– Je pense qu’on peut dire que c’est réciproque, commenta la rouquine tandis que Clay dissimulait un petit rire sous une toux mal imitée.
– Au moins, nous sommes d’accord sur un point, concéda la blondinette en jetant un regard assassin au jeune homme. Mais j’ai fait une erreur. Je sais reconnaître mes erreurs. Je vais donc t’aider à t’en aller d’ici.
– Merci. » Ethelle se permit de sourire au petit visage déterminé encadré de cheveux blonds en pagaille. Tina écarquilla les yeux, surprise, puis se reprit rapidement, fit volte face et imprima une cadence rapide en grommelant quelque chose qui ressemblait à « Suivez-moi » dans sa barbe. Les deux plus grands lui emboîtèrent le pas aussitôt.
L’adolescente bifurqua rapidement dans un couloir plus petit, qui menait à un escalier de service. La rouquine supposa que la plupart des Faucheux, enchantés de vivre dans un tel confort qui dépassait tout ce qu’ils avaient pu imaginer, ne s’étaient même pas intéressés à toute la zone dédiée au personnel. Sauf Tina qui, curieuse, avait certainement du explorer la nacelle du zeppelin de fond en comble. L’escalier les mena effectivement aux quartier des employés. L’adolescente les prévint de se montrer particulièrement précautionneux alors qu’ils passaient à côté des cuisines. Celles-ci, contrairement au reste de la zone du personnel, étaient occupées par des Faucheux qui s’occupaient des repas de la veuve noire et de leurs congénères. Ils n’eurent pas besoin de faire très attention. Ceux qui se trouvaient dans les cuisines étaient bruyants et rieurs ; personne ne pouvait entendre leurs pas. La blondinette les mena jusqu’à une réserve qui n’avait jamais rien du contenir, mais au bout de laquelle se trouvait un sas qui ouvrait sur l’extérieur. « Personne ne vient jamais ici, leur chuchota-t-elle. C’est ma sortie de secours. » Ethelle approuva intérieurement la prudence de la petite blonde déterminée. Même dans son palace de rêve, elle avait su garder la tête froide et s’était prévu une porte de sortie. Ce qu’elle-même, elle devait bien l’avouer, n’avait pas su faire pendant toute sa vie où elle avait profité de l’aisance conférée par la situation de son père. A sa décharge, elle se précisait tout de même qu’on ne lui avait jamais donné aucune raison de croire qu’elle aurait besoin d’une porte de sortie un jour.
Tina ouvrit la porte du sas, qui grinça lorsqu’elle la fit tourner sur ses gonds. En dehors de la nacelle, tout était sombre, les éclairages de l’intérieur ne parvenant pas à éclairer très loin à l’extérieur. Comme il n’y avait pas les marches prévues pour se rendre jusqu’au sol en contrebas, Clay sauta lestement à l’extérieur. Pour Ethelle, c’était une autre paire de manche. Ne voyant pas le sol en bas, cela lui nouait le ventre de devoir sauter dans le vide. Mais, ne voulant pas passer pour une personne faible face à Tina la têtue, elle s’assit sur le bord, prit une inspiration et se laissa tomber en s’efforçant de ne pas pousser de petit cri. Le jeune homme l’accueillit en bas, lui prenant la main pour qu’ils ne se perdent pas dans l’atmosphère sombre du hangar. Ils voyaient l’ombre de la blondinette se découper, au dessus d’eux, sur la lumière qui provenait de la réserve. Elle leur fit un signe de la main. « Merci ! Lui lança Clay dans un chuchotement. Je te revaudrai ça !
– Partez ! » Siffla l’adolescente en claquant le sas et le reverrouillant de l’intérieur.
« Hum, hésita le jeune homme. Je sais que nous étions pressés, mais j’aurais peut-être du prendre de quoi partir en voyage. A part ce qu’il y a dans ton sac, nous ne sommes pas exactement parés pour partir où que ce soit.
– Je… » Commença Ethelle, mais elle fut interrompue par un soudain éclat de voix provenant de l’intérieur de la nacelle. Elle ne savait pas si cela les concernait ou pas, mais une soudaine inquiétude l’envahit. Clay devait aussi s’inquiéter un peu : il lui prit de nouveau la main et l’entraîna rapidement vers les parois du hangar. La rouquine ne savait pas comment il faisait pour se repérer aussi bien dans la pénombre ambiante. Mais cela lui était égal : cela lui convenait très bien de le suivre aveuglément. Presque littéralement, d’ailleurs.
Ils parvinrent à la cloison sans que personne n’ouvre de nouveau le sas de Tina ou que qui que ce soit ne sorte de la nacelle de l’aérostat inachevé. Le jeune homme les fit passer derrière d’immenses amoncellements de caisses, pour les dissimuler à d’éventuels regards qui pourraient provenir du zeppelin. Ceci fait, il rendit à sa compagne son sac de voyage et la guida le long des murs, à la recherche d’une porte de service qu’il connaissait. Il espérait juste qu’il se dirigeait dans la bonne direction. Tout en tâtant la cloison de sa main à présent libre, il ne pouvait s’empêcher de se morigéner sur son manque de prévoyance. Les premiers jours allaient être compliqués. Ils allaient devoir quitter la ville – la veuve noire ne lançait jamais des menaces en l’air et il le savait fort bien – mais il n’était pas un spécialiste de survie en milieu non citadin. Et il doutait qu’Ethelle ait quelque connaissance que ce soit dans ce domaine non plus. Il était assez évident que, comme la veuve noire, cette jeune femme rousse était une personne intialement riche et à présent désargentée. Les personnes de ce genre là n’avaient aucune notion de survie. Ni même de vie réelle en général, lui avait-on toujours répété.
Il trouva enfin la sortie qu’il cherchait. Soulagé, il s’immobilisa et tendit l’oreille pour vérifier que tout était calme. Aucun bruit suspect ne troublait la tranquillité de l’extérieur de la nacelle. Le jeune homme enleva la barre qui empêchait la porte de s’ouvrir et ils se glissèrent tous les deux à l’extérieur. Il faisait toujours nuit et les alentours des entrepôts n’étaient plus éclairés à présent que plus personne n’y travaillait. Tenant toujours fermement la main d’Ethelle, Clay referma la porte, la bloqua et entraîna sa compagne loin du quartier des entrepôts. Plus ils s’éloignaient du centre de la ville, plus la rouquine ralentissait. Ils s’arrêtèrent dans une ruelle mal éclairée et le jeune homme lui demanda : « Que se passe-t-il ?
– Nous partons ? S’enquit Ethelle en retour.
– Oui, confirma-t-il. Nous n’avons pas vraiment le choix, je suppose. Mis à part si vous connaissez une solution pour continuer de vivre en ville en évitant la colère de la veuve noire ? »
La jeune femme ne répondit pas tout de suite. Elle n’avait plus beaucoup de solutions possibles en tête. La seule personne qui avait accepté de lui prêter assistance avait bien voulu le faire, seulement parce qu’il ne s’était pas directement impliqué. Et, en parlant de l’hypothétique mariage d’avec Nicolas Merryweather, plus elle y songeait, moins elle avait envie de s’enfermer là dedans. D’un coup, l’abattement la saisit. Ethelle leva la tête vers cet inconnu qui était à peu près le seul à bien vouloir l’épauler. « Je ne sais pas quoi faire, avoua-t-elle.
– Je n’ai pas trop d’idées non plus, lança Clay en souriant. Mais, ce dont je suis certain pour le moment, c’est que nous devons mettre le plus de distance possible entre nous et la veuve noire. Je ne sais pas à quel point vous la connaissiez, mais elle est vraiment dangereuse.
– Je ne la connaissais que très peu. Mais j’ai entendu des rumeurs à son propos et elle ne m’inspire pas confiance.
– Voilà pourquoi nous devons quitter la ville. »
Ethelle se tut de nouveau. Les propos de son compagnon paraissaient logiques, bien sûr. Mais l’idée de quitter la ville l’angoissait. Elle en était pourtant déjà sortie à de multiples reprises. Pour des vacances au bord de la mer par exemple. Ou lors de voyages formels où elle avait accompagné son père dans d’autres villes un peu partout. Sauf que cette fois, il y avait un petit air de définitif qui l’effrayait. Elle ne savait pas trop comment l’expliquer à Clay sans qu’il ne la trouve ridicule. « Tout va bien se passer, lui assura Clay avec toute la conviction dont il était capable.
– Vraiment ? S’enquit-elle, sceptique.
– Mais oui, j’en suis certain, ajouta-t-il. Nous ne nous connaissons pas encore, mais nous sommes ensemble. Et à deux, c’est toujours plus facile, n’est ce pas ? » Ethelle acquiesça. En réalité, elle ne savait pas vraiment si c’était toujours plus facile à deux. Mais l’idée de ne pas rester toute seule la rassurait beaucoup, la jeune femme devait bien l’avouer. Surtout si elle devait s’en aller pour une durée indéterminée qui pouvait, potentiellement, durer toute la vie. Comme le lui avait précisé Clay, elle et lui ne se connaissaient pas. Ils s’étaient rencontrés deux fois et demi. La demi étant pour la fois où il avait volé son ancienne amie Anna, qui venait de la rejeter comme une malpropre. Cet évènement à lui seul lui rendait le jeune homme plus sympathique.
« Allons-y, dans ce cas, décida la rouquine un peu plus confiante. J’espère que vous avez une idée d’où nous allons.
– Aucune, confessa le jeune homme avec entrain en reprenant son chemin vers la sortie de la ville.
– Aucune, vraiment ? » Ethelle lui emboîta le pas. Elle soupira et, décidant de voir le bon côté des choses, elle haussa les épaules et reprit : « Fort bien, cela ressemblera à un roman d’aventures je suppose.
– Je ne sais pas pour le roman, précisa Clay qui n’avait pas d’idée précise de ce dont il s’agissait, mais pour l’aventure c’est certain ! » Il paraissait enthousiaste et cela contribua, de beaucoup, à faire se sentir mieux sa compagne de voyage. Pour continuer d’alléger son humeur, il lui prit de nouveau le sac de voyage des mains.
Pendant qu’ils entreprenaient de sortir du milieu citadin, ils avaient commencé à discuter. L’un et l’autre se sentaient plus à l’aise en faisant connaissance et de converser rendait la nuit moins lugubre, sous l’éclairage de plus en plus rare des lampadaires à gaz. Clay raconta comment, livré à lui-même assez tôt dans la vie, il s’était retrouvé sous l’aile inquiétante mais confortable de la veuve noire, l’aidant à tisser sa toile dans toute la ville. Il n’avait pas eu l’intention de travailler pour elle toute sa vie durant. Pour lui, il ne s’agissait que d’une activité temporaire, il comptait bien faire autre chose de sa vie. Voyager, par exemple, lui convenait parfaitement. Bien sûr, il avait prévu d’organiser un peu mieux ses pérégrinations et non de partir comme un voleur sur un coup de tête. Mais d’avoir saisi cette occasion paraissait lui convenir. Ethelle, quant à elle, expliqua que son père avait été la cible d’un scandale orchestré de toutes pièces et tué. Elle s’étendit sur combien elle se sentait frustrée de ne pas avoir l’occasion de prouver tout ça.
« Il vaut mieux que je tire un trait là-dessus de toutes façons, soupira-t-elle. Puisque nous devons aller loin, je ne vais plus vraiment avoir aucune chance de laver le nom de Morton de quelque manière que ce soit. Ce qui n’est pas très grave, puisque je vais certainement devoir changer totalement de vie.
– Bah, on ne sait jamais, philosopha le jeune homme. Nous aurons peut-être l’occasion d’élucider tous ces mystères qui entourent ta famille.
– J’en doute, surtout si nous partons loin, contra Ethelle. Les indices et les informations doivent toujours être en ville. Et les personnes qui m’intéressent qu’elles soient au courant sont en ville aussi.
– Je croyais que vous n’aviez plus de soutien là bas ? S’étonna Clay.
– Oui, c’est vrai… » Soupira une nouvelle fois la jeune femme.
Elle n’avait pas encore tranché si cela valait vraiment le coup d’innocenter son père pour retrouver ses anciens amis. Ils lui avaient prouvé qu’ils n’étaient pas vraiment amis, alors rien ne disait qu’ils l’accueilleraient de nouveau. Et est-ce qu’elle voulait vraiment être accueillie par de telles personnes, ça elle était sûre que non. Alors, quel serait l’intérêt de lutter pour laver le nom des Morton, elle ne l’avait pas encore déterminé. La rouquine savait juste que si elle en avait l’opportunité, elle le ferait, tout en sachant pertinemment qu’il s’agissait peut-être juste d’une utopie. Enjambant des rails à la suite de son compagnon, elle bailla. « Il faudrait peut-être que nous réfléchissions à dormir, non ? Proposa Ethelle.
– Oui, approuva Clay, je suis fatigué moi aussi. J’aimerais attraper un train avant.
– Attraper un train ? »
Un sifflement annonçant l’approche d’un train retentit. Ecartant la jeune femme de la voie ferrée, le jeune homme lui sourit. « Oui, ce train par exemple.
– Comment allons-nous faire une chose pareille ?
– A cet endroit, il ralentit, expliqua-t-il. Si nous réussissons à monter, nous pourrions voyager très loin sans nous fatiguer.
– N’est ce pas dangereux ? S’inquiéta Ethelle.
– A peine, balaya Clay. Pas autant que si nous étions restés avec les Faucheux.
– D’accord. » Acquiesça la jeune femme en rassemblant sa détermination. Heureusement que son compagnon portait toujours ses affaires ; elle pensait qu’elle aurait besoin de ses deux mains si elle voulait réussir à grimper sur un train en marche.
Le train s’approchait d’eux, ils le distinguaient à présent. Doté d’une majestueuse locomotive, il roulait à une vitesse qui semblait faramineuse à Ethelle. « Je ne sais pas si je vais y arriver, commença-t-elle à paniquer.
– Mais si, c’est beaucoup plus facile que ça en a l’air, lui assura le jeune homme. Et puis je suis là pour vous aider.
– Tu as intérêt. » Lança la rouquine, tellement angoissée qu’elle était passée au tutoiement sans s’en rendre compte. Bien évidemment, elle n’avait jamais essayé de prendre un train en marche ; l’idée lui nouait l’estomac. La locomotive les dépassa. Comme l’avait prédit Clay, le train ralentissait. Plus les wagons passaient devant eux, moins l’idée de grimper sur l’un d’entre eux semblait saugrenue, ce qui rassura la jeune femme.
« Nous prendrons le dernier, l’informa son compagnon. Ca sera le plus simple. » Ethelle hocha la tête pour montrer qu’elle avait compris et s’efforça de se tenir prête. Elle réalisa avec stupeur qu’elle n’était plus inquiète, mais plutôt excitée à l’idée de faire une chose qui sortait à la fois de l’ordinaire et à la fois semblait risquée. Le dernier wagon approchait et, au signal de Clay, la jeune femme bondit. A sa grande surprise, mêlée de fierté, elle se retrouva facilement sur la plateforme arrière. Le jeune homme la suivit aussitôt. « Alors, ce n’était pas si compliqué, n’est ce pas ? Jubila-t-il.
– C’était merveilleux ! S’exclama-t-elle toute émoustillée par l’expérience.
– A ce point ? S’étonna son compagnon.
– Oh oui ! Je n’avais jamais fait une chose pareille, expliqua Ethelle. Nous prenons ce train dans l’illégalité, n’est ce pas ?
– Oui, confirma Clay. Mais nous ne risquons rien, personne ne viendra vérifier que nous ne sommes pas montés sur ce train en gare.
2501 mots pour aujourd’hui, et rebim dans la tête du retard !