NaNoCamp Avril 2017 J+1 : Préquelles Arkhaiologia

L’animal cligna ses yeux rouges de plaisir sous les caresses.

« Ils ont déclenché l’alarme juste pour lui ? Se demanda tout haut Béatrice. Il ne paraît pas si dangereux en plus.
– Il n’est peut-être pas seul, supposa Valentin en grattouillant le cou de la créature. Je ne sais pas combien d’œufs pondent les dragons.
– Une douzaine, intervint Déa. Normalement peu d’entre eux parviennent à sortir du nid car la mère s’occupe de ne garder qu’un ou deux, parfois trois, parmi les plus aptes de sa portée. Les autres… Meurent.
– Cela voudrait dire qu’une dragonne adulte a pondu ses œufs dans le coin ? Reprit Béatrice.
– Si quelqu’un a repéré un dragon adulte en ville, je comprends mieux l’alarme. »

Ce disant, Valentin s’imaginait apprivoiser le dragonnet. « Je ne pense pas qu’il y ait de dragon adulte dans les environs, déclara Déa pensivement.
– Pourquoi ça ? S’étonna Béatrice. Un dragon adulte a bien dû pondre l’œuf de ce bébé, non ?
– Oui, acquiesça la femme aux yeux dorés. Mais je ne sens pas assez de magie pour qu’un dragon adulte puisse survivre. Il n’y en a probablement aucun. Et ça m’énerve de savoir ça sans savoir qui je suis ! »

Une volée de dragonnets passa au-dessus d’eux, poussant des cris dans la nuit qui les firent sursauter. Des drones les poursuivaient en bourdonnant. D’un commun accord, les deux amis enjoignirent à Déa de convaincre l’animal perché au balcon de rentrer à l’intérieur de l’appartement. Ni Béatrice, ni Valentin, ne tenaient à passer à côté d’un tel spécimen à étudier ; ils doutaient que les drones suivaient les dragonnets pour jouer avec eux. Ils ne savaient pas si c’était pour les abattre, mais ils préféraient ne pas prendre le risque de le perdre.

Déa attira la créature à l’intérieur avec un morceau de viande crue qu’elle venait de faire apparaître dans sa main et alla de nouveau s’installer sur le canapé. Le petit dragon se coula dans l’appartement à sa suite et la rejoignit, ouvrant la gueule avec espoir. La femme aux yeux dorés le récompensa avec la viande, qu’il avala goulûment. Les deux amis les rejoignirent aussitôt, après avoir fermé la baie vitrée. Tandis que Déa nourrissait le bébé, Béatrice prit Valentin à part.

« Qu’allons-nous faire d’eux ? Lui souffla-t-elle. Toi ou moi pourrions héberger Déa, mais le dragon ? Qu’en ferons-nous ? Vu sa taille il ne supportera pas de rester enfermé dans l’un de nos deux appartements. Et puis j’ose même pas imaginer la quantité de nourriture qu’il doit ingurgiter.
– Ton labo, je ne vois que cette solution.
– Ce n’est pas mon labo… Mais tu as peut-être raison. L’agrandissement est terminé et prêt à l’emploi. Je suppose que Massamba et Pommier pensaient plutôt y loger des banshees ou je ne sais quoi d’autre. Je ne pense pas qu’ils verront d’inconvénient à avoir un jeune dragon à observer. Je suis certaine qu’ils trouveront fascinant le fait que les dragons – comme les fées – possèdent trois paires de membres.
– Tant qu’ils ne le charcutent pas, ça me va.
– Tu sais que, maintenant, l’imagerie médicale a évolué et qu’on a plus à ouvrir les êtres vivants pour voir ce qu’il y a à l’intérieur, n’est ce pas ? » Le taquina Béatrice.

Valentin la chatouilla en guise de représailles, puis ils s’installèrent tous deux face à leurs hôtes. Le petit dragon s’était couché sur le canapé, sa tête dans le giron de l’étrange femme aux yeux dorés. « Vous êtes bien gentils de vous occuper de nous, les remercia Déa tout en couvant l’animal d’un regard attendri. Je ne suis pas sûre d’avoir compris toutes vos pensées, mais tout ce que j’ai perçu était positif à notre égard. Vous pensez vraiment que certaines personnes pourraient nous vouloir du mal ?
– Du mal, pas vraiment, la rassura Valentin. Mais je suis certain de nos intentions à nous, du moins.
– Par contre, compléta Béatrice, je doute que nous puissions laisser le dragon en liberté à l’heure qu’il est. Tout le monde va le considérer comme dangereux et je crains qu’il ne soit abattu si on le laisse dehors. »

Déa leur adressa un grand sourire : « Les dragons sont dangereux. Un dragon adulte peut détruire une cité à lui tout seul.
– Et comment fait-on pour empêcher ça ? S’enquit Valentin.
– S’en faire des amis, expliqua-t-elle en caressant le dragonnet. Ou avoir de puissants mages pour se protéger.
– Et tu ne sais toujours pas comment tu as connaissance de toutes ces choses ? Vérifia Béatrice. Parce qu’il semblerait que tu sois la seule personne au monde à savoir tout ça.
– Ce serait intéressant que tu nous dises d’où tu tiens toutes ces informations. » Renchérit le jeune homme.

« Vous êtes des érudits je vois. » Déa sourit de nouveau et Valentin eut la désagréable impression qu’elle lisait toujours dans leurs pensées. « Toujours en quête de savoir, poursuivit rêveusement la jeune femme aux yeux dorés, vous voulez tout comprendre… Oh, et oui, je continue de capter vos pensées, mais c’est plus fort que moi, je ne fais pas exprès. » Elle leva fièrement la tête :

« J’aimerais bien savoir, moi aussi. Je ferai ce que je peux pour vous aider.
– Tant mieux ! S’exclama Béatrice. Parce que j’ai une question.
– Oui ?
– Tout à l’heure, tu as dit qu’il n’y avait pas assez de magie pour un dragon adulte, commença la jeune femme. Et tu m’as clairement l’air d’être une magicienne. Tu peux déjà faire des choses complètement folles, comme te régénérer, ou lire nos pensées, faire apparaître des trucs, ou parler aux dragons… Ou que sais-je encore. Penses-tu que tu pourrais faire encore plus de choses s’il y avait assez de magie pour entretenir des dragons adultes ? »

Déa resta silencieuse, comme si elle réfléchissait. « Je ne suis pas vraiment une magicienne, déclara-t-elle enfin. Enfin, j’ai certaines capacités et elles utilisent de la magie. Mais magicienne ne me semble pas le terme approprié.
– D’accord, acquiesça Béatrice, nous réfléchirons au terme approprié plus tard dans ce cas.
– Pour répondre à ta question, reprit Déa, je suis certaine que si ce monde possédait plus de magie, je serai plus puissante. Peut-être même que je ne serais pas amnésique !
– Tu penses que ça a un lien ? S’enquit curieusement Valentin.
– Non, je ne sais pas du tout, pouffa la femme aux yeux dorés. J’ai plutôt l’impression de m’être cognée la tête. »

NaNoCamp Avril 2017 J-1 : Préquelles Arkhaiologia

La femme aux yeux dorés semblait affectée par son incapacité à se remémorer quoique ce soit. Avec les questions de Béatrice, elle avait réalisé qu’elle ne se souvenait pas qui elle était. Elle avait pu donner le prénom – ou peut-être était-ce un surnom – de Déa, mais impossible de se souvenir de la personne qu’elle était. C’était une sensation perturbante. Et irritante, aussi.

« Il y a une chose qui me vient à l’esprit, déclara-t-elle. C’est que je ne suis pas seule : je fais partie d’un groupe. Ils peuvent m’aider, j’en suis sûre !
– Un groupe ? Quel groupe ? S’enquit Béatrice avec curiosité.
– Pas un grand groupe, précisa Déa. C’est plus… Je ne me rappelle pas. Un peu comme une famille je dirais.
– Mais pas ta famille ? » Vérifia Valentin qui cherchait désespérément ce qu’il pouvait noter à propos de tout ça. Il y avait eu bien peu de révélations et il ne pouvait s’empêcher de se sentir un peu déçu.

« Je ne crois pas… Enfin, peut-être, je ne sais pas. Mes souvenirs sont vraiment très confus, c’est énervant ! » La jeune femme aux yeux dorés pinça les lèvres en une moue boudeuse. « L’un d’entre eux est médecin, murmura-t-elle. Il pourra m’aider.
– Tu sais où il travaille ? Demanda Valentin.
– Ou un numéro de téléphone qu’on pourrait appeler ? Poursuivit Béatrice.
– Un numéro de téléphone… Répéta pensivement Déa. Je connais les termes, mais j’ai du mal à voir à quoi ils correspondent. »

Cette déclaration prit les deux amis de court. Ils échangèrent un regard : la condition de l’inconnue était-elle plus grave que ce qu’ils avaient cru de prime abord ? Valentin désigna l’appareil qu’il avait en main pour prendre des notes. « C’est ça, un téléphone, déclara-t-il. Est ce que ça te dit quelque chose ?
– Non, je n’ai jamais vu un objet comme ça. » Déa fit rapidement le tour de la pièce du regard avant de reprendre : « D’ailleurs, je n’ai jamais vu une maison comme celle-là non plus. Je ne connais pas l’utilité de la moitié des choses qui se trouvent ici…
– C’est bizarre. » Commenta Béatrice.

Les trois restèrent un instant silencieux. Un courant d’air nocturne les caressa tendrement. Le jeune homme songea à la petite fée et jeta un rapide coup d’œil autour de lui à sa recherche. Ne voyant nulle part la douce luminosité qui nimbait la petite créature, il en conclut qu’elle avait dû s’envoler par la fenêtre qu’il avait laissé ouverte. Il se leva pour aller la fermer, un peu triste que la fée soit partie et espérant qu’elle était heureuse de profiter de sa liberté. Il se tourna de nouveau vers les filles, qui le considéraient calmement. « Tu avais froid ? » S’enquit Béatrice. Il acquiesça machinalement et retourna s’asseoir.

« Tu n’avais pas froid, corrigea Déa. Tu pensais à une petite faerie. Une fée.
– Comment sais-tu cela ? S’étonna Valentin.
– Tu ne lui as pas donné de nom, continua l’inconnue, même si tu penses à elle sous le nom de Clochette. Tu ne l’as pas nommée ainsi car elle ne tinte pas, elle pousse des trilles plutôt. » Déa se tut un moment, puis sourit : « Il semblerait que je puisse lire vos pensées. Mais je vais arrêter, ce n’est pas très sympa de faire ça sans autorisation.
– Waw, c’est impressionnant, balbutia le jeune homme. Je ne m’attendais pas à ça ! Et, euh, merci d’arrêter, c’est perturbant. »

Béatrice exhala bruyamment et se redressa pour aller ouvrir le réfrigérateur de son ami. « Hé, Val ! L’appela-t-elle. Tu n’as rien de plus fort que du lait ? Plus une seule bière ni rien ?
– Et non, je n’ai plus rien, c’est pour ça que j’étais si content de venir manger chez toi.
– Manger, quelle bonne idée, intervint joyeusement Déa. Je suis affamée ! » Comme elle avait fait apparaître ses vêtements, elle créa un petit festin sur la table basse devant elle. La pièce s’embauma instantanément de riches odeurs culinaires.

« Je pense que je risque de m’habituer un peu trop rapidement à ce genre de possibilité. » Commenta Béatrice en avisant une chopine remplie d’un liquide qui ressemblait un peu à de la bière. « Qu’est ce que c’est ?
– De la cervoise. » Répondit Déa la bouche pleine. Elle-même s’était jetée sur les plats comme si elle n’avait pas mangé depuis des jours. « Faites-vous plaisir, hein. » Ajouta-t-elle à l’intention des deux autres. Repus, ils avisèrent plutôt les boissons et découvrirent des goûts épicés auxquels ils n’étaient pas habitués.

NaNoCamp Avril 2017 J-2 : Préquelles Arkhaiologia

Une fois chez lui, ils installèrent leur sauveuse sur le canapé. « Tu n’aurais pas quelque chose pour la couvrir ? » S’enquit Béatrice. Pendant que son ami se rendait dans sa chambre à la recherche d’habits, elle s’assit en face de l’ancienne blessée pour lui demander : « Ça va mieux ? » Son interlocutrice la fixa droit dans les yeux, sans répondre, mais sans se départir de son sourire. « Mon ami est allé chercher des vêtements. » Continua Béatrice. Elle n’obtint toujours pas de réponse et se fit la réflexion que cette étrange inconnue n’avait pas l’air particulièrement gênée par sa nudité. De plus, elle paraissait avoir un peu récupéré ses esprits ; ses yeux étaient moins vides et inspectaient la pièce autour d’elle.

« J’espère que ça ira… » Valentin revenait avec de vieux vêtements à lui. Il les déposa près de leur sauveuse, qui pencha la tête d’un air intrigué. « C’est pour toi, précisa le jeune homme. En attendant qu’on trouve mieux.
– Je devrais peut-être ramener des choses de chez moi, suggéra Béatrice.
– C’est surtout le moment d’appeler les secours, ou la police, ou je ne sais pas, non ?
– Je ne sais pas. » La jeune femme fit la moue en jetant un regard à leur sauveuse qui les considérait à présent calmement, toujours sans mot dire, en tortillant une mèche de cheveux châtains.

« Même avec tous ces êtres féériques dehors, je me vois mal dire à qui que ce soit que nous avons trouvé une femme blessée qui s’est régénérée en quelques minutes, plaida Béatrice. Elle était perdue, mais elle semble avoir presque entièrement retrouvé ses esprits. Dans les faits, il n’y a presque plus de raisons d’appeler qui que ce soit. Avec un peu de chance, elle va finir par retrouver la mémoire et la parole. N’est ce pas ? » Lança-t-elle à l’intention de l’inconnue.

Celle-ci lui répondit avec un sourire, puis inspecta les habits apportés par le jeune homme. Ce faisant, la veste que lui avait prêté Béatrice glissa de ses épaules. Elle inspecta alors sa propre nudité, comme si elle découvrait seulement maintenant son manque d’apprêts. Elle pouffa de rire et prononça quelques phrases de manière volubile. « Je suis désolé, s’excusa Valentin. Je ne comprends pas ce que vous dites.
– Moi non plus, renchérit Béatrice. Et je ne vois même pas de quelle langue il peut s’agir. Mais elle a l’air d’aller mieux ! »

L’inconnue lui sourit de nouveau et hocha affirmativement la tête. Elle se leva, la veste tombant totalement, et parut se concentrer tout en faisant un petit geste fluide. D’étranges vêtements firent leur apparition sur le corps de l’étrangère. [à déterminer] Les deux amis restèrent interdits face à ce spectacle. Ils venaient d’avoir la preuve que des humains magiciens existaient bel et bien, s’ils n’en avaient pas été convaincus en voyant une écorchée guérir à vue d’œil.

« Voilà qui est mieux ! Se réjouit l’inconnue qui parlait avec la précaution de ceux qui n’étaient pas entièrement à l’aise avec la langue.
– Ce n’est peut-être pas très discret, commenta Béatrice par devers elle.
– Mais vous parlez notre langue ? S’étonna Valentin.
– Maintenant oui, confirma l’étrangère. Je ne connaissais pas cette langue, mais j’ai l’impression de l’avoir apprise plutôt vite !
– Vite ? Ça fait combien de temps que tu es ici ? S’enquit curieusement Béatrice.
– Oh, je m’étais réveillée depuis quelques minutes lorsque je vous ai rencontrés. »

L’inconnue s’assit de nouveau sur le canapé, avec un froncement de sourcil, comme si elle réfléchissait. « J’ai du mal à recoller les morceaux, avoua-t-elle. Mon cerveau est un peu embrumé…
– Tu dois être chamboulée par ce qui t’est arrivé, supposa Valentin. Quand nous t’avons vue, tu étais à moitié écorchée.
– Écorchée ? Répéta l’étrangère.
– Oui, c’est sûr, tu vas beaucoup mieux maintenant, balbutia le jeune homme. Enfin bref… Comment tu t’appelles ?
– Déa, je crois. En tous cas, ça me dit quelque chose de m’entendre appeler ainsi. » Elle se racla la gorge. « J’ai soif. » Elle avait l’air étonnée.

Béatrice se leva et alla lui chercher un verre d’eau, puis vint s’assoir sur le canapé à côté de Déa, tandis que Valentin s’installait face à elles. La nouvelle venu intriguait beaucoup les deux amis. De plus, en tant que magicienne, elle faisait partie de leur sujet d’étude – tant à l’une qu’à l’autre – et ils avaient envie d’en savoir plus. Comme elle leur paraissait encore un peu perdue, ils décidèrent d’un accord tacite d’y aller doucement avec elle. Ce qui n’empêcha pas le jeune homme de prendre son téléphone en main pour prendre des notes de leur échange ; il doutait que Déa ait envie d’être enregistrée.

« Je n’arrive pas à me souvenir, souffla-t-elle d’un air contrarié.
– De quoi ? Demanda Béatrice.
– De rien, c’est bien le problème.
– Peut-être qu’on pourrait essayer de te poser quelques questions, suggéra Valentin à l’ancienne écorchée. Ça pourrait peut-être suffire à te rafraîchir la mémoire sur certaines choses. Après tout, ça a fonctionné pour ton prénom.
– Moui, lâcha Déa d’un air peu convaincu. D’accord, essayons.
– Chouette ! Se réjouit Béatrice. Je commence ! »

Elle se frotta les mains et plongea ses yeux noisettes dans ceux, presque dorés se rendit-elle compte, de Déa. « Alors, commença l’amie de Valentin, d’où viens-tu ?
– De… Je ne sais pas, réalisa l’étrangère. De partout et de nulle part j’ai l’impression.
– Mmmh, commenta brièvement Béatrice. Et quelle était cette langue que tu parlais tout à l’heure ? Elle ne me rappelle rien que je connais.
– Vu le nombre de langues que tu connais, ce n’est pas étonnant, la taquina son ami. »

Tandis que Béatrice ripostait en jetant un coussin en direction de la tête de Valentin, Déa prononça pensivement quelques mots dans la langue en question. Elle secoua la tête et déclara : « Je n’ai pas l’impression qu’il existe un mot dans votre langue pour la mienne… C’est bizarre, je ne comprends pas. »

Valentin ne saisissait pas ce que voulait dire la femme aux yeux dorés. Les pensées se bousculaient dans sa tête. Les yeux dorés étaient-ils une manifestation des capacités surnaturelles de Déa ? Cette couleur n’existait pas naturellement, si ? L’amnésie de Déa était-elle temporaire ? Qu’avait-il pu lui arriver pour qu’elle ait apparu ainsi écorchée ? Quand pourrait-il le savoir ? Fallait-il l’emmener à la police ? Ou à l’hôpital pour son amnésie ? Tout se brouillait dans sa tête. Pendant ce temps, Béatrice avait continué de questionner la magicienne. Malheureusement, Déa n’avait pas grand chose à leur apprendre ; le peu dont elle se souvenait était confus.

NaNoCamp Avril 2017 J-4 : Préquelles Arkhaiologia

Son ami comprenait son désarroi. Embêté de ne rien pouvoir faire, il lui proposa une promenade digestive. Prendre l’air leur changerait peut-être les idées à tous les deux. Ils plièrent les cartons de pizza avant de les descendre et de sortir. Il était encore tôt, suffisamment pour que le soleil ne soit pas entièrement couché. « Où veux-tu aller ? s’enquit Valentin.
– Le parc est peut-être encore ouvert à cette heure-ci, supposa la jeune femme. On a qu’à aller voir. »

Le plus grand parc de la ville se trouvait au bout de la rue où habitait Béatrice. Leur discussion se fit plus légère au fur et à mesure de leur promenade. Ils furent très déçus lorsque les drones du parc se mirent à informer les visiteurs qu’ils devaient se diriger vers les sorties les plus proches, car le parc allait fermer pour la nuit. Les jeunes gens obéirent et sortirent de l’enceinte. Malheureusement, ils étaient sortis loin de chez eux. Ils entreprirent donc de rentrer par la ville. La nuit était noire à présent, mais l’éclairage citadin avait pris le relais.

Valentin et Béatrice se sentaient légèrement euphoriques après leur bol d’air et leurs plaisanteries. Marchant dans la rue bras dessus, bras dessous, ils rivalisaient de mots d’esprit peu recherchés qui les faisaient glousser. Occupés qu’ils étaient, les jeunes gens ne remarquèrent pas les deux individus louches qui se plaçaient derrière eux, tandis que deux autres venaient à leur rencontre.

« Alors le p’tit couple, il passe une bonne soirée ? S’enquit l’un des quatre.
– Bonsoir… Émit Valentin en prenant conscience du danger.
– Si vous voulez continuer de passer une bonne soirée, reprit le malfrat, il va falloir nous donner tout ce que vous avez qui a d’la valeur.
– Rien que de vous avoir rencontrés nous fait passer une mauvaise soirée, alors bon… » Ne pût s’empêcher de lâcher Béatrice.

L’un de ceux qui se tenait derrière plaqua brutalement la jeune femme contre le mur de l’immeuble voisin. « Quesstadi ? » S’emporta-t-il, une main autour du cou de sa proie qui émit un geignement tant surpris qu’étouffé. « Fais gaffe à c’que tu dis ! La prévint-il d’un ton énervé.
– Calmons-nous, tenta de tempérer Valentin.
– C’est un nerveux, expliqua doucereusement le premier malfrat qui paraissait être la tête pensante du groupe. Alors dépêchez-vous de nous donner tout c’que vous avez avant qu’il s’énerve. »

Alors que le jeune homme, ne voyant pas trop quoi faire d’autre et craignant pour son amie, s’apprêtait à obtempérer, l’atmosphère changea subitement. Une fine brise nocturne les effleura tous, suivie d’un infime instant de calme intense. Puis l’agresseur de Béatrice se retrouva violemment attiré en arrière et propulsé sur un poteau qui lui coupa le souffle. La jeune femme faisait désormais face à sa sauveuse, entièrement nue et à moitié écorchée. De la lymphe et du sang s’écoulaient des plaies. Béatrice aurait voulu crier face à cette vision d’horreur, mais rien ne sortit de sa bouche.

Les trois agresseurs restant se précipitèrent sur l’étrange nouvelle-venue pour venger l’affront fait à leur compagnon. Aussi vive que l’éclair, l’écorchée se tourna vers le plus proche et lui administra un magistral coup de poing qui l’envoya instantanément rouler quelques mètres plus loin, inconscient. Valentin vit avec horreur les deux derniers arriver jusqu’à leur sauveuse hors du commun, couteaux tirés. Mais celle-ci leur faisait déjà face, la paume levée dans leur direction. Une onde en jaillit qui heurta les deux derniers assaillants qui s’immobilisèrent un bref instant avant de tourner de l’œil. L’écorchée resta un moment sans bouger, avant d’attraper sa tête des deux mains en gémissant et de mettre un genou à terre.

La voyant en détresse, les deux amis quittèrent leur torpeur pour lui prêter assistance. Ils voulurent la soutenir, mais ils craignaient l’un et l’autre de lui faire mal s’ils touchaient ses plaies ouvertes. Valentin eut l’impression que leur sauveuse semblait moins blessée que lorsqu’elle était intervenue. Pendant que Béatrice ôtait sa propre veste pour en recouvrir l’étrange inconnue, le jeune homme essaya d’initier le dialogue : « Merci d’être intervenue, mais… Vous n’avez pas l’air bien ; mon amie et moi allons vous emmener à l’hôpital, d’accord ? » La blessée paraissait avoir perdu toute sa vitalité et avait désormais du mal à focaliser son regard sur un point précis. Elle laissa échapper des mots incompréhensibles, ce qui parut lui demander beaucoup d’énergie.

« Regarde ! Lança Béatrice à l’intention de son ami. On dirait qu’elle se régénère, non ? » Valentin regarda l’écorchée plus attentivement. Effectivement, ses plaies se refermaient peu à peu. « Je pense que ce n’est pas une très bonne idée de traîner ici, ajouta la jeune femme en jetant un coup d’œil appuyé aux quatre malfrats qui gisaient au sol. Emmenons-la vite.
– Tu penses qu’on peut la porter jusqu’à l’hôpital ?
– C’est un peu loin, réfléchit le jeune homme en se grattant la tête. On devrait appeler les secours plutôt.
– Mmmh… Émit Béatrice. On ne va peut-être pas avoir besoin finalement. »

L’inconnue était presque entièrement guérie, mais paraissait toujours apathique. Elle secouait doucement la tête d’un côté et de l’autre, comme si elle essayait de se souvenir de quelque chose. Son regard restait tout de même absent. « Je ne sais pas, hésita Valentin. Elle est presque guérie, mais elle n’a quand même pas l’air bien du tout…
– Ça, c’est vrai, convint Béatrice. Elle a l’air beaucoup plus perdue que lorsqu’elle est arrivée pour tabasser ces quatre là.
– Nous sommes très proches de chez moi ; on pourrait l’emmener et appeler les secours de la maison. Je n’ai pas envie de rester ici plus longtemps. »

Son amie acquiesça. Ils encadrèrent l’inconnue, qui leur adressa un sourire absent, et l’aidèrent à se relever avec précaution. Elle les suivit machinalement, mais ils devaient la soutenir car sa coordination motrice laissait parfois à désirer et elle trébuchait souvent. À chaque fois, le jeune homme lui demandait si elle allait bien et, à chaque fois, elle se contentait de lui répondre avec un sourire absent. Valentin se demandait si elle comprenait ce qu’il lui disait. Il trouva les quelques dizaines de mètres jusqu’à son immeuble infinies. Pourtant, l’inconnue était à présent complètement guérie et marchait avec plus de facilité.

La Prophétie des Etoiles

Les deux archimages de la Faculté Impériale de Diroma se concertaient, la mine grave. Ils se tenaient au-dessus d’une table recouverte d’un fouillis de parchemins, d’orbes de vision et d’objets dévolus à l’étude astronomique. Quelques bougies bien entamées et grimoires poussiéreux complétaient le tableau chaotique.
Le dénommé Cerdicus désignait d’ailleurs à son compagnon une page fragile d’un ouvrage qui faisait partie de l’Ensemble des Prophéties d’Ici et du Monde. Il poussa sa barbe qui s’était égarée sur les pages et gênait la vue d’Odetus. « Je crains que tous les éléments ne concordent, s’inquiéta Cerdicus. Il s’agit de la dernière partie des Ensembles de Prophéties. Je me suis toujours demandé pourquoi aucune prédiction n’avait vu le jour concernant les époques d’après ce cataclysme-ci.
– C’est une bonne question il est vrai, commenta Odetus. Ce que vous me montrez là est inquiétant. Pourquoi personne d’autre n’a-t-il soulevé le problème ?
– Ah, vous savez, l’étude des prédictions et de l’astronomie liée à l’astrologie n’ont plus beaucoup de succès de nos jours.
– C’est vrai, acquiesça Odetus en se lissant la moustache. En ce moment, ce sont les classes de potions et des maîtrises élémentaires qui sont combles. Je dois avouer que ces choses-là ne sont pas non plus ma spécialité.
– Ce n’est malheureusement plus la spécialité de grand monde depuis la disparition de la vieille Clementina.
– Mmmh… Nous devrions essayer de relancer l’intérêt estudiantin pour cette discipline, une fois que toute cette histoire sera terminée.
– Si nous parvenons à enrayer ce sombre destin qui nous attend, pointa Cerdicus avec amertume.
– Nous verrons, tempéra Odetus d’un ton rassurant. Dès la première heure demain matin, je vais demander une audience à l’Impératrice, pour l’informer de la menace. Quant à vous, vous devriez commencer à rassembler les ingrédients et sorts nécessaires au rituel de protection.
– Faisons ainsi. »
Après quelques discussions à propos des marches à suivre, les deux archimages se saluèrent, prirent grand soin d’éteindre toutes les chandelles pour éviter un incendie, et partirent se coucher. Une longue journée les attendaient le lendemain. Ils subodoraient également que beaucoup de tracas allaient les envahir pour les jours qui suivraient.

 

 

L’entrevue auprès de l’Impératrice fut un succès pour Odetus. Elea V débloqua des ressources afin d’aider les mages à prévenir la catastrophe qui se profilait. L’archimage avait longuement expliqué à l’Impératrice les dangers de ce nouveau corps céleste, que l’on pouvait désormais voir à l’oeil nu durant les nuits sans nuages.

Elea V n’était pas bête. Elle connaissait les dégâts pouvant être occasionnés par une catapulte et Odetus lui avait expliqué que le caillou qui allait les heurter avait la taille d’un royaume. L’Impératrice avait tout de suite compris l’ampleur de la catastrophe qui les guettait. Ni son Empire, ni ses voisins, ni personne ne s’en remettrait.

Cerdicus, lui, avait lancé une grande campagne de recherches d’objets magiques et d’ingrédients. Certains étudiants mages, emballés par l’idée, s’étaient lancés à l’aventure dans tous l’Empire et au-delà, aidés par un financement universitaire mis en place pour l’occasion. Pour eux, ils s’agissait d’un jeu. L’archimage ne leur avait pas dévoilé son dessein en les envoyant ainsi aux quatre coins du monde.

De fait, au delà de Cerdicus et Odetus qui avaient mis au courant les archimages des autres Facultés et de l’Impératrice qui n’avait informé que quelques conseillers et alliés dignes de confiance, personne ne se doutait du cataclysme qui s’annonçait. Elea V avait décrété qu’il serait risqué d’inquiéter inutilement la population, d’autant que les mages avaient une solution. Elle espérait que les expéditions seraient diligentes dans leur recherche d’artefacts ; elle se sentirait mieux une fois qu’elle saurait que toute menace serait écartée.

 

Isaura était une étudiante prometteuse dans les domaines des potions et de la botanique. Mais aussi déjà une magicienne émérite. C’est pourquoi elle était à la tête de son petit groupe de chasseurs de reliques. En réalité, ils ne recherchaient pas des reliques à proprement parler. Sous la direction de la jeune femme, ils s’étaient spécialisés dans les plantes rares.

Ils avaient déjà trouvé le lotus d’améthyste de Sylvania et le discret campanule-phénix doré. Ils n’avaient pas ménagé leurs efforts pour arriver à ce résultat et leurs trouvailles avaient été acclamées à grands cris à la Faculté Impériale de Diroma. L’équipe d’Isaura et elle-même avaient quitté la ville la veille afin de trouver la dernière plante requise. Ils étaient partis au plus vite car plusieurs groupes d’étudiants rivaux les concurrençaient. Toutes ces compétitions se déroulaient sous l’oeil concerné des deux archimages qui avaient initié le mouvement.

« Le temps presse, s’inquiétait Cerdicus en froissant nerveusement sa barbe.
– Ne vous en faites pas, lui assura Odetus en buvant une gorgée de chocolat chaud. Ils sont plusieurs pour trouver… Comment se nomme cette plante déjà ?
– Timide Amour, il s’agit d’une petite fleur bleue.
– Voilà. Jusqu’ici tout se passe à merveille ; il est inutile de se faire du mauvais sang. Personne ne s’inquiète plus de l’astre nouvellement apparu dans le ciel depuis que l’Impératrice Elea V en a fait son symbole. »

Cerdicus acquiesça. Son confrère parlait sagement. « Je suis certain qu’ils reviendront à temps avec le Timide Amour, appuya une nouvelle fois Odetus.
– Vous parlez avec la voix de la raison, en convint son confrère. Mais je ne peux m’empêcher de penser : et si le fait qu’il n’existe plus de prophétie pour la suite signifiait que nous n’allons pas réussir à empêcher cet astre de nous heurter.
– Je préfère ne pas y penser. » Avoua Odetus en terminant le contenu de sa tasse.

 

Marcus était un paysan prospère. Tous les matins, il se levait tôt, envoyait ses ouvriers au travail et se mettait lui-même à l’ouvrage ensuite. Contrairement aux autres jours de dur labeur, aujourd’hui il se permettait de faire une pause dans son travail. Ce n’était pas un jour comme les autres : une flopée d’étudiants mages parsemait ses champs, visiblement à la recherche de quelque chose d’important pour eux.
Que ces jeunes blancs becs fassent comme ils voulaient, songea Marcus, tant qu’ils ne lui abîmaient pas ses récoltes. Il espérait juste qu’ils ne resteraient pas trop longtemps, car ils risquaient de gêner ses ouvriers. Après un claquement de langue, il décida de garder un oeil sur eux, juste au cas où. Il n’avait jamais vu une telle chose et contemplait le spectacle, médusé.

« Isaura, il nous regarde toujours, émit timidement un étudiant.
– Et bien qu’il regarde, répondit sèchement l’interpellée. Il ne peut pas comprendre l’importance de ce que nous recherchons.
– Nous pourrions peut-être lui demander si il connait les fleurs bleues… les Timides Amours ?
– Pour quoi faire ? Il ne verrait même pas de quoi nous lui parlerions. »
Ils continuèrent à chercher. Les espoirs de Marcus furent exaucés quelques jours plus tard. Les étudiants mages s’en furent de ses terres sans un mot. Le paysan se demanda ce qu’ils avaient bien pu trouver au milieu de ses plantations.

 

« Nous avons échoué, avoua Isaura aux deux archimages une fois revenue à la Faculté Impériale de Diroma. Nous n’avons pas trouvé le Timide Amour, malgré tous nos efforts. » Cerdicus et Odetus échangèrent un regard accablé.

 

« Evata ! Appela Marcus. Les mauvaises herbes bleues sont revenues ! Viens m’aider à les exterminer !
– C’est terrible, grommela sa femme en arrivant avec de quoi déterrer les racines. Elles sont tenaces ces herbes ! » Sans un mot de plus, ils se mirent de nouveau à la tâche. Pendant ce temps, dans le ciel, l’astre grossissait.

 

Ravisseuse de magie

Le printemps avait fait fleurir les prés. Le petit peuple des fays s’y ébattait joyeusement ; qui butinant le nectar floral, qui flirtant ensemble, qui voletant entre les brins d’herbe dans une course effrénée, qui essayant d’apprivoiser des insectes pour en faire des animaux de compagnie. Au milieu de toute cette agitation féérique et champêtre, un fé aux ailes de libellule translucides contait fleurette à une fée aux ailes de papillon rouges et noires. Pour mieux impressionner la belle, il était monté sur le dos d’une mésange bleue qui lui répondait au doigt et à l’oeil. Ravie de tant d’attention, la petite fée pouffait de rire, minaudant auprès de son soupirant.

Bientôt, d’autres membres bourdonnant du petit peuple fay entourèrent l’oiseau, curieux de voir un animal aussi gros apprivoisé par l’un de leur race. Cela arrivait occasionnellement, mais suffisamment rarement pour que tout le monde vienne jeter un coup d’oeil de plus près. Lorsqu’elle réalisa qu’elle était le centre de l’attention, la mésange gonfla son poitrail jaune vif de fierté. Le fé était tout aussi satisfait de son assemblée et en profita pour se donner en spectacle. Il montra à ses comparses les quelques tours que l’oiseau acceptait de réaliser pour lui. Sous les applaudissements et les cris de joie, la fée aux ailes de papillon rejoignit son galant sur le dos du passereau coloré. Ce dernier emmena ses deux petits cavaliers haut dans le ciel à tire d’aile.

Ils survolèrent des korrigans qui dansaient en rondes en chantant à tue-tête des paroles incompréhensibles au milieu des menhirs. Puis une chasse à courre du grand peuple des fays, les elfes. N’ayant pas à voler eux-mêmes, les deux tourtereaux ne se firent pas prier pour profiter du voyage. Lorsque la mésange se posa aux abords d’une rivière, traversée par un pont à trolls, ses petits cavaliers mirent pied à terre. A l’ombre d’un bolet au grand chapeau, ils devisèrent du dragon dont ils avaient aperçu l’antre au loin et des cris stridents d’une banshee qui avait annoncé en pleurant un malheur à venir sur un château. Ils passèrent ensuite la nuit dans un nid abandonné mais encore tapissé de duvet, se livrant à moult acrobaties amoureuses et hautement inconvenantes à raconter en bonne société. Le petit peuple fay n’avait que faire des convenances et les deux tourtereaux s’aimèrent ainsi de manière créative une bonne partie de la nuit durant.

Et ils continuèrent de vivre ainsi d’amour et d’eau fraîche, alors même que la jolie fée aux ailes de papillon rouges et noires s’arrondissait. Quelques jours plus tard, elle pondit une grappe d’oeufs à l’abri des fondations lézardées d’une maison d’humains, en ruines, au coeur d’une forêt. Ceci fait, elle s’envola, de nouveau légère vers d’autres cieux, oubliant aussitôt sa progéniture et le fé aux ailes de libellule qui s’était, lui aussi, lassé de sa compagne. Ces frivoles créatures passèrent plusieurs mois à butiner de droite à gauche avant de se retrouver au détour d’un tournesol. La mésange avait été remplacée par une tourterelle, mais les débuts de leur nouvelle amourette furent les mêmes.

Une fois dans les cieux, confortablement installés sur le dos moelleux de l’oiseau, le paysage ne se montra pas aussi idyllique que la fois précédente aux deux fays. Tout l’horizon était barré d’une ombre titanesque, qui avançait, recouvrant le monde d’une cape obscure vers laquelle se précipitaient des brumes multicolores. En réalité, les filaments lumineux ne se dirigeaient pas en direction du voile ténébreux, mais étaient absorbés par lui. Les petits tourtereaux chevauchant la tourterelle distinguèrent, au loin, un dragon fuyant à toute allure l’obscurité. Mais le voile l’enveloppa et lui arracha une intense lumière qui rougeoyait comme une braise. Le cri de douleur du dragon s’arrêta brusquement et son corps inerte chut, provoquant un tremblement qui ébranla les alentours.

Si, jusqu’ici, toutes les fays des alentours avaient contemplé le spectacle avec les yeux agrandis par l’horreur, la terreur prit le dessus et toutes s’envolèrent à tire d’aile pour s’éloigner le plus possible de l’ombre qui avançait dans leur direction, aspirant l’énergie magique du monde entier. Le fé éperonna sa tourterelle qui, obéissant à l’ordre, se mit également à fuir à toute vitesse. A leurs pieds, les korrigans se réfugiaient dans leurs salles secrètes sous leurs menhirs et dolmens. Les elfes régaliens avaient abandonné toute dignité et fuyaient à en perdre haleine, rejoignant leurs royaumes de l’autre côté des arbres et des lacs. Les banshees se fondirent dans les pierres des demeures qu’elles hantaient et les trolls se tassèrent sous leurs ponts. Toutes les créatures magiques s’employèrent à fuir et à se cacher de l’ombre implacable.

Sa petite compagne agrippée à lui, il se retourna pour surveiller l’avancée des ténèbres, fasciné. Il remarqua que le voile d’obscurité ne s’étirait pas, mais avait une taille finie. De l’autre côté du voile, le ciel était de nouveau bleu. Cela lui donna une idée ; il allait faire comme les elfes et les autres. Attrapant la fée aux ailes de papillon, il se jeta de sa monture. Ignorant ses cris, il fondit en piquée en direction de l’arbre le plus proche. Un chêne centenaire. Plongeant sous les racines de se dernier, il se plaqua avec sa compagne tout au fond. Il expliqua à la fée tremblante de terreur qu’ils attendraient là, en sécurité, le passage des ténèbres et qu’ils sortiraient une fois que le danger serait passé.

L’ombre qui aspirait la magie de toutes les choses sous forme de brumes colorées passa l’arbre où les fays s’étaient réfugiées. Elle enferma les elfes et les korrigans dans leurs royaumes, scellant les entrées en aspirant leur magie et tua les autres, aspirant la magie de leurs corps. Elle fit de même avec les banshees. Seules celles qui s’étaient réfugiées au plus profond des fondations survécurent, mais ne pouvaient plus sortir des pierres. Les trolls se pétrifièrent sous les ponts. Les dragons qui n’avaient pas succombés s’enterrèrent au plus profond des montagnes et entrèrent dans un sommeil profond qui pouvait durer des milliers d’années pour ceux qui seraient assez puissants pour survivre aussi longtemps. Ils avaient besoin de magie pour vivre et il n’en restait qu’une infime quantité à la surface.

La plupart des créatures magiques avaient été balayées par le voile ténébreux qui, après avoir absorbé l’énergie du monde, disparut comme il était venu. Restaient les animaux communs et les humains. Des créatures magiques ne subsistèrent plus que les contes que les hommes et les femmes se transmettaient entre eux et à leurs enfants. Ces contes entrèrent dans le folklore en quelques générations seulement. Bientôt plus personne ne se souvint que ces histoires étaient vraies ou, du moins, avaient un fond de vérité. Pour cette terre, un cycle sans magie commença. Un cycle où les humains purent s’épanouir, bridés par aucune force pour les contrer. Le monde mettrait un temps considérable pour reconstituer ses réserves magiques.

Une tourterelle se posa sur un chêne centenaire. Elle roucoula doucement. Au milieu des racines de l’arbre, deux petites pensées fleurissaient. L’une blanche et grise, presque translucide et l’autre d’un rouge et noir profond. Les plus crédules prêtaient aux pensées des propriétés magiques, mais quiconque possédait un peu de bon sens savait bien qu’il ne s’agissait que de superstition.

 

fee

 

(Il y a quelques temps, quelqu’un est tombé sur ce blog en cherchant « ravisseuse de magie ». C’est pourquoi j’ai décidé de faire une mini-nouvelle à ce propos. Comme ça, cette personne ne sera plus déçue en venant ici ! Pour le moment, ce thème tourne un peu dans ma tête pour une éventuelle idée de NaNoWriMo. Mais d’ici le début de novembre, j’ai le temps d’oublier et de passer à autre chose !)