NaNoWriMo 2016 : Arkhaiologia Jour 13

La jeune femme n’avait jamais vraiment prêté attention à la façon dont se déroulaient les choses. A chaque fois qu’elle avait eu à prendre un train, elle s’était retrouvée dans une voiture étiquetée Salon de la Bonne Société. Ces wagons étaient, comme leur nom l’indiquait, de véritables petits salons à la décoration raffinée. Les personnes aisées qui l’empruntaient pouvaient voyager confortablement installés sur des fauteuils de cuir de bonne qualité, regroupés autour de petites tables rondes qui permettaient de poser diverses collations pour agrémenter le voyage. Des employés du train venaient régulièrement prendre leur commande, leurs pas étouffés sur les épais tapis qui paraient le sol. Dans ces voitures, Ethelle s’était toujours arrangée pour faire face aux grandes vitres qui permettaient de profiter du paysage extérieur. Effectivement, elle ne se souvenait pas que quiconque était venu les importuner pour vérifier leur trajet. Mais dans les conditions où elle voyageait, était-ce vraiment représentatif ?

Les deux jeunes gens restèrent un moment sur la plateforme à profiter du paysage qui défilait sous leurs yeux. Ils assistèrent ainsi à un merveilleux lever de soleil au dessus de la brume matinale qui recouvrait la ville qu’ils venaient de quitter et dont ils s’éloignaient à toute allure. Le spectacle était époustouflant et cette vue réchauffa le cœur des deux spectateurs. La rouquine frissonna. Même si le soleil se levait, la température restait froide malgré sa pèlerine et tout cela s’ajoutait à la fatigue de la jeune femme. « Avons-nous la possibilité de dormir à présent ? S’enquit-elle d’une petite voix.
– Nous allons essayer de trouver un coin où nous coucher. » Acquiesça Clay. Lui aussi paraissait las. Il ouvrit la porte de la voiture et entraîna sa compagne à l’intérieur. Alors qu’elle refermait derrière eux, il s’immobilisa, surpris. Il s’était attendu à trouver l’intérieur d’un wagon de transport et non pas d’un wagon de plaisance.

Celui-ci ressemblait à une véritable habitation. Il était tapissé avec le plus grand soin, tant sur les murs avec des motifs antiques qu’au sol grâce à des tapis qui délimitaient les différentes zones de vie. Un poêle à charbon trônait le long de l’un des murs. Des cadres contenant des clichés, des gravures et même quelques coupures de journaux paraient les cloisons, en plus d’appliques qui diffusaient une douce lumière orangée, certainement en attendant que le soleil dispense suffisamment de clarté pour pouvoir s’en passer. Complétaient le mobilier un petit salon composé d’un canapé et de deux fauteuils, une grande armoire à leur gauche directement en entrant, à côté de laquelle se trouvait un endroit dissimulé par des paravents, une petite cuisine à leur droite et un bureau à l’autre bout qui leur faisait face. A ce bureau, quelqu’un était assis, qui écrivait frénétiquement dans un carnet tout en étant entouré de piles de documents. « Simon ? Lança Ethelle, tout aussi surprise que son compagnon.
– Vous le connaissez ? » S’étonna Clay qui allait de surprise en surprise.

L’archéologue leva le nez de son carnet et considéra les intrus avec perplexité, en papillonnant des paupières. « Oh, nous nous sommes rencontrés au Parlement, mademoiselle, c’est bien cela ? Vérifia Simon.
– Oui, c’est bien cela, confirma Ethelle.
– Je me souviens que notre conversation avait été agréable, ajouta-t-il.
– Je suppose ; vous avez pratiquement été le seul à parler, lui rappela la jeune femme.
– Oh, ceci explique donc cela ! S’enthousiasma l’archéologue. Il est vrai que c’est plus aisé d’avoir une agréable conversation quand on est le seul à parler. Au moins, on est certain que les sujets abordés sont intéressants ! » La rouquine se demanda si ils n’avaient pas quitté la folie de la veuve noire pour se retrouver avec celle de Simon. Avant qu’elle ait eu l’occasion de continuer le fil de ses pensées, celui-ci les accueillit un peu plus chaleureusement. Il se leva et leur désigna son petit salon.

« Venez donc prendre place au lieu de rester debout. » Et, alors que les deux jeunes gens obéissaient après avoir échangé un regard incertain, il reprit : « Voulez-vous boire quelque chose ? Je m’apprêtais à faire du chocolat, pour ma part, je trouve que cela sied bien aux matins compliqués.
– Aux matins compliqués ? Répéta Clay un peu hébété par la situation. Vous avez eu des soucis ce matin vous aussi ?
– Oh, moi non, pouffa l’archéologue. Mais si vous voyiez vos têtes… » Sans attendre les réponses de ses hôtes, Simon se rendit à sa petite cuisine où prépara d’autorité de grandes tasses de chocolat chaud pour tout le monde. Affalé dans l’un des fauteuils, Simon considéra pensivement ses deux intrus. Ils s’étaient tous les deux assis sur le canapé, suffisamment proches pour puiser du réconfort dans la présence de l’autre, mais suffisamment éloignés pour la décence. Un sac de voyage trônait entre eux, à leurs pieds. Les cernes sous leurs yeux marquaient leur épuisement, remarqua-t-il. Ils étaient visiblement ravis de coller leurs mains sur les tasses chaudes et de boire le liquide tout aussi chaud qu’elles contenaient. L’archéologue constata que la jeune femme buvait par petites gorgées précautionneuses. Une fois qu’ils eurent l’air détendus, Simon reprit la parole :

« Vous ne m’avez toujours pas dit qui vous étiez, ni ce que vous faisiez chez moi.
– Je suis Clay et voici Ethelle, les présenta le jeune homme tandis que sa compagne restait silencieuse à profiter du breuvage chaud. Nous cherchions un endroit où dormir et… Pour être honnête, je ne m’attendais pas à tomber chez quelqu’un en entrant ici.
– Ah, oui, j’imagine, pouffa l’archéologue. C’est bien normal ; il semblerait que je sois l’une des rares personnes en ce monde à avoir pensé à faire l’acquisition d’un wagon entier dédié à mon seul usage personnel. C’est donc peu courant de tomber sur une voiture-appartement !
– Je suppose que vous avez choisi une telle habitation parce que vous voyagez beaucoup, n’est ce pas ? S’enquit Ethelle avec curiosité.
– C’est exactement cela, confirma Simon avec un sourire. Cette petite maison convient parfaitement à mes besoins d’explorateur. Dès que le train où est attachée mon habitation arrive en gare, je peux demander à la changer de train. Ainsi je peux avoir un petit pied à terre un peu partout où on peut trouver une gare, n’est ce pas intelligent de ma part ? »

Il avait l’air particulièrement fier de lui. Ethelle lui offrit un sourire poli. Elle trouvait que l’idée était ingénieuse, effectivement, mais elle n’avait pas envie de trop encourager quelqu’un qui paraissait déjà naturellement aussi fier de lui-même. Clay, quant à lui, hocha la tête d’un air impressionné. « Pardonnez ma franchise, reprit l’archéologue, mais vous n’avez pas une très bonne mine ni l’un, ni l’autre. Je crains que cela ne vous rende de mauvaise compagnie ; ne voudriez-vous pas dormir ?
– Dormir… » Soupirèrent-ils écho l’un de l’autre. Les mines pleines d’espoirs qu’ils affichèrent en dirent long sur ce qu’ils pensaient de la proposition de leur hôte un peu excentrique. Celui-ci se mit à rire de bon cœur. « Quelle coïncidence ! S’exclama-t-il ensuite. J’ai encore du travail à faire avant de profiter du voyage. Vous pourriez dormir pendant ce temps. »

Les deux jeunes gens s’entre regardèrent. La proposition était généreuse. Ils avaient du mal à croire qu’elle était désintéressée, mais ils étaient vraiment fatigués. Et, tant que le train était en marche, ils ne craignaient pas grand chose en réalité. Ils acquiescèrent. Simon sourit, se rendit vers son armoire dont il ouvrit le milieu, qui bascula pour former un lit et se tourna de nouveau vers ses intrus. « Voici de quoi dormir pour l’un d’entre vous, l’autre pourra bénéficier du canapé. Je dors souvent dessus aussi, il est très confortable, je peux vous l’assurer ! » Ethelle se dirigea vers le lit, sans même demander à Clay son avis. Cela semblait une éternité à la rouquine depuis la dernière fois qu’elle avait du dormir dans un vrai lit. Le jeune homme ne s’en offusqua pas le moins du monde. L’idée du canapé paraissait très bien lui convenir. A peine eurent-ils posé la tête et fermé les yeux qu’ils s’endormirent aussitôt, bercés par le rythme du train. Simon, lui, retourna à son bureau.

 

Ethelle baignait dans une moelleuse félicité. Sa conscience était très vague, mais elle se sentait bien et avait envie que cette sensation dure pour toujours. Oh, et il y avait même de la musique. Elle n’avait pas réalisé à quel point cela lui avait manqué. Ses yeux étaient toujours fermés, mais sa conscience avait émergé du sommeil. Entrouvrant une paupière, elle comprit que la musique provenait d’un gramophone. Elle la referma, bien décidée de profiter encore du confort d’un véritable lit, avec le luxe d’une ambiance musicale. La rouquine avait presque l’impression d’être de retour dans sa chambre de son ancienne vie et s’attendait à ce qu’une domestique vienne la tirer du lit. Ce qui ne se produisit pas ; elle s’en trouva presque déçue.

S’étirant, elle décida qu’elle pouvait se réveiller totalement. Après tout, elle ne savait pas lorsqu’ils parviendraient à une gare et, si ils étaient dans une relative sécurité tant que le train roulait, elle s’inquiétait toujours de leur sort si Simon ne se montrait pas aussi bienveillant qu’il le paraissait. Elle s’étira de nouveau et s’assit sur le lit en tailleur. A son déplaisir, elle constata qu’elle s’était couchée dans sa tenue d’équitation qu’elle portait depuis la veille et la jeune femme n’aimait pas l’odeur que son corps commençait à produire. Maintenant qu’elle avait eu droit au luxe du lit, elle se disait qu’elle profiterait bien du luxe d’une baignoire. Mais la rouquine ne savait pas si c’était possible dans un train. « Bonjour, mademoiselle ! » La salua, de son bureau, Simon avec une voix chantonnant l’air du morceau en train de passer par le gramophone. Il avait visiblement arrêté de travailler et, les pieds croisés entre deux piles de papiers, l’archéologue prenait sa pause en buvant un liquide ambré. « J’espère que vous avez bien dormiii ! Continua-t-il sur le même mode.
– Fort bien, merci beaucoup. »

La jeune femme se leva du lit et fit quelques pas en direction de Simon qui chantonnait en buvant. Elle remarqua que Clay dormait encore profondément sur le canapé, un bras et une jambe quasiment par terre. Lui aussi avait eu grand besoin de récupérer Si ça se trouve, il avait même encore moins eu l’occasion de se reposer qu’elle, la nuit précédente. « Combien de temps ai-je dormi ? S’enquit Ethelle.
– Pluuusieurs heures ! Chantonna le joyeux archéologue. Nous avons déjà passééé laaa gaaare de Rotherby hy hy tudum laaa !
– Etes-vous obligé de chanter ?
– Oh oui, lui assura Simon avec sérieux. Il faut toujours exprimer sa joie, c’est important.
– Et pour quelle raison êtes-vous si joyeux ? S’informa la jeune femme.
– Je ne le suis pas, s’assombrit l’archéologue en terminant son verre d’une longue gorgée. Mais j’essaie de m’en convaincre : je suis bien plus performant lorsque je suis de bonne humeur.
– Mmhmm, je vois. » Commenta platement Ethelle.

Leur hôte lui semblait au moins aussi excentrique que lorsqu’elle l’avait rencontré au Parlement, la veille. Elle se souvenait qu’il avait pris de manière littérale l’expression « prendre la porte ». Bien sûr, elle supposait qu’il avait fait une telle chose juste pour faire enrager la femme qu’il était allé voir. Elle préférait cette explication à celle qui sous-entendrait que Simon avait un jour pris un coup sur la tête, le rendant simplet. Il s’agissait là de sa deuxième hypothèse. Quelle que soit la véritable explication derrière l’attitude loufoque de l’archéologue, elle lui était reconnaissante de leur avoir fourni un abri et, surtout, de ne pas s’être débarrassé d’eux lors de l’arrêt à la gare de Rotherby. Pour cela, elle estimait qu’elle pouvait lui accorder sa confiance.

Il lui fit signe de venir prendre place en face de lui. Elle obtempéra et s’assit sur une chaise rembourrée devant le bureau. « Je me souviens que nous avions parlé de surnaturel, vous et moi, lui dit Simon sur un ton plus sérieux.
– Je m’en souviens également, acquiesça la jeune femme qui avait du mal à se concentrer tant elle pensait à combien il serait agréable de prendre un bain.
– Vous aviez paru un peu sceptique sur le moment, continua-t-il, mais quelque chose me dit que vous avez été témoin de l’existence de créatures qui semblent issues de contes de fées.
– Oui, en effet, mais je n’étais pas vraiment moi-même à ce moment là…
– Peu importe, balaya l’archéologue avec bienveillance. Vous avez quand même vu certaines choses, même si vous avez du mal à le croire. Et je comprends ! J’ai eu beaucoup de mal à le croire moi aussi. »

Sous le regard perplexe d’Ethelle, il lui sourit. Puis, il poussa une assiette de cookies dans sa direction et lui servit, dans un verre propre, un doigt du liquide ambré qu’il buvait un peu auparavant. Comme elle avait l’air hésitante, il l’encouragea : « Mangez d’abord ; c’est un peu fort alors il ne vaut mieux pas être à jeun. » Cela rappela à la rouquine qu’elle avait une faim de loup. Seule sa bonne éducation bien ancrée l’empêcha de se jeter sur l’assiette pour engloutir tous les gâteaux d’un coup. Elle mangea tout de même la moitié du contenu de l’assiette avant de parvenir à s’arrêter. La jeune femme leva un regard gêné sur son hôte, mais celui-ci se contentait de la gratifier d’un air bienveillant. Elle testa ensuite le liquide ambré. Juste une petite gorgée. Et elle fit bien. L’alcool – un whisky âgé estima-t-elle – était vraiment fort et elle n’avait pas l’habitude. N’ayant que dix-sept ans et, par là même, n’ayant pas officiellement le droit d’en boire, la jeune femme n’avait pas eu l’occasion de se forger le palais. Elle perçut une chaleur lui monter presque instantanément au visage et le feu envahir sa bouche et sa gorge. Une fois la chaleur passée, elle put enfin profiter du goût tourbé.

« Haha ! S’esclaffa Simon. Il est bon, n’est ce pas ?
– Très. » Confirma Ethelle qui, même si elle n’en avait pas l’habitude, n’avait eu l’occasion de goûter que les meilleurs alcools possibles. « Vous disiez que vous aviez des preuves de l’existence de ces… choses surnaturelles ?
– Oh oui, confirma l’archéologue. Il y a quelques années, j’ai découvert le site d’une bibliothèque antique. Elle était même bien plus qu’antique, comme j’ai pu m’en rendre compte en l’explorant.
– Comment cela, plus qu’antique ?
– Je pense que la bibliothèque que j’ai découverte est antérieure à l’antiquité que nous connaissons.
– Mais comment est-ce possible ? S’étonna la jeune femme. Je croyais qu’avant l’antiquité il n’y avait que la préhistoire. »

A l’école de jeunes filles Notre Dame des Roses, Ethelle avait bénéficié de la meilleure éducation possible en ville. Mais l’histoire n’avait pas été l’une de ses matières de prédilection et ses connaissances de la période pré-antiquité étaient assez floues. « C’est un peu plus compliqué que cela en réalité, lui apprit Simon. Mais peu importe : je subodore que cette bibliothèque est, de vraiment beaucoup, antérieure à notre antiquité. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a eu cette civilisation qui a disparu il y a bien longtemps, suite à une catastrophe. De ce que j’ai compris, ils avaient trouvé une solution, mais elle est arrivée trop tard. Ils devaient aussi avoir des problèmes politiques qui n’ont pas aidé, mais je n’ai pas eu le temps de tout comprendre, encore. Il faut dire que leur langue est terriblement ancienne ! Heureusement que je connais les langues mortes comme si elles étaient vivantes, sinon je n’aurais jamais réussi à en comprendre autant.
– Et quel rapport avec le surnaturel ? » S’enquit la rouquine une peu perdue.
L’archéologue ne répondit pas tout de suite. Il s’assit correctement sur sa propre chaise, enlevant les pieds de son bureau. « Et bien… » Commença-t-il, mais il fut interrompu par un bruyant bâillement provenant du canapé. Clay se redressa et, regardant tout autour de lui d’un air éperdu, il demanda :

« Où sommes-nous ?
– Vous êtes dans mon appartement mobile, l’informa Simon avec bonne humeur. Votre jeune amie est déjà réveillée et nous étions occupés à discuter. J’espère que nous ne vous avons pas trop dérangé ?
– Non, ça va.

 

 

2710 mots, ça aura été un week end de bon rattrapage de retard. J’ai moins de 1000 mots de retard à rattraper maintenant 😛

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