Un couple de tailleur-couturier frappa bientôt à la porte. Simon leur avait demandé de venir pour équiper en vêtements d’explorateurs décents ceux qu’il avait décidé de proclamer ses apprentis. Les deux tailleurs se montrèrent très aimables envers l’archéologue qui leur expliqua en long, en large et en travers ce qu’il attendait d’eux. Ils avaient un certain âge et se contentèrent de le considérer avec bienveillance. Lorsqu’ils commencèrent à se mettre au travail, Simon ne put s’empêcher de tourner autour d’eux pour leur poser des questions ou émettre des suggestions. Ethelle songa qu’elle n’aimerait pas être à la place des deux artisans. La femme du couple finit par l’informer que se tenait actuellement le marché de la gare, l’un des plus gros de la région, qu’y était vendue toute une variété de produits locaux et que ce serait dommage de rater une telle occasion.
Toujours enthousiaste, l’archéologue se laissa piéger et sortit aussitôt faire des emplettes. « Vous avez bien fait de l’envoyer ailleurs, commenta la rouquine. Il me mettait les nerfs en pelote !
– Je sais bien, pouffa la couturière. Il mettait également les nerfs en pelote à mon mari, n’est ce pas mon amour ?
– Hmpf, commenta le tailleur.
– Et je pense que cela aurait été dommage que l’un d’entre vous se retrouve piqué d’une aiguille sur un geste d’énervement.
– Je suis bien d’accord, confirma Clay qui louchait d’un air inquiet sur les nombreuses épingles.
– Nous n’aurons pas le temps de faire grand chose, précisa l’homme. Juste un vêtement, dit d’explorateur comme commandé par monsieur Derrington, pour chacun d’entre vous.
– Ca sera suffisant ! » Lui assura joyeusement l’ancien Faucheux à qui c’était la première fois qu’on taillait un vêtement sur mesure.
Ethelle, quant à elle, profitait de ce moment qu’elle n’avait plus eu l’occasion de vivre ces derniers temps. Le couple de tailleurs travaillait vite et bien. De plus, la couturière se montrait de plaisante compagnie, conversant selon les envies de ses clients. Le tailleur, lui, restait silencieux, n’ouvrant la bouche que lorsque cela était nécessaire. Entre les mains des professionnels, les habits prenaient forme. La rouquine estima le tissu de bonne qualité et le travail efficace. Simon savait choisir la qualité. Elle se demandait de quel origine sociale provenait cet énergumène. Il leur avait parlé de ses aventures dans le domaine de l’archéologie, mais pas de sa famille. Cela l’intriguait. Elle nota dans un coin de sa tête de penser à l’interroger à ce sujet un de ces jours. Un jour où elle serait d’humeur pour l’écouter digresser sur tous les détails de son enfance, bien sûr. Ce ne serait pas toujours le cas, subodorait-elle. La jeune femme nota aussi l’astuce d’envoyer Simon courir loin voir quelque chose qui l’intéressait. Cela avait l’air facile : l’archéologue s’intéressait à tout et ça pouvait s’avérer pratique si il se montrait un peu trop envahissant.
Le couple d’artisans était parti de vêtements déjà existants qu’ils se contentèrent d’ajuster à leurs nouveaux propriétaires. Ils œuvrèrent tant et si bien qu’ils eurent terminé bien avant que le train qui allait les emmener n’arrive en gare. Lorsque Simon fit de nouveau son apparition, ils discutaient tous les quatre, équipés de tasses de thé fumantes. « Vous buvez du thé sans moi ! Se plaignit-il aussitôt.
– Oh non, nous n’aurions pas osé, lui assura vivement Clay. Nous avons sorti une tasse de plus et il y a encore de quoi faire dans la théière.
– Oooh, mais vous êtes adorables. » S’émut l’archéologue. Il se reprit rapidement lorsque le tailleur lui annonça le prix de la rapide prestation effectuée par sa femme et lui. Simon paya sans rechigner la somme demandée. Le couple les salua et s’en fut, après les avoir remerciés pour le thé. « Le train ne va pas tarder, reprit Derrington après leur départ. Je vais aller m’assurer que notre wagon sera bien attaché pour le départ ! » Il fila de nouveau.
Clay se tortillait sur lui-même dans ses nouveaux vêtements. « Que t’arrive-t-il ? Finit par lui demander Ethelle qui s’était servie une nouvelle tasse de thé fumant et l’observait s’agiter dans tous les sens.
– J’ai envie de voir ce que ça donne, geignit-il. Est ce que cela me va bien ?
– Oui, ces nouveaux habits te vont à ravir, vous avez l’air d’un véritable explorateur là-dedans. » Elle n’avait pas mis beaucoup de conviction dans son ton, mais elle n’en pensait pas moins. L’ancien Faucheux avait l’air d’un autre homme dans ce nouvel accoutrement. Il avait gardé son côté un peu voyou de gamin des rues, mais il paraissait aussi plus mature à présent. Clay avait gagné une prestance certaine. Il ne s’en rendait pas compte, bien sûr, et d’en être conscient altérerait certainement son allure, comme c’était le cas pour la plupart des bellâtres qu’elle avait eu l’occasion de côtoyer.
« C’est vrai ? Insista le jeune homme.
– Mais oui, persista la rouquine. Vous n’avez plus qu’à apprendre des connaissances sur la haute antiquité et vous ferez un parfait deuxième Simon.
– Ce serait fantastique ! S’enthousiasma Clay. En portant un habit aussi élégant, je me sens plus intelligent. Nul doute que je vais devenir quelqu’un d’important maintenant !
– Ce sont juste des habits, tempéra Ethelle. Ils ne changent pas qui vous êtes à l’intérieur.
– Ah ? Bof, vous savez, avec toutes ces choses magiques qui se passent, je pense que tout est possible. » La jeune femme n’avait rien à répondre à cela. Elle n’en eût pas besoin : Simon fit irruption avec entrain. Il avait tout arrangé avec le personnel de la gare et leur train allait arriver d’une minute à l’autre. Lorsque Clay se plaignit à lui qu’il ne pouvait pas s’admirer dans sa nouvelle vêture, l’archéologue ouvrit l’une des portes des placards qui encadraient son lit. L’intérieur de la grande porte portait un long miroir que Simon désigna fièrement au jeune homme.
Les deux s’amusèrent à s’amuser devant la glace jusqu’à ce que le wagon ne s’ébranle, sous le regard désabusé d’Ethelle qui se noyait au thé, à défaut d’alcool. La voiture venait d’être attachée à l’arrière de son nouveau train. L’archéologue était tout excité à l’idée du voyage et Clay se montrait tout aussi enthousiaste. A force, ils parvinrent à communiquer leur bonne humeur à leur compagne blasée. Elle finit bientôt par rire à leurs pitreries. Le train se mit en route peu de temps après que le wagon l’ait rejoint. Les trois habitants entamèrent leur voyage sous de joyeux auspices. Ils se calmèrent bientôt, Simon passant aux choses sérieuses. Il mit les quelques heures de voyage à profit pour enseigner à ses jeunes hôtes les rudiments de l’archéologie. Il ne digressa pas sur l’histoire, non. Il s’en tint aux techniques de base dont ils auraient tous besoin pour explorer la bibliothèque antique, sans rien abîmer des trésors à l’intérieur, ni se mettre en danger dans un bâtiment datant de plusieurs millénaires.
Le trajet passa rapidement ainsi. Simon parvenait à rendre même les détails les plus techniques intéressants ou, au moins, un peu ludiques. A la grande surprise d’Ethelle, Clay se montra passionné par tout ce que leur expliquait l’archéologue. Il semblait avoir véritablement décidé de se lancer à son tour dans cette voie et il gratifiait Simon de regards admiratifs. Elle devait avouer que toutes ces choses qu’elle découvrait ne lui étaient pas inintéressantes non plus. Etant donné la facilité qu’avait leur hôte à les captiver et la mine de connaissance qu’il semblait être, elle se demanda pourquoi on ne lui avait pas attribué de chaire dans une université. Peut-être que les autres spécialistes du domaine rechignaient à l’accepter comme collègue un peu trop enthousiaste. Quoiqu’il en soit, ils passaient un bon moment, la rouquine dut bien se rendre à l’évidence.
Lorsque Simon estima qu’il avait terminé de leur transmettre le minimum vital de connaissances, il leur fit visiter toutes les subtilités de sa petite maison, même si ils devaient bientôt la quitter. Ethelle apprit ainsi que l’étrange machine cubique dotée d’un hublot de la salle de bain servait à laver les vêtements. Elle ne savait même pas si ces choses existaient à grande échelle, ne s’étant jamais posé la question de savoir comment les domestiques lavaient ses vêtements. Néanmoins la jeune femme trouva ce dispositif ingénieux ; il suffisait de mettre les vêtements, du savon et de l’eau chaude dans le tambour, puis de l’activer à la main grâce à une manivelle qui décuplait la force imprimée et faisait tourner le tambour à toute vitesse. Ils s’en servirent au passage pour leurs vêtements précédents, histoire d’avoir des habits propres pour se changer lorsqu’ils rentreraient de leur expédition.
Simon leur expliqua qu’ils allaient arriver trop tard à la prochaine gare pour partir tout de suite à l’assaut de la bibliothèque antique. Clay se montra particulièrement déçu. « Ne pourrions-nous pas y aller, même de nuit ? Plaida-t-il. Après tout, vous avez dit qu’il ferait noir là-bas et que nous aurions besoin d’emmener de la lumière avec nous.
– Je suis enchanté de voir tant d’enthousiasme ! Se réjouit l’archéologue. Malheureusement, nous devons aller loin de la gare, louer une voiture ou des chevaux et prévoir d’autres choses qui ne peuvent se faire qu’en journée. Mais sache que je le déplore autant que vous. » Ethelle ne le déplorait pas tant que cela, elle. Elle s’abstint tout de même de dire quoique ce soit pour ne pas briser leurs ardeurs. La rouquine réalisa qu’elle aimait bien les voir ainsi. Ce qui ne l’empêchait pas de vouloir profiter d’une bonne nuit de sommeil avant de partir explorer des ruines antiques, dont elle avait appris qu’elles étaient enfouies très loin dans le sol et que le seul moyen d’y accéder passait par un précipice. Elle préférait affronter ce genre de choses en étant bien reposée. Surtout si il devait y avoir un trajet en voiture ou à cheval avant.
Pendant qu’elle réfléchissait, le train siffla, prévenant qu’il allait entrer en gare.
1760 petits mots aujourd’hui ! Si je suis sage (et je le serai plus qu’aujourd’hui car je ne boirai pas de vin avant de me mettre à écrire), je finirai de rattraper mon retard demain \o/