« Kyr et Kilynn » Chapitre 2 : Le début du voyage avec Drakëwynn (4/8)

« Il y a quelques années, alors que je n’étais qu’une mercenaire débutante, mes compagnons et moi nous sommes retrouvés dans un marais infesté d’Hommes-Lézards agressifs. Faisant preuve d’une diplomatie sans égale, ils avaient kidnappé notre guide et ne voulaient nous le rendre que si nous faisions le ménage dans leur marais puant.
– Le ménage ? s’étonna Kilynn.
– Oui, le ménage. Ils étaient infestés par ce qu’ils appelaient « les morts-qui-marchent ». Il ne faut pas leur en vouloir, ils n’ont pas beaucoup de vocabulaire. Notre premier réflexe eût été de leur rentrer dedans pour récupérer notre guide et les laisser se débrouiller tous seuls avec leurs morts-qui-marchent. C’est vrai quoi, ils n’avaient qu’à nous le demander gentiment…
– Vous êtes un peu violents quand même, non ? intervint Kyr.
– Oh non, pas violents, passionnés, nous sommes des passionnés, ce n’est pas pareil, rectifia la Centaure.
– Pourquoi vous ne l’avez pas fait ? demanda la sœur.
– Parce qu’ils étaient trop nombreux et, surtout, si nous avions fait un geste, ils auraient tué notre guide sur le champ. Alors, bon gré mal gré, nous avons accédé à leur requête et sommes partis patauger dans les marais qui environnaient leur village. Des marais glauques, des morts-vivants putréfiés, des Hommes-Lézards agressifs… Une destination de rêves quoi, vous devriez vous installer là-bas ! Ne vous en faites pas, vous me remercierez plus tard pour mes judicieux conseils.
– Certainement ! répondirent-ils en riant.
– Nous patrouillions donc dans la zone présumée de la présence des morts-qui-marchent, tout en rouspétant contre le manque de courtoisie des habitants du village, lorsque nous sommes arrivés en vue d’un bâtiment bizarre qui avait tout l’air d’une crypte. Après, quant à savoir pourquoi une crypte avait été construite là, au milieu de nulle part, il ne faut pas me le demander, je n’en sais rien. Quoiqu’il en soit, les Lézards n’avaient pas menti : l’endroit était totalement infesté par des zombies, des vampires et autres morts qui persistent à se balader au lieu de rester sagement… morts.
– Ils n’ont aucun savoir-vivre, murmura Kyr.
– Bien sûr que non, puisqu’ils sont morts, renchérit sa sœur.
– Exactement ! confirma Drakëwynn avec véhémence. Là, comme nous n’étions pas réfrénés par le risque que l’un d’entre nous soit égorgé, nous n’avons pas fait de détails et avons tranché, haché, découpé tout ce qui nous tombait sous la lame. De toutes façons, tout ce qui est d’ordre zombie n’a pas beaucoup de conversation, donc je ne pense pas que nous ayons loupé grand chose en les tuant sans sommation. D’ailleurs, en parlant de ces choses, plusieurs d’entre eux avaient clairement été des Minotaures durant leur vivant, alors je me suis amusée à récupérer leurs cornes encore en bon état pour en faire des cors. J’en ai gardé un en souvenir, regardez. »

Elle sortit de son sac le cor en question et le leur tendit pour leur montrer. Mis à part le fait qu’il provenait de la corne d’un Minotaure zombie, il n’avait rien de très particulier. Les enfants le gardèrent tout de même en main tandis que la Centaure continuait son récit. Elle décrivit longuement et singea les différents types de morts-vivants qu’ils avaient croisé dans les couloirs, les divers pièges dans lesquels ils étaient tombés et l’ambiance lugubre qui planait tout du long. « Et là, continua-t-elle, après avoir nettoyé tous les corridors et les salles attenantes – nous sommes un très bon détergent – nous avons fini par arriver devant une très grosse porte, avec une tête de dragon gravée dessus. La taille de la porte ajoutée à la gravure n’était pas de très bon augure quant à ce qui menaçait de se trouver de l’autre côté. Mais on se disait que ce serait dommage de ne pas terminer la visite de la crypte. Alors on a ouvert la porte normalement, après avoir longuement argumenté pour savoir s’il fallait mieux la brûler ou faire une entrée fracassante en la défonçant.
– Vous avez des idées bizarres tout de même, déclara Kyr. Vous auriez été complètement enfumés dans cette crypte si vous y aviez mis le feu.
– C’est ce que nous nous sommes dit aussi, approuva Drakëwynn. Lorsqu’on a ouvert la porte, nous avons vu… rien du tout. En fait, de l’autre côté de la porte s’étendait un voile de ténèbres. Impossible de distinguer quoique ce soit ! Heureusement, nous avions avec nous un courageux Samouraï, qui s’avança dans les ténèbres à l’aveuglette. Au fait, savez-vous ce qu’est un Samouraï ?
– Non, répondirent-ils.
– Moi non plus je ne savais pas ce que c’était avant de rencontrer celui-là. Il faut dire qu’alors je ne connaissais pas grand chose du monde extérieur à ma tribu. Pour résumer, les Samouraïs sont un genre de guerriers originaires d’un autre continent, appelé Yamato. Ils sont extrêmement loyaux et suivent un code de l’honneur rigoureux autant qu’étrange. »

La Centaure pouffa de rire, paraissant se souvenir de quelque chose d’amusant. Probablement en lien avec les Samouraïs d’ailleurs, pensait Kyr. « Donc, reprit-elle, notre brave guerrier s’avança héroïquement et buta dans un jeune dragon noir, qui devait mesurer environ ma taille actuelle. Ce dernier n’apprécia pas et entreprit de faire subir son courroux au jeune héros en herbe. Heureusement, nous autres étions là et avons pu tirer notre compagnon des griffes du dragon, que nous avons été obligés d’occire. Ceci étant fait, nous avons fouillé la salle pour récupérer les possessions matérielles du reptile, car les dragons adorent les trésors et celui-là n’en aurait plus l’utilité désormais. C’est lors de la fouille que nous avons remarqué qu’il y avait une deuxième porte. Nous commencions à se demander quand le nettoyage prendrait fin. Il faut dire qu’après tous ces combats, nous étions décorés d’estafilades diverses et un peu fatigués. Mais nous en avions assez et avons décidé d’expédier au plus vite ce qui pouvait rester. Nous avons donc ouvert la porte.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 2 : Le début du voyage avec Drakëwynn (3/8)

Le gros cheval noir suivit docilement la Centaure au galop. Mais ils ne purent couvrir plus d’un kilomètre avant que de grosses gouttes ne s’écrasent au sol, laissant bientôt place à une abondante averse, glaciale qui plus est. « Nous n’aurons pas fait beaucoup de chemin aujourd’hui, commenta la ménestrelle. Tant pis, nous nous rattraperons demain.
– On va s’arrêter là au milieu de nulle part ? s’étonna Kyr. On ne va pas jusqu’au prochain village ? »

En effet, ils se trouvaient toujours au milieu de prés vides et de champs plus ou moins en friche à perte de vue. « Inutile. » Lâcha Drakëwynn en fouillant dans l’un de ses multiples sacs. Elle en sortit un petit cube noir qu’elle jeta à terre, au milieu d’un pré à présent détrempé, tout en prononçant un mot bizarre. A peine le cube avait-il touché le sol qu’il s’y enfonça doucement. Pendant une seconde, rien ne se produisit. Puis un grondement se fit entendre, qui augmentait en volume, jusqu’à faire trembler le sol. Soudain, une petite tour aux murs métalliques, d’environ neuf mètres de haut, avec meurtrières et créneaux, poussa à la place du cube, comme un champignon de métal. Le Centaure en ouvrit la porte et poussa tout le monde à l’intérieur, cheval compris.

« Ah ! Nous voilà à l’abri, dit-elle en refermant la porte. Mettez-vous à l’aise et séchez vous. J’ai oublié de quoi prévoir un feu, mais au moins nous sommes au sec.
– Vous êtes magicienne ? lui demanda Kilynn.
– Ah non, sûrement pas, répondit la ménestrelle. Je suis Barde. Pourquoi cette question ?
– Ben, cet objet là, vous l’avez bien fait se transformer en cette tour, non ? bafouilla la fille.
– Oh, ça, c’est juste une babiole magique que j’ai acheté un jour, expliqua Drakëwynn.
– C’est utile, commenta Kyr.
– Tout à fait, approuva la Centaure qui terminait de défaire sa chemise de mailles. Allez, enlevez vite tout ce qui est mouillé, sinon vous allez attraper froid.
– Mais… On a rien pour se changer, dit Kilynn.
– Il faut dire qu’on est parti sans rien prendre, ajouta son frère.
– Vous aviez beaucoup de choses à récupérer ? s’enquit Drakëwynn.
– Oh, non, répondit la sœur. A part quelques vêtements, il ne nous restait rien de plus que ce qu’on porte en permanence sur nous.
– Bon, tout va bien dans ce cas ! se réjouit la ménestelle. Je dois bien avoir quelque chose qui traîne pour que vous passiez la nuit au sec… »

Elle se mit de nouveau à fouiller dans ses nombreuses affaires. Kyr se demandait comment elle se débrouillait pour toujours retrouver ce qu’elle cherchait dans tous ses sacs, car ils avaient l’air remplis de babioles, de fioles, d’outils et autres objets en tous genres. Quoiqu’il en soit, elle finit par sortir deux grandes robes écarlates de très bonne facture, visiblement conçues pour des Humains, ou du moins, des humanoïdes. Elles ressemblaient à celles que portaient les grands prêtres ou les mages et, bien qu’elles aient été reprisées à certains endroits, leurs anciens propriétaires devaient être très riches. « Tenez, leur dit-elle. Elles sont probablement trop grandes pour vous, mais ça devrait être suffisant pour ce soir. Allez-y vite maintenant, vous pouvez monter à l’étage si vous voulez. »

Ils ne se firent pas prier et filèrent dans les étroits escaliers pour troquer leurs vêtements trempés contre les étranges robes rouges, qui s’avérèrent plutôt chaudes et confortables, bien que trop longues et larges. Lorsqu’ils redescendirent, précautionneusement pour ne pas trébucher sur les pans de tissu, tenant leurs habits imbibés d’eau à la main, la Centaure pouffa de rire. « Que vous avez fière allure ! s’exclama-t-elle. Donnez-moi donc ce qui est mouillé, je vais étendre tout ça. » En effet, elle avait fixé une corde entre deux des murs de la tour et y avait étendu ses affaires trempées. Elle avait également eu le temps de desseller Nuit-Noire et lui avait mis une autre grande robe rouge sur le dos, en guise de couverture. « Vous me le rappellerez, reprit-elle en étendant les vêtements des enfants, mais au prochain village ou la prochaine ville, je vous achèterai de quoi vous équiper en bonne et due forme. Il ne faut pas partir ainsi à l’aventure sans rien comme ça, sinon on ne survit pas longtemps. Et puis, franchement, quelle idée vous avez eue de partir en voyage au seuil de l’hiver !
– Vous le faites bien vous. » répliqua Kilynn.

Cela fit rire la Centaure qui décréta : « Oui, mais moi ce n’est pas la même chose. Bon ! On a du temps à tuer avant le repas du soir, vous avez des idées ?
– Où est Emlyg ? demanda la fille.
– Oh, il dort, blotti dans son sac. Tu pourras l’embêter tout à l’heure si tu veux. »
Les jumeaux s’installèrent à même le sol, emmitouflés dans leurs trop grandes robes écarlates. « D’où viennent-elles ? s’informa Kyr en désignant lesdites robes.
– Elles appartenaient à des Mages Rouges, répondit Drakëwynn.
– Des Mages Rouges ? … LES Mages Rouges ? » s’étonna le garçon.

Les Mages Rouges étaient une organisation de magiciens très connue, réputée pour la mégalomanie de ses membres, ainsi que leur cruauté pour arriver à leurs fins. « Eux-mêmes, confirma la Barde. J’en ai tué quelques uns. Figure-toi qu’ils ont mis ma tête et celles de mes compagnons à prix ! C’est marrant, non ?
– Moi, ça m’inquièterait à votre place, déclara Kilynn.
– Bah, il ne faut pas s’inquiéter pour ça. Si je devais m’en faire pour chaque personne qui m’en veut, je finirai probablement par avoir un ulcère et en mourir dans d’atroces souffrances. Et puis bon, j’ai beau en éliminer, il en arrive toujours… » Elle s’installa en face des jumeaux et reprit : « Vous voulez que je vous raconte ma première rencontre avec un Mage Rouge ? » Ils hochèrent la tête avec entrain, une bonne histoire était toujours la bienvenue. La ménestrelle se leva, prit une inspiration et commença :

« Kyr et Kilynn » Chapitre 2 : Le début du voyage avec Drakëwynn (2/8)

Le garçon se disait qu’avec un peu de chance, Kilynn et lui trouveraient un coin agréable où s’installer avant les 600 kilomètres qui les séparaient d’Alethrie. Il n’avait pas envie d’être impliqué dans des affaires de régicide. « Bref ! reprit Drakëwynn. Il doit être aux environ de midi, vous devriez vous installer pour un pique-nique. Moi, je vais aller régler un truc, je reviens le plus vite possible. » Elle avisa le dragon-papillon, toujours ronronnant dans les bras de la petite fille. « Je vous laisse Emlyg. Si jamais il se passe quelque chose, envoyez-le me chercher. A tout à l’heure ! »

Sans plus attendre, elle s’en fut au grand galop à travers les champs dévastés, bien plus vite que ne galopait le destrier léger qu’ils avaient emprunté plus tôt. Les jumeaux se sentirent un peu bêtes, plantés là au milieu de nulle part. Ils ne réagirent pas avant qu’elle ait quitté leur champ de vision. Là, Kyr hurla de frustration. « Elle est complètement folle ! Et paradoxale en plus : elle dit qu’on ne doit pas s’occuper des royaumes parce qu’on est des voyageurs errants et, elle, elle fourre son nez en plein dans des affaires d’état très délicates !
– Oui, mais on a besoin d’elle. » Kilynn s’était assise sur le bord de la route. Elle avait posé le dragon-papillon par terre et ouvert son sac pour en sortir le pain, la viande séchée et les pommes que Drakëwynn leur avait laissé le matin même. « Viens t’asseoir Kyr. Après tout, on a presque rien avalé depuis ce matin, je commençais à avoir un gros creux. »

Bien que d’humeur massacrante, son frère avait également très faim et il ne se le fit pas dire deux fois. Il se laissa tomber à côté d’elle et ils mangèrent tous les deux en silence. Le seul à faire du bruit était Emlyg qui gambadait aux alentours, tout en venant régulièrement quémander à manger aux jumeaux. Ceux-ci en firent un jeu, qui consistait à envoyer des morceaux de pain ou de viande en l’air, le plus haut possible, afin de voir le petit animal s’envoler prestement pour les rattraper au vol. Lorsqu’ils n’eurent plus rien à lui lancer, le dragon-papillon s’avachit à côté d’eux et Kilynn entreprit de lui gratouiller le ventre d’une main, tout en finissant une pomme de l’autre. Kyr, lui, s’était carrément couché dans l’herbe du bas-côté et il contemplait le ciel qui s’était assombri. Il s’était calmé, relativisant les choses. En effet, il y avait de grandes chances pour qu’il doive côtoyer l’irritante et monstrueuse Centaure encore un bout de temps. Surtout si, comme elle l’avait dit, tout était ruiné par la maladie sur des centaines de kilomètres. Du coup, autant essayer de s’habituer dès maintenant à son caractère étrange. « Tu crois que Caer va nous chercher ? demanda soudainement Kilynn.
– Sais pas, mâchonna-t-il. Peut-être qu’il croit que les cavaliers se sont occupés de nous, si tu vois ce que je veux dire. »
Sa sœur acquiesça. Elle voyait effectivement. Même si elle avait du mal à concevoir que l’affable Giulio puisse envisager d’éliminer des enfants. « De toutes façons, reprit son frère, j’imagine que Rob finira de convaincre Caer qu’il est inutile de nous retrouver. » Ils restèrent encore un long moment silencieux avant que Kyr ne rouspète : « Elle en met bien du temps ! A ton avis, qu’est ce qu’elle peut bien être en train de faire ?
– Comment veux-tu que je le sache ? Peut-être qu’elle nous cherche un cheval, vu qu’elle trouve qu’on marche pas assez vite.
– Ouais, peut-être. »

Le fond de l’air fraîchissait, les nuages s’assombrissaient encore et un vent glacial se mit à souffler. Kyr frissonna. Il se redressa et alla se caler contre sa sœur pour chercher de la chaleur. Emlyg se blottit entre eux. « Vivement qu’elle revienne, déclara Kilynn. C’est toi qui a la couverture toute chaude qu’elle nous a donné ?
– Je crois bien oui… » Son frère ouvrit son sac et en sortit la couverture en question. Elle était bien assez grande pour qu’ils s’enroulent tous les trois dedans. Ils s’y blottirent donc, en attendant le retour de Drakëwynn.

Celle-ci arriva bien plus tard mais, heureusement, avant la pluie. Comme l’avait supposé Kilynn, la ménestrelle traînait avec elle un lourd cheval de trait, à la robe entièrement noire, bridé et sellé. Le dragon-papillon s’envola jusqu’à elle et s’engouffra dans le sac qui lui servait habituellement d’abri. « En avant fiers compagnons ! leur lança-t-elle joyeusement. En selle et partons sur le champ ! » Les jumeaux obtempérèrent, rangeant de nouveau rapidement la couverture dans le sac de Kyr. La Centaure les aida à monter sur le grand animal et ils s’en furent au petit galop. « J’ai eu un mal fou pour le trouver, leur raconta-t-elle en galopant. Il s’appelle Nuit-Noire. C’est trop classique pour un cheval noir je trouve. Je l’aurai plutôt nommé Plein-Jour ou Rayon-de-Soleil, ça, ça aurait été original !
– Vous l’avez trouvé où ? demanda curieusement Kilynn.
– Pfiou ! Assez loin, dans un village par là-bas, j’ai du faire une trentaine de kilomètres au grand galop pour trouver quelqu’un qui voulait bien me vendre une monture. En plus je voulais un cheval de guerre, mais c’est introuvable par ici.
– Pourquoi un cheval de guerre ? s’enquit Kyr tout en se disant que la ménestrelle exagérait encore les distances.
– Parce qu’ils sont moins froussards et plus obéissants, expliqua Drakëwynn. Enfin, ce n’est pas grave, je le dresserai moi-même. Allez Nuit-Noire, il faut encore faire du chemin avant qu’il ne se mette à pleuvoir ! »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 2 : Le début du voyage avec Drakëwynn (1/8)

« Il va vraiment falloir commencer à songer à une solution pour votre vitesse de marche, grogna la Centaure. Pas que je sois pressée, mais j’en ai assez de piétiner ! »

Ils étaient sortis de la forêt après une bonne heure de marche et ils continuaient de suivre la même route de terre battue, qui traversait à présent un terrain vallonné. La plupart des champs environnants étaient en friche, comme l’étaient ceux autour du village natal des jumeaux. Drakëwynn leur ayant expliqué que les épidémies sévissaient actuellement sur un rayon de plusieurs centaines de kilomètres alentour, ils supposèrent, à juste titre, que ceux qui étaient sensés s’en occuper devaient se trouver malades, ou même morts. « Si personne ne s’occupe de ces champs, les gens d’ici vont manquer de nourriture cet hiver… Et peut-être même l’année prochaine, commenta Kyr.
– Encore plus de gens vont mourir alors, ajouta sa sœur.
– Certes, approuva la ménestrelle. En plus, mal nourris, ces gens seront des proies faciles pour les maladies. Ainsi, les récoltes prendront encore du retard, ou ne seront pas bonnes, et ainsi de suite. C’est un cercle vicieux.
– C’est terrible ! s’exclama Kilynn. Ca ne s’arrêtera donc jamais ? On ne peut rien faire contre ça ?
– T’as l’intention de faire les moissons et les labours de tous ces champs à toi toute seule ? » s’enquit platement Drakëwynn.

La jumelle ne répondit pas à cette question, somme toute plutôt rhétorique. Elle mâchouillait une mèche de ses longs cheveux noirs emmêlés. Voyant qu’elle restait songeuse, la Centaure reprit : « Allons, crois-tu que le Roi de ce pays laisserait son peuple s’étioler comme ça ? Non, ce n’est pas possible. Cela signifierait la fin de son royaume. Or, un Roi n’est un Roi que s’il a un royaume avec des gens à gouverner, sinon il ne sert à rien. Il puise actuellement dans la trésorerie royale, et emprunte aux marchands, pour acheter à ses gens de quoi subsister l’hiver, dans d’autres pays non touchés par les épidémies. C’est ce que m’a raconté Giulio, le cavalier qui m’a tannée pour que je vous emmène avec moi. Bien sûr, toutes les denrées achetées seront rationnées et distribuées en petites quantités, mais en attendant, tout le monde pourra manger. Evidemment, ça le ruine d’emprunter et d’acheter comme ça, mais c’est un investissement pour plus tard, pour la survie du royaume. »

La Barde ne précisa pas qu’il était également possible, malgré tous les efforts du Roi, qu’un autre pays profite de cette faiblesse ponctuelle pour annexer le royaume, ni qu’il existait des millions de possibilités pour que cette situation précaire tourne au plus mal. Tout ce qui était de l’ordre des intrigues et des subtilités politiques l’ennuyait. De toutes façons, en disant cela, elle avait pour but premier de rassurer, pas de faire paniquer. « Quoiqu’il en soit, il ne faut pas t’inquiéter plus que ça de l’avenir de ce Royaume, reprit la Centaure. Ni même d’un autre d’ailleurs. Depuis que ton frère et toi avez décidé de me suivre, vous n’avez plus d’attaches et faites partie des voyageurs errants. »

Elle se mit alors à fredonner de manière insouciante, comme si elle ne venait pas de leur asséner brutalement une vérité dont ils n’avaient encore réalisé toute l’ampleur. Les enfants broyaient un peu du noir après cette soudaine prise de conscience. Ils n’avaient plus de racines à présent. Mais la joyeuse Drakëwynn ne paraissait pas se rendre compte de l’atmosphère pesante. Tout à coup, elle s’arrêta de marcher et se frappa le front du plat de la main. « Suis-je bête ! s’exclama-t-elle. Je n’ai qu’à vous trouver un cheval, on irait plus vite comme ça ! »

Les jumeaux restèrent un moment médusés. Ils se demandaient tous les deux si cela n’aurait pas été plus simple qu’ils grimpent sur son dos à elle. Mais puisqu’elle ne paraissait pas considérer cela comme une éventualité, ils n’osaient pas aborder le sujet, internationalement réputé pour être sensible chez les Centaures. En effet, bien que disposant d’un corps chevalin, ces êtres prenaient comme une injure personnelle ne serait-ce que l’idée de porter qui que ce soit sur leur dos. Ils avaient tendance à penser que cela revenait à les traiter de simples animaux de bât, comme les mules par exemple, ce qui les blessait dans leur orgueil. Un brin irrité par l’attitude frivole de leur compagne, Kyr lui demanda abruptement : « Où êtes-vous donc si pressée de vous rendre ?
– Dans le royaume d’Alethrie, répondit-elle sans paraître se formaliser du ton employé par le garçon.
– Si loin ? s’étonna Kilynn. Mais c’est à plus de 600 kilomètres d’ici !
– Je le sais bien, déplora la ménestrelle. C’est bien pour ça que j’aimerais que vous alliez plus vite, même si je suis pas particulièrement pressée comme je disais tout à l’heure. Faut dire que ce genre de mission à deux cuivres, ça se règle en deux jours d’ordinaire.
– Vous voulez faire quoi en Alethrie ? » s’informa Kyr, tout en essayant de ne pas se focaliser sur l’allusion, exagérée selon lui, de deux jours pour parcourir 600 kilomètres.

Visiblement, Drakëwynn ne rechignait pas à répondre aux questions. Elle adorait même souvent partir dans moult digressions si on lui en laissait l’occasion. « Je vais renverser le dictateur en place, expliqua-t-elle cette fois sans détour.
– … C’est vrai ? bredouilla une Kilynn éberluée.
– Ben… Oui.
– Ne dites pas ça comme si ça vous paraissait tout à fait normal ! tempêta Kyr.
– Pourtant ça l’est, assura la monstrueuse Centaure. C’est un vrai tyran, je vais d’ailleurs probablement devoir le tuer…
– Mais c’est… grave et puis dangereux de vouloir tuer un Roi, argumenta la sœur.
– Il paraîtrait que c’est un usurpateur. De toutes façons, je vous avais prévenus que ça allait être dangereux de rester avec moi. Ce sera probablement ennuyeux aussi, parce qu’il va falloir que je trouve un Roi correct pour le remplacer et ça, c’est d’un compliqué ! » Elle soupira d’un air faussement accablé.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (8/8)

Les autres cavaliers pouffaient de rire derrière leur chef et feignant l’innocence dès que la redoutable créature leur envoyait des regards venimeux. Kyr et Kilynn n’osaient interrompre cet échange qui semblait faire tourner les choses en leur faveur. Ils étaient bien conscients que leur avenir dépendait de cette conversation. La jumelle se serra plus étroitement contre la jambe musculeuse de la Centaure, paraissant ne pas sentir la meurtrissure due à la chemise de maille de cette dernière. « C’était vraiment un coup bas, ça, se plaignit la ménestrelle.
– Il faut ce qu’il faut dans ce monde de brutes, approuva l’homme avec un ton compatissant.
– Tu es sans cœur, lui reprocha Drakëwynn.
– C’est vous qui le seriez si vous refusiez une aide demandée si gentiment, rétorqua-t-il. Bon, ce n’est pas que cette conversation m’ennuie, au contraire je m’amuse beaucoup, mais le temps passe et nous allons encore être retardés car nous allons devoir passer à travers champ.
– Pourquoi ? s’enquit curieusement le garçon.
– Car les bois sont infestés par vos anciens compagnons les brigands, répondit plaisamment le cavalier au chapeau. Si vous voulez mon avis les enfants, vous avez fait le bon choix, même si pour le moment elle râle.
– Les encourage pas… maugréa la Centaure.
– Faites un bon voyage avec Drakëwynn, la protectrice des opprimés à votre service, les salua-t-il joyeusement. J’espère que nous nous reverrons dans de meilleures circonstances ! »

Sur ces paroles, ses cavaliers et lui tournèrent bride et s’en furent au galop à travers bois, tout en riant des imprécations de la Femme-Jument, qui jurait après eux tout ce qu’elle savait. Néanmoins, elle ne partit pas à leur poursuite. Pourtant, Kyr subodorait que cela aurait été son premier réflexe. Mais, pour les rattraper, il aurait fallu qu’elle détache Kilynn de sa jambe. Ce qui semblait une tâche ardue sur le moment. Finalement, la Centaure arrêta de crier des injures. Elle rangea sa lumineuse lance d’arçon et une petite tête reptilienne sortit de l’un de ses sacs. « Tu sors te moquer de cette pauvre Drakëwynn toi aussi ? » lui demanda sa maîtresse. Pour toute réponse, le dragon-papillon roucoula, sortit du sac et alla renifler Kyr. Puis il émit un grognement de satisfaction et s’envola afin de s’avachir sur les épaules du garçon. « A croire que le monde est contre moi, soupira théâtralement la Femme-Jument. Allez, c’est bon, je capitule, puisque même Emlyg est de votre côté.
– Merci ! » s’écrièrent les jumeaux, reconnaissants.

Et Kyr se retrouva aussi à se précipiter sur la ménestrelle. Ne sachant comment réagir face à cet élan d’affection, elle leur tapota gentiment la tête à tous les deux et déclara : « Nous n’allons pas rester là toute la journée tout de même, allez ! En route !… Au fait, comment vous appelez-vous ?
– Kilynn, répondit la fille en prenant le dragon-papillon des épaules de son frère.
– Kyr. » se présenta, tout aussi succinctement, ce dernier.

Il était soulagé que sa sœur lui ait ôté l’animal des épaules pour le prendre dans ses bras, car il craignait de devoir le porter tout le long du trajet, ce qui promettait de faire lourd à la longue. « Bon, et bien Kilynn, Kyr, déclara pompeusement la Barde, nous voici compagnons de voyage. Partons, à présent. » Suivant Drakëwynn, qui se forçait à marcher à une allure que les jumeaux pourraient suivre, ils s’en furent, sans un regard en arrière pour leur ancienne vie. Kyr se sentait léger et plein d’entrain. Il pensait, comme le cavalier l’avait dit, qu’ils avaient fait le bon choix en décidant de partir, même s’il ne savait pas ce que l’avenir leur réservait.

« Drakëwynn, commença Kilynn qui dorlotait le dragon-papillon, vous nous en voulez d’avoir pris le cheval de votre ami ?
– Quelle drôle d’idée ! Bien que ce ne soit pas quelqu’un que je connaisse très bien, je suis surtout impressionnée que vous ayez réussi à le lui prendre !
– En fait, on ne le lui a pas pris à lui, expliqua Kyr. Le cavalier était tombé de cheval et on en a profité.
– Je vois.
– On croyait que vous étiez beaucoup plus loin que ça, continua sa sœur. C’est pour ça qu’on voulait un cheval, pour vous rattraper.
– Comment ça se fait que vous étiez si proche ? s’enquit le garçon.
– Oh, ça… » La Centaure ouvrit un sac pour leur en montrer fièrement le contenu. « Je cueillais des champignons ! »

Cette réponse impromptue les fit rire tous les trois, enfin, tous les quatre en comptant le dragon-papillon qui pouffait souvent. Kyr avait d’ailleurs la désagréable impression qu’il se moquait souvent de lui. La suite du trajet dans la forêt se déroula dans la même ambiance. Cela faisait du bien aux enfants qui n’avaient pas tant ri depuis des mois. Passer du temps avec la ménestrelle allait les changer de leur morne quotidien : elle connaissait des dizaines de tours de prestidigitation, des choses amusantes sur tout un tas de sujets et racontait des histoires toutes plus abracadabrantes les unes que les autres. Voilà des auspices qui s’annonçaient meilleurs que si ils avaient continué leur vie de brigandage avec le grand Caer.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (7/8)

Abandonnant tout espoir de retrouver la terrifiante ménestrelle à temps, Kyr ferma ses yeux larmoyants et se laissa aller sur l’encolure du cheval, n’écoutant plus que le martèlement des sabots sur la terre battue. D’ailleurs, en écoutant attentivement, l’un des martèlement lui parut beaucoup plus lourd et plus rapide que les autres. Et surtout, ce bruit ne venait pas de derrière eux comme les poursuivants, mais de l’avant, et cela se rapprochait à une vitesse phénoménale. Le garçon sentit soudain un fort déplacement d’air sur sa gauche. Il ouvrit les yeux juste à temps pour voir, fugitivement, une grande forme passer à côté de lui, au grand galop et en sens inverse. « Drakëwynn… » murmura Kilynn dans un souffle, tandis que leur monture s’arrêtait. Kyr la fit se retourner pour regarder la scène.

Leur tournant le dos et faisant face aux poursuivants qui avaient, eux aussi, arrêté leurs chevaux, se tenait la Centaure, armée de sabot en cap, comme lors de sa rencontre avec les enfants. Elle tenait sa lance d’arçon lumineuse d’une main et la posa nonchalamment sur son épaule, tout en tournant légèrement la tête en direction des jumeaux pour leur dire : « Drakëwynn, protectrice des opprimés, à votre service. » Elle arborait son éternel sourire carnassier. Puis, elle apostropha joyeusement les cavaliers, dont les derniers venaient tout juste d’arriver, à deux sur un seul cheval : « Oh, c’est encore vous ? Je ne pensais pas qu’on se recroiserait de si tôt. Alors, comme ça on opprime de jeunes enfants ? »

Voyant la Femme-Jument, les cavaliers rangèrent leurs armes. « Nous voudrions juste récupérer notre cheval en réalité. » expliqua le cavalier qui paraissait être le chef du groupe. Son front était ceint d’un chapeau à plumet et aux larges bords, qui laissait s’échapper de longues mèches noires. Il portait des vêtements de qualité et avait une rapière au côté. « Nous avons été pris en embuscade par un groupe de brigands un peu plus loin et ces deux là en ont profité pour nous faucher la monture.
– Oh ? Voyez-vous cela ! s’exclama la Barde en se tournant de nouveau vers les jumeaux. Pourrait-on savoir dans quelle contrée lointaine vous comptiez vous rendre pour avoir besoin d’un rapide destrier ? »

Kyr était embêté, il ne s’était pas figuré que l’emprunt d’un cheval puisse contrarier la Centaure. D’autant que sa sœur et lui pensaient qu’elle avait fait beaucoup plus de chemin et qu’un cheval était le seul moyen de la rattraper. Kilynn glissa prestement à terre, se précipita vers la grande Femme-Jument et s’accrocha à l’une de ses pattes avant. « On voulait juste vous rejoindre, laissez-nous venir avec vous, on fera tout ce que vous nous direz de faire. S’il vous plait ? » la supplia-t-elle d’une voix pleine d’espoir. Pour le coup, la ménestrelle resta sans voix, surprise de cette petite fille cramponnée à sa jambe. Kyr songea qu’il était temps de renchérir. Il descendit à son tour du cheval et le mena par la bride aux cavaliers qui assistaient à la scène sans rien dire. Le propriétaire initial du destrier remonta néanmoins avec soulagement sur ce dernier.

« On en aura plus besoin, maintenant qu’on vous a retrouvée, Drakëwynn. Ma sœur et moi, on voulait vous demander de vous suivre jusqu’à ce qu’on trouve un coin moins moisi pour pouvoir vivre tranquillement. Ce sera mieux que de continuer à jouer aux voleurs avec Caer. Si on reste là, un jour ou l’autre on finira par se faire prendre ou par tomber malade.
– Mais vous ne pouvez pas venir avec moi, répondit doucement la Centaure. C’est bien trop dangereux, vous êtes à des milliers de lieues de vous imaginer ce qu’il peut m’arriver de devoir combattre.
– Drakëwynn hein ? intervint le chef des cavaliers en souriant. Cela vous va bien aussi, comme nom. Si je puis me permettre, dans ce monde impitoyable, c’est avec vous qu’ils seraient le plus en sécurité.
– Oh toi, la ramène pas hein, grommela la ménestrelle. Tiens, d’ailleurs, pourquoi ne les prendrais-tu pas, toi ?
– Nous n’allons pas dans la bonne direction, répondit innocemment l’homme. Ils ont l’intention de quitter ce pays moribond, or, nous nous dirigeons en plein cœur de celui-ci, afin de rendre visite au Duc.
– Ils vont me ralentir avec leurs toutes petites jambes de halfelins !
– Oh, un détail aussi insignifiant serait-il donc un si gros inconvénient pour vous ? s’enquit le cavalier en feignant ironiquement la surprise.
– Bien sûr que non ! s’insurgea-t-elle. Seulement je ne suis absolument pas qualifiée pour m’occuper de deux enfants.
– Vous laisseriez ces pauvres petits sans défense en proie à la misère, au banditisme et à la maladie ? Ce n’était pas l’idée que je me faisais de vous E… Drakëwynn. »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (6/8)

Les jumeaux s’entre-regardèrent et un éclair de connivence passa entre eux. Risqué, certes, mais faisable. C’était le coup de pouce qui leur manquait, leur décision était prise. Kyr leva de nouveau les yeux vers l’homme et lui dit gravement : « Merci, Rob. » avant de filer avec Kilynn en direction du lieu présumé du guet-apens. Peu de temps après, en entendant les bruits causés par l’échauffourée, ils ralentirent leur allure et sortirent de la route, continuant prudemment leur chemin tout en étant dissimulés par des buissons. Ils parvinrent enfin en vue du combat et observèrent un moment ce qu’il s’y passait. Les brigands de Caer avaient l’avantage, malgré le fait que les cavaliers paraissaient être de bien meilleurs combattants. Cet avantage était très certainement du à l’effet de surprise, couplé au surnombre. L’un des cavaliers était d’ailleurs à terre, Caer l’ayant fait glisser de sa selle. A présent, son cheval piaffait, seul au milieu des combattants.

Kyr pensait qu’avec un peu de chance, ils pourraient passer inaperçus. Après un signe de tête de connivence avec sa sœur, ils se glissèrent prestement au cœur de la mêlée. Grâce à leur petite taille et leur sens de la discrétion, évitant souplement les combattants, ils parvinrent jusqu’au cheval sans cavalier sans que personne ne les remarque, le cœur battant. Mais l’animal n’avait pas très envie de coopérer. Il se cabrait et piaffait, excité par le combat. Kyr essaya de le maintenir par la bride, mais il du s’y reprendre à plusieurs fois, afin d’éviter les coups de sabots du nerveux destrier. Sa sœur, malgré la peur que lui inspirait le cheval énervé, finit par lui prêter main-forte. A deux, ils réussirent à maintenir l’animal assez longtemps pour que Kilynn réussisse à se hisser sur la selle, avant d’aider son frère à faire de même. « Qu’est ce que vous faites là tous les deux ? » tonna soudain la voix de Caer, surmontant le vacarme ambiant et faisant sursauter les enfants.

« On va mettre le cheval à l’abri ! » répondit Kyr tout en talonnant le destrier qui bondit en avant. Il se cramponna aux rênes et au pommeau de la selle et sa sœur s’agrippa à lui. Il avait miraculeusement réussi à diriger l’animal dans la direction qu’il voulait, mais cela n’arrangeait pas le problème du ballotage ajouté à la vitesse. Après environ deux minutes, qui parurent une éternité aux jumeaux, le cheval décida qu’il en avait assez de courir et qu’aller brouter les quelques brins d’herbe sur le bas côté de la route était plus intéressant. La garçon le laissa faire, expirant avec soulagement. « C’est sûr que ça va vite, haleta sa sœur d’une voix rauque. Mais c’est pas très pratique.
– C’est probablement parce qu’on a pas l’habitude de monter sur des bêtes nerveuses comme celle-là » supposa Kyr. En effet, jusqu’à ce jour leur seule expérience en équitation avait été de chevaucher le placide percheron de leur oncle. Ce qui n’avait rien à voir avec le destrier de guerre qu’ils montaient à présent.

« Peut-être, mais il faut qu’on continue quand même. » Cette fois, ce fut Kilynn qui talonna la monture, qui repartit de mauvaise grâce au petit trot. Elle maintient cette allure quelques minutes, le temps qu’ils arrivent à la hauteur où Rob était embusqué. Là, Kyr tira sur les rênes, tandis que le vieil ami de leurs parents sortait des buissons. « Vous êtes vraiment sérieux alors… » constata-t-il. Les jumeaux hochèrent la tête de concert.
« Merci pour tout Rob, lui dit le garçon.
– Penses-tu, il y a des chances que ce soit la dernière chose que je sois capable de faire pour vous.
– Pourquoi tu dis ça ? demanda Kilynn.
– Parce que ça m’étonnerait qu’on se revoit vous et moi, répondit Rob avec un maigre sourire. Vous me semblez partis pour de bon et vous ne pourrez plus revenir vu ce que vous venez de faire à Caer. »

Un martèlement de sabots au galop commença a se faire entendre de la direction dont venait les enfants. « Partez vite ! » Les exhorta Rob, avant de frapper la croupe du cheval pour les faire partir. Ce dernier partit au petit galop, tandis que le brigand retournait dans les buissons. « Ou c’est Caer, ou les cavaliers, pensait Kyr. Dans tous les cas, ce n’est pas bon pour nous… » Leur cheval étant handicapé par deux jeunes cavaliers se ballotant et inexpérimentés, le son de la course de leurs poursuivants se rapprochait inexorablement.

« Je les vois ! » s’écria soudainement Kilynn d’une voix rendue suraigüe par la panique. « C’est pas Caer ! » Elle donna un coup de talon dans les flancs de leur monture qui bondit en avant et accéléra de nouveau. Son frère se concentrait sur la tâche ardue de diriger le destrier tout en gardant les yeux ouverts malgré le vent froid qui les faisait larmoyer. Soudain, jetant un coup d’œil au sol, il remarqua fugitivement des traces de sabots énormes imprimées sur la terre de la route forestière. « Nous sommes dans la bonne direction ! lança-t-il à sa sœur. C’est déjà ça ! Regarde par terre, il ne peut y avoir qu’elle qui laisse des traces pareilles.
– Ils se rapprochent encore Kyr ! »

En effet, même si leur monture avait accéléré après le coup de talon de Kilynn, les cavaliers continuaient de gagner du terrain petit à petit. « Suffit qu’on la rattrape avant qu’ils n’arrivent sur nous, reprit le garçon. C’est toi-même qui l’a dit : si on la retrouve on aura plus rien à craindre !
– Drakëwynn ! Aide nous ! » hurla sa jumelle pour toute réponse.

Bien entendu, la Centaure n’apparut pas comme par magie suite à l’appel. Les deux enfants continuaient d’encourager et d’exhorter, tour à tour, leur cheval. Celui-ci réussit à maintenir une distance stable entre lui et leurs poursuivants pendant de longues minutes avant de perdre de nouveau un peu de terrain. A intervalles réguliers, Kilynn continuait d’appeler la Barde à la rescousse. Kyr doutait de l’utilité d’une telle manœuvre, mais si cela rassurait sa sœur d’agir ainsi, soit. « Plus vite ! » cria-t-il, pour sa part, au destrier écumant. Seulement, l’animal avait déjà bien voyagé avant d’arriver à l’embuscade de Caer et ses hommes. Avec, en plus, la course-poursuite, il commençait à ne plus être très vaillant et ralentissait de plus en plus. Heureusement, les autres chevaux n’étaient pas en meilleure forme que lui, bien que montés par des cavaliers bien plus expérimentés. Par conséquent, la distance entre eux ne s’amenuisait pas autant que le craignaient les enfants. Mais c’était encore bien trop rapide à leur goût. Ils tinrent encore quelques minutes à cette allure, avant que le destrier ne décide qu’il en avait assez de galoper, malgré les coups de talon dans les flancs, et qu’il ne passe de lui-même au trot.

« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (5/8)

Ce n’était pas un véritable argument, ils le savaient tous les deux. Kyr savait aussi que la Centaure intimidait beaucoup sa sœur, mais que c’était justement l’une des principales raisons pour laquelle elle voulait la suivre : elle se sentirait en sécurité en restant auprès de quelqu’un d’intimidant. De plus, il devait bien l’avouer, il ne voyait pas de meilleure marche à suivre pour le moment. Il alla ouvrir la porte de la grange et la lumière du soleil, bien qu’automnal, les éblouit. « Il est tard, constata-t-il. Ca va être difficile de la rattraper, elle a du partir depuis longtemps.
– Oui, mais il fait beau, on ira vite.
– Le problème, c’est qu’elle aussi… Il nous faudrait un cheval.
– Un cheval ? s’étonna Kilynn. Où comptes-tu en trouver un ? D’autant qu’on a pas les moyens pour ça…
– Je ne sais pas encore, mais il faut se dépêcher, sinon on ne pourra jamais la rejoindre.
– Commençons à pieds, Kyr, on verra bien sur le chemin. »

Il poussa un grognement approbateur. Pressés, ils répartirent rapidement leurs nouvelles possessions entre leurs deux sacs. Cela faisait quelques temps qu’ils n’avaient pas possédé autant de choses. « N’oublie pas la couverture Kilynn, on en aura probablement besoin… Quelle idée de partir en voyage à la fin de l’automne…
– C’est suicidaire, convint sa sœur. Mais si on retrouve Drakëwynn, tout se passera bien. »

Kyr la fixa d’un air perplexe. Elle semblait animée d’une confiance inébranlable en cette terrifiante ménestrelle qui, selon lui, tenait plus du monstre que du Centaure. « Allons-y. » Fins prêts, ils sortirent tous deux dans la cour de la ferme, dont le corps d’habitation était encore fumant de l’incendie de la veille. Suivant les traces très reconnaissables des gros sabots de Drakëwynn, ils parvinrent de nouveau dans les bois, qui étaient aussi silencieux que s’il venait de neiger. Les jumeaux jetaient des coups d’œil nerveux autour d’eux.

« Mais qu’est ce que vous faites là tous les deux ? » s’enquit soudainement une voix étonnée qui semblait provenir de nulle part. Il s’agissait de Rob, qui était de guet dans les buissons. Il en sortit et rejoignit Kyr et Kilynn sur la route. Il arborait un grand sourire, paraissant soulagé de les trouver là. « On se demandait ce qui vous était arrivé, les jeunes ! Je suis bien content de vous avoir trouvés sains et saufs. Allez, venez, on va retourner voir le Grand Caer pour lui annoncer que vous allez bien.
– Non Rob, Kyr et moi n’irons pas voir Caer. On part.
– … Vous partez ?
– Oui, la Centaure d’hier, c’en était trop, intervint Kyr. On est juste des enfants de paysans nous, on est pas faits pour ça. On s’en va pour essayer de trouver un coin moins moisi pour vivre.
– Je… Je comprends, balbutia Rob abasourdi par cette annonce inattendue.
– On a pas pu dormir de la nuit, rajouta le garçon en grommelant. J’ai pas arrêté de faire des cauchemars à propos d’une Centaure démoniaque qui me poursuivait en rugissant pour me dévorer…
– C’est vrai que vous êtes encore jeunes vous deux pour jouer les bandits de grands chemins, compatit l’adulte. Mais je dois avouer qu’elle nous a causé à tous une sacrée frayeur ! Vous êtes vraiment sûrs de vouloir partir comme ça, que tous les deux et tout ? » Son regard exprimait clairement ce qu’il pensait de cette idée dangereuse, et ce n’était pas de l’optimisme. Les enfants hochèrent néanmoins la tête de concert. « Mais vous savez que Caer va vous considérer comme des traîtres et des déserteurs ?
– Oui. » répondit platement Kyr.

« C’est vrai que c’est du quitte ou double cette histoire, pensa-t-il. Si Drakëwynn veut bien de nous, on sera à l’abri de tout pendant un moment. Par contre, si elle refuse ou qu’on ne la retrouve pas, nous ne pourrons plus nous raccrocher à elle, ni à Caer. J’espère que l’intuition de Kilynn est la bonne… » Il lui jeta un coup d’œil. Jusqu’ici les intuitions de Kilynn avaient toujours été fiables, mais son frère préférait garder tout de même un certain recul.

Rob avait l’air gêné. « Je pourrais toujours essayer de leur faire penser que vous êtes morts, mais vous ne pourrez plus jamais revenir… En souvenir de vos parents, qui étaient de bons amis à moi, j’aimerais bien pouvoir vous aider en quoique ce soit, mais je ne sais vraiment pas comment.
– Tu… tu pourrais peut-être nous dire comment on pourrait trouver un cheval, suggéra Kilynn.
– Un cheval ? Vous avez l’intention de partir si loin que ça ?… Enfin… C’est marrant que tu me dises ça, Caer est justement sur un gros coup concernant des chevaux, là. Tout à l’heure, Mish qui surveillait avec moi, est parti le prévenir qu’une troupe d’une demi-douzaine de cavaliers se dirigeait vers lui, sur la route. Je pense que si vous vous dépêchez, vous pourrez profiter du boxon pour piquer un cheval. Par contre, ce sera risqué… »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (4/8)

Le lendemain, les deux enfants se réveillèrent plus tard que ce dont ils avaient l’habitude. Lorsqu’ils ouvrirent les yeux, le feu était éteint et il n’y avait plus trace de la Centaure, ni de ses affaires, ni de son compagnon ailé. « Elle est partie ! s’étonna Kyr.
– Tu crois qu’elle a entendu ce qu’on disait hier soir ? s’inquiéta sa sœur.
– Pas possible, elle dormait. »

Kilynn n’en était pas si sûre, mais elle n’ajouta rien. « Et, reprit son frère, elle ne nous aurait pas laissé tout ça. » Le « ça » en question désignait le tas d’objets que Drakëwynn avait ramené de la maison brûlée et laissé sur place. A côté, sur la caisse retournée, il y avait un petit baluchon qui contenait les mêmes petites pommes qu’ils avaient mangées la veille, deux miches de pain presque fraiches et quelques lambeaux de viande séchée.

« Regarde ! » s’écria Kilynn en ouvrant une bourse, posée bien évidence à côté du baluchon. Sous les yeux ébahis des enfants, s’échappèrent du petit sac en cuir toute une grosse poignée de pièces de cuivre, agrémentée de six deniers d’argent et de deux couronnes d’or brillantes. Il s’agissait de la somme, en pièces sonnantes et trébuchantes, la plus importante qu’ils n’avaient jamais vu d’un seul coup. « Avec ça, on n’a plus besoin de rester faire les bandits avec Caer pour avoir de quoi manger cet hiver, murmura Kyr.
– Tu sais ce qu’on aurait du faire ? C’est rester avec elle, déplora doucement sa sœur.
– Avec ce monstre ?
– Le monstre a été plutôt gentil avec nous, hein.
– Bah, dit son frère. Elle a probablement autre chose à faire que de se coltiner deux petits brigands comme nous. Examinons d’un peu plus près ce qu’elle nous a laissé. »

Il n’y avait pas grand chose, d’autant que Drakëwynn n’avait rien récupéré d’ordre vestimentaire, probablement par crainte de la maladie. La seule chose de ce type là qu’elle leur avait laissé était la grande couverture douce et chaude dont elle les avait enveloppés la veille. Tout ça représentait déjà beaucoup à leurs yeux. En outre, elle avait récupéré quelques outils et ustensiles divers comme une pierre allume-feu, un marteau, de la corde, un grand couteau… Elle leur avait même dégotté deux sacs qu’ils pouvaient aisément porter, comme si elle avait pensé depuis le début leur laisser de quoi s’équiper. Mais ce qui intéressa le plus les enfants fut sans aucun doute un petit arc, accompagné de son carquois qui contenait quelques flèches.

« Si on ne rejoint pas Caer, qu’allons-nous faire ? » s’enquit Kilynn. Ils cogitèrent tous deux un moment, tout en grignotant le pain laissé par la Centaure, avant qu’elle ne reprenne la parole : « On ne peut pas rester là en plus, si la bande nous trouve, ils vont nous piquer ce que la ménestrelle nous a laissé et on en verra pas le douzième du bénéfice qu’ils en tireront.
– Tu n’as pas tort, acquiesça son frère. De toutes façons, nous devrions aller habiter ailleurs. Ca ne doit pas être aussi pourri partout qu’ici.
– Je suis d’accord, mais il va être difficile pour deux jeunes de douze ans comme nous de s’installer tous seuls quelque part avec leurs propres moyens sans que cela paraisse suspect. On va vite avoir des ennuis. »

Kyr soupira. Il connaissait ce ton. Kilynn avait quelque chose derrière la tête et elle n’en démordrait pas. Mais, ce qu’elle disait jusqu’ici lui semblait sensé, il lui demanda donc : « Qu’est ce que tu proposes ?
– Suivre Drakëwynn. Elle est suffisamment aisée pour nous avoir laissé tout ça. Si on reste avec elle, nos possessions lui importeront peu. En plus, elle est capable de faire fuir les bandits de grands chemin d’un simple chant ! Alors que nous, si on part tous les deux, on aura pas fait une dizaine de kilomètres avant d’être morts avec tous ces crève-la-faim du coin. Et, si on reste ici, tu sais bien que même si les gens de la bande de Caer font partie du même village que nous, les temps sont si durs qu’ils n’auront pas de pitié avec nous. Même si on la connaît que depuis hier, la personne en qui nous pouvons avoir le plus confiance, c’est elle, quelqu’un qui ne manque de rien et se fiche totalement de ce qu’on a. On devrait voyager avec elle. Du moins, jusqu’à ce qu’on trouve un endroit où vivre tranquilles. »

Kyr était époustouflé. Cela faisait bien longtemps que Kilynn ne lui avait pas tenu un tel discours. Au moins depuis que le dernier membre de leur famille était mort, emporté par la maladie. Mais quelque chose chiffonnait encore le garçon : « Ce que tu dis semble raisonnable, mais…
– Mais ?
– Mais, même si elle s’est occupée de nous, qu’elle nous a donné toutes ces choses, elle me fait peur. Tu as vu les drôles d’écailles qu’elle a sous les yeux et sur les bras ? Et puis ses dents et ses griffes… On dirait un démon !
– Elle a dit qu’elle nous mangerait pas. »

« Kyr et Kilynn » Chapitre 1 : Drakëwynn (3/8)

« Alors, voyons voir la deuxième question… Ca concernait le pourquoi je me suis occupée de vous alors que vous m’aviez attaquée, c’est bien cela ? Je ne me suis pas posée la question à vrai dire. » dit-elle en se grattant pensivement la tête. « Mes actes sont loin d’être tout le temps réfléchis. Je vous ai probablement embarqués pour ne pas vous abandonner à votre triste sort, tous seuls, évanouis, dans la forêt. Disons que cela me semblait être la chose à faire sur le moment. » Elle sourit. « Et puis me faire assaillir par deux enfants qui meurent de faim, je ne considère pas vraiment ça comme une attaque qui puisse me faire courir un risque quelconque. Ca te convient ça aussi comme raison ? »

Hochement de tête mitigé, mais cela suffisait à Kyr pour le moment. Visiblement, Kilynn et lui n’avaient rien à craindre avec elle dans l’immédiat. La Centaure paraissait avoir saisi la légère réticence du garçon, mais ne s’en formalisa pas. Elle semblait comprendre qu’ils restent suspicieux. « Maintenant, la dernière question. Qui suis-je ? Par contre, là, il va falloir que tu me précises ta pensée, car c’est une question difficile. Que veux-tu savoir au juste ? Que je suis Barde ? Une Centaure ? Tu as probablement déjà deviné tout cela, non ? »

Il hocha affirmativement de la tête, oui, il avait déjà remarqué. Comment lui demander, sans la froisser, pour ses ailes, écailles, griffes et canines ? Ainsi que la raison de sa présence dans ce pays ravagé par la maladie et la famine ? « Votre nom par exemple, finit-il par dire.
– Mon nom ? C’est vrai que j’aurai peut-être du commencer par là. Vous n’avez qu’à m’appeler Drakëwynn. Ou par un diminutif, ou carrément un nom de votre choix. Je réponds à beaucoup de noms en fait, comme la plupart des ménestrels. »

Drakëwynn, quel drôle de nom. Cela n’expliquait rien aux enfants sur ses particularités physiques ou sa présence mais, inexplicablement, cela la rendait moins monstrueuse à leurs yeux. Un petit peu, tout du moins. La Centaure s’étira longuement avant d’installer sa tête au creux de sa paume, son coude reposant sur sa caisse retournée. Elle examinait pensivement les deux enfants qui terminaient leurs pommes. Kilynn prit la parole à son tour : « Et lui, c’est qui ? s’enquit-elle en pointant du doigt le petit dragon ronronnant sur le dos de la Femme-Jument.
– Lui ? C’est un dragon-papillon, il s’appelle Emlyg. Je l’ai trouvé, enfin, son œuf car il n’avait pas encore éclot, au milieu d’un trésor. Et pour cause, il semblerait qu’il soit le seul de son espèce dans le monde entier. Enfin, ça ne paraît pas trop le perturber. »

Elle chatouilla le petit animal qui émit une série de petits grognements aigus et se tortilla comme un ver de terre avant de glisser sur le sol. Vexé de cette chute peu gratifiante, il se drapa dans sa dignité et s’éloigna, la tête haute, afin d’aller bouder dans un coin. Cela fit sourire Kyr et Kilynn. Drakëwynn bailla longuement. « Je vous raconterai bien des histoires toutes plus passionnantes les unes que les autres, mais avec cette journée mouvementée vous devez être fatigués.
– C’est vous qui venez de bailler… » pointa Kilynn. La Centaure lui tira la langue. Une langue plus longue qu’elle n’aurait du l’être, comme celle d’un dragon. Puis elle s’étira de nouveau, avant de déplier ses jambes chevalines pour se lever.

« Si vous voulez, demain nous ferons l’inventaire de ce que j’ai récupéré dans la maison et vous pourrez garder ce que vous jugerez utile. » Leur dit-elle en se dirigeant vers la porte de la grange qu’elle entrouvrit. « L’incendie est terminé, constata-t-elle. Et je ne perçois rien de mauvais dans les environs. » Elle referma soigneusement la porte, la barra, nettoya les reliefs du repas, vérifia que le petit feu resterait dans les limites imposées et sortit une couverture de son sac. Sous le regard médusé du frère et sa sœur, elle s’installa le plus confortablement qu’il lui était possible avec la paille disponible, siffla son dragon qui vint immédiatement se blottir au chaud contre elle, dit : « Bonne nuit les enfants ! » ferma les yeux et s’endormit presque aussitôt.

Lorsqu’il fut persuadé que Drakëwynn dormait, Kyr murmura à sa sœur : « Elle est bizarre quand même, tu ne trouves pas ? » Elle acquiesça en silence et il reprit : « En plus elle ne nous a même pas demandé nos noms.
– Ca ne doit pas l’intéresser, supposa Kilynn.
– Ouais… Tu crois qu’on devrait aller fouiller dans son sac pour piquer des trucs et retrouver Caer ? Il a dit qu’on serait tous à l’abri du besoin avec ce qu’elle possède…
– T’as pas honte de dire ça ? s’exclama la fille. On ne peut pas faire ça à quelqu’un qui nous a permis de manger à notre faim et de dormir en sécurité ! En plus, si jamais elle se rendait compte qu’il lui manque quelque chose, elle saura que c’est forcément nous, alors imagine un peu ce qu’elle nous ferait ! »

Elle ne l’avait pas mentionné, mais Kyr comprit que sa sœur faisait référence aux épées longues et, surtout, au chant de terreur de la Barde. Il frissonna. « Tu as probablement raison. Mais bon, Caer va nous en vouloir de ne pas avoir profité de l’occasion.
– Tant pis, chuchota sa jumelle. Je pense que tu seras d’accord avec moi : je redoute moins la colère de Caer que la sienne à elle. Allez, viens, nous aussi on devrait dormir. »

Ils se blottirent tous les deux sous la couverture que la Centaure leur avait prêtée. Aucun des deux ne connaissait la matière dont cette couverture avait été faite, mais elle s’avérait très chaude et douce au toucher, comme une sorte de fourrure. Repus ainsi que vidés de leur énergie, ils glissèrent très rapidement dans le sommeil. Drakëwynn sourit, puis s’endormit véritablement à son tour.