– Oh, émit la rouquine. Pensez-vous qu’elle puisse produire de vraies flammes ?
– Je n’en ai aucune idée, répondit Clay.
– Je ne savais pas que les salamandres étaient aussi dangereuses, reprit Ethelle. Je n’avais jamais entendu parler d’incendies causés ainsi. Est-ce que parce que nous sommes en ville ?
– Non, je ne pense pas. J’ai déjà vu beaucoup de salamandres et aucune ne crachait du feu ; ce ne sont pas des dragons !
– Comment se fait-il que celle là produise des étincelles dans ce cas ?
– Je ne sais pas, soupira le jeune homme. Ecoute… »Ils furent interrompus par une bande qui les apostropha : « Hé, Clay ! Où est-ce que tu avais disparu ? » Ethelle ouvrit des yeux ronds. La fille blonde qui paraissait diriger le petit groupe n’avait pas plus de quatorze ans et possédait une assurance apparemment inébranlable. Fermement campée sur ses appuis, elle croisa les bras et ajouta : « Et c’est qui, la rouquine ?
– Une amie à moi, balaya le jeune homme qui ne semblait pas particulièrement ravi de l’interruption.
– Vraiment ? Lâcha l’adolescente avec un air suspicieux. Je pensais que tous tes amis faisaient partie des Faucheux.
– Et non. » Eluda Clay.
Pendant l’échange, Ethelle resta prudemment silencieuse. Elle trouvait que l’ambiance entre les deux Faucheux était électrique et, comme le jeune homme l’avait bien aidée – et portait encore son sac de voyage – elle ne voulait pas risquer d’envenimer la situation. Pourtant, elle brûlait de remettre cette petite impertinente à sa place. Elle se contenta de la fusiller du regard, mais la blondinette la gratifia d’un coup d’œil encore plus mauvais et Ethelle dut faire appel à toutes ses compétences de fille de bonne famille pour ne pas se jeter sur elle. Les jeunes femmes bien élevées ne se battent pas. De toutes façons, elle ne possédait pas d’aptitude particulière au combat physique : aucune famille aisée n’aimait cultiver ce trait chez sa progéniture. Cela sonnait beaucoup trop rustre et pas assez civilisé. En revanche, la petite fille des rues devait en savoir un rayon sur le sujet. La rouquine se contenta de ronger de son frein, attendant impatiemment que Clay se débarrasse de cette présence malvenue.
« Bref, lâcha l’adolescente d’un ton acide. Après la débandade du parc, tous les Faucheux ont ordre de se retrouver dans l’antre de la veuve-noire. Viens. Et ta copine aussi.
– Pourquoi ? Renâcla le jeune homme sur la défensive.
– Parce qu’il y a des képis qui rôdent de partout, expliqua la petite blonde excédée. Si ils tombent sur elle, elle pourra leur dire dans quelle direction nous sommes allés. » Elle se tut un bref instant et plissa les yeux. « A moins que tu ne préfères que je la tue pour qu’elle garde le silence ?
– Ca va, ça va, temporisa Clay. Allons-y. » Alors que les Faucheux et Ethelle s’éloignaient encore du parc dans la nuit, il esquissa un sourire qui se voulait rassurant à l’intention de sa compagne rousse, qui affichait une mine boudeuse.
Cette dernière n’aimait pas trop l’idée de devoir suivre ces brigands. Personne n’avait daigné lui demander son avis et elle préférait l’idée de faire bande à part. Le terme d’antre de la veuve-noire ne lui disait rien qui vaille, pour ne rien arranger. Elle ne se sentait pas de frayer avec un groupe qui s’assimilait aux araignées. Ethelle avait horreur des araignées. Et des autres animaux rampants en général. Mais surtout des araignées. Ethelle et Clay se laissèrent un peu distancer par le petit groupe de Faucheux. La fille blonde les menant à un train d’enfer, cela ne fut pas une opération très difficile. Une fois qu’ils se trouvèrent un semblant d’intimité, le jeune homme se pencha sur la rouquine et lui déclara tout bas : « Je suis désolé que tu te retrouves au milieu de tout cela, ce n’était pas mon intention.
– Pourriez-vous arrêter de me tutoyer ? Nous ne nous connaissons pas et cela n’est pas convenable. » Le Faucheux lui jeta un regard perplexe. Constatant qu’elle était sérieuse, il expira en haussant les sourcils, désemparé. Il haussa les épaules, ne sachant pas trop réagir face à cette réponse qui n’en était pas une et à laquelle il ne s’attendait visiblement pas.
« Oui, d’accord, comme tu… comme vous voudrez, princesse.
– Merci, acquiesça la jeune femme qui avait décidé d’être magnanime et d’ignorer l’ironie du dernier mot. Je n’avais pas l’intention de rester avec votre… organisation.
– J’imagine, oui, compatit Clay sur un ton d’excuse. Je pensais pouvoir te… vous laisser partir et les rejoindre seul. Mais Tina nous a trouvés trop tôt.
– C’est bien dommage, déplora Ethelle. Je ne l’aime pas trop : elle est très agressive.
– Il ne faut pas le prendre personnellement, elle est comme ça avec tout le monde.
– Et cela ne la rend pas moins désagréable, pointa sèchement la jeune femme.
– Je sais, je sais, temporisa le Faucheux. Soyez patiente, je vais tout faire pour que vous puissiez partir le plus rapidement possible.
– J’y compte bien, approuva la rouquine. J’ai une importante entrevue demain et j’ai besoin de dormir pour être présentable.
– J’ai compris. Je ferai de mon mieux. »
La réponse de Clay était un peu sèche et Ethelle se dit qu’elle s’était peut-être un peu laissée aller en terme de comportement. En effet, techniquement, qu’avait-elle de plus que ces Faucheux, en dehors de sa bonne éducation ? Cette raison suffisait-elle à elle seule à ce qu’elle s’adresse à ce jeune homme de manière si hautaine ? La jeune femme toussota, gênée, et reprit d’un ton plus doux : « Excusez-moi de m’être un peu emportée. Je suis fatiguée et angoissée ; tout cela me rend irritable.
– Ce n’est rien, balaya Clay avec un sourire.
– Dites, ça ne vous ferait rien de vous taire ? » La voix de Tina, bien que basse pour ne pas alerter les riverains, était hargneuse. Elle devait être encore plus irritable qu’elle-même, songea brièvement Ethelle.
« Attend, lança le jeune homme à la petite cheftaine blonde. A partir d’ici, nous pouvons la laisser partir.
– Non, refusa abruptement Tina.
– Pourquoi cela ? Pondéra Clay. Maintenant que nous sommes loin du parc, nous ne risquons plus qu’elle nous dénonce aux képis.
– Elle vient avec nous, se buta la blondinette. Je ne veux pas risquer qu’elle nous suive sans que nous le sachions. Seuls les Faucheux peuvent savoir où se trouve notre repaire.
– Ta prudence t’honore, la flatta alors le jeune homme. Nous devrions lui bander les yeux, dans ce cas.
– Lui bander les yeux ? Répéta Tina en affichant un air suspicieux.
– Oui, confirma Clay. Nous ne pouvons pas savoir si elle ne dénoncera pas l’antre de la veuve-noire aux képis.
– Je croyais que c’était ton amie, pointa la blondinette.
– Pas au point de lui faire confiance là-dessus, répondit le jeune homme en haussant les épaules d’un air désinvolte. Elle n’a pas prêté serment après tout, et il y a une petite récompense à la clef pour dénoncer ce genre de choses.
– Elle ferait ça ? S’enquit Tina en plissant les yeux.
– Je ne sais pas, continua Clay en ignorant délibérément Ethelle qui lui jetait un regard offusqué. Qui peut le dire ? En tous cas, je ne sais pas si ça vaut vraiment la peine de prendre le risque. De toutes façons, tu pensais bien à quelque chose de ce genre là quand tu craignais qu’elle nous suive sans que nous le sachions, n’est-ce pas ? »
L’adolescente blonde parut mesurer les propos du jeune homme. Puis elle pencha la tête sur le côté. « Ca me paraît une bonne idée, approuva-t-elle finalement. Bande lui les yeux. » Clay acquiesça et sortit de sa poche de quoi bloquer la vue de la rouquine, malgré les protestations de celle-ci. « Si tu continues à faire du bruit, la prévint Tina, je lui dirai de te bâillonner aussi la bouche. » Ethelle la fusilla une nouvelle fois du regard mais se tint désormais tranquille tandis que le Faucheux s’approchait d’elle pour lui bander les yeux. La jeune femme savait qu’elle n’allait pas apprécier l’expérience, mais elle ne s’était pas douté que ça serait à ce point. De ne rien voir provoqua chez elle une petite vague d’angoisse. Elle sentit que Clay lui prenait gentiment le bras pour la guider, tandis que Tina ordonnait de nouveau le départ.
« Tu me paieras cet affront, siffla Ethelle dans la direction approximative du jeune homme qui la guidait.
– Calmez-vous, princesse, lui répartit-il sur un ton un peu moqueur. C’est pour votre bien, même si vous le prenez mal pour le moment.
– En quoi est-ce pour mon bien ? Grommela la jeune femme qui était vexée d’avoir laissé échapper un tutoiement alors même qu’elle s’était montrée désagréable à ce sujet.
– C’est pour que les Faucheux vous laissent partir tranquillement plus tard, expliqua-t-il brièvement.
– Pourquoi ne me laisseraient-ils pas partir ? Je ne leur serai d’aucune utilité : je ne sais rien faire, je ne vaux pas une rançon et je n’ai aucune connaissance intéressante.
– Ils sont plutôt à cheval sur leur sécurité. Ils ne vous laisseront pas partir à votre gré si vous connaissez l’emplacement de l’antre de la veuve-noire.
– Je ne veux même pas y aller, dans cet antre !
– Je sais, je sais, la rassura Clay. Je vous promets que je ferai tout pour que vous puissiez partir le plus rapidement possible sans faire de vagues.
– Et si jamais vos manigances ne fonctionnent pas ? S’enquit Ethelle d’un ton acerbe.
– Et bien, si je n’ai pas le choix, nous causerons des vagues. Mais je préfèrerais l’éviter. »
Les deux jeunes gens se turent et, durant le trajet, le Faucheux se montra attentionné envers sa compagne aveuglée et de mauvaise humeur. Il lui fit éviter les inégalités de la rue et s’arrangea pour que sa marche ne soit interrompue par rien de désagréable. Clay déploya tant de zèle pour son bien-être que la rouquine finit par se reposer entièrement sur lui, lui faisant une confiance – littéralement – aveugle. Elle en était même au point qu’elle avait oublié la présence désagréable de Tina et qu’ils se dirigeaient vers un endroit où elle n’avait aucune envie de se rendre. Lorsqu’un chien aboya soudainement sur leur passage, elle sursauta à peine.
1750 mots, crunch crunch le retard