– Oh, merci. » Ethelle ne savait pas trop que dire de plus. Sous ses dehors extravagants, cet homme pouvait se montrer prévenant. Sans plus attendre, elle enfila une robe confortable et sortit de l’espace salle de bain.
« J’aime beaucoup votre installation, déclara la rouquine à l’archéologue. Vous avez tout le confort possible ici !
– Je suis ravi que cela vous plaise, se réjouit Simon. Je suis plutôt fier de ma petite maison ; elle est un véritable petit havre de paix mobile.
– Les murs sont bien épais, non ? Remarqua Clay.
– Oh oui ! S’exclama l’archéologue. J’avais besoin de place pour mes livres ! » Il leur fit la démonstration que tous ses murs libres glissaient pour dévoiler des étagères cachées derrière. Celles-ci étaient chargées d’ouvrages sur divers sujets, mais surtout traitant d’antiquité et d’archéologie en général, pour ce qu’Ethelle pouvait en juger. Le bas des étagères était en revanche, non pas empli de livres, mais de matériel divers : cordes, lanternes, moult outils divers aux fonctions pas toujours très claires, et ainsi de suite. La rouquine ne savait pas qu’être archéologue demandait autant de matériel. « En réalité, la seule chose qui manque, ce sont les commodités, continua Simon. Je n’avais pas envie de les avoir dans la même pièce que tout le reste.
– Comment faites-vous dans ce cas ? S’enquit curieusement la jeune femme.
– J’utilise celles du train, en général. » Expliqua l’homme.
Clay hocha la tête. Il paraissait particulièrement emballé par tout ce que leur montrait Simon. « Pour nous rendre à la bibliothèque, nous allons devoir changer de train à la prochaine gare, les informa l’archéologue. Et puis arrivera un moment où nous ne pourrons plus prendre le train. Ce sera le début de l’aventure !
– Irons-nous à pied ? S’enquit le jeune homme.
– Oh, non, nous aurons beaucoup de choses à transporter, ce serait beaucoup trop fastidieux, balaya Simon.
– C’est génial. » Commenta Clay complètement époustouflé. On aurait dit qu’il venait de faire la découverte de sa vie, supposa Ethelle. Il venait de trouver sa voie d’explorateur. Pour sa part, elle ne savait pas trop où elle en était, mais elle décida de profiter de l’instant présent de son mieux. Après tout, voyager avec un archéologue promettait d’être au moins intéressant.
Le voyage jusqu’à la prochaine gare, celle de Covempton, ne dura pas plus de quelques minutes après la fin de leur conversation. Simon les abandonna un instant à l’intérieur tandis qu’il se rendait sur le quai pour parlementer au sujet de sa maison qu’il voulait accrocher à un autre train, qui partait vers le nord-ouest tandis que celui avec lequel ils étaient arrivés partait vers le plein nord. Lorsqu’il revint dans son appartement mobile, il affichait son éternel sourire lumineux. « Tout va bien, les informa-t-il. Nous serons attachés au prochain train demain soir. Cela nous laisse le reste de l’après-midi et demain matin pour visiter les alentours, qu’en dites-vous ? » Ses jeunes hôtes se levèrent avec entrain. Après s’être bien reposés chez Simon, ils étaient impatients de se dégourdir les jambes. Ethelle ne s’était pas posé la question de si elle avait envie de visiter tranquillement la bourgade de Covempton. L’archéologue s’invita lui-même pour accompagner ses nouveaux compagnons de route. Il connaissait bien l’endroit, puisqu’il y avait arrêté sa maison mobile à plusieurs occasions et il leur fit visiter ses endroits préférés à grand renfort d’explications exhaustives.
Simon les emmena un peu à l’extérieur de la ville, pour leur montrer le rocher des fées. Il s’agissait d’une unique formation rocheuse, arrivée là on ne savait comment – même si le folklore parlait de géants, leur confia l’archéologue – entourée d’un champ de pensées multicolores. « Pourquoi appelle-t-on cet endroit le rocher aux fées ? S’enquit Clay.
– Ceci est une excellente question, se réjouit Simon qui adorait qu’on lui pose des questions. Figurez-vous, mon jeune ami, que ces petites fleurs sont appelées des fleurs-féériques et que certains leur prêtent des propriétés magiques.
– En ont-elles ? S’informa Clay qui paraissait prêt à croire que tout était possible depuis que l’archéologue lui avait promis monts et merveilles antiques.
– Je pense que cela dépend du degré auquel on y croit, répondit Simon avec entrain. Mais, qui sait ? Peut-être recèlent-elles vraiment un peu de la magie des fées. Les folklores doivent bien provenir de quelque part. » Il adressa un clin d’œil espiègle au jeune homme qui paraissait ébloui par le champ de pensées multicolores.
« Ou alors, l’esprit des gens est créatif et crédule, suggéra Ethelle qui cueillait un petit bouquet chamarré pour elle-même.
– Ah, vous êtes une personne terre à terre mademoiselle, lui lança l’archéologue avec un sourire. Les gens ont besoin de croire en certaines choses ! » La jeune femme ne répondit pas. Pour sa part elle avait du mal à croire en grand chose pour le moment, mais elle ne demandait qu’à être impressionnée. Le rocher au fées entouré de fleurs était fort joli, mais il lui en fallait plus pour être impressionnée. La rouquine se demanda d’où venait cet esprit désabusé, alors même que les choses allaient mieux pour elle. Peu lui importait ; elle disposait à présent d’un mignon bouquet de pensées qui agrémenterait parfaitement l’appartement mobile de leur hôte.
Un mouvement à côté d’un pan de sa robe lui attira l’œil. Une petite créature fila dans le champ de fleurs. Ethelle la distingua mal car elle se dissimulait derrière les corolles. Mais elle était prête à parier qu’il s’agissait d’une minuscule personne. Ou, du moins, d’une créature qui courait sur deux pattes. La jeune femme esquissa un pas en direction du petit être, sauf qu’il filait trop rapidement et qu’il eut bientôt disparu. Elle ouvrit la bouche pour interpeller ses deux compagnons et la referma. Elle n’avait rien à leur montrer. Et, si elle disait à Clay qu’elle avait vu une mystérieuse créature, il serait convaincu que la magie existait. Ce n’était pas parce qu’il existait de tous petits êtres ou des lucioles à visages ou des salamandres qui produisaient des étincelles, que ces créatures étaient forcément magiques. Après tout, toutes les espèces du monde n’avaient pas encore été découvertes, se souvenait-elle avoir entendu dire l’un de ses professeurs de sa vie d’avant, lorsqu’elle était encore une élève moyennement studieuse de Notre Dame des Roses.
Simon avait eu l’air de penser qu’un dragon pouvait très bien avoir détruit le Titania, mais c’était également ce que pensait Arabella Finley et elle était folle. Ethelle ne se sentait pas sûre d’affirmer que l’archéologue était sain d’esprit. Dans tous les cas, elle était bien déterminée à obtenir des preuves de tout cela. Magie ou pas, elle sentait qu’elle était sur la piste de quelque chose d’important. Elle finirait par savoir pourquoi Charles Morton avait été assassiné. La jeune femme cueillit encore quelques pensées pour compléter les couleurs de son bouquet et leva la tête en direction de ses joyeux compagnons. « Je vais à présent vous montrer une vraie fée ! » Venait de lancer Simon avec entrain. Les deux hommes avaient également ramassé des petites fleurs. Ils s’en étaient ornés un peu partout : en boutonnière, derrière l’oreille et dans le moindre interstice où il était possible d’en faire tenir une. Ils en étaient visiblement très fiers et se complimentaient avec moult courbettes en singeant des personnes de la haute société. L’archéologue s’était, de surcroît, équipés d’éventails de pensées. Se tenant droit et guindé, il se mit à agiter gracieusement ses bras pour imiter le vol d’une fée. Ce faisant, il esquissait des pas de danses plus ou moins grotesques autour des deux jeunes gens. Clay riait de bon cœur. Elle trouvait Simon tellement cocasse qu’Ethelle ne put s’empêcher de rire à son tour. L’apparence fleurie de l’ancien Faucheux ne l’aida pas à reprendre son calme. La rouquine partit dans un irrépressible fou-rire, bientôt accompagnée par les deux hommes fleuris. Pour les imiter, elle piqua quelques fleurs dans ses cheveux.
Ils rentrèrent ainsi au wagon, bras dessus, bras dessous, rieurs et envahis de couleurs aux douces senteurs. Simon leur prépara de quoi grignoter pendant que la jeune femme disposait son petit bouquet au sein d’un verre à whisky propre dans lequel elle avait versé de l’eau. Elle se sentait légère, comme si le fou-rire lui avait enlevé un poids. Ethelle était même sur le point de se mettre à chantonner alors qu’elle arrangeait les pensées dans le vase improvisé. Clay, quant à lui, avait découvert que le comptoir qui séparait l’espace cuisine du reste de la pièce comprenait une planche qui, à l’envie, pouvait se relever pour servir de table ou se rabattre pour ne pas envahir l’espace. Il trouva cela fort ingénieux et, après avoir observé les petits gonds qui permettaient une telle astuce, entreprit de dresser – littéralement – la table pour eux trois. Les voyageurs qui attendaient leur train de la soirée sur le quai voisin devaient se demander qui étaient ces gens qui faisaient la fête dans un endroit aussi saugrenu qu’un wagon remisé sur une voie de stockage. Mais ils ne purent jeter des coups d’oeil indiscrets : Simon avait fermé les épais rideaux de son habitation.
Ils veillèrent assez tard ; l’archéologue était volubile et avait beaucoup d’histoires à raconter. Il leur narra ses débuts dans la profession d’archéologue es explorateur. Comme de bien entendu, il en avait fait voir de toutes les couleurs à son mentor. Mais ses connaissances et sa vivacité d’esprit avaient réussi à compenser son excentricité. Le Simon adolescent, passionné par sa voie, avait fini par passer toutes les certifications avec brio, devenant l’un des plus jeunes archéologues de métier de l’histoire. Son maître avait été fier autant que soulagé que son apprenti obtienne ses diplômes qui le délivraient de sa garde. Le pauvre homme en avait récolté beaucoup de cheveux blancs et s’était déclaré en congés depuis lors, léguant une grande partie de ses affaires à son apprenti survolté. Simon avait publié plusieurs articles, devenant rapidement une sommité dans le domaine de la lointaine antiquité. Il déplorait néanmoins que ses confrères ne l’invitaient que rarement pour des colloques ou conférences et ne paraissait pas comprendre pourquoi ils évitaient sa présence.
Ethelle réalisa que l’archéologue, malgré l’éternel sourire qu’il affichait, était en fait blessé de ce semi-rejet de la part de sa communauté. Ce qu’il avait recherché en donnant tout son cœur à l’ouvrage n’était rien d’autre que la reconnaissance. Il l’avait obtenue dans les faits, mais pas de la manière qu’il avait souhaitée. Simon Derrington était devenu un ponte, certes, mais un ponte dont la présence gênait nombre de ses pairs : il était trop exubérant, envahissant, naturel, enthousiaste, brillant… Peu importait la raison. La jeune femme supposa que c’était pour cela qu’il avait été aussi enchanté de les accueillir, Clay et elle, pour lui tenir compagnie. Il obtenait de l’ancien Faucheux toute la reconnaissance du monde et, même si elle provenait d’un ignare, cela paraissait le combler. La rouquine se promit de donner un peu plus d’attention à l’archéologue ; c’était la moindre des choses qu’elle pouvait lui offrir. En attendant, plus la nuit avançait, plus les conversations perdaient de leur entrain et se posa la question de dormir.
Aujourd’hui, 1920 mots ! Je prends un peu d’avance pour demain 😛