous êtes une jeune femme charmante, vous avez toutes vos chances. » Ethelle s’efforça de sourire ; après tout Clayton était persuadé d’avoir véritablement agi dans son intérêt à elle. La jeune femme le remercia, les formules de politesse lui venant machinalement à la bouche ; elle avait toujours bien maîtrisé l’étiquette. C’était, à certains moments, une seconde nature pour elle. Bien rodée, elle pouvait ainsi se sortir de situations mondaines désagréables, sans avoir l’impression d’avoir fait le moindre effort. Ce qu’elle appliquait consciencieusement avec le Comte, tout en ayant l’impression de continuer à vivre des évènements surréalistes, comme depuis le décès de son père.

En sortant du bureau, le secrétaire vint à sa rencontre. Ethelle ne lui avait pas accordé beaucoup d’attention pendant son attente, mais il paraissait un jeune homme plein de bonne volonté. Il avait déjà préparé une feuille avec toutes les informations dont la rouquine pourrait avoir besoin en vue de son rendez-vous avec celui que Clayton avait qualifié de son potentiel futur mari. « Merci beaucoup, lui déclara aimablement Ethelle avec un sourire.
– De rien, mademoiselle. Je me tiens à votre disposition si vous avez des questions.
– Je suis certaine que votre papier est parfaitement complet, lui assura la rouquine.
– Merci mademoiselle. » Le jeune secrétaire rosit légèrement.

« Où se trouve l’homme qui s’était assis ici ? L’archéologue ? s’enquit Ethelle en constatant que le petit salon d’attente était désormais vide.
– Oh, je ne sais pas mademoiselle, il est parti peu de temps après que vous soyez entrée dans le bureau de monsieur Clayton.
– Savez-vous où je peux le trouver ? L’interrogea ensuite la jeune femme qui ressentait le besoin de discuter avec une personne un peu excentrique qui lui changerait les idées.
– Malheureusement non, déplora le secrétaire. Je ne connais même pas son nom : il n’avait pas de rendez-vous avec madame Cranberry. Il est arrivé à l’improviste.
– Je vois, soupira-t-elle. Merci quand même, vous avez été fort aimable, monsieur. » Elle repensait à ce petit moment de félicité où elle sirotait son thé chaud qu’il lui avait apporté, confortablement installée sur le fauteuil vert, en étant persuadée que des jours meilleurs l’attendaient. Le jeune homme rougit carrément, mais ne parvint pas à faire durer la conversation. Ethelle s’en allait déjà, serrant fermement les anses de son sac de voyage.

En sortant dehors, sous le froid soleil de la matinée bien entamée, la rouquine se sentit un peu hébétée. Elle descendit les marches en pierre du Parlement comme dans un rêve. Puis se mit à marcher sans but dans la rue. Ses pas la menèrent inconsciemment jusqu’au parc des Deux Ormes. En s’installant sur un joli petit banc de bois blanc verni et aux armatures de fer forgé donnant sur une petite rivière artificielle bordée de joncs et de roseaux, la jeune femme songea qu’elle avait peut-être fini par considérer le parc comme sa maison. Elle se demanda si elle se sentait clocharde et que c’était pour cette raison qu’elle s’était dirigée ici sans y penser. Contemplant l’eau qui coulait en clapotant joyeusement, Ethelle se rappela de sa conversation avec – comment s’appelait-il déjà ? Oh, Clay – qui lui avait dit qu’elle n’était pas la bienvenue aux Deux Ormes et qu’elle devrait quitter l’endroit sous peine d’avoir de sérieux ennuis. Les larmes lui montèrent aux yeux. Elle était rejetée de partout. Peut-être qu’elle n’avait effectivement pas d’autre choix que de tenter cette idée de mariage.

La jeune femme ravala ses larmes et sortit, de la poche où elle l’avait fourré, le papier que lui avait donné le secrétaire du Comte Clayton. Comme elle l’avait froissé d’énervement, elle le lissa consciencieusement, puis le parcourut. La rouquine apprit ainsi que le jeune homme à marier se nommait Nicolas Merryweather et qu’elle avait rendez-vous avec lui le lendemain, à l’heure du thé, dans un salon célèbre du centre ville où il avait accepté de la rencontrer. Elle laissa échapper un petit rire amer. Serait-elle encore vivante demain ? Ethelle n’avait toujours rien mangé depuis la veille, elle n’avait pas d’autre robe à mettre, n’avait aucune possibilité de prendre un bain, ni moyen de se rendre présentable. Une personne aussi difficile que semblait être le dénommé Nicolas ne laisserait jamais passer de tels manquements ; ses chances de l’intéresser étaient très minces, sans même compter que son nom de famille seul était un inconvénient pour le moment.

La jeune femme plia soigneusement le papier en quatre et le mit de nouveau dans sa poche, de manière plus minutieuse cette fois, et se laissa aller au découragement. Son regard erra de nouveau sur l’eau courante. Elle ne voyait plus d’autre solution pour fuir la misère et entreprendre de laver le nom de son père. La rouquine avait beaucoup compté sur le soutien du vieil ami de son père. Mais, comme ses amis à elle, l’attachement était superficiel ou même juste artificiel. Peu importait la nuance : le résultat était le même. Elle se retrouvait dans la rue, sans ressource ni personne vers qui se tourner. Complètement désemparée, Ethelle se prit désormais à se trouver plus compréhensive et compatissante envers les désespérés qui faisaient la manche, vendaient leur corps ou volaient.

Même si elle en était un peu honteuse, elle-même était devenue une voleuse passable en peu de temps. En témoignait ce pot de confit de canard qu’elle avait dérobé la veille mais qu’elle n’avait – ô ironie – aucun moyen de faire chauffer pour le manger. Au point où elle en était, la rouquine considéra la possibilité de le manger froid. Elle grimaça ; apparemment elle n’était pas encore prête pour ce genre d’extrémité. Son estomac gargouilla, certainement pour lui exprimer son désaccord. Il se sentait négligé et le lui faisait savoir. Elle poussa un long soupir. Que devait-elle faire à présent ? Se rendre à l’entrevue organisée avec Nicolas Merryweather ? Retourner sonner aux habitations huppées de ses amis au cas où l’un d’entre eux aurait changé d’avis ? Quitter la ville pour tenter sa chance ailleurs ? Faire la manche ou vendre son corps ou voler comme les autres démunis ? Mourir de froid dans un coin ?

Ethelle essaya d’imaginer un instant ce que pourrait donner une carrière de voleuse. Elle aimait bien l’idée de devenir une voleuse célèbre, mais pas trop celle de finir pendue à un gibet. La justice n’appréciait pas vraiment la profession de voleur. Malheureusement, aucune des autres possibilités ne lui plaisait non plus. Sa préférée était celle qui consistait à aller demander de l’aide à ses amis une fois de plus. Mais elle savait qu’il y avait peu de chance qu’ils aient changé d’avis et répugnait de ressentir de nouveau une telle déception. La jeune femme resserra un peu sa pèlerine. Malgré la fin de matinée, il faisait plutôt froid. Si elle se mariait avec Merryweather, elle serait au moins assurée de passer l’hiver dans une vraie maison chauffée.

En attendant, si Ethelle ne voulait pas tomber malade, elle devait faire un peu d’exercice. Récupérant son sac de voyage à côté d’elle, elle se leva et erra sur les chemins de pierres blanches du parc, admirant les pelouses encore vertes et les buissons et arbres bien entretenus. Il y avait également des parterres de fleurs envahis de pensées colorées et de violettes aux douces fragrances. Elle était tellement concentrée sur son admiration pour les plantes qu’elle faillit percuter quelqu’un.

 

 

1800 mots, je rogne un petit peu sur mon retard ^^

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