Alors qu’elle réfléchissait, elle se posta machinalement devant sa fenêtre. Le vent agitait les plantations du parc des Merryweather et quelques gouttes venaient frapper la fenêtre. C’est alors qu’elle aperçut quelqu’un s’aventurer dans le jardin en proie à la grisaille et aux éléments. Seulement vêtu de sortes de braies parées de plumes colorées et la tête surmontée d’une coiffe elle aussi piquée de plumes, il était pied nus sur les graviers et portait un long bâton de bois. Lorsqu’il se posta sur un carré d’herbe, il se tourna en direction du bâtiment et Ethelle reconnut avec surprise Izel, l’aîné des [Machintruc]. De le voir ainsi, il lui parut un peu plus âgé que de prime abord ; elle estimait qu’il devait avoir seize ou dix-sept ans.
Le garçon joignit les mains sur son bâton, levant les yeux vers le ciel et poussa un cri puissant. Ethelle n’eut pas le temps de sursauter qu’il avait déjà entamé une série de mouvements rapides, accompagné du long bâton qu’il maniait comme une lance. Izel se montrait un bon acrobate. Ses pas lui faisaient tracer un cercle dans l’herbe mouillée et le bâton tournoyait de plus en plus rapidement autour de lui. Sous les yeux ébahis de la jeune femme rousse, Miztli rejoignit son frère, se plaçant au centre du cercle qu’il était en train de tracer. Elle à peine plus vêtue, portait une coiffe emplumée encore plus imposante et ne portait pas de bâton. À la place, elle portait une flûte qu’elle porta à sa bouche pour en jouer. Pour l’écouter, Ethelle ouvrit sa fenêtre, ignorant les quelques gouttes qui l’éclaboussaient.
La jeune femme avait déjà rencontré des ressortissants nahuas de l’Empire Nueva Azteca, mais n’avait jamais assisté à une démonstration de danse traditionnelle. Elle en était subjuguée : les notes de la flûte étaient entêtantes et la danse hypnotisante. Ethelle se demanda combien de temps allait durer leur performance ; Izel allait bien se fatiguer à ce rythme, n’est ce pas ? Mais ni le frère, ni la sœur ne paraissaient pas vouloir s’arrêter. Ils continuèrent jusqu’à ce que les gouttes cessent de tomber et qu’un timide rayon de soleil traverse la masse nuageuse. Même là, ils persistèrent encore un peu, jusqu’à ce que l’aîné s’arrête de danser et plante son bâton en terre, essoufflé.
Miztli se précipita vers le manoir en sautillant et lançant joyeusement quelques mots de nahuatl à quelqu’un qu’Ethelle ne pouvait pas voir. Les parents de la fillette sortirent à leur tour dans le jardin humide. Eux n’avaient pas quitté leurs riches vêtements et parurent féliciter leurs enfants. Mademoiselle Morton approuva intérieurement : elle avait été impressionnée par leur prestation. C’est alors qu’elle remarqua qu’Izel la fixait de ses yeux noirs. Gênée, elle lui adressa un bref signe de main avant de refermer sa fenêtre.
Au dîner, elle félicita à son tour les deux enfants [Machintruc] du merveilleux spectacle auquel elle avait assisté. Xochitl lui expliqua qu’il s’agissait de la danse du soleil, astre cher au cœur nahua, et qu’Izel et Miztli avaient été tellement performants qu’ils avaient réussi à chasser la pluie pendant quelques minutes. Nicolas rit, pensant à une plaisanterie, mais Ethelle avait l’impression que Xochitl était sérieuse. Après tout, à la fin de la danse, la pluie s’était effectivement arrêtée de tomber et un rayon de soleil était même apparu. Était-ce juste une coïncidence ? La famille [Machintruc] paraissait certaine du pouvoir de la danse du soleil. Ethelle, quant à elle, avait été témoin de tellement de choses étranges qu’elle n’était pas loin de les croire.
Lorsque le valet de service se pencha à côté d’elle pour remplir son verre de vin, elle sursauta et étouffa un cri. Elle ne l’avait pas remarqué jusqu’ici – n’ayant pas l’habitude de prêter attention au personnel – mais celui qui venait de compléter de son verre était Gregory, le majordome qui l’avait attaquée la veille (à vérifier). Constatant qu’elle l’avait reconnu, l’homme de main d’Arabella s’empara d’un couteau et en porta un coup à Ethelle, qui repoussa précipitamment sa chaise pour l’éviter avant de se lever pour reculer encore.
Poussant un grognement inhumain, Gregory se jeta sur la jeune femme, mais le deuxième coup de couteau fut stoppé par Xochitl qui se trouvait à côté. Cuauhtli arriva en renfort de sa femme pour ceinturer le majordome d’Arabella. Celui-ci se débattit comme une furie. D’un coup de coude dirigé vers la figure, il se débarrassa de Xochitl. Comme elle poussa un petit cri de douleur en portant les mains à son nez, il se dégagea facilement de son mari qui l’avait lâché pour soutenir sa compagne. Gregory se précipita de nouveau vers sa cible rousse, qui avait prudemment placé la table entre son agresseur et elle. Il sauta sur la nappe, au milieu des plats et des assiettes, comme s’il s’agissait d’une simple marche.
Ethelle pensait sa dernière heure arrivée lorsque deux formes s’élevèrent face au majordome enragé. La première provenait de son pendentif et la deuxième n’était autre qu’Izel. Face à l’homme grand et costaud qu’était Gregory, [Bidulette] et le fils [Machintruc] paraissaient faibles et sans défense. Avec eux, il ne fallait pourtant pas se fier à l’apparence. [Bidulette] balaya les jambes du majordome tandis qu’Izel finissait de le déstabiliser par un coup de pied aérien. Grégory tomba, roula et se retrouva aussitôt sur ses pieds. À présent il avait quitté Ethelle des yeux et décida de se concentrer sur ses deux petits opposants.
La jeune femme rousse avait l’impression de se retrouver au milieu d’un cauchemar : le visage du majordome s’était allongé, sa pilosité s’était accentuée et ses canines paraissaient avoir poussé. Ce qui attaqua [Bidulette] et Izel tenait désormais plus de la bête que de l’être humain. Les deux poids plumes se tinrent prêts à contrer l’assaut de Gregory, mais il n’arriva pas jusqu’à eux. Un coup de feu avait retenti, qui avait fait sursauter tout le monde. Interrompu dans son élan, le majordome roula des yeux furieux avant de s’effondrer sur la table, puis de rouler sur le sol.
[Bidulette] fit la grimace en constatant qu’une fois de plus, elle se changeait en fumée contre son gré pour réintégrer le pendentif. Mais personne ne lui prêtait attention : tous avaient tourné la tête en direction de Nicolas, qui avait tiré le coup de feu. Il replaça le pistolet dans l’écrin qu’Henry maintenait ouvert à sa disposition et où se trouvait nichée une arme jumelle. Ceci fait, il s’empressa de rejoindre Ethelle pour s’assurer qu’elle n’avait pas été blessée. Izel se tenait déjà auprès de sa mère, qui maintenait contre son nez une serviette de table que lui avait apportée Miztli.
Quelques instants plus tard, madame Cartridge arriva pour ausculter Xochitl et des gendarmes arrivèrent pour examiner la scène et poser des questions. Ils remarquèrent que Gregory n’était pas mort des suites de sa blessure par balle. Après qu’il eut été examiné à son tour par madame Cartridge, les gendarmes emmenèrent le majordome qui avait repris conscience. Il ressemblait de nouveau à un être humain normal, mais le regard qu’il jeta à Ethelle en quittant la pièce la fit frissonner.
(changement de chapitre)
Pfiou ! Ces fées me fatiguent. Elles produisent un tel brouhaha que je ne peux pas rester dans leur pièce plus d’un quart d’heure. Et les différentes races sont trop… Ben différentes, en fait. Malgré les nouvelles nomenclatures mises en place par Massamba et Pommier, je trouve toutes ces créatures surnaturelles vraiment perturbantes. Par exemple, concernant les pillys (les petites fées Clochette), rien ne les rapproche des mammifères, ou des reptiles, ou des batraciens, ou des oiseaux, ou même des poissons. J’ai essayé de démontrer qu’ils étaient plus proches des insectes en se basant sur leurs ailes et leurs antennes, notamment, mais force avait été de constater qu’ils ne font pas partie de cette famille là non plus. Certains fabriquent même des pigments bleus… Il n’existe qu’une ou deux espèces connues au monde qui sont capables de ça !
Je sais que je me répète, mais on dirait que quelqu’un a à moitié modelé ces créatures et à moitié collé des morceaux de créatures existantes. Ils ressemblent à de petits humains à qui on aurait attaché des caractéristiques d’insectes. En plus, leurs mamelles ne sont pas fonctionnelles et celles qui ressemblent à des femmes pondent des œufs mous ; c’est n’importe quoi. Ils n’ont pas l’air totalement… naturels, pour ainsi dire, mais je n’ai entendu parler de personne qui ait la connaissance ou la technologie pour créer des bestioles pareilles. Et puis je n’ai pas très envie d’entamer une nouvelle théorie du complot. Même avec toutes les connaissances qu’il a accumulées au sujets des créatures surnaturelles, Valentin n’a pas su me proposer une hypothèse sur leur origine. Apparemment il n’existe aucune indication dans aucune légende.
Je lui ai quand même donné une petite pilly. Après tout, c’est lui qui m’a dit qu’un des noms pour ces petites créatures était “pillywiggin”. Je sais qu’il s’en occupera bien et puis ici il y en a déjà tellement. J’en relâche tous les jours. Les gens nous les amènent par seaux entiers tellement ces petites bêtes foisonnent de partout. Ils n’ont toujours pas compris que ce serait la même chose que de nous amener des pigeons par seaux entiers… Valentin dit qu’ils vont finir par comprendre, mais il est toujours très optimiste concernant l’humanité. Moi un peu moins, surtout que certains des chasseurs de fées (comme ils se surnomment) sont déjà venus plusieurs fois et, à chaque fois, je leur explique que nous avons trop de fées et je leur fais la comparaison avec les pigeons.
C’est même encore pire que les pigeons, parce qu’au moins les pigeons ne nous empêchent pas de nous rendre sur les sites archéologiques ! Ils les abîment, au pire. Le moindre menhir ou dolmen est devenu un endroit dangereux d’où sortent des elfes ou des korrigans à des moments complètement incongrus. L’armée a mis des barrières et surveille les endroits les plus dangereux… Ça aurait pu faire un bon sujet de roman. J’ai encore du mal à réaliser tout ça à certains moments.
Le pire, c’est quand les gens me demandent si les dragons aussi vont faire leur apparition. Comment le saurais-je ? La seule chose que l’on peut affirmer avec certitude, c’est que plus le temps passe, plus on observe de créatures et plus on en observe des grosses. Après, nous n’avons pas de véritables preuves de l’existence des dragons, alors personne ne peut affirmer si nous allons en voir à un moment ou à un autre. Je ne sais absolument pas comment on pourrait gérer l’existence de dragons ; je préfère ne pas y penser !
Bon, je vais proposer à Valentin de venir manger une pizza. Rien de tel qu’une pizza entre amis pour se remonter le moral…
Pizzas commandées : quattro formaggi et prosciutto, livrées dans vingt minutes.
« Cet enregistrement a été effectué le même jour que le premier enregistrement de Valentin que nous avons écouté, nota le professeur Derrington.
– Béatrice, ajouta Chaahk.
– Béatrice ? Serait-ce le prénom de cette jeune scientifique ? Vous la connaissiez aussi alors ? C’est merveilleux ! se réjouit Simon. Il faut dire qu’ils paraissaient se connaître eux aussi. Pouvoir suivre deux points de vue va être tellement intéressant, je suis impatient de pouvoir écouter la suite. Clay, es-tu prêt à continuer ? »
L’interpellé était affalé sur le guidon du cyclopède, épuisé d’avoir pédalé si longtemps. Tina avait rendu le système plus efficace pour qu’il ait moins d’efforts à fournir, mais l’archéologue en avait profité pour écouter les enregistrements plus longtemps. Après tout, il lui fallait de nombreuses écoutes avant de pouvoir prendre suffisamment de notes sur un seul enregistrement, ses notions de langue antique étant loin d’être parfaites. Sans compter les sessions où il se contentait de profiter des sonorités de cette langue qu’il aimait tellement. Cela faisait déjà une demi-douzaine d’écoutes qu’il effectuait d’affilée et son apprenti n’en pouvait plus.
« Bon, ce n’est pas grave, concéda Simon. Prend le temps de te reposer, je vais relire mes notes.
– Merci. » souffla Clay en enfouissant son visage entre ses bras. Après quelques respirations, il tourna la tête sur le côté. Tina, qui le regardait d’un air inquiet, détourna les yeux, faisant mine de réparer une des lanternes qui était défectueuse. Le professeur Derrington s’était assis au bureau antique, mais sur son propre tabouret portatif. Il avait essayé de s’asseoir sur la chaise à roulettes originelle quelques jours auparavant, mais celle-ci s’était brisée sous son poids. Chaahk, lui, était adossé au mur et avait ses yeux verts dans le vague, la tête légèrement penchée sur le côté, comme s’il essayait d’entendre quelque chose.
Le nahua réalisa soudain que Clay le fixait, ce à quoi il expliqua : « Belisama. » avant de soupirer et de quitter la pièce. Tina délaissa ce qu’elle était en train de bricoler pour lui emboîter le pas. Le jeune homme soupçonnait sa cadette de vouloir embaucher Chaahk pour l’aider à réparer son planeur qui ne fonctionnait toujours pas très bien. Comme il l’intimidait, elle s’arrangeait pour se trouver toujours en sa présence afin de saisir au vol le moment opportun où elle pourrait essayer de lui demander son aide.
2222 mots pour aujourd’hui, ce qui n’est pas exceptionnel pour un dimanche, mais Siegfried me manque beaucoup au niveau de l’efficacité ! Enfin bon, j’ai pris de l’avance, c’est déjà pas mal.